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Entretien avec Thierry Gloris
entretien accordé aux SdI en mars 2009


Avant de commencer, êtes vous farouchement opposé au tutoiement?
Le tutoiement ne me dérange pas du moment qu’il est accepté par les deux parties et pas imposé unilatéralement. Notre langue française est suffisamment riche pour en utiliser toutes les subtilités. Nous nous tutoierons donc…

Tout d'abord un grand merci de te prêter au petit jeu de l'interview...
Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi ? ( Parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse)…

Voici ma bio...

Thierry est né le 29 Mars 1974 en Franche Comté, entre un pot de cancoillote et une brave Montbéliarde à la robe lait cacao. Le petit Thierry est élevé à grands coups d'albums d'Asterix, de Gaston Lagaffe ou de Sylvain et Sylvette pour lui apprendre la dureté de l’existence. Il découvre les comics US au collège, les mangas au lycée et la vie de patachon à la fac de Bordeaux. Historien par passion, il obtient un DEA. A la naissance de son premier enfant, il décide de changer complètement d’horizon professionnel. Il sera auteur de BD. Quelle est la relation de cause à effet ? Il se le demande encore… Mais les faits sont là.

Ceci dit, il avoue de son propre chef que l'Histoire demeure une de ses principales sources d'inspiration, ainsi que la littérature du XIXe siècle, avec des auteurs tels que Zola, Balzac, Edgard Poe, Lovecraft et Maupassant. A une époque où l’école est tant dénigrée, Thierry reconnaît que les émules de Jules Ferry on fait de lui en partie ce qu’il est et que le savoir ne s’invente mais se transmet. La BD peut/est/sera un vecteur d’apprentissage culturel… Vaste débat.

Thierry décide de travailler avec Mickaël Bourgouin, après avoir vu son travail sur le net, l'univers graphique de ce dernier l'ayant séduit, il lui envoie son script et les voici réunis autour des premières planches du futur Codex Angelique qui paraît un an plus tard aux Editions Delcourt. La même opération sera reconduite avec Emiliano Zarcone pour la série Waterloo 1911 pour le même éditeur. Vivant dans un coin reculé de province, Thierry remercie chaque matin en enclenchant son ordinateur poussif, Saint Internet et le Bienheureux Téléphone de lui donner de quoi manger chaque jour.


Les univers historiques sont ceux dans lesquels il se sent le plus à l'aise. Ajoutons à cela le goût pour lui d'introduire des éléments fantastiques dans ses créations et nous obtenons les ingrédients qui donnent à Thierry l'envie d'écrire et de créer. Selon lui, le fantastique permet d'amener des situations improbables propre à révéler la nature humaine dans ce qu'elle a de plus sensible. Avant de réaliser sa première bande dessinée, Thierry a travaillé en indépendant pour quelques journaux historiques. En janvier 2004, il commence à plancher sur un album jeunesse pour le “Journal de Spirou” qui n'aboutira pas en parti suite aux rocambolesques aventures du rachat de la maison Dupuis. Après cet “ accident de parcours ”, Thierry parvient à rebondir aux éditions Delcourt où il publie deux séries : Le Codex Angélique et Waterloo 1911. Parallèlement, Thierry avait continué de travailler avec un vieux complice de ces années de galère bédéistique : Jean François Bergeron. Après quelques dossiers communs refusés, Jean François lui sortit un vieux manuscrit poussiéreux écrit sur une vielle peau de mouton séchée qu’il avait écrit quelques années auparavant. Il s’agissait de la première mouture de Saint Germain. Après avoir fait quelques recherches documentaires et bidouillé complètement la trame narrative, le dossier était présenté aux éditeurs. Il fut signé aux éditions Glénat !




Essai de couverture © Delcourt / Emiliano ZARCONE / Thierry Gloris


Quel lecteur étais-tu enfant ? Quels étaient alors tes dessinateurs favoris?
Enfant, il y avait peu de BD à la maison car c’était des “ objets de luxe ”. Je me suis confectionné avec patience et amour toute la collection des “ Asterix et Obélix ” tout au long des Noëls et des anniversaires. J’avais à disposition chez mes grands-parents quelques “ Gaston ” et “ Spirou ”. Donc, c’est simple mes dessinateurs favoris étaient Uderzo et Franquin. A l’adolescence, la situation s’est décantée et je suis tombé dans la marmite des comics des anciennes éditions LUG. Là, ce fut l’orgie mensuelle pendant de nombreuses années. Le fait que les dessinateurs puissent changer sur une série m’a permis d’appréhender des graphismes différents pour porter les mêmes héros… Mais je ne me suis jamais vraiment attaché à cette époque à un dessinateur américain plus particulièrement, plus à des personnages et à une mythologie contemporaine.

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse?
C’était tout simplement quelque chose d’inimaginable. J’ai en tête un gag de Marcel Gotlib où enfant, il prenait les éboueurs qui passait devant chez lui pour des chevaliers des nouveaux temps… pour moi, les auteurs de BD étaient quelque part des demi-dieux intouchables qui me faisaient rêver d’aventures impossibles, moi gamin paumé au fin fond de la France rurale…

Quelles sont pour toi les grandes joies du métier de scénariste?
La plus grande joie du métier du scénariste BD est la liberté qui découle de ce statut. Cette liberté a un prix, notamment financier… Mais c’est un luxe fabuleux surtout à notre époque où il est de bon aloi de se mouler dans la norme.
Ensuite, la joie découle de la création pure. Commencer avec juste un crayon et une feuille… pour arriver à l’élaboration physique d’un album mettant en œuvre tout un univers original et des personnages quasi-autonomes a quelque chose de magique. On éprouve ce sentiment à chaque réception de nouvelles pages de la part de son collaborateur et lors de la livraison de l’album en avant-première.

A ce jour votre métier de scénariste est-il un métier à plein temps ou excerces-tu une autre profession en parallèle?
Je suis actuellement scénariste BD à plein temps. Les débuts ne furent pas facile financièrement mais désormais je peux mener une vie normale !

En 2006 paraissait le superbe Izaël, premier opus du Codex Angélique, dessiné par Mikaël Bourgouin qui signait là son premier et très remarqué album. L’année dernière était publié le premier tome de Waterloo Emiliano Zarcone dont c’était une fois encore le premier album. Ces deux albums possèdent une indéniable patte graphique qui attire d’emblée l’œil… Avec Saint-Germain, on pourrait croire que vous signez à nouveau une histoire avec un jeune dessinateur et qui a lui aussi un style déjà très affirmé. Pourtant, il n’est autre que Djief dont on a pu apprécier le travail dans Crépuscule des dieux ou les Carnets secrets du Vatican (entre autres). Comment as-tu rencontré Jean-François Bergeron et comment est née l’aventure de Saint-Germain? Et pourquoi signe-t-il cet album sous un autre nom ?
J’ai dédicacé Saint-Germain à l’amitié qui nous a réuni Jean-François(JF) et moi. Au tout départ de mon parcours BD, j’ai rencontré JF par hasard sur le net. Nous nous sommes rapidement entendu et nous avons monté de nombreux projets ensemble. Aucun n’a été retenu par les éditeurs, mais nous avions toujours gardé cette confiance dans le travail de l’autre. Chemin faisant, chacun a débuté sa carrière BD de son côté sans jamais rompre les ponts. Un jour, en discutant, JF m’a parlé de son envi de travailler sur le personnage de SG. Après quelques recherches de mon côté, une assurance que je pourrai tout remettre à plat, j’ai dit banco ! Le projet a été présenté et dans les jours qui suivirent, plusieurs éditeurs nous contactaient. Nous avions trouvé NOTRE série.

JF : Mince, je suis démasqué ! On a découvert mon alter-ego Soleilesque !!!
Plus sérieusement, les raisons qui m’ont poussés à prendre mon véritable nom pour Saint-Germain sont multiples. Principalement c’est pour laisser Djief chez Soleil et aussi parce que je crois pertinemment que les lecteurs qui auraient choisis de lire Saint-Germain pour retrouver du Djief seraient pour la plupart insatisfait sinon déçu. Maintenant, compte tenu que tous les lecteurs finiront bien par connaître ma double identité, certains seront enchantés du changement de ton et de style, mais ce sera (je l’espère du moins!) parce que Saint-Germain les aura charmé et non pas pour suivre mon parcourt d’auteur. La série avant tout ! Sinon, je continue tout de même à réaliser les albums du Crépuscule des dieux parallèlement à Saint-Germain.

De l’esquisse de ces différents projets à leur concrétisation, l’édition de vos albums a-t-il relevé du parcours du combattant?
Cela fait presque 10 ans que je veux faire de la BD. J’ai mis 5 ans à signer mon premier album : Le codex Angélique. Je suis passé par des phases d’euphorie et de profondes fatigues. Le parcours a été difficile mais il fait parti de mon bagage d’auteur. Il est formateur.

Dans tes précédents albums, vous partez souvent d’un contexte historiquement défini pour le tordre et lui donner une personnalité propre. Comment as-tu abordé ce personnage complexe et haut en couleur qu’est Saint-Germain et qui a déjà fait couler tant d’encre et surtout, qu’est ce qui t’a donné envie d’en faire un héros de BD ?
Saint-Germain est vraiment le personnage fétiche de JF Bergeron. En fait, je ne suis que celui qui lui a insufflé la vie sans pour autant le nommer.
Travailler sur un personnage de capes et d’épées n’était pas chose aisée car il en existe pléthore. J’ai voulu lui donner un ton particulier qui soit assez proche de celui des films de Hunebelle tout en y rajoutant une gouaille iconoclaste à la limite du paillard. J’aime bien cette vision de l’aristocratie qui se roulait dans la débauche et le crime durant leur jeunesse et finissait volontairement cloîtrée pour expier leurs péchés à la fin de leur vie. Il y a une dualité de l’existence et une philosophie de vie sous-tendue qui m’interpelle en tant que scénariste.




Saint-Germain: preview de la couverture © Glénat / JF Bergeron / Thierry Gloris


Quelles ont été tes principales sources pour élaborer cette histoire? Conseillerais-tu un ouvrage en particulier aux lecteurs désireux d’en apprendre plus sur cet énigmatique personnage?
Je ne connais quasi-rien de Saint-Germain hormis la vision de JF et celle d’Umberto Ecco dans le “ Pendule de Foucault ”. J’ai fait des recherches sur le Grand Siècle et celui des Lumières, mais j’ai délibérément fait l’impasse sur les biographies de SG. Le SG de notre série est original, il vole de ses propres ailes !

JF : Je rajouterais que l’on s’est approprié le personnage historique pour en faire notre Saint-Germain. Il est au final un produit de ce que nous a inspiré le mythe. En quelque sorte, le mystère qui nimbe le personnage nous est d’une grande utilité puisqu’il nous permet de nombreuses libertés.

Comment s’est organisé le travail avec Jean-François Bergeron sur cet album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles ont été les différentes étapes d’élaboration de la BD?
Je laisse la parole à JF

JF  : La création de planches de BD entre un scénariste et un dessinateur, c’est souvent une question de chimie à la base (dans notre cas, je dirais même d’alchimie !) Une fois entendu sur les grandes lignes du récit, Thierry me donne verbalement ou par écrit le découpage en tranches de 5 ou 6 pages par mois. De mon côté, je découpe en croquis assez poussés les dites pages en proposant de temps à autre des changements. Ce peut être de l’ordre d’une case ajoutée, d’une mise en scène modifiée ou d’une simple suggestion de réplique… Je lui envoie par courriel le tout et on en discute. Puis, suit une autre phase de derniers ajustements avant de me lancer dans les pages en noir et blanc que je lui fais parvenir par courriel aussi. Autre discussion et ronde d’ajustements si nécessaire. Et finalement, j’applique la couleur aux pages pour conclure le mois. Nous avançons ainsi au rythme de 4 ou 5 pages mensuellement.



Planche T2 © Glénat / JF Bergeron / Thierry Gloris



Planche T2 © Glénat / JF Bergeron / Thierry Gloris



Planche T2 © Glénat / JF Bergeron / Thierry Gloris

Travailles-tu de la même façon avec Emiliano Zarcone et Mikaël Bourgouin, ou chaque collaboration est-elle une nouvelle manière de fonctionner?
Chaque projet est une expérience nouvelle. Si dans l’ensemble, le travail reste le même, l’approche en fonction de chaque dessinateur est différente. Elle est ni meilleure, ni pire, juste singulière car à chaque fois derrière un clavier ou un crayon, il y a un homme avec son vécu et son ressenti. Je m’émerveille à chaque sortie d’album du fait qu’il existe car “ produire ” un album est un vrai chemin de croix avec ses doutes et ses craintes. L’important est de rester solidaire et de s’épauler mutuellement quand le morale est en berne.

Le site internet que vous avez monté pour votre nouvelle série est de toute beauté… Qu’est ce qui vous a donné envie de le mettre sur pied ?
Encore une fois la confiance que j’ai en JF. Je savais qu’il était capable de le mettre techniquement sur pieds et que s’il me disait que nous pouvions le faire, il le ferait ! Glénat nous a débloqué un petit budget et nous sommes partis à l’aventure. Tout c’est fait comme d’habitude entre nous : L’un envoie une idée, l’autre rebondi dessus et l’enrichit… etc…

JF  : Ce sont mes années de designer multimédia que j’ai mis en pratique pour ce site. En terme de navigation et d’ergonomie graphique, j’en suis resté au strict minimum et à l’efficacité avant tout. Bien entendu, il y a bien des gadgets technologiques actuels que je n’ai pas utilisés faute de mise à jour dans ce domaine. À chaque proposition “ ambitieuse ” de Thierry, je me demandais sérieusement comment j’allais me débrouiller… Puis, je contactais mon beau-frère programmeur Flash pour me donner des conseils et trouver des solutions techniques. Sinon, côté contenu, nous étions les mieux placé pour présenter notre série et l’approche originale de ce site est à l’image de Saint-Germain.

En tant que scénariste, comment vis-tu les séances de dédicaces? Tes impressions sur le dernier festival d’Angoulême? Un souvenir, une anecdote?
Les dédicaces sont à mon sens un passage obligé mais également un moment privilégié de rencontre. Personnellement, quand je m’engage à signer mes albums, j’essaie d’être d’humeur joviale … sinon je reste à la maison, bien au chaud. Pour l’instant, hormis une ou deux rencontres “ bizarres ” et sans grand intérêt, j’ai toujours eu un bon rapport avec mes lecteurs. J’ai l’habitude de discuter avec les lecteurs, d’en apprendre un peu de leur vie et de relier une de leur anecdote de vie avec un dialogue d’un des personnages de l’album. Ce n’est pas de la grande littérature, mais cela marque la rencontre d’une façon assez personnelle.
Le dernier festival d’Angoulême était assez fatigant de mon bord. J’ai passé mon temps à courir entre les dédicaces et les amis à voir… De chouettes rencontres… De bons moments…
L’anecdote que je retiens d’Angoulême 2009, c’est d’être resté assis à moins d’un mètre de ZEP pendant une bonne heure et de ne pas lui avoir débourré un mot tellement j’étais dans mes petits souliers. C’était ridicule, mais bon… c’est cela aussi Angoulême.


Sur quels autres projets travailles-tu en ce moment?
J’ai pas mal de choses sur le feu en ce moment. Dans un premier temps, je travaille à l’écriture des séries en cours : Saint-Germain, II (ed Glénat) et Waterloo 1911, II (ed Delcourt) et…

Souvenirs d’un elficologue II. Le tome 1, “ L’herbe aux feys ” sort mi mars aux éditions Soleil-Celtic !

Je suis également sur les dernières planches d’un projet assez atypique mais qui m’amuse énormément : “ Tokyo Home ” qui est une sorte de shojo sauce franco-belge en noir et blanc au format quasi comics de 126 planches pour les éditions Dargaud.

Je travaille également sur une série purement historique qui mettra en scène un “ Malgré-nous ” alsacien durant la seconde guerre mondiale pour les éditions Quadrant.
A la même date, devrait sortir le premier tome d’une série médiévale fantastique intitulée Missi Dominici aux éditions Vent d’Ouest.



Souvenirs d'un Elficologue rough de couverture © Soleil Celtic / JF Bergeron / Thierry Gloris



Thomas, le troisième tome du Codex Angélique est en passe de sortir. Comment est né cet étrange et envoûtant projet? Quel fut le point de départ de l’envie de raconter cette histoire?
Maintenant que le T3 est sorti, je peux vraiment dire quelle était mon intention sur ce triptyque : Ré-interpréter le complexe d’Œdipe dans un environnement historique atypique pour une telle tragédie. Le point de départ de tout ce script fut une lecture de l’analyse freudienne de ce mythe grecque. Après, l’imagination a fait le reste.



preview de la couverture du tirage de tête
© BD Must & Delcourt / Mikaël Bourguoin / Thierry Gloris


Y-a-t il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
C’est quand que tu prends des vacances ?
Bientôt… Très bientôt !

Pour finir et afin de mieux te connaître, voici un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


Un personnage de cinéma :Capitaine Conan de Tavernier
Une créature mythologique :Cassandre
Un personnage de BD :Obélix
Un personnage biblique :L’âne qui était dans la bergerie du petit Jésus…
Un personnage de roman : Le Capitaine Nemo
Un personnage de théâtre :Cyrano
Une œuvre humaine:L’imprimerie
Un jeu de société:Le trivial pursuit
Une recette culinaire:Toutes les cuisines du monde m’apprennent que l’Humanité a parfois du bon.
Une boisson : Un Bordeaux rouge…

Un immense merci pour le temps que tu nous a accordé!


Le Korrigan