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Entretien avec Florent Calvez
entretien accordé aux SdI en mai 2008


Question liminaire : êtes vous farouchement opposé au tutoiement?
Au contraire :ça facilite l'usage du plus-que-parfait du subjonctif.

Tout d'abord, un grand merci de te prêter au petit jeu de l'interview!
Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi (parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse.)?

Je suis Florent Calvez, je suis né à Brest un jour de rentrée scolaire en 1974. Élève normal, je me suis échoué en fac d'arts plastique où j'ai profité des bourses autant que possible. J'ai enchaîné les petits boulots, j'ai été fonctionnaire quelques années, avant de démissionner, j'ai monté ma boîte, et aujourd'hui, bonheur, je fais de la bd. J'occupe mon temps à dessiner en m'abreuvant de musique, à regarder des films, lire et jouer à gta4. Pour ce qui est de mon compte en suisse, il est comme il se doit confidentiel.
Quelle genre de boîte avais-tu monté?
Graphisme, et webdesign, une façon comme une autre de se prendre en main.

Enfant, quel lecteur étais tu? Quels étaient tes livres de chevet? La bande dessinée occupait-elle déjà une place de choix?
Un lecteur plutôt assidu... Petit, je lisais volontiers des récits d'aventure de Verne, Stevenson, McOrlan, Dumas... J'ai des classiques de la bd : Schtroumphs, Astérix, Tintin, Superman, Batman... Mais, je n'ai jamais été collectionneur ou boulimique de bd.

Le dessin a-t-il toujours été une passion? Qu'est ce qui t'en a donné le goût? Devenir auteur de BD était-ce un rêve de gosse?
Le dessin, oui, une vraie passion. J'ai commencé par recopier mes bouquins animaliers, puis des schtroumpfs... La bd, j'ai longtemps eu du mal à dessiner la 2nde planche... Il aura fallu attendre 28 ans pour que je la dépasse. J'ai des copains qui faisaient des 15 pages à 8 ans, moi pas. J'étais plutôt du genre à remplir des pages de gribouillis. Si bien que petit, c'était un rêve un peu lointain, diffus... En grandissant, ça s'est précisé !


©Delcourt / Florent Calvez


Quelles sont les grandes joies et les grands écueils du métier de dessinateur?
Les grands écueils : certaines fins de mois ! Travailler beaucoup tout le temps, pas de congés payés, donc... Aussi, imaginer qu'on puisse prendre des vacances sans penser au projet en cours ou à venir... Revoir les planches quand le bouquin est imprimé, c'est fini, on ne peut plus rectifier, et tous les défauts reviennent à la surface... Le jour de la sortie d'un bouquin, c'est toujours une déception : quoi que je fasse, c'est émotionnellement toujours un jour comme un autre. C'est dommage, mais c'est comme ça !
Les grandes joies : réussir un bel effet, une belle mise en scène. Prendre du recul, et voir qu'on progresse ! Voir qu'on fait plaisir au scénariste, qu'on est bien dans sa vision, ou qu'on le surprend ! Et aussi, dessiner ses idées, devenir auteur complet, c'est différent et très agréable.


En 2005 paraissait U-29, ton premier album adapté du Temple, une nouvelle d'Howard Phillips Lovecraft, auteur que vous semblez affectionner. Comment est né ce projet scénarisé par Rotomago?
De manière assez simple, et très naturelle ! On se connait depuis l'adolescence, on s'est perdu de vue, et on s'est retrouvé à l'aube de la trentaine avec l'envie de finalement, en faire de la bd. On s'est lancé dans un galop d'essai (non publié) pour voir comment on pouvait travailler ensemble. Rotomago et moi sommes amateurs de Lovecraft, et il voulait adapter depuis longtemps le temple. Donc...

Qu'est ce qui t'attires dans l'oeuvre de Lovecraft? Comment définirais-tu son univers en quelques mots?
L'univers de lovecraft est forcément relié à mon adolescence, à un moment, où j'ai commencé à regarder de côté, à «quitter les rails» pour faire mes propres expériences. Donc, forcément, j'ai un regard nostalgique, sentimental sur son œuvre. En elle-même, elle regorge de qualités surtout conceptuelles, notamment par une mise en perspective curieuse d'une vérité non visible, maléfique dans l'œil et entre les mains des hommes. C'est un ailleurs onirique qui parfois force la porte d'un réel purement matérialiste...

Comment as-tu abordé graphiquement cette nouvelle de Lovecraft?
J'ai pensé qu'un style réaliste, rigide, figé et sombre conviendrait à la dérive de l'équipage du U-29. J'avais envie de travailler le relief de la mer, et ce traité a comme «envahi» l'intérieur du sous-marin, de manière différente. L'eau et la ville engloutie sont traitées de manière plus charnelle, plus subjective, organique, alors que le sous-marin n'est que lignes et angles droits.


En 2007 est paru le premier tome des Aventures extraordinaires de Nelson Lobster scénarisé par le prolifique mais talentueux Eric Corbeyran. Comment est née cette aventure?
Thierry Joor, chez Delcourt, m'a proposé le scénario de nelson lobster. En sortant du sous-marin, j'avais envie d'aller vers de l'aérien et du baroque, ça m'a semblé parfaitement coller... J'ai lu le scénario en rentrant chez moi et cela m'a plu ! J'ai travaillé rapidement à des esquisses, à caractériser les personnages, à designer les robots, et manifestement, ça a plu à Éric. Alors, on a pris la mer !


©Delcourt / Florent Calvez



En mars est paru Reanimator, adapté de l'inquiétante et terrifiante nouvelle de Lovecraft, Herbert West: Reanimator. Pour la première fois, tu es seul aux commandes, signant à la fois le scénario, le dessin et les couleurs. Mettre en image tes propres histoires te titillait-il depuis longtemps? Pourquoi avoir choisit cette nouvelle? Comment s'empare-t-on d'une nouvelle du maître de l'étrange pour l'adapter en BD?
J'aime la mise en scène, et notamment la symbolique des images. Aussi, dès que j'en ai la possibilité, je glisse des éléments qui, à mon sens, nourrissent à mon niveau le scénario, en prenant garde de ne pas le dénaturer, ni d'en modifier le sens ou la portée. Si bien que j'ai toujours eu en tête d'être auteur complet... Pour autant, les ambitions et les envies ne font pas tout, aussi, j'ai souhaité m'essayer au scénario, en m'appuyant sur une histoire existante. Je me suis de nouveau tourné vers Lovecraft, me sentant décidément à l'aise avec cet auteur. Le choix d'Herbert West Reanimator s'est fait naturellement : j'avais apprécié le film, cette « trahison » drôle et gore, et j'avais vraiment aimé la nouvelle, malgré ses défauts. Les changements d'ambiance, les thèmes abordés, le personnages... J'ai travaillé à l'adaptation quasi en temps réel, avec un balisage des temps forts, et des scènes clés. J'ai cherché un style graphique collant avec l'ambiance et qui me permettait de dessiner rapidement : pour garder l'impression de raconter en faisant, à la manière d'un Sfar, j'imagine... Et je dois dire que j'ai pris mes marques et j'apprécie vraiment beaucoup ce style que je vais conserver pour d'autres histoire, d'ailleurs, même si le registre est bien différent...


©Delcourt / Florent Calvez


Le projet a-t-il facilement été accepté par Delcourt?
A la base, j'ai travaillé sur reanimator, histoire de me reposer de Nelson Lobster. Alterner les styles graphiques, s'avère nécessaire quand on passe presqu'un an sur un album. J'ai donc commencé à diffuser reanimator sur mon site, et j'ai eu des retours intéressantes, et quelques éditeurs m'ont approché. Cela m'a semblé normal de proposer le projet chez Delcourt, qui s'est révélé intéressé rapidement...

Pourquoi avoir choisi de conserver une trame très littéraire au lieu de réécrire le texte sous forme de dialogues?
Parce que la nouvelle originelle est parfaitement exempt de dialogues ! Dialoguer, ça aurait pris des tournures de trahison ! C'est le choix stylistique de lovecraft pour cette nouvelle, je le respecte. Alors, j'ai lu que cela donne un aspect daté au bouquin... j'ai envie de dire « et alors ? »

Entre les planches que tu as diffusé sur le net et celle de l’album, on perçoit de légères différences de teintes. En tant qu’artiste, la différence entre l’objet imprimé et ton travail n’est-elle pas gênante irritante?
Oui, c'est assez décevant. Mais, c'est comme ça ! Je n'obtiens jamais un résultat parfaitement fidèle. Malgré tout, l'aspect du sepia qui tourne au vert ajoute à l'atmosphère, et on peut dire que certains accidents rentrent dans le processus créatif !

Afin de mieux comprendre ton travail sur cet album, serait-il possible de voir, pour une planche donnée, les différentes étapes de son élaboration, du découpage au crayonnage en passant par la mise en couleur?


©Delcourt / Florent Calvez


En tant que dessinateur, comment perçois-tu les séances de dédicaces?
C'est variable : je bosse seul chez moi, et la perspective de rencontrer des gens est enthousiasmante. Maintenant, les circonstances font que parfois c'est agréable, parfois, non. A cause du libraire, des lecteurs, ou de mon humeur... l'impact sur les ventes est parfaitement ridicule, aussi, je le fais vraiment pour rencontrer des gens et avoir des retours. Pour autant, j'en fais de moins en moins... probablement la lassitude(ça reste répétitif) et une charge de boulot importante (j'aimerais profiter de mes dimanches pour autre chose que visiter les gares de notre beau pays...)

Quels sont tes projets présents et à venir? Ton prochain album sera-t-il une création originale ou ut signeras l’histoire?
Alors, actuellement, je finis le dernier tome de nelson lobster qui sortira en septembre. J'attaque juste après un récit historique basé sur l'affaire Sacco et Vanzetti (2 anarchistes italiens condamnés à mort dans l'Amérique des années 20) Ce sera un one-shot dans la collection mirages, et je serai de nouveau seul à la barre. D'autres projets sont lancés sans être finalisés : je travaille le scénario d'une histoire de zombies avec un copain au dessin. En 2009, avec un autre copain scénariste, je dessinerai probablement un récit à connotation sociale... Bref, plein de trucs chouettes s'annoncent !


Sacco et Vanzetti
©Delcourt / Florent Calvez


Quels sont tes derniers coups de cœur (BD, ciné ou romans )?
Alors, en BD : des Marshall Law jamais parus en france... ciné : 28 semaines plus tard (c'est vieux, je sais, mais depuis...c'est un peu planplan) roman : les nouvelles de Jorn Riel.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posé et à laquelle tu souhaiterai néanmoins répondre?
Euh, non.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire :

Si tu étais…


Un personnage de cinéma : colonel Kurtz
Une créature mythologique : le golem
Un personnage de BD : Corto Maltese
Un personnage biblique : Le Roi Salomon
Un personnage de roman : Ferdinand Bardamu
Un personnage de théâtre : le Don Juan de molière
Une oeuvre humaine: au bord de la mer, une petite maison coincée entre deux rochers à meneham (nord finistère)
Une recette culinaire: le far nature (ni raisins, ni pruneaux)
Une boisson : un expresso

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé...
Pour tous ceux qui désirent en savoir plus, n'hésitez pas à faire un tour sur http://reanimator.fr/



©Delcourt / Florent Calvez
Le Korrigan