Haut de page.

Entretien avec Jacques Terpant
Entretien accordé aux SdI en mai 2008


Bonjour Monsieur Jacques Terpant et merci de vous prêter à nouveau au petit jeu de l'interview...
En juin 2007 paraissait Jusqu'au bout du rêve, dernier tome de la série Pirates, scénarisée par Philippe Bonifay. Est-il difficile de quitter ces personnages à qui vous avez donné vie durant plusieurs années?

En fait je n’étais pas à l’origine de la création de Pirates, c’est Philippe Bonifay le scénariste qui avait vendu ce scénario à Casterman. Il y avait eu plusieurs essais de dessinateur sans succès lorsque l’on m’a demandé. Je l’ai fait avec plaisir,mais j’étais moins impliqué. C’était une volonté de ne pas aller plus loin dans cette aventure-là.


Ce 15 mai est paru le premier tome de Sept Cavaliers, une série adaptée du roman de Jean Raspail dont le titre original est Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule par la porte de l'Ouest qui n'était plus gardée. L'idée d'être seul aux commandes d'un album vous titillait-elle depuis longtemps?
J’avais l’habitude d’intervenir dans les scénarios, voire d’apporter le sujet de l’histoire, il était normal que je me décide enfin à « assumer » d’aller jusqu’au bout et d’écrire le scénario complet. Adapter un roman c’était le bon moyen de se lancer avec un bon parachute.

Pourquoi avoir décidé d'adapter en bande dessinée un roman de Jean Raspail et pourquoi celui-ci en particulier?
J’avais découvert cet auteur à partir de l’un de ses livres « qui se souvient des hommes » ou moment ou il recevait le prix du livre inter, un très beau livre sur l’histoire et la fin des Indiens Alakaluffs, les Indiens de la terre de feu. J’ai d’abord pensé à ce titre, mais le ton était trop extérieur, trop descriptif. J’avais lu aussi sept cavaliers cela se prêtait davantage à la BD.
Je reproche souvent à la BD son côté formaté. Si vous prenez des dialogues et qu’on les sorte du contexte des cases, ils sont presque interchangeables entre séries. Dans sept cavaliers, il y avait un pari à tenir c’est de maintenir le ton du roman, faire transparaître dans les dialogues l’atmosphère de ce monde. Qu’en quelques mots, on plonge dans un monde. La première phrase du livre qui revient et reviendra dans la série est superbe : sept cavaliers quittèrent la ville par la porte de l’ouest qui n’était plus gardée. Voilà on y est. Je voulais traduire cela au mieux.

Combien de temps s'est-il écoulé de l'esquisse du projet à la publication de ce premier tome?
Marya Smirnoff des éditions Robert Laffont m’a demandé un projet alors que pirates tome 4 sortait en librairie,j’ai du finir le 5 et ensuite j’ai attaqué 7 cavaliers.

Pouvez-vous en quelques mots nous parler de l'intrigue du roman?
Une ville, capitale d’un royaume imaginaire aux confins de l’Europe et de l’Asie, rien de définit, à la tête du royaume un Margrave Héréditaire vieillissant. Ce monde craque par pans entiers sans que l’on en connaisse la cause, des bandes armées pillent le pays, une drogue dévaste la jeunesse, dont une partie rejette le monde dont elle est issue. Plus aucune nouvelle ne parvient de l’extérieur. La vie semble se vider du royaume. L’histoire commence lorsque le Margrave confie à son colonel –major Silve de Pikkendorff ses sept derniers chevaux, sept hommes triés parmi les derniers fidèles iront au-dehors, tenter une dernière sortie pour comprendre ce qui se passe.


© Robert Laffont / Jacques Terpant


Quels furent les grandes joies et les grandes difficulté rencontrées lors du travail d'adaptation réalisé sur cet album?
La grande joie c’est d’abord de ne pas avoir rencontré de grandes difficultés, je me suis senti à l’aise dans l’univers en question, graphiquement je parle, il y avait de l’architecture, de la lumière, du paysage. Je suis plus à l’aise là-dedans que dans un salon Ikéa. Ensuite ce fut de voir que le livre collait bien avec le rythme de la BD, je n’avais pas trop de choix cornéliens à faire, ce que je ne mets pas ce que je conserve. C’était assez évident. Ce qui m’a surpris, en le réalisant c’est à quel point je retrouvais (attention je ne me compare pas, et le dessin n’a rien à voir) Hugo Pratt dans l’approche de Jean Raspail. Je trouve une vraie parenté entre les deux, le même goût pour les gens dans l’action et qui garde un regard sur ce qu’ils font, la poésie de l’ensemble. Jean Raspail m’a dit ensuite qu’il aimait bien cet auteur, cela ne m’étonne pas c’est la même famille.

C'est exactement cette proximité que j'ai ressentie en lisant votre album, notamment dans ces personnages décalés qui prennent le temps de faire de la poésie alors que leur monde s'écroule. L'atmosphère fin de règne qui plane sur l'album ne risque-t-elle pas de dérouter vos lecteurs?
Bravo d’avoir vu cela aussi, ce n’était pas du tout évident lorsque j’ai «commencé» le travail sur le livre. Je ne crois pas qu’un dessinateur possède des lecteurs. Ceux qui ont aimé ce que j’avais fait avant ont aimé « comme toute bandes dessinées » l’histoire qui était racontée. Le dessin a peu de place là-dedans. La BD c’est une histoire et celle-ci, en tant que roman, a déjà attiré plus de 100 000 lecteurs. Elle a fait ses preuves! Jean Raspail m’a fait le plus beau compliment, il m’a dit , ‘vous êtes dans ma tête, les personnages et les décors s’imposent maintenant à moi comme les visages et les lieux que j’ai écrits. » Je ne pouvais pas rêver mieux.

On ne peut rêver plus beau compliment, effectivement...
Ce que je voulais dire par « vos lecteurs », c'était « les lecteurs de l'album »... Car le moins que l'on puisse dire c'est que l'histoire sort des sentiers battus. Une histoire de ces sept cavaliers qui se lancent dans une fuite en avant pour sauver un monde appartenant déjà au passé. Une l'histoire à la fois belle, cruelle, poétique et pathétique d'hommes nostalgiques d'un passé révolu qu'ils feignent de croire pourvoir encore sauver.

Jean Raspail dit : »il y a des familles de livres et d’auteur ». Je me souviens de Jean-Luc Godard disant la même chose : »je vais aimer un livre, un paysage, un film », je travaille pour les gens qui vont aimer cela comme moi… Je crois que c’est cela qu’il faut faire. « Sept cavaliers », c’est cela aussi, j’ai travaillé pour ceux qui vont aimer se plonger dans cette atmosphère

Comment avez vous organisé votre travail, du découpage à la planche finalisée en passant parle rough, l'encrage et le crayonné? Serait-il possible pour une planche donnée de l'album, de voir les différentes étapes de sa réalisation?
J’ai tout d’abord découpé le roman en séquences, pour voir la place que cela tenait. Ensuite je réalise séquence par séquence. Je pré découpe les planches assez sommairement par un petit rough (j’ai cela dans la tête c’est juste pour voir si cela fonctionne) ensuite je réalise la planche entièrement, crayonnés, encrages, couleurs et textes et je passe à la suivante. Je n’aime pas tronçonner le travail, faire des crayonnés sur 10 pages, puis de l’encrage, ensuite de la couleur. Lorsque je suis dans l’ambiance d’une page, je veux finir, la couleur, la lumière, cela tient à des idées précises de ce que l’on veut faire dans l’instant ou on le pense. Si on remet cela à deux semaines plus tard pas sûres que cette énergie première et ces idées de réalisations soient aussi intactes. Je n’ai donc pas beaucoup de traces d’étapes intermédiaires.


© Robert Laffont / Jacques Terpant


Votre travail de mise en couleur, et plus particulièrement sur la lumière, est saisissant. Quelle(s) technique(s) utilisaient-vous?
Je travaille à l’encre de chine, il y a un cerné noir quand même très présent, très BD, et ensuite aquarelle. Pour la lumière, l’enjeu est de rendre cette atmosphère finissante, le froid, par moments la chaleur d’un lieu plus protégé. Comme au cinéma, c’est le travail de la lumière, j’y attache une grande importance.

Le découpage du roman en trois album a-t-il été chose aisée?
De ce coté là je dois remercier l’éditeur, qui m’a donné toute l’attitude sur le volume des livres, si je voyais qu’en cours d’album, je veux développer un passage, je prends la place qu’il faut. A priori il y a 3 tomes, deux de 48 pages et un de 54. Je garde une marge de pouvoir glisser 6 planches de plus si je veux, je ne veux pas m’enfermer, le livre est prédécoupé en séquences, mais rien n’est immuable.

Vous avez apporté un soin tout particulier aux dialogues qui contribuent grandement à poser l'atmosphère de l'album. Comment les avez-vous abordés?
Oui, comme je vous le disais, je ne voulais pas que l’on parle le »BD bien formaté » interchangeable avec n’importe quelle autre série « enfer que se passe-t-il » « bons sang, le lieutenant est touché!!’.Vous voyez ce que je veux dire.
Pour cela je suis resté au plus proche des dialogues de Jean Raspail, que je me suis forcé à adapter au plus serré. C’était conserver le ton qui m’intéressait. Vous avez raison, c’est un des pivots de la série. Si on fabrique un monde,il faut qu’il soit cohérent,que l’on y parle son langage. Là, entre autres, je voulais un Français bien écrit, assez littéraire. L’album ouvre sur une belle phrase qui revient plusieurs fois dans le livre (oui vous verrez comment) c’est le ton du bouquin, tout le reste devait suivre.

Le Margrave ressemble a un petit air de Jean Raspail... Une façon de lui rendre un hommage appuyé? D'ailleurs, l'évêque me rappelle lui aussi quelqu'un... Pourquoi avoir prêté vos trait à ce personnage pour le moins atypique?
Oui C’est Jean Raspail en fait, j’avais fait son portrait une première fois dans son rôle de consul général de Patagonie. Lorsque j’ai fait le Margrave son physique s’est imposé, je le trouve parfait dans le rôle. Pour les autres personnages,il me fallait des personnages bien identifiés,pas facile de faire 7 personnalités tout habillées dans le même uniforme.
J’avais déjà joué un rôle dans Pirates ou je m’étais représenté dans le personnage du médecin. Je me suis amusé à jouer ce personnage-là , un évêque qui n’a plus la foi et flingue facilement pour un homme de Dieu. Le cadet Venier est joué par mon fils Etienne qui comme le cadet est expert en art Martiaux et maître d’arme. Pour Abai, j’ai pensé au petit personnage sibérien de Dersou ouzala. pour Bazin du bourg, sans chercher la ressemblance, à un acteur de John Ford :Harry carrey junior etc… C’est un casting.


Le cadet vénier


Le royaume qui se délite est un royaume imaginaire. Quels ont été vos sources d'inspiration pour les costumes et l'architecture ?
Le royaume est imaginaire, mais c’est un pays européen. Il y a le télégraphe, des trains, une architecture qui est celle de l’Europe. Je n’ai donc pas eu de difficulté de création,disons que cela se situe dans la deuxième moitié du XIXe siècle, quelque part aux confins de l’Europe et de l’Asie. C’est une espèce de quintessence de l’Europe, les noms des personnages aussi sont allemands, français, italiens (Vénier est un nom vénitien). Pour les costumes, on peut dire que c’est de l’austro-hongrois, la grande période de l’Europe centrale. Je m’inscris là dans une tradition du conte ou même du cinéma et de la Bd, le prisonnier de Zenda au cinéma, la Syldavie d’Hergé.

Sans doute travaillez-vous déjà sur le second tome. Y a-t-il déjà une date de publication du second tome? Est-il possible de voir l'une ou l'autre de ces planches?
Oui je suis en train de travailler sur le tome 2 il devrait sortir en mars avril de l’année prochaine, voici quelques images du début du livre (il n’y a pas les textes qui seront posés plus tard)

les 7 cavaliers arrivent au sémaphore du cap sud, acceuillis par le quartier maitre Gustavson, et sa famille ,un petit havre de paix isolé dans ce monde deliquescent ? pas si sûr le regard du jeune garçon de la famille semble bien êre le même que ceux des garçons de la ville qui massacrèrent le Noël du Margrave.




© : Robert Laffont / Jacques Terpant



Parallèlement à votre travail d'auteur de BD, vous travaillez dans l'illustration. Quelle est la nature de vos derniers travaux?
Effectivement, la Bande dessinée c’est un boulot long un investissement de plusieurs mois.J’ai toujours plaisir à faire de l’illustration. Pour les éditions Glénat , j’illustre des contes issus de différentes régions, le premier tome est sorti contes et légendes des monts du matin.(Texte de Patrick Bellier).
J’ai aussi entamé un projet avec Jean Raspail dans ce domaine. Tout au long de son œuvre, il a créé une famille qui traverse plusieurs de ses livres les Pikkendorff, dont Silve de Pikkendorff héros de 7 cavaliers fait partie. Il écrit un « Gotha « une généalogie imaginaire de cette famille,que nous traiterons en livre illustré à la fin de la série. Je vous en livre deux images une Pikkendorff des années d’entre deux guerres, et un Pikkendorff qui finit au XVIIIe siècle chez les indiens Crow.


Elena de pikkendorf
© Jacques Terpant


Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé…


© Jacques Terpant
Le Korrigan