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Entretien avec Guillaume Montiage
accordé au fanzine Chrysopée


Chysopée : Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur toi, ta vie, ton œuvre, ton combat ? (études, age, centres d’intérêt, numéro de carte bleue et tout autre détail qui te semble intéressant)
Aaahh… Mon sujet préféré… Et bien, je suis né par un beau matin d’avril 1975. Tout de suite, mes parents ont compris quel destin extraordinaire j’allais accomplir : baccalauréat à 8 ans avec mention très bien, 1er prix au conservatoire à 12 ans, prix Nobel de chimie à 15 ans, triple vainqueur de Roland Garros, élu top model de l’année en 1998 et 1999, prix Goncourt à 24 ans et aujourd’hui ambassadeur de la paix à l’ONU (avec Enrico Macias).

Sinon, dans la vraie vie (celle que je ne m’invente pas) j’ai simplement 27 ans et je vis à Strasbourg. J’ai eu la chance d’avoir été initié aux jeux par mon père (qui gagnait tout le temps, ce qui était assez énervant, je dois le dire). Ça a d’abord été des jeux très classiques, du Monopoly au tarot en passant par les échecs. Puis j’ai eu ma grande période jeu de rôles (Elric, JRTM, Star Wars et surtout l’Appel de Cthulhu). Aujourd’hui je suis plutôt orienté jeux de plateau et soirées enquête.

Pourrais-tu en quelques mots définir ce qu'est une soirée enquête?
Je vais pas te refaire le coup classique du jeu à mi chemin entre le Cluedo et le théâtre. Pour moi, la soirée enquête est avant tout un moyen extraordinaire pour passer une soirée fun et dépaysante entre amis, le tout à moindre frais.

Comment as-tu découvert ce loisir ?
Comme beaucoup de monde je crois, avec les soirées enquêtes de chez S.P.S.R. Sur ce coup là, ils ont eu LA bonne idée ! Rendre en quelque sorte le G.N. accessible à tous, c'était vraiment bien joué. Ca faisait un petit bout de temps qu'avec Gilles un pote de la fac, on voulait organiser une de ces fameuses soirée enquêtes. Casus Belli en disait beaucoup de bien dans un de ces numéros mais on avait pas trop osé tenter le coup. Et puis, "L'ivresse des profondeurs" est sortie. C'était en 1997. Elle était écrite par Croc et surtout, il était inscrit en gros "L'appel de Cthulhu" sur la pochette. Comme Gilles et moi étions de grands amateurs du jdr basé sur l'oeuvre de Lovecraft, on s'est finalement jeté à l'eau. Notre première soirée reste évidemment un très bon souvenir. On était jeunes, on était fous; c'était la belle époque quoi !

Quelles sont finalement les différences entre JdR et soirée enquête?
Je dirai que le jeu de rôle est plus une affaire de « spécialistes » et de passionnés. Il y a des règles à maîtriser, un monde à connaître, une partie peut durer des jours, des semaines ou des années etc… La soirée enquête est plus orientée vers le fun, le grand public. C’est un « one shot » qui constitue plus un événement qu’une partie de jdr.

Et puis, il y a les filles ! Pour ma part, je trouve qu’il est plus facile de convaincre la gent féminine à participer à une soirée enquête qu’à un jdr. Le coté « on se déguise et on ne s’engage que pour une soirée » y est pour beaucoup à mon avis.

Il est vrai qu’il est plus facile de convaincre un novice de participer à une soirée enquête qu’à un jeu de rôle… Il peut cependant être une porte d’entrée intéressante vers le jeu sur table… Quand aux rôlistes, ils se trouveront en terrain presque connu même si ça restera pour eux une expérience de jeu absolument fascinante et innovante!
C'est sûr que la soirée enquête reste un dérivé du jeu de rôle dans le sens où chaque joueur tient un rôle justement. Mais ce que tu perds en liberté de mouvements, d'action etc… par rapport au jeu de rôle, tu le gagnes en réalité dans la soirée enquête. Et donner vie à son personnage, n'est ce pas ce que tout rôliste cherche à faire?
Quant au novice, cette expérience où on lui donne un personnage tout cuit à interpréter (avec ses désirs, ses traits de caractères etc…) lui donnera certainement l'envie d'aller plus loin et de forger lui même son propre personnage; ce qu'il ne pourra faire que par le jeu de rôles…

Pour ma part, je reste admiratif devant le travail abattu par ceux qui créent les scénarios de ces soirées : il n’y a qu’un fil conducteur ténu, tout l’intérêt de la soirée résidant dans l’interaction entre les personnages. Y a t il des ficelles que tu pourrais conseiller aux béotiens ?
Pour ma part, j’utilise principalement deux grosses techniques pour créer le scénario d’une soirée enquête :

1 La technique de l’unique fil conducteur que tu évoques est certainement la plus simple. C’est celle que j’ai utilisé pour « Minuit dix à Whitechapel » et « Beverly Place » par exemple. Tu crées une intrigue unique qui implique déjà cinq ou six personnages différents au minimum. Puis, tu greffes encore deux ou trois personnages sur cette intrigue. Le tout est de se débrouiller pour que ces autres personnages ne fassent pas trop « rajoutés », ce qui est parfois assez difficile en fait. Cette technique a l’avantage de simplifier l’intrigue et permet de se concentrer plus sur l’ambiance par exemple. Pour enrichir la soirée, il faudra évidemment rajouter quelques intrigues secondaires.
2L’autre technique est un peu plus complexe puisqu’elle compte plusieurs intrigues. Là, en plus de l’intrigue principale annoncée qui est généralement celle du meurtre, tu greffes deux ou trois autres intrigues qui auront en fait presque autant d’importance que la première. C’est plutôt ce que j’ai essayé de faire avec « La mort s’habille de Blanc » ou « Je mourrai en ce royaume ». Le but du jeu pour l’auteur ici est que toutes ces intrigues s’entrecroisent et se rencontrent. Tous les épisodes de la série comique « Seinfeld » marchent sur ce principe. C’est également le cas pour « Arnaque, crime et Botanique » ou « Snatch ». Du coup, l’histoire en devient un peu plus complexe pour les joueurs ; charge alors à l’organisateur d’orienter et de les aider un peu en cours de soirée.

Puisqu’on en est à livrer les ficelles du métier, quels conseils pourrais-tu donner à un Gentil Organisateur débutant ?
L'organisateur est le garant du bon déroulement de la soirée. Il doit non seulement bien connaître son intrigue, mais il doit également savoir doser les interventions de chacun de ses joueurs et relancer l'action quand le besoin s'en fait sentir. Pour cela, une seule technique : être à l'écoute de ses joueurs. Si les joueurs pataugent, il faut les orienter discrètement; s'ils s'ennuient, il faut relancer l'intrigue quitte à bousculer le timing généralement fourni dans les soirées enquête.

Je dirais que pour un organisateur, plus les joueurs sont débutants, plus il a de travail : c'est vrai que pouvoir s'appuyer sur un ou deux joueurs confirmés (et/où rôlistes qui sont par nature d'excellents roleplayers) est un atout non négligeable dans une murder. Si tous les joueurs sont confirmés, ça devrait presque rouler tout seul !!

C'est d'ailleurs toujours pour cette raison qu'il est délicat d'écrire un personnage pour l'organisateur. Comme il a déjà pas mal de boulot dans la soirée, il peut parfois être obligé de négliger son personnage. Reste toujours la possibilité de se consacrer uniquement à l'organisation et de confier le rôle qui était destiné à l'organisateur à un autre joueur.

Lorsque tu distribues les rôles, cherches-tu à les faire coller à la personnalité des joueurs ou préfères-tu le contre-emploi ?
Pour moi, le problème se pose même au moment de l'écriture. En fait, comme j'écris pas mal de soirées, je n'ai l'occasion de participer en tant que joueur qu'à des soirées écrites par un autre. En fait, la seule murder que je n'ai pas écrite et que j'ai organisé était "L'ivresse des profondeurs".

Et c'est vrai que quand j'écris une murder je vois assez rapidement qui de mes joueurs habituels pourrait incarner tel ou tel personnage. Par exemple avec moi, Christophe joue quasi systématiquement les rôles de salauds (Burt, un officier nazi, un génie du mal etc…). Ce n'est pas qu'il soit réellement salaud dans la vie, au contraire il est super sympa (je dis ça parce qu'il est très fort et qu'il risquerait de me taper), mais pour moi, il reste le méchant parfait. Il est vraiment très fort dans ce type de rôle. Maintenant, plus les joueurs ont de la bouteille, plus il est facile pour eux de jouer le contre emploi et plus ils le demandent... Pour des joueurs débutants, mieux vaut incarner un personnage qui colle à leur personnalité.



« La mort s’habille de blanc » a marqué le début d’un retour (en force ?) des soirées enquêtes tombées en désuétude avec le naufrage de SPSR (juste au moment où j’ai voulu me lancer dans les soirées éditées par eux, paf, ils ferment boutiques… Je n’ai vraiment pas de chance !)… Comment est né le projet ? Es-tu allé porter ton bébé à Asmodée ou savais-tu qu’il cherchaient à reprendre le flambeau allumé par SPSR ?
Moi aussi je me suis fait avoir par la disparition de SPSR. En fait, tout de suite après « l’ivresse des profondeurs », j’ai écrit ma première œuvre « Entre mer et lune » qui en passant, est téléchargeable sur notre site. Bref, je leur envoie ma jolie maquette et v’la tipa que Casus Belli m’apprend que S.P.S.R. c’est fini… En même temps que S.P.S.R. disparaissaient mes rêves de gloire, de cocktails onéreux et de femmes nues pendues à mon cou.

J’ai tout de même continué à écrire des soirées pour jouer avec mes potes. Et puis, j’ai découvert Internet et j’ai fait un petit site. De là, un gars m’a un jour écrit en me disant que Halloween concept reprenait les soirées… Je les ai donc contacté et ils m’ont gentiment répondu que c’était en fait Asmodée qui avait repris le truc. Halloween avait fait passer le message à Asmodée qui m’a alors contacté dans la foulée. Je leur ai envoyé quatre de mes soirées dont « la mort s’habille de blanc » qui s’appelait « Revolver et bistouris » et « Beverly Place ». J’étais certain qu’ils allaient opter pour Beverly Place et finalement, ils m’ont demandé de retravailler la soirée « Revolver et Bistouris ». J’allais donc réanimer les soirées enquête. (Réanimer, avec une soirée qui a pour thème le service des urgences… Marrant non ? Bon, laissez tomber.)

Pour avoir organisé deux parties que j’ai préalablement découverte en tant que joueur, je trouve le rôle de l’organisateur un peu ingrat : il rate de grands moments en s’occupant de la gestion des joueurs et quelque part, c’est un peu frustrant…
Pour ce qui est du rôle de l'organisateur et comme je l'indiquais plus haut, il est difficile de trouver un juste milieu. Un rôle à part entière et central dans l'intrigue ? L'organisateur risque d'être trop pris par ce personnage et aura du mal à gérer sa soirée en même temps. Un rôle totalement secondaire ? L'organisateur risque de se voir transformé en simple distributeur d'indices et de s'ennuyer ferme. Il faut donc chercher un juste milieu. Pas évident quand on sait qu'en plus, le personnage tenu par l'organisateur est le seul imposé ! Il doit donc rester relativement neutre pour convenir au plus de tempéraments de joueurs possible. Le personnage en retrait est souvent un bon compromis, mais qui peut parfois frustrer l'organisateur qui a de la bouteille…

Travailles-tu dors et déjà sur ta prochaine soirée enquête publiée par Asmodée? (Quel en est le thème, un scoop, vite !)
Non, en fait, il n’y a rien d’officiel ni de bien précis prévu à ce niveau là… Asmodée semblait être intéressé par la soirée enquête Western "les coyotes n'ont pas froid aux oreilles" mais avant cela, une soirée ambiance 70's devrait sortir chez eux.


La publication de Minuit à WhiteChapel (sous un pseudo, niark, niark) dans les pages de Casus emmènera je l’espère de nombreux rôlistes à ce loisir si proche et pourtant si différent du JdR. Comment est né ce projet ? Est-il appelé à se renouveler ?
Le projet est né le plus simplement du monde. Pour tout dire, c’est Serge Olivier qui m’a contacté via notre site internet. Il m’indiquait simplement vouloir publier une murder histoire de changer un peu de la routine des scénars de Casus. Les délais qu’ils proposaient étaient tout d’abord injouables, puis nous avons discuté au téléphone et finalement, on est tombé d’accord sur 4 mois. Ils m’ont tout de suite laissé carte blanche quant au thème, mes seuls impératifs étant d’ordre technique (nombre de signes, indices…). J’ai toujours deux ou trois projets de murder en tête et je me suis dit que l’ambiance victorienne était celle qui collait le mieux à l’univers rôliste et au public « Casus ».
Même si entre temps, Serge Olivier et André Dého ont quitté Casus, la murder était toujours d’actualité et elle est finalement sortie dans le numéro suivant celui initialement prévu. En fait, je craignais un peu que la soirée ne sorte que bien longtemps après le film « From Hell » avec Johnny Depp et qu’on dise que j’avais tout pompé sur celui-ci. Mais le mag est sorti quasi en même temps que le film…
C’était un one shot (comme toute murder party d’ailleurs) et je ne sais pas si Casus envisage de renouveler l’essai même si j’ai l’impression que la soirée a été plutôt bien accueillie.
Pour ce qui est de mon pseudo (putain, ça va me poursuivre jusque dans ma tombe ce truc là…), c’est simplement une bourde de Casus. Bon ça aurait pu être pire… Montagne… Montiage (mon nom, si quelqu’un en doute)…ça reste assez proche en fait. S’ils avaient écrit « une soirée enquête de John Flannagan », je me serais posé pas mal de questions (notamment sur leur état de santé mentale). Remarque que cette mésaventure montre que tout ça reste en fait assez impersonnel comme collaboration ; sans doute le rythme qu’impose la réalisation d’un tel magasine…



Aurais-tu des conseils particuliers à adresser aux futurs organisateur de « Je mourrais en ce Royaume ? ».
Pour beaucoup de mes joueurs, cette soirée reste un excellent souvenir voir la meilleure soirée enquête qu’ils aient joué. Je me demande encore à quoi ça tient. Le scénar bien qu’assez bien ficelé n’est pas non plus époustouflant, l’ambiance est somme toute classique et en plus, ce soir là, nous avions joué dans un appartement (comme décor de château, on fait mieux…). Mais la soirée s’est emballée rapidement. Peut-être à cause des différents buts de chaque personnage mais surtout grâce aux joueurs eux mêmes en fait.
Je crois que pour que « je mourrai en ce royaume » soit une soirée réussie, il faut que l’organisateur pousse les joueurs à bien préparer leurs personnages et notamment les spectacles qui vont ponctuer la soirée… Il faudra également inviter les joueurs à bien interagir les uns avec les autres, c’est une des forces du scénario. Enfin, il faudra veiller à ne pas trop se prendre au sérieux…

Y-a-t-il une question que nous ne t’avons pas posée et à laquelle tu aimerais néanmoins répondre ?
Oui et cette question est la suivante : « Y a-t-il quelqu’un que tu admires particulièrement pour son talent de scénariste ou de raconteur d’histoires ? »
A cette question j’aurais répondu : « Oui, Jean Van Hamme. Ce qui m’impressionne le plus chez lui c’est son talent à élaborer des récits classiques et palpitants à la fois. Il recycle des clichés pour leur redonner un souffle nouveau, les détourner un peu et ainsi surprendre son lecteur. Je crois qu’il a l’art de renouveler le genre. Aucun de ses séries n’est vraiment inédite en soi : le coup du complot, la saga familiale, l’héroique fantasy… Tout ça, c’est presque du déjà vu (ou alors c’est devenu classique grâce à lui…) et pourtant, à chaque lecture je suis pris dedans puisqu’il se débrouille toujours pour explorer le thème à fond, pour pousser le genre jusque dans ses derniers retranchements. Là dessus, il est vraiment très fort.
C’est un peu ce que j’essaie de faire à mon niveau bien plus modeste d’auteur de soirée enquête : trouver un thème très classique, le dépouiller à fond, chercher ce que le joueur attendrait d’un tel thème, et tenter de le surprendre tout en respectant le thème en question… »

Pour finir (?) et afin de mieux connaître celui qui se cache derrière le pseudo de Montagne, un petit portrait chinois auquel répondent toutes les personnes interviewées par Chrysopée depuis le… Prochain numéro smiley
Si tu étais une créature mythologique : Elvis sans hésiter. Tout d’abord parce que j’aime beaucoup ses chansons (et oui…) et ensuite parce que pour moi, le King reste la plus grande créature de la mythologie du 20ème siècle. Son image même lui a échappé. Il était une sorte de Dieu vivant ; et malgré le fait qu’il ait enchaîné nanars sur nanars, qu’il ait fini sa vie gavé de drogues et de beurre de cacahuètes, des millions de fans continuent à lui vouer un culte incroyable. Et là, je dis : respect…
Si tu étais un personnage historique : Édouard VIII. Mais si, le roi qui en 1936 décida de renoncer au trône pour vivre avec Wallis Simpson, une Américaine deux fois divorcée. Difficile de faire mieux comme preuve d’amour…
Si tu étais un personnage biblique : Je serais Dieu (tant qu’à faire, autant que je sois le boss…)
Si tu étais un personnage de roman : Boromir. Le seul assez malin pour dire qu’au lieu d’envoyer quatre péquenots en plein Mordor, il fallait mieux utiliser l’anneau contre le Grand Œil. C’est incroyable que tant de gens aient pu croire à un plan aussi foireux…
Si tu étais un personnage de JdR (ou de murder !) : « Le bourreau des cœurs », mon perso préféré quand je jouais à Stormbringer. Un disciple de Balo donc très drôle et très bon vivant, et tragique en même temps puisqu’il n’aspirait qu’à une chose : trouver l’amour. Et depuis qu’il était passé entre les mains du Dr Jest (les connaisseurs apprécieront) et que son Charisme était lamentablement tombé à 5, c’était pas facile. Il a fini par se donner la mort en se jetant d’une falaise dans la mer…
Si tu étais une œuvre humaine (peinture, sculpture, film, bouquin) : « La nuit des temps » de Barjavel. C’était la première fois qu’un livre me prenait autant les tripes que celui-là. Et plus je m’approchais de la fin (que je n’avais pas vraiment vu venir) et plus je me disais « c’est pas vrai… c’est pas vrai… Il a pas osé faire ça ! » Et si, il l’avait fait ! Je ne suis pas ressorti intact de ce livre.

Merci pour tout!

Le Korrigan