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Entretien avec Benjamin Kuntzer
entretien accordé aux SdI en janvier 2009


Tout d'abord un grand merci de vous prêter au petit jeu de l'interview…
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ? (Parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en Suisse…)

Bonjour, et merci de cette sollicitation ! Dans le désordre, j’ai 28 ans, un parcours un peu atypique (pour faire simple, bac S spé maths, puis fac d’anglais après quelques turpitudes) et, en brillant financier que je suis, j’ai toujours préféré le panier percé au compte en Suisse !
Au niveau des qualités, tant professionnelles que personnelles, je dirais curiosité, sensibilité, rigueur et honnêteté, qui sont autant de grands défauts ! Pour les passions, elles sont multiples, et sans démagogie je pense que mes métiers en font partie. Les autres tournent pas mal autour du même domaine finalement : outre la littérature, on retrouve musique, cinéma, théâtre, voyages… et d’autres plaisirs plus terre à terre comme un Cluedo entre amis avec fromages, saucisson et vin rouge. Sans parler d’une bonne nuit de sommeil, mais j’ai un peu rangé cette dernière au placard depuis quelque temps.

Enfant, quel lecteur étiez-vous et quels étaient vos livres de chevet ?
Un peu un lecteur fou : je bouquinais tout ce qui me passait sous la main, et j’étais meilleur en romans qu’en foot. Le premier grand roman qui m’ait marqué est sans doute Les Trois Mousquetaires, puis deux autres grands classiques en leur genre : Ravage et 1984. Enfin, mon vrai livre de chevet que je ne me lasse pas de relire : Des Souris et des Hommes, une merveille de simplicité et pourtant sans doute le seul bouquin qui me tire une larme à chaque fois.

L’idée de travailler dans le monde de l’édition a-t-elle germé tôt ?
Non, comme le reste de mon parcours, elle est venue un peu au fil de l’eau, suite à pas mal d’aléas. En résumé, je devais faire un stage dans l’édition après mon DESS de traduction, j’ai eu la chance d’être recruté au feeling par Flossie Félix, responsable éditoriale de Librio. Merci à elle d’ailleurs, car elle m’a vraiment montré les ficelles du métier et m’a permis de me découvrir une nouvelle passion. Avant cela, l’édition n’était vraiment pas un univers que je pensais intégrer un jour, plus par manque d’informations que d’envie, d’ailleurs.


Comment sont nées les éditions Baam et quelles sont leurs raisons d’être ?
Les éditions Baam ! sont nées d’une suite de réflexions toutes simples : pourquoi les éditions J’ai lu ne sont plus présentes sur le secteur de la jeunesse ? Réponse : aucune raison. Quelles sont les spécialités de la maison qui pourraient plaire à un public d’ados ? Les littératures de genre, notamment l’Imaginaire dans son ensemble et le policier. C’est ainsi qu’ont vu le jour chez nous d’abord Nouchka, série d’aventures fantastiques de Serge Brussolo, et Danny Watts : Agent spécial, série d’espionnage d’Andy McNab et Robert Rigby. Puis nous avons pris un tournant résolument fantasy, en nous appuyant 1/ sur une spécialiste renommée du genre, Diana Wynne Jones et 2/ sur l’une des meilleures séries « adulte » de ces dernières années, L’assassin royal, de Dame Robin Hobb. En effet, quelle meilleure façon de donner goût à la fantasy que d’offrir à nos jeunes lecteurs le haut du panier ? Enfin, nous avons fait le pari, peu risqué vu son grand talent, d’une jeune auteur espagnole qui avait déjà eu un certain succès en France avec Le collectionneur d’horloges extraordinaires, Laura Gallego García. La principale raison d’être de la collection aujourd’hui, donc : offrir une lecture de plaisir ET de qualité.


Dès la première année, de grands noms ont signé à côté d’auteurs naissant… Comment sélectionnez-vous les écrivains qui figurent dans votre catalogue ?
On rejoint là la question précédente : une fois notre politique éditoriale déterminée, comment accorder la théorie et la pratique ? En sélectionnant des auteurs de talents pour montrer toutes les facettes des littératures de genre. Ainsi un grand auteur français, deux auteurs anglophones dont la réputation n’est plus à faire, une doublette britannique qu’il nous semblait important d’« importer » en France, Andy McNab étant jusque-là plus connu pour ses romans « adulte », et une figure montante de la littérature espagnole en laquelle nous croyons beaucoup.
Nous avions alors un choix à faire : inonder les librairies d’ouvrages de qualités diverses, ou concentrer nos efforts sur quelques titres mais travaillés à fond par nos différents services. Pour des raisons qualitatives, nous avons opté pour la deuxième solution, ce qui nous a permis : 1/ un travail soigné de maquette intérieure sur chacun des titres, offrant notamment un grand confort de lecture, 2/ des couvertures à mon goût de qualité exceptionnelle, et plébiscitées par la critique (la réputation de Benjamin Carré n’est plus à faire, Jean-Sébastien Rossbach a été primé cette année pour l’ensemble de son œuvre…), 3/ un site internet dédié à la collection, avec un mini-site pour chaque série et 4/ un travail éditorial en profondeur et en étroite collaboration avec les auteurs et les traducteurs.
Je pense que la magie a opéré, et nous allons continuer cette année sur notre lancée en suivant les auteurs déjà au catalogue (Diana Wynne Jones, Robin Hobb, Laura Gallego García) avec de nombreux inédits, et en prenant un nouveau pari éditorial : Young Samurai, une série d’aventures dans le Japon médiéval écrite par un maître britannique ès arts martiaux, Chris Bradford. Plus à venir très vite sur cet auteur et sur son œuvre, mais je suis convaincu que les amateurs de combats de sabre et les curieux de culture japonaise y trouveront largement leur compte…

Pour quand est prévu le premier tome de Young Samurai ?
Le premier tome devrait paraître avant l’été 2009. Cela dit, nous prendrons le temps qu’il faudra pour accorder à cet ouvrage tout le travail qu’il mérite. La traduction en a été confiée à un spécialiste de l’Orient, nous sommes en relation avec l’auteur pour préparer des bonus exclusifs à découvrir sur le site, et nous tenons à apporter au texte un éclairage aussi ludique que possible pour découvrir ou mieux comprendre la culture japonaise. Il nous semble en effet intéressant d’ouvrir aux lecteurs qui le souhaitent d’autres univers, et le Young Samurai s’y prête à merveille.


Les couvertures de vos romans font évidemment l’objet d’une attention toute particulière. Très réussies, elles attirent l’œil du chaland. Comment s’organise le travail avec les illustrateurs qui confèrent leur identité graphique aux séries que vous publiez ? Comment sont choisies les couvertures de chaque album ?
C’est en réalité un travail collégial… jusqu’à un certain point ! En relation avec les auteurs et les traducteurs, nous présentons le livre à François Durkheim, notre directeur artistique. Nous discutons ensemble de la tranche d’âge concernée par le bouquin, de son univers, et lui remettons une fiche d’illustration qui résume le roman, décrit les personnages, leurs tenues vestimentaires et leur psychologie lorsque c’est nécessaire. À partir de ces éléments, François fait un casting d’illustrateur et nous propose un projet de couverture voire un principe de ligne graphique lorsqu’il s’agit d’une série comme les Chroniques de la tour, L’assassin royal ou L’Odyssée Dalemark, qui sortira l’année prochaine.
Puis viennent un bon paquet d’échanges très nourris entre François et l’illustrateur, où tous les éléments de couverture se mettent en place petit à petit : mentions diverses, logotype de série, proportions des personnages, choix des décors jusque dans les moindres détails qui pourraient paraître insignifiants mais créent ce petit plus qui permet de donner corps à l’univers narratif. Nous présentons alors un rough à nos équipes commerciales, pour recueillir leur avis sur la question. S’ensuivent alors le nombre nécessaire d’allers et retours pour que chacun ait le sentiment d’avoir réussi pleinement la couverture ! Ce n’est pas toujours gagné d’avance, mais le résultat est là, preuve qu’il est possible de conjuguer objectifs éditoriaux, commerciaux et artistiques, ouf !



Laura Gallego Garcia et sa traductrice, Faustina Fiore


Le site internet des éditions Baam semble des plus dynamique. Vous permet-il d’avoir un retour des lecteurs sur vos publications ?
Nous essayons effectivement de mettre à jour le site dédié à la collection à chaque nouveauté. Ça demande un boulot incroyable, pour proposer à chaque fois une approche différente des séries, des personnages, des univers, mais c’est un véritable plaisir. Il nous permet bien sûr d’informer nos lecteurs, mais aussi de leur présenter des goodies exclusifs. Il y a bien entendu également un lien pour nous contacter ; en revanche, nous regrettons pour l’instant de manquer de temps, notamment en termes de modération, à consacrer à un éventuel forum de discussion. Cela dit, nous venons de créer une page Facebook par le biais de laquelle nous espérons bien pouvoir échanger plus directement avec nos lecteurs.

D’après vous, le phénomène Harry Potter a-t-il contribué à donner le goût de la lecture à de nombreux adolescents ?
Plus que redonner le goût de la lecture aux adolescents qui, malgré ce que l’on entend ici où là, ne l’ont jamais perdu, je dirais que Harry Potter a profondément modifié les habitudes. Pour des raisons X ou Y, certains jeunes étaient réticents à se plonger dans des « pavés », mais parmi eux nombreux sont ceux qui ont pris conscience que 500 pages n’étaient pas forcément insurmontables. Le tout est de leur proposer des ouvrages intéressants, intelligents, divertissants.
J’ai le sentiment qu’à force de trop vouloir sacraliser la littérature, on l’a peu à peu déconnectée de la réalité et du quotidien de nos ados. J.K. Rowling, et d’autres avant elle qui n’ont pas forcément rencontré le même succès, a su prouver que la magie n’était pas forcément abêtissante, que la fantasy n’était pas nécessairement un sous-genre, et que le divertissement n’était pas fatalement incompatible avec la réflexion. Ainsi, plus que de leur en redonner le goût, Harry a peut-être réconcilié de nombreux adolescents – et même leurs parents ! – avec la lecture. Et si le sorcier à lunettes a pu donner l’envie d’écrire à un certain nombre d’entre eux, je pense que tout le monde en sort gagnant !


Quel est votre calendrier de parution courant 2009 ?
Les calendriers éditoriaux n’étant jamais parfaitement figés, et les contraintes commerciales étant ce qu’elles sont, il est encore difficile d’indiquer les sorties exactes des ouvrages, mais toutes ces infos seront bien sûr relayées par notre site internet.
Pour l’instant, la sortie du prélude aux Chroniques de la Tour, L’elfe Fenris, est prévue dès début janvier. Pour ceux qui connaissent déjà la série, c’est un moyen de faire durer le plaisir en nous plongeant dans l’existence de cet elfe un peu particulier, depuis sa naissance (et même sa conception à vrai dire !) jusqu’à son arrivée à la Tour. C’est sans doute le bouquin le plus émouvant de la série, tant par son côté initiatique que par le nombre incroyable de réflexions sur la vie qu’il propose. Et pour ceux qui ignorent encore l’existence des Chroniques, c’est une très bonne entrée en matière, car il permet de découvrir dans un livre seul tout un univers, sans avoir à craindre de se lancer d’emblée dans une trilogie sans être certain d’en voir la fin. Prélude à la série, donc, mais parfaitement indépendant et pouvant se lire avant La Vallée des Loups ou après L’appel des morts, sans rien gâcher de la lecture.
Je peux également vous dire que nous arriverons au bout du premier cycle de L’assassin royal, avec des parutions programmées en février, avril et octobre.
Puis, fin avril, le premier gros lancement de la saison : Les sortilèges de la guiterne, premier tome d’une tétralogie de Diana Wynne Jones, L’Odyssée Dalemark, à paraître entre 2009 et 2010. Pour rappel, l’auteur avait déjà cartonné en Baam ! l’année dernière avec la Conspiration Merlin, mais elle n’en était pas à ses premières armes (même Miyazaki s’est inspiré de ses romans pour donner naissance au Château ambulant). Imaginez un territoire lointain où tout semble aller pour le mieux dans le Nord du pays, tandis que les duchés du Sud souffrent d’une effroyable tyrannie. Vous avez une petite idée de ce qu’est le Dalemark. Seuls les musiciens itinérants peuvent légalement passer d’une partie à l’autre du pays, mais vous vous doutez bien que corruption, contrebande et espionnage sont également légion. Bref, quand le jeune Moril hérite de son père un mystérieux instrument de musique – une guiterne dotée de pouvoirs ancestraux –, c’est la moitié du Dalemark qui va se lancer à ses trousses ! Et échapper à des chevaliers en armes quand on est un garçon d’une douzaine d’années à peine armé d’une sorte de gros luth, ce n’est quand même pas gagné d’avance !
Mai sera normalement le mois de notre grosse nouveauté, le fameux Young Samourai. La bande-annonce du titre est déjà présente en ligne, en VO seulement, mais ça donne déjà une bonne idée de l’atmosphère. Le pitch en quelques lignes : un jeune britannique navigue avec son père dans les eaux japonaises du XVIIe siècle quand ils sont assaillis par des pirates-ninja. Recueilli par un maître samouraï, le jeune Jack devra apprendre La voie du guerrier s’il veut pouvoir venger son père et trouver ses marques dans un pays qu’il ne connaît pas. C’est drôlement bien fichu, en témoigne l’accueil qu’il a déjà reçu à l’étranger, et cela représente une excellente initiation aux coutumes et à l’histoire de ce beau pays.
En juin, nous découvrirons que les anges et les démons existent, et qu’ils se trouvent d’ailleurs parmi nous au quotidien ! C’est Laura Gallego García qui nous prouve avec Deux cierges pour le Diable qu’elle a plusieurs tours dans son sac, plusieurs cordes à son arc, bref, qu’elle sait écrire autre chose que des Chroniques de la Tour ! Et elle le fait à merveille, car on se laisse vraiment surprendre par ce texte qui se déroule dans notre monde contemporain, principalement en Espagne, et qui nous ouvre les yeux sur les natures humaines, angéliques et diaboliques, qui ne sont pas forcément ce qu’elles paraissent au premier abord.
La fin de l’année devrait voir, outre la fin de L’assassin royal, la suite de L’Odyssée Dalemark, et pourquoi pas d’autres surprises !

Y a t il une question que je n’ai pas posée et à laquelle vous souhaiteriez néanmoins répondre.
Non, ça me gêne… Bon d’accord : notre plus grande fierté : avoir en très peu de temps réussi à « placer » aussi bien nos auteurs ou nos traducteurs que nos illustrateurs dans la course aux récompenses. C’est toujours bien vu de dire que « Non, les prix, on s’en fout », mais je vous assure que c’est une grosse satisfaction de se dire que, avec nos moyens modestes, le seul moyen de percer était de faire un gros boulot dans tous les domaines, et je peux dire que c’est un vrai bonheur de bosser avec toute l’équipe et les intervenants extérieurs, car tout le monde tire dans le même sens et ça fait vraiment plaisir à voir et à vivre. Et quand le travail paie, on se dit qu’on ne s’est pas complètement plantés et qu’on a un bel avenir.

Pour finir et afin de mieux de faire plus ample connaissance, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire :

Si vous étiez…

Un jeu traditionnel : In Nomine Satanis
Un personnage de cinéma : Travis Bickle, alias de Niro dans Taxi Driver
Une créature mythologique : Le troll des Lanfeust
Un personnage de BD : Le disciple de Léonard
Un personnage biblique : Pfiou, pas fastoche celle-là… J’en cherche un rigolo mais ça ne vient pas…
Un personnage de roman : Le Délius de David Calvo
Un personnage de théâtre : Patron Toni dans les Cancans, j’assume !
Une œuvre humaine : Le mont Rushmore ! C’est un concept un peu prétentieux, à mi-chemin entre Ramsès II et Big Brother, c’est fascinant !
Une recette culinaire : La tartiflette, miam !
Une boisson : Un ti-punch, ou un bon verre de rouge

Un dernier mot pour la postérité ?
“Yes we can”, c’est déjà pris ?



De gauche à droite: Benjamin Kuntzer, Faustina Fiore (traductrice des Chroniques de la Tour), Laurence Tutello (adorable libraire du Chat Pitre, librairie jeunesse du 13è arrondissement de Paris), Anne Ollier-Lechêne, anciennement responsable éditoriale de Baam! et directrice éditoriale des éditions J'ai lu, et Jessica Boyer, notre chef de produit, tous réunis autour de Laura Gallego Garcia lors de sa venue en France.


Le Korrigan