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Entretien avec Djian
accordé aux SdI en novembre 2009


Avant de commencer, êtes vous farouchement opposé au tutoiement ? (si oui, je me ferai violence !)
Pas de problème, je n’aime pas la violence et j’aime bien le tutoiement. Tutoyons-nous donc…

Tout d'abord un grand merci de te prêter au petit jeu de l'interview... Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? ( Parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse)…
Je suis né dans les préhistoriennes années 50. Enfant, je lisais beaucoup d’illustrés genre « Blek le roc », « Akim », Battler Britton » etc. J’écrivais moi-même des petites histoires tant ça me passionnait. J’étudiais sans soucis au collège puis au lycée. A l’adolescence, il m’est arrivé un très grave accident. Après avoir reçu l’extrême onction, j’ai survécu, mais j’ai été contraint de tout interrompre de mes activités. Je me suis alors mis dans la musique, mais comme il faut bien vivre, j'ai bifurqué vers un métier qui nourrit mieux son homme. Et puis un jour, j’ai fait la connaissance de Régis Loisel. Une belle amitié est née et je lui ai demandé de m’enseigner les rudiments pour écrire des scénarios BD. Avec sa gentillesse et sa générosité habituelles, il a accepté…

Quel lecteur étais-tu enfant ? Quels étaient alors tes dessinateurs favoris?
Quand j’ai pu me faire offrir le niveau au-dessus des illustrés, j’ai découvert le magazine de « PILOTE » ; les histoires de Jean-Michel Charlier et le petit personnage gaulois de Goscinny et Uderzo. J’ai également découvert les albums de Tintin et Milou. Tout ça a immédiatement fait Tilt dans mes neurones…. J’aimais énormément Giraud, Uderzo, Poïvet…

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse?
Je peux dire qu’écrire était un rêve de gosse, mais je n’y pensais pas avec précision…

Quelles sont pour vous les grandes joies du métier de scénariste ?
J’aime l’écriture dans sa globalité même si c’est toujours un voyage difficile : On fait de son mieux pour créer des personnages intéressants et particuliers , pour les placer dans une problématique redoutable, et pour trouver des rebondissements surprenants… Voir arriver les planches du dessinateur est toujours un moment magique et un grand bonheur. Les relations avec les directrices de collection sont très enrichissantes aussi. Elles s’investissent énormément et apportent beaucoup à chaque projet. Et puis, pour finir, tenir l’album dans ses mains est formidable…

Petite question indiscrète : y-a-t-il une chance pour voir un jour paraître une suite à Paris, intrigant premier tome du Maître du Hasard paru chez Soleil en 2001…
J’aimerais vraiment beaucoup. Les trois tomes sont entièrement écrits et dialogués, même si avec le recul je peaufinerais certaines choses…


En janvier 2009 paraissait L'affaire du rideau bleu, premier opus des Quatre de Baker Street, série mettant en scène des gosses des rues de Londres… Comment t'est venue l'idée de porter sur le devant de la scène ces personnages très secondaires tirés des romans de Sir Arthur Conan Doyle? Comment as-tu rencontré David Etien, le talentueux dessinateur de la série avec lequel tu avais déjà travaillé sur le western Chito Grant?
David Etien et moi nous sommes rencontrés par l’intermédiaire d’Yves Chelet, un éditeur qui nous appréciait et pensait que nous pourrions faire du bon travail ensemble. Nous avons réalisé la trilogie « Chito Grant » ensemble. Puis, David m’a dit qu’il aimerait bien travailler sur un projet mettant en scène des gamins des rues de Londres sous l’ère victorienne. N’étant pas un spécialiste de cette époque, j’ai fait appel à Olivier Legrand, un ami professeur de français dans un lycée de Caen et qui connaît vraiment bien le sujet. C’est lui qui a eu l’idée d’utiliser les gamins que Sherlock Holmes utilise dans l’une de ses aventures. Ces gamins qu’il appelait les « Francs-tireurs de Baker street ». Olivier et moi réalisons le scénario ensemble.

©Vent d'Ouest / Vincent / Djian

A voir ta bibliographie, tu sembles très éclectique, tant dans les univers abordés (science-fiction, western, Polar, Thriller, historique, aventure, Heroic-fantasy fantastique, anticipation, intimiste…)… Presque autant de genres abordés que de séries ! As-tu malgré tout un genre que tu affectionnes particulièrement ou l'univers de chaque série est avant tout un décor, support à l'histoire? Qu'est ce qui t'attire dans le fait de raconter une histoire ?
En fait, je crois que ma préférence va au polar / thriller, mais j’aime tous les univers. A chaque fois, j’ai l’impression de passer une nouvelle frontière, c’est très excitant. Pour chaque nouveau projet, j’ai l’impression d’être dans la peau de certains de mes personnages et de découvrir un nouveau monde dans lequel j’ai des problèmes à résoudre. Ca me plaît d’être obligé de m’adapter, comme si j’étais toujours un étranger… Et puis, j’aime aussi travailler les caractères des personnages…


Comment est né le Grand Mort co-scénarisé avec l'immense Régis Loisel? Qu'est ce que cela fait de travailler aux côté d'un monstre sacré du neuvième art? Comment avez-vous écrit cette historie à quatre mains?
Un jour, nous papotions au téléphone quand Régis me dit que Mourad Boudjellal, mon éditeur de l’époque, lui avait proposé de monter un projet chez lui, même en tant que scénariste. Régis me dit qu’il a bien un projet à l’état de synopsis, mais n’a pas le temps de le développer. Sans penser à une collaboration, je lui propose mon aide… Le lendemain, il me rappelle et me dit OK. Sur ce, il m’envoie ses notes…
Pour travailler à quatre mains, on a une première séance de travail ( qui peut durer une semaine ou plus) pour trouver page par page où aller et comment y aller. C’est au départ de la prose sur de nombreuses pages. On fait du ping pong pour sans cesse rebondir, lancer de nouvelles idées tout en respectant les caractères des personnages. Régis est d’un exigence extrême là-dessus. Il sait parfaitement où on ne doit pas aller. Ensuite, on se revoit pour faire du page par page, image par image, le tout dialogué. C’est le plus long.


Venons en à présent à ton actualité brûlante : Venin de village, premier tome de l'Ecole Capucine paraît à la fin du mois aux éditions Vent d'Ouest. Quel fut le point de départ de cette nouvelle série et comment as-tu décidé de travailler avec Vincent dont la série Albatros a révélé le talent?
Le point de départ est mon envie de conjuguer la Bretagne fantastique avec le romantisme du XIX° siècle. L’envie aussi de faire se rencontrer un personnage adulte et lui-même adolescent ; de montrer comment à différentes périodes de notre vie, on peut être deux personnes très différentes, et même insupportables l’une pour l’autre.
J’avais présenté mon projet à Valérie et Nathalie, mes deux directrices de collection, chez Vents d’Ouest. Elles y croyaient et l’ont gardé sous le coude un an ou deux. Et puis un jour, Vincent, qui venait de terminer sa série « Albatros » était libre. Elles lui ont présenté le dossier… Une très belle rencontre, vraiment !

Peux-tu en quelques mots nous présenter cette nouvelle série ?
Camille Desfhouet et Honoré Pencre’ch ne sont pas revenus au village de leur enfance depuis vingt ans. Camille était la fille la plus riche de la région en même temps qu’une garce de première catégorie. Son retour engendre la peur. Chacun se demande ce qu’elle revient faire. Hortense Malanges, la directrice de l’école Capucine se demande si elle n’a pas fait quelque chose, dans le passé, qui aurait pu vexer Camille… D’autant qu’elle vit avec Louis, un bagnard évadé et toujours recherché qui pourrait pâtir de cette rancœur. Pour voir s’ils n’ont rien « commis » de répréhensible jadis, Louis et elle, en apprentie sorcière, elle utilise un pouvoir magique qu’elle ne maîtrise pas du tout. A partir de cette folle tentative, l’histoire va déraper, un meurtre va être commis. Le juge de paix va arriver et seule une solution par le fantastique semble pouvoir éteindre la menace qui s’apprête à s’abattre sur tout le village…

Comment organisez-vous votre travail avec Vincent. Du synopsis à la planche finalisée, quelles sont les différentes étapes de votre travail respectif? (s’il était d’ailleurs possible, pour une planche donnée de visualiser ces étapes, du scénario au découpage en passant par le rough, le crayonné, l’encrage et la mise en couleur, ce serait super !)
Le synopsis et le découpage du premier tome étaient prêts depuis longtemps, mais Valérie et Nathalie, mes directrices de collections m’ont indiqué des points qui leur semblaient perfectibles. Ca m’a beaucoup apporté. J’ai retravaillé une grosse partie de leurs remarques. Ce n’est qu’après que Vincent a eu le scénario. Vincent a eu un œil très avisé lui aussi. Il a trouvé les personnages justes, mieux que je ne les imaginait moi-même en écrivant. Ensuite, il m’envoyait un premier rough de chaque planche avec ses cadrages, sa dynamique et sa sensibilité. C’était une joie à chaque fois tant il s’était investi. Au fur et à mesure, nous nous donnions des idées ou des conseils techniques. Après, il m’envoyait les planches encrées et il n’y avait rien à redire. Il a une telle personnalité que c’était complètement devenu son histoire.

©Vent d'Ouest / Vincent / Djian


Des corrections sont-elles apportées au fil de la réalisation des planches ?
Oui, bien sûr. Pour exemple, la dernière en date concerne une des dernières pages du tome 2. La semaine dernière, Vincent m’envoie ladite planche encrée et je m’aperçois qu’un personnage qui n’a pas été vu auparavant, mais qu’on connaît bien reçoit une balle de pistolet. Comme il tombe face contre terre, le lecteur ignore de qui il s’agit. On ne l’apprendra que quelques pages plus tard. Ce genre de « mystère » peut être un effet, mais là, ce n’est pas le cas, ( au contraire, ça tronque la dramaturgie…). Il peut au contraire perturber la lecture. En fait, j’avais publié de le faire apparaître quelques vignettes plus tôt. On a donc retravaillé toute la scène. C’est vraiment un travail d’équipe ; on est à la fois auteurs et mécaniciens…

Comment travailles-tu les personnages que tu mets en scène ? Elabores-tu pour chacun d’entre eux une fiche détaillant son caractère et son histoire ? Si oui, serait-il possible d’accéder à l’une d’entre elle ? (si tant soit est qu’elle n’en révèle pas trop sur les mystères qui règnent sur le premier tome de ce diptyque…)
En fait, je réalise un synopsis de l’histoire de chaque personnage pour établir son caractère, ses raisons et ses buts. ( Pour exemple, je joindrai ci-dessous la fiche signalétique des deux sœurs jumelles : Hortense et Adeline :*).

L'Ecole Capucine : Fiche signalitique
Ce petit document vous entraîne dans les coulisses de l'album et vous permettra de mieux appréhender le travail du scénariste Djian...


Travaillant sur plusieurs séries, comment organises-tu ton temps? Passes-tu facilement d’une série à une autre ou préfères-tu terminer le scénario d’un album avant de t’attaquer à une autre série?
Je préfère terminer complètement un scénario avant de m’attaquer au suivant. J’ai souvent besoin de quelques jours avant de m’engouffrer dans une nouvelle histoire. Sans doute, pour suffisamment m’éloigner de la précédente…


Ton actualité est pour le moins chargée : le premier tome de Silien Melville est paru mi-septembre, celui de Julia von Kleist vient tout juste de sortir et l’école Capucine est en passe d’être disponible sur les étals! Peux-tu en quelques mots nous présenter Opération Arpège et Allemagne 1932 ?
Je suis amateur de polars et j’avais depuis longtemps envie d’écrire un polar urbain comme certains films du cinéaste Jean-Pierre Melville que j’admirais. « Opération arpège » est l’histoire d’un pompiste de nuit, en périphérie de paris, en 1994. Une nuit, un type de son passé surgit et demande le plein. Silien se rend compte que le réservoir est déjà plein quand le type lui tend un billet de 500 francs plié, à l’intérieur duquel se trouve un mot griffonné. Quand le type repart, trois tueurs sont à ses trousses et Silien se retrouve avec une mission d’une extrême importance…


Pour Allemagne 1932, il s’agit de montrer la montée du nazisme, en Allemagne, dans les années trente. Comment elle est vécu par trois familles de nature très différente. L’une est riche et industrielle, la seconde est ouvrière et la troisième ( qui n’apparaîtra que dans le tome 2 en avril 2010) est juive. Les destins vont parfois s’imbriquer et nous allons suivre aussi les coulisses du pouvoir qui se met en place. Des facettes très peu connues. Chaque tome portera en sous titre une année ; le tome 2 s’intitulera « Allemagne 1933 ».

Quels sont tes derniers coups de cœur (BD, ciné, romans, musique…) ?
Je lis, vois ou écoute beaucoup de choses mais rien ne me viens en tête, tout de suite. En BD, « Sous mon regard » de Marc Malès, que je viens de lire, m’a beaucoup plu…

Y-a-il une question que je ne t’ai pas posé et à laquelle tu souhaiterai néanmoins répondre ?
Il me semble que c’était un très bon entretien. J’espère que mes réponses sont à la hauteur des questions. Je ne vois rien de plus...

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!
Le Korrigan