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Entretien avec Jean-Louis Thouard
Entretien accordé aux SdI en mai 2008


Tout d'abord, un grand merci de te prêter au petit jeu de l'interview!
Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi (parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse.)?

Je suis né en 1971 à Toulouse . J’ai passé toute mon enfance dans le Jura. Mon cursus scolaire est relativement classique : un bac littéraire puis j’ai intégré l’école des Arts Décos de Strasbourg. J’ai également une licence en Arts Plastiques. Ma passion est tout ce qui touche aux arts visuels : du dessin à la peinture, des œuvres dites classiques à l’art contemporain. J’adore également la musique. Pour les comptes en banque, j’ai préféré les îles Caïman à la Suisse. Question de climat hé hé hé.

Enfant, quel lecteur étais tu? Quels étaient tes livres de chevet?
Dès la sixiéme j’aimais fureter dans la bibliothèque pendant les récrés. J’adorais y découvrir des bd que je n’aurais sans doute jamais connues autrement. C’est là que j’ai fait connaissance avec l’univers graphique de Fred, Mézières, Franquin. J’adorais également toutes sortes de nouvelles fantastiques (futuristes, uchroniques, gothiques…). C’est sans doute là que j’ai découvert Edgar Poe.



Qu’est ce qui t’attires dans l’univers d’Edgar Poe?
Je retrouve chez Poe ce que j’affectionne chez Shakespeare ou Hugo. C’est à dire cet équilibre singulier qui oscille entre l’extrême sensibilité poètique et le grotesque grinçant le plus sombre. Bien entendu le côté fantastique de ses contes me touche beaucoup. J’ai chaque fois l’impression que tout est possible dans ses nouvelles, que les portes de l’imaginaire sont grandes ouvertes et qu’il suffit de suivre le chemin étroit et tortueux de ses personnages pour y parvenir. Un peu comme chez David Lynch.

Quelle nouvelle recommanderais-tu à quelqu'un désireux de découvrir Poe?
Toutes ont leur genre propre. Sans doute je conseillerais la plupart des Nouvelles histoires extraordinaires. Hop-Frog, Metzengerstein pour le côté délirant et gothique. Le Roi Peste, Hans Pfall, Le système du docteur Goudron et du Professeur Plume pour le comique grotesque. Les aventures d’Arthur Gordon Pim de Nantucket et Le Scarabée d’or pour l’aventure bien entendu! Mais il y en a plein d’autres, elles abordent toutes des genres assez différents, le mieux c’est d’y plonger et de se laisser porter.

Le dessin a-t-il toujours été une passion? Qu'est ce qui t'en a donné le goût?
Le dessin est devenu très présent vers l’âge de 11 ans où je faisais mes premières bd dans mes cahiers de cours (!) Puis au collège où j’ai rencontré un autre élève qui dessinait super bien, avec un trait étonnamment mature pour son âge. Je me suis dit « s’il le fait alors pourquoi pas moi? » C’était très enthousiasmant car nous découvrions une bd plus adulte avec Gotlib, Bilal, Moebius, Druillet… La grosse claque a été la découverte de Liberatore et de son Ranxerox. Nous étions complètement fascinés par la virtuosité, la violence et la sexualité extrême de l’univers de cet auteur. Nous n’avions de cesse de dessiner à sa manière !



Tu as commencé par travailler dans l'illustration avant de venir à la BD. Avais-tu depuis toujours l'envie de devenir dessinateur de BD?
Oui, c’était même ma première envie. L’illustration est venue bien après. En fait j’ai découvert le monde de l’illustration aux Arts Décos. Ensuite il était plus simple pour moi de gagner ma vie en réalisant des couvertures et des albums illustrés. La concrétisation d’un album bd est venue plus tard. La preuve !

Quelles sont les grandes joies et les grands écueils du métier d'illustrateur?
Les grandes joies sont de pouvoir travailler avec mille techniques sur de grands formats. Mais l’illustration reste le domaine de la jeunesse et la liberté d’aborder des thèmes plus adultes a ses limites. La bd semble un domaine de liberté vraiment vaste. J’ai également l’impression qu’un auteur de bd est assez vite perçu en tant que tel. Ce qui n’est pas encore vraiment le cas pour un illustrateur qui peut rester plus « anonyme ». Je pense que cela est dû en partie au public qui n’est pas du tout le même.


Ton premier album, le Scarabée d'Or, est paru en avril. Comment est né ce projet d'adaptation de l'univers de Poe?
Il s’agit d’une envie commune que nous partagions avec Roger Seiter. Lorsque je l’ai contacté pour bosser avec lui, j’avais en tête des projets plus contemporains. Puis très vite nous avons trouvé ce désir commun de travailler sur les nouvelles de Poe. Le Scarabée d’Or a fait l’unanimité puisque c’est une histoire de chasse au trésor qui entremêle habilement psychologie, aventure et fantastique.

Qu’est ce qui t’as donné envie de travailler avec Roger Seiter?
J’appréciais beaucoup son travail pour la série Fog. Je trouvais ses histoires à la fois documentées, intelligentes et très bien menées. Je sentais que c’était un scénariste qui savait tenir le fil d’un récit entre réalité et imaginaire. Et en plus c’est quelqu’un de fort sympathique et très ouvert.



Combien de temps s’est écoulé entre l’esquisse du projet et sa publication? Le projet a-t-il d’emblée été accepté par Casterman?
Pas mal de temps dans le mesure où, au début, je n’étais pas satisfait de mes planches. Je les ai recommencées plusieurs fois (pas tout l’album, seulement les trois premières, hein !). Disons qu’il s’est écoulé une bonne année entre les prémices et l’accord de Casterman.

Plus qu’une adaptation, la série semble proposer une réécriture des nouvelles de l’écrivain américain. Etait-ce une volonté commune ou Roger Seiter vous en a-t-il fait la surprise?
Le Scarabée d’Or est une adaptation fidèle de la nouvelle de Poe. D’un commun accord nous avons campé fortement les personnages principaux et ajouté un personnage féminin, Kitty que l’on retrouvera par la suite. De plus, Roger a intensifié la fin de l’histoire en créant une rivalité entre William Wilson et le colonel Parker. Je pense que la série va prendre sa véritable envergure au tome 2 où nous avons joué avec plusieurs nouvelles. Ce sera donc une histoire complètement originale qui évoluera dans l’univers de Poe.



Fichtre! Ce second tome promet d'être intéressant! Quelles nouvelles seront ainsi réécrite pour former cette histoire qui promet d'être originale?
Il y en a trois principales : « La chute de la maison Usher », « Petite discussion avec une momie » et « Le puits et le pendule ». Mais tout ça est imbriqué avec la maestria du grand Seiter! Ce qui crèe une histoire complètement originale.

Pour quand le second tome est-il prévu et quel en sera le titre?
Le tome 2 est prévu pour avril 2009 et n’a pas de titre arrêté pour le moment.

Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de votre travail? Comment s’est élaboré cet album et quel a été l’apport de chacun dans ses différentes étapes de conception?
J’ai d’abord planché sur les personnages principaux, leur attitude, leur physique, leur vêtement, etc… C’était très important pour moi qu’ils collent parfaitement à ce que je ressentais de l’univers de Poe. Je tenais à ce qu’ils aient une certaine ambiguité. Ils ne sont pas « nets », pas cleans. Il y a quelque chose qui sommeille eux. Ils ont une histoire et des démons. Je montrais régulièrement mes recherches à Roger et son avis m’a orienté vers cette idée de « héros inquiétants ».



De sa conception à sa mise en couleur, combien de temps passes tu à réaliser une planche?
Je réalise quatre planches par mois. Mes planches sont en format raisin ou A3. Il faut dire aussi que j’ai parfois d’autres commandes à côté (couverture de livre, album jeunesse…)

Comment travailles tu particulièrement tes couleurs? Quelles techniques utilises-tu?
Je travaille en couleur directe. J’y tiens. C’est nécessaire pour obtenir les effets de matière, de texture que je souhaite. J’aime le rapport physique au papier. J’aime utiliser différents pinceaux, brosses, tamponner, griffer à la plume mon support, faire des tâches. Bref il faut que je m’amuse. J’utilise une technique de superposition des couches de couleurs avec des encres acryliques (Colorex, Magic-color, Dawler Rowney etc…).



Comment as-tu façonné l’apparence des personnages de William Wilson, Edgard Legrand et Kitty qui sont semble-t-il destinés à servir de fil rouge aux différents albums?
Pour William Wilson (le ténébreux), je me suis inspiré des rôles sombres de Johnny Depp et de certains acteurs japonais bien déjantés. Pour Edgar Legrand, il y a un peu de Robert Mitchum et de Harvey Keitel. En ce qui concerne Kitty, je ne sais pas trop, elle devait à la fois inspirer le désir mais aussi un certain mystère.

Le Scarabée d'Or
Les coulisses du premier tome d'une série prometteuse consacrée à l'univers d'Edgar Poe signée par Roger Seiter et Jean-Louis Jean-Louis Thouard.


Sur cet album, as tu travaillé de façon linéaire ou scène à scène en fonction de tes envies du moment? Quelle planche t'as donné le plus de fil à retordre?
Oui, j’ai réalisé les planches dans l’ordre normal. Je ne pense pas qu’une scène puisse être inintéressante. Le tout est de l’aborder sous le bon angle, avec une idée derrière la tête.
Les planches délicates sont surtout celles où Edgar explique le déchiffrage de l’énigme. Il faut être précis dans les détails afin que tout soit cohérent dès la première lecture. Et encore plus à la seconde!

Dans quel environnement sonore te trouves-tu lorsque tu d'atèles à la planche à dessin?
Cela dépend. Parfois silencieux. Parfois musical. D’autrefois la radio.



En tant que dessinateur, comment perçois-tu les séances de dédicaces?
C’est un des rares moments où je peux rencontrer les gens qui s’intéressent à ce que je fais. Je ne vais donc pas le négliger, au contraire ! Quand je peux, je n’hésite pas à discuter, à leur poser des questions. Il n’y pas de raison pour que le dessinateur n’apprenne par quelque chose en décicace ! Et bien entendu j’essaie de m’amuser en faisant les dessins, de ne pas faire deux fois le même, de changer de technique…il faut que tout ça soit joyeux.

Quels sont tes derniers coups de coeur (BD, romans et ciné confondus)?
En bd j’ai bien aimé le graphisme de Billy Wild. Un chouette roman lu assez récemment : « Un homme un vrai » de Tom Wolfe. En ciné le dernier film vu qui m’ai laissé quelque chose est « There will be blood » de Paul Thomas Anderson. Mais j’ai vu aussi « Aviator » de Scorcese en dvd et j’ai vraiment été agréablement surpris.

Y-a-t-il une question que je n'ai pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre.
Oui, tu n’as pas insisté pour les comptes en banque. C’est dommage j’aurais bien aimé te répondre. Trop tard !


Pour finir et afin de mieux te connaître, un petite portrait chinois à la sauce imaginaire...

Si tu étais…


Un personnage de cinéma : Clint Eastwood
Une créature mythologique : un griffon
Un personnage de BD : le Major Grubert
Un personnage biblique : Saint Antoine
Un personnage de roman : Faust
Un personnage d'Edgar Poe : William Legrand
Un personnage de théâtre : Cyrano de Bergerac
Une oeuvre humaine : un couteau suisse
Une recette culinaire: le pesto
Une boisson: un vin jaune du Jura

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé!

Le Korrigan