Haut de page.

Entretien avec David François
accordé aux SdI en janvier 2011


Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à notre interview !

Peux-tu nous en dire un peu plus sur vous? (parcours, études, âges et qualité,passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)
28 ans. Autodidacte.
J'ai noircit les marges de mes cahiers du collège jusqu'au lycée.
Un bac scientifique, suivit de quelques errements à l'IUT, une prépa artistique et un essai non transformé en école d'art.

Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes albums de chevet?
Je n'ai vraiment commencé à lire beaucoup et régulièrement, BD et romans, qu'à partir de 12 ou 13 ans.
Avant ça j'avais bien lu quelques trucs mais rien de comparable avec la boulimie de lecture qui s'est emparée de moi à l'adolescence.
Pour la bande dessinée, le déclic a été la série XIII.
Je ne connaissais à cette époque que Tintin , Astérix et Dragon ball, et encore, par l'intermédiaire des dessins animés diffusés à la télé!!
Donc XIII fut un choc!!

C'est là que j'ai commencé à découvrir la richesse du médium bande dessinée, principalement par la fréquentation quasi-quotidienne de la bibliothéque municipale. Mes albums de chevet se sont succédés de manière frénétique puisque chaque nouvelle lecture était plus extraordinaire que la précédente!

Devenir dessinateur, étais-ce un rêve de gosse ?
C'est devenu une évidence à l'âge de 12 -13 ans où j'ai commencé à me couper de toute vie sociale et à m'enfermer tous les étés pour dessiner.


En 2006 paraissait chez Paquet L’Étrange affaire des corps sans vie scénarisé par Régis Hautière. Comment vous êtes-vous rencontrés?
A l'époque Régis venait tout juste de signer son premier contrat pour « Le loup, l'agneau et les chiens de guerre » aux éditions Paquet.
Je lui ai présenté mes dessins, sur les conseils de Laurent, libraire amiénois et entremetteur spécialisé BD.
Mon travail l'a inspiré puisque nous avons aussitôt monté un premier projet ensemble, un western décalé, entre Becket et Burton, qui n'aboutira pas.
Le deuxième projet a remporté plus d'adhésion et « L'étrange affaire des corps sans vie » est arrivé en librairie en juin 2006.

(Pour des raisons de concision évidente je fais l'impasse sur les pages faites et refaites, les nuits blanches, la rage, les désillusions etc... entre les 2 projets, pour rendre mon dessin plus lisible et donc publiable...)

Recherche de personnages © David FrançoisQu’as-tu donc fait entre 2007 (et la colorisation de Vilaine) et 2010 ?
Vilaine est sorti fin 2007, il me semble, et j'ai entamé « De briques et de sang » dans la foulée.
Le temps de trouver la bonne patte graphique pour cette histoire et de réaliser les 130 pages de l'album nous a amené à la moitié de l'année 2010.
L'année 2008 n'a pas été très productive pour plusieurs raisons personnelles, ce qui explique, en partie, le temps de réalisation assez long de cet album.
J'ai participé aussi à 2 collectifs pendant cette période, « Cicatrices de guerre(s) » aux éditions de la Gouttière où j'ai signé 4 planches et « Tribute to Popeye » aux éditions Charrette où j'ai pu coucher sur le papier une Olive pleine de charme et de mélancolie.


Vous retrouvez votre compère pour de Briques et de Sang qui vient de sortir chez Casterman dans la décidemment très bonne collection KSTR. Comment est né ce projet ?
Régis et moi avions tout deux envie d'entamer une nouvelle collaboration et de continuer à développer l'univers polar de notre premier bouquin.
Restait à trouver un sujet intéressant à exploiter et c'est en visitant le Familistère de Guise lors des fêtes du 1er mai que Régis eut l'illumination.

Extrait:
Régis : « Et si on racontait une histoire de meurtres en série au sein de cette communauté ouvrière?!! »
Moi : « Ah! Mais oui!! Carrément!! »

Voilà, il n'en faut pas plus pour faire un album sélectionné à Angoulême!! smiley

Planche de l'album © Casterman / David Françoisvu comme cela, ça a l’air simple effectivement ! D’ailleurs, ça fait quel effet d’être nommé à Angoulême?
Ça fait très plaisir bien sûr.
Surtout pour la visibilité que cela apporte au livre.

Comment t’es-tu emparé du projet ? Plus particulièrement comment as-tu donné naissance au familistère de Guise qui est en quelque sorte le personnage principal de l’album ?
Pour commencer, nous sommes allés sur place puisque les bâtiments existent toujours.
Le Familistère est d'ailleurs aujourd'hui aménagé et réhabilité pour être visiter.
Depuis mars dernier le pavillon central est ouvert au public par l'intermédiaire de plusieurs appartements transformés en espace d'exposition et avant ça la piscine et les économats avaient inauguré le programme de réhabilitation et de valorisation du site et de son histoire.

Nous avons donc rencontré le conservateur du site qui nous a fait visiter le Familistère de fond en comble, nous donnant accès à des endroits interdits au public habituellement, comme les caves et les greniers.
Je suis revenu de cette première visite avec plus de 300 photos.
C'est ajouté à ça plusieurs autres photos d'époque qui nous intéressaient, trouvées sur le net et dans 2 ouvrages achetés sur place.

J'avais là le fond iconographique nécessaire pour démarrer l'histoire et m'immerger dans l'ambiance.
Au fur et à mesure de la réalisation des planches, j'ai eu besoin d'avoir une base plus solide, pour ajouter à la crédibilité topographique du lieu (pour éviter que la distance entre chaque bâtiment ne varie d'une case à l'autre par exemple). J'ai donc modélisé, à l'aide d'un logiciel 3D, tout le site: les pavillons, la piscine, les économats et le théâtre.

Je n'avais plus qu'à jouer avec les angles de vue proposées par le logiciel pour construire mes pages.

Planche de l'album © Casterman / David FrançoisCe doit être un travail titanesque! Peut-on voir quelques visuels généré par le logiciel, si possible en vis-à-vis d’un visuel tiré de la bd ?
Modéliser le site m'a pris une dizaine de jours, du fait que je ne connaissais pas du tout ce genre de logiciel. Mais après c'est un gros gain de temps dans la réalisation des planches.

On a beau avoir une doc photo importante et une béquille technologique, rien ne vaut la confrontation directe avec le lieu pour en ressentir l'ambiance.
Nous sommes donc retournés 3 ou 4 fois à Guise pendant les 2 ans et demi qu'a duré la réalisation du livre et nous avons pu nous appuyer aussi sur l'aide du conservateur et de ses collaborateurs pendant toute cette période (demandes de renseignements particuliers ou de photos d'archive non publiées..).

Ces visites in-situ m'ont bien plus nourrit et aidé dans la restitution du lieu et de l'atmosphère que toute la doc que j'avais amassé.
D'ailleurs tous mes efforts et mes questionnements graphiques et narratifs se sont concentrés en grande partie sur la retranscription de l'atmosphère et de l'ambiance ressenties là-bas plus que sur la reconstitution photographique et historique du lieu lui-même.
Je voulais qu'on ressente le lieu.

de la modélisation à la planche de BD © Casterman / David François

Généralement, comment élabores-tu les personnages qui peuplent les histoires que tu mets en scène ?
Il n'y a pas de recette particulière.
Pas de recette du tout d'ailleurs.
Ça me vient naturellement. Je ne vois pas trop comment l'expliquer différemment, je ne m'inspire pas d'acteurs ni de proches.

Comment s’est organisé ton travail avec Régis Hautière ? Du scénario à la planche finalisée, quelles sont les différentes étapes de votre travail en commun? Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser les différentes étapes ?
Le travail s'est fait de manière très classique.

On a discuté avec Régis de cette nouvelle collaboration qui nous tentait et des premiers éléments auquels il avait déjà réfléchit.Puis j'ai lu un premier synopsis.
A partir de là j'ai commencé les premières recherches de personnages et Régis a entamé le découpage écrit des premières séquences de l'album.
Là dessus je réalise les planches N&B que je soumets directement à Régis.
Puis j'attaque la mise en couleur numérique.

Régis me laisse entièrement libre sur la mise en scène. Il ne décrit d'ailleurs qu'assez succinctement les cases, se concentrant plus particulièrement sur les dialogues et le rythme.
Nos rôles se sont naturellement mis en place ainsi et je ne me vois pas travailler autrement.


Making-of
Découpage de la planche 84© Casterman / Régis HautièreStoryboard de la planche 84© Casterman / David FrançoisCrayonné de la planche 84© Casterman / David FrançoisPlanche 84 version noir et blanc © Casterman / David FrançoisPlanche 84 version couleur © Casterman / David François


Quelle étapes préfères-tu ?
L'encrage m'éclate énormément. C'est là que le dessin et l'ambiance surgissent véritablement.
D'ailleurs je n'ai jamais de déception une fois mon crayonné encré.
Beaucoup de dessinateurs perdent énormément d'énergie, de justesse et d'expressivité lors de l'encrage, ça n'est pas mon cas puisque, dès le story-board et les premières recherches, je concentre toute mon attention sur le rendu final et les moyens d'y parvenir le plus efficacement possible.

Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier de dessinateur ?
Les grandes difficultés? Eviter de cracher à la gueule des gens qui nous demandent, une fois leur fou rire passé: « Et sinon tu as un vrai métier à côté? » .

Les grandes joies? Ces brefs instants fugaces et néanmoins intenses où mon pinceau fait exactement ce que je veux qu'il fasse. En gros c'est loin d'être la fête tous les jours...

Planche de l'album © Casterman / David FrançoisDans quel environnement sonore travailles-tu? Silence monastique? Musique de circonstance?
Le juke box ratisse large et balance continuellement.
Des plus tenaces Gogol Bordello aux plus que nécessaires Melvins...
Beaucoup de groupes de la scène picarde aussi, DSK, John Makay, Ashura, Anorak, Marylin Rambo, la Faille...
Et plus généralement la scène française alternative, underground, bizarre, pas pareille, étrange (biffez les mentions inutiles...), ces groupes qui ne passent pas à la radio, qui jouent au fond du café d'à côté, qui communiquent directement avec le public et qui, au détour d'une bière, sont de belles découvertes.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coup de cœur ?
Quelques séries, Six feet under (que je viens de terminer), Mad Men qui démarre très bien, Carnival (même si ça fait quelques temps déjà) ...

Très peu de lecture ces derniers temps, ah si, « Comment les riches détruisent la planète » de Hervé Kempf, très instructif.

En musique, le premier album de As We Draw, découvert la semaine dernière...

As-tu d'autres projets sur le grill?
Une excursion à Abbeville pour nourrir le prochain livre avec Loïc Dauvillier.
Un voyage à New York pour inspirer la prochaine histoire avec Régis.
Et plein de concerts au café d'à côté pour empaqueter tout ça.

Y a-t-il une question que je n'ai pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Non.

Recherche de personnages © David FrançoisPour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire...
Si tu étais...

un personnage de BD : Gaston Lagaffe (non pas pour le côté gaffeur, mais plutôt pour la sihlouette déguinguandée.)
un personnage biblique : Lemmy Kilmister
un personnage de roman : San Antonio
un personnage de théâtre : Vladimir ou Estragon
un instrument de musique : la voix
un jeu de société : pisser dans la neige
une recette culinaire : le foie de veau à l'orange
une boisson : une karmeliett
une pâtisserie : un éclair au café
un proverbe : « If you yant to touch the sky, fuck a duck and try to fly. »

Un dernier mot pour la postérité?
Subséquemment .

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé!
J'en parlais justement avec mon éditeur...

 smiley
Le Korrigan