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Entretien avec José-Luis Munuera
Entretien accordé aux SdI en octobre 2009


Avant de commencer, peut-on vous tutoyer ? (si non, je me ferai violence !)
Mais bien sûr, ma foi!!! En fait, en Espagne, c'est rare de faire autrement... ça fait « vieillot »...

Tout d'abord un grand merci de te prêter au petit jeu de l'interview... Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? ( Parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse)…
J'ai 37 ans, marié , deux filles (de 10 et 4 ans). J'aime faire la fête, aller au cinéma et lire (chez moi, il y a des petites bibliothèques partout). Je voudrais être grand, beau et bien jouer de la guitare comme Zep, mais bon.....

Quel lecteur étais-tu enfant ? Quels étaient alors tes dessinateurs favoris?
J'étais un grand lecteur de BD, puis de littérature générale. Au départ, ce fut le Journal de Mickey version espagnole qui publiait à cette époque là (derniers 70's) les travaux du formidable Cavazzano. J'ai pris conscience de l'existence du dessinateur avec lui, tellement il dépassait le reste de ses collègues. Ainsi, toute l'école d'humour espagnole, formidable, avec Ibañez, Raf, Vazquez... Je suis rapidement tombé amoureux de la BD franco-belge, avec Uderzo et Morris, d'abord, ensuite toute la bande des Franquin, Peyo, etc. Plus tard (mais pas beaucoup, débuts des 80's), ce fut la grande claque de la BD « adulte » franco-belge (Moebius, Caza, Bilal, Loisel...), puis les américains novateurs (Miller, Byrne, Moore), et les premiers mangas (Otomo)...

Inspirations…


Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse?
Sans doutes… J'ai su depuis mes 8 ans que « j'étais » dessinateur de BD. Dans ma tête, c'était clair et net. C'était ça ou rien. Après, il a fallu un long chemin pour y arriver, avec de longues années d'apprentissage passionné...

Quelles sont pour vous les grandes joies du métier de dessinateur?
Se lever le matin, prendre son café et se dire, « hop, j'attaque ma planche du jour », il n’y a pas mieux! Mais la plus grande satisfaction du métier c'est sans doute quand on arrive à toucher des lecteurs, des gens qui sont loins, qui n'ont rien à voir avec soi, et pourtant avec lesquelles une communication se fait… merci à la BD. C'est émouvant.

Après avoir signé les Potamoks scénarisé par Joann Sfar, vous mettez en image Merlin, Sir Pyle S. Culape, participez aux chroniques de Sillage avant de reprendre le mythique personnage de Spirou après la très controversée Machine qui rêve de Tome et Janry... Comment se retrouve-t-on à 32 ans à mettre en image l'un des plus célèbres héros de BD?
Par accident, sans doute. J'étais dans le bon moment à la bonne place. Je ne savais pas exactement à quel point ça allait être dur et difficile et combien de choses j'allais apprendre en le réalisant. Ca a été une expérience incroyable, très formatrice, intéressante. Un régal encore (même si pas facile toujours) !

Le 2 octobre paraissait un superbe album plus intimiste, le Signe de la Lune, scénarisé par Enrique Bonet... comment est né ce projet?
C'est Enrique qui fit une première version de cette histoire, à seulement 24 pages il y a bien 15 ans. Juste après, je débutais professionnellement en France, mais j'ai toujours eu un penchant pour cette histoire. Je savais qu’elle contenait potentiellement une force, une qualité, qui n'était pas encore développée dans sa première version. Il m'a fallu convaincre Enrique de la réécrire, ce qui pour lui, au départ, n'avait aucun sens. Mais nous avons commencé à étudier notre sujet avec plusieurs points de vue : anthropologique, symbolique...même à la lumière de la psychanalyse! Sans oublier les relations avec les histoires du folklore européen… A force de développer et d’ajouter des couches d'interprétation, le sujet a pris une palette bien plus vaste... plus de 100 pages de plus!

Remake or not remake...


Comment as-tu créé l’apparence des différents protagonistes?
Déjà, il avait la référence de la première version d'Enrique. Là, le petit frère d'Artemis était un peu plus âgé (de ses 12-13 ans) et je l'ai rajeuni. C'était important pour que le « drame » qu'Artemis soit encore plus fort pour le lecteur. Rufo et Brindille n'étaient presque pas présents, il a fallu leur donner un physique qui leur correspondait. Merveilles est pile poil celle d'Enrique, revisité. La Guérisseuse était nommée dans la première version, mais on ne la voyait pas non plus... J'ai travaillé à partir des premières recherches d'Enrique, en les enrichissant, j'espère...

Première version de Artemis et Brindille adultes...



Pif dans la version de MIguel Angel (1995)


Tu as développé une technique assez particulière dans cet album, bien différente de celles utilisées dans tes précédentes BD… Peux-tu nous en dire plus sur ta façon de travailler sur cet album? Pourquoi avoir choisi de faire un album en (presque) noir et blanc ?
Je crois qu'un bon dessinateur de BD ne doit pas partir à la recherche des histoires qui correspondent à son graphisme, mais au contraire, il doit trouver le graphisme qui correspond à chaque histoire en particulier. Le plus important, finalement, n'est pas ce qu'on appelle le « style » du dessinateur, mais son point de vue par rapport à l'histoire. Ici, on était dans le fantastique sombre et mon dessin habituel ne me semblait pas en raccord avec l'histoire. J'ai donc recherché un graphisme plus évocateur, plus suggestif, avec des lavis d'aquarelle pour renforcer les effets de lumière et la profondeur du champ, pour pouvoir évoquer les brumes et la complexité de la forêt, les textures du monde rural... La couleur était ici hors de question: les couleurs ont tendance à donner une sorte de « glamour » au dessin, et je cherchais quelque chose de plus primitif. C'est un handicap commercial, mais c'était impératif que cet album soit en noir & blanc...

expérimentation de la technique mixte de lavis à l'aquarelle


Afin de mieux comprendre ton métier de dessinateur, serait-il possible de voir, pour une planche donnée, les différentes étapes de sa réalisation, du rough en passant par le crayonné, l’encrage, le lavis et l’aquarelle?

Etape 1 : le rough



Etape 2 : l’encrage



Etape 3 : premier lavis



Etape 4 : étape finale


Quelle étape préfères-tu dans l’élaboration d’un album?
La toute première, quand on imagine l'histoire, quand toutes les possibilités sont ouvertes et il faut trouver le bon chemin dans le labyrinthe narratif... si on fait le bon choix à cette étape là, tout ce qui suit semble inéluctable, presque magique...

Sur le site de l'album, sur un projet de couverture, figure la mention : 'Les mémoires d'Aldea' (petit village en espagnol)... Peut-on espérer d'autres histoires se déroulant dans ce village imaginaire, construit sur les rites et mythes de la société rurale?
Nous souhaiterions bien raconter de nombreuses autres histoires dans cet univers. Nous avons déjà de nombreuses idées à ce sujet! Quinze années à papoter avec Enrique sur l'univers, nous avons forcément un bon paquet d'idées ! Mais cela dépendra de l'accueil du Signe de la Lune: si vous achetez tous plusieurs exemplaires pour l’offrir à votre famille à Noël, nous avons surement une chance smiley

Making-of


En tant que dessinateur, comment vis-tu les salons de BD et les séances de dédicaces ?
Cela permet de rentrer en contact avec une partie du public, de rencontrer les libraires, et surtout les potes dessinateurs. Je ne suis pas contre, mais cela représente un effort considérable sur le plan physique.

Sur quel(s) projet(s) travailles-tu en ce moment ?
Il y en a plusieurs sur la table (comme toujours !) : déjà Nävis, chez Delcourt, qui est un plaisir à faire, ensuite une nouvelle série jeunesse « Walter le loup », chez Dargaud, où je continue à faire du Monty Pyton pour enfants, comme sur Merlin, mais avec cette fois avec une grande dose de Chuck Jones dans la soupe. Et après, d'autres projets par ci par là qui sont encore sur des étapes embryonnaires...

Quels sont tes derniers coups de cœur (ciné, romans, bd, musique…) ?
J'ai beaucoup apprécié dernièrement Låt den rätte komma in (Let the Right One In) film de Tomas Alfredson, jolies Ténèbres de Kerascoiët et Velhman. En musique, je suis dans une étape impressionniste, avec Debussy ; en littérature, ce mois-ci, je ne lis que Neil Gaiman....

Inspirations…


Pour finir et afin de mieux te connaître, voici un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

Un personnage de cinéma :Forrest Gump
Une créature mythologique :Le minotaure (toujours dans son labyrinthe)
Un personnage de BD :Le cosmostroumph.
Un personnage biblique :Caïn ou Abel, ça dépend des jours...
Un personnage de roman :Ignatius J. Reilly.
Un personnage de théâtre :Puck.
Une œuvre humaine:Le cinéma.
Un jeu de société:le strip-póker.
Une recette culinaire:une soupe.
Une boisson : la bière.

Un immense merci pour le temps que tu nous as accordé et pour ta gentillesse !

Projet de couverture


Le Korrigan