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Entretien avec Damien Venzi
interview accordée aux SdI en mars 2011


Bonjour! Tout d'abord merci de nous accorder un peu de votre temps...
Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? (parcours, études, âges et qualité,passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)

Pour le compte en Suisse faudra repasser ! Si le travail d’auteur BD payait grassement alors même que l’on est inconnu du milieu pour ainsi dire, ça se saurait. Et même avec quelques albums derrière soit, on à plus souvent droit au lance pierre ou à la poignée de cacahuètes qu’au pactole… à moins de dessiner des ronds et des bâtons. Toute proportion gardée, c’est ce qui rapporte le plus.

Pour le reste je suis de 77, ce qui me fait 33 ans, et je suis titulaire d’un BTS communication visuelle. C’est ce qui m’a donné la base et le goût du travail numérique. Je suis globalement passionné par l’image, cela passe donc aussi par la photo (que je pratique quelque peu) le cinéma (dont je suis gros consommateur) et l’illustration.

Affiche de propagande © Damien VenziEnfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes albums de chevet?
Enfant je ne lisais pas. Enfin, avant que je ne connaisse les « Livres dont on est le Héros » qui m’avaient littéralement passionné. Pour la BD pareil. Les Tintins, Alix et autres Lucky Luke ou tuniques Bleues que j’avais me gonflaient. Je n’aimais pas le style « gros nez » et je n’ai jamais dû lire un album entier. J’avais aussi quelques comics qui ne m’ont pas marqués (les types costumés j’ai jamais réellement accroché, même encore maintenant c’est une esthétique qui ne me convainc pas la plupart du temps). La seule chose qui m’ai plus dans L’île Mystérieuse, c’est les araignées géantes et le tank qui roule sur les mines (si c’est bien dans le même album je ne me souviens plus)… Et puis un jour, quelqu’un d’inspiré m’a offert Le Trio de L’étrange de la série Yoko Tsuno, et j’ai découvert qu’il y avait des BD qui pouvaient réellement me captiver. Les métros/vaisseaux sur rails énergétiques, les cutters laser, j’avais adoré ! Puis plus tard (16-17 ans) il y a eu la grosse révélation des Légendes des Contrées Oubliées de Ségur, et le Tome 4 d’AquaBlue de Vatine agrémenté de son carnet des croquis des recherches autours de l’album. Voilà pour les titres qui ont marqués et influencés mon parcours.

 © Ankama / Damien Venzi[ Devenir dessinateur de BD, était-ce un rêve de gosse ? D'où vient ta passion du dessin?
Avec le recul je dirai que oui. Aussi loin que je me souvienne j’ai aimé dessiner et raconter des histoires en donnant la part belle au dessin. Assez sommairement au début, ce n’étaient que des récits illustrés bourrés de fautes d’orthographe et que je reliais maladroitement à coups d’agrafeuse, Au final ça ressemblait à un livre, pauvre en pages mais un livre tout de même. Et puis petit à petit j’en suis venu à des formes plus structurées, avec des dessins dans des cases. Vatine et son AquaBlue a été celui qui m’a amené à faire mes premières « planches »…
L’illustration est un mode d’expression qui m’a toujours fait rêver. J’ai depuis tout jeune eu tendance à fantasmer mes propres histoires bien que je sois incapable d’écrire un scénario digne de ce nom aujourd’hui… du coup je me cantonne à l’image.

D’ailleurs, à mieux y réfléchir, il y a toujours eu ce côté que l’on pourra qualifier de « sombre » dans mes dessins, et ce depuis tout gosse. Les squelettes et autre têtes de mort, les soldats, chevaliers, monstres, zombies et dragons (j’étais friand de ce genre d’imaginaire)… Du coup maintenant je continue du côté obscure de la force. D’ailleurs je ne sais « bien faire » que cela, ou presque. Le reste ne m’intéressant guère il faut l’avouer. En ce qui concerne mon travail en tout cas.

En 2009 paraissait le Profileur scénarisé par Thierry Lamy... Comment vous-êtes vous rencontré?
Par l’intermédiaire de l’éditeur 7ème Choc qui avait remarqué mon travail sur Café Salé à l’époque. Il avait ce projet de BD autour des Serial Killers et voulait quelque chose dans le ton niveau graphisme. Il avait accroché sur mes planches qui, comme à l’accoutumé, faisaient dans le sombre. De son côté Thierry avait répondu à un « appel d’offre » du même éditeur il me semble, et c’est comme ça que l’on c’est retrouvés à bosser là dessus après un bout d’essai concluant.


Les chiens du Weltraum, premier tome de la trilogie Skraeling vient de paraître... Comment est né ce projet?
D’une envie que j’avais de faire quelque chose dans la veine de Jin Roh. Mamoru Oshii restant l’une de mes plus grosses influences de ces dernières années. J’avais envie de rendre hommage au maître en quelque sorte. Mais avant même Jin Roh, c’est l’univers graphique d’Avalon qui m’avait complètement passionné. J’ai donc dressé un tableau où j’ai exposé les grandes lignes du background et mes envies et j’ai soumis tout cela à Thierry avec quelques vieux photomontages sur le sujet qui commençaient déjà à dater, et il m’a dit « Bingo ! » (ou quelque chose d’équivalent).
Nous avons donc bossé sur le dossier pour démarcher les éditeurs qui l’ont tous refusé. Un ou 2 on fait mine de s’y intéresser mais de manière peu convaincante et pour tout de même nous dire « non » en dernier lieu. Au final nous avons été repêchés In Extremis par Ankama, l’éditeur de la dernière chance, et quelques 2 ans après, voilà Skraeling sur les étales.

 © Ankama / Damien VenziQu’est ce qui t’a séduit dans Jin-Roh?
Le design des Panzer Cops et leur esthétique inspirée de l’Allemagne de la 2nd Guerre. Ce concept a fait date et a été source de nombreuses inspirations jusqu’à aujourd’hui, Skraeling n’y coupe pas. Il c’est imposé chez nous avec l’anime Jin Roh en 99, mais il apparaissait déjà en 87 dans The Red Spectacles (préfiguration de son futur Avalon en quelque sorte), le premier film live de Mamoru Oshii mettant en scène les Panzer Cops. Il y a notamment eu tout un tas de versions différentes de ces armures qui ont évoluées au file du temps.

Tu as donc esquissé l’univers dans lequel prendrait place l’histoire… S’est-il construit de concert à sa représentation graphique? Des décors aux uniformes inquiétants, comment as-tu élaboré cet univers sombre et oppressant qui tien lieu de cadre à cette uchronie?
Le côté sombre est « naturel » chez moi comme je l’ai dit plus haut, il c’est donc mis en place ici de manière logique, surtout que l’histoire n’appel pas un univers gaie et joyeux. Pour ce qui est de l’esthétique générale, bâtiment uniformes architectures et autres véhicules, je me suis beaucoup documenté visuellement sur la période de la 2nd Guerre Mondiale et un peu plus largement sur les conflits armés. La page FaceBook de Skraeling (tinyurl.com/skraeling) donne à voir quelques parallèles avec certaines images historiques (mais pas seulement) justement. Ce sont donc pour beaucoup des réinterprétations. Bien entendu j’ai essayé d’y apporter une touche personnelle au niveau des designs même si la base est déjà vue et que je n’invente donc rien.
Pour ce qui est de l’histoire, nous en avons discuté avec Thierry mais je lui faisais confiance, j’avais posé un cadre qu’il c’est empressé de dépasser pour un résultat sans doute meilleur au final. Certains designs sont donc apparus après coup, au fil du récit (ce qui me fait dire que si nous les avions anticipés, certains véhicules auraient été différents au final).

 © Ankama / Damien Venzi L’apparence du personnage Köstler a-t-elle coulée de source?
En ce qui concerne l’apparence de Köstler je dirais oui et non. Son visage c’est en quelque sorte imposé très vite à moi. C’était lui ! Seulement en le mettant en scène dans les planches nous nous sommes rendu compte qu’il lui manquait quelque chose niveau aspect physique. Il manquait de présence, de caractère. Pas assez identifiable comme personnage principale. Les tatouages ont donc fait leur apparition lors de la scène de torture avec Kiel et ses hommes (à plus de la moitié de l’album). Il a donc fallut que je reprenne chaque case où il apparaissait avant cela pour lui rajouter. Au final, le perso a gagné en épaisseur et en force.

Du synopsis à la planche finalisée, comment s’organise le travail avec Thierry Lamy ? Quelles sont les différentes étapes de ton travail ? Serait-il possible de les visualiser sur une planche donnée?
Hum, je n’ai pas (plus) de planche qui montre les différentes étapes de mon travail. Je n’ai même plus les story que j’ai jeté au fur et à mesure. En fait, Thierry et moi travaillons sur un forum privé sur le net, une sorte d’atelier virtuel où nous sommes une poignée de dessinateurs et de scénaristes BD. La plupart ont déjà quelques parutions derrière eux et les autres sont sur le point d’en avoir. Niveau organisation donc, je fais le storyboard que j’envoie à Thierry pour validation. Une fois passé cette étape, je pose la base de ma planche, c’est à dire le trait + les couleurs que je travail par masses et sans dégradés dans un premier temps (couleur de base + ombres), ainsi que les éléments de décors brut de décoffrage. Ensuite je poste ça sur le forum et on tient compte des retours divers et variés.

Je finalise ensuite ma planche en rajoutant les lumières et en dégradant les masses pour les fondre les unes avec les autres. Je rajoute enfin quelques textures par ci et par là, et je filtre très légèrement mes images avec une série de réglages maison. Je poste la planche finale sur le forum pour l’ultime validation et ainsi de suite.

 © Ankama / Damien VenziQuels outils utilises-tu pour élaborer tes planches?
Le tout numérique ! J’ai abandonné crayons et pinceau depuis longtemps déjà. C’est palette Graphique et ordinateur en ce qui me concerne. Skraeling est une BD de son temps. Et puis obtenir de telles ambiances avec une colorisation traditionnelle demanderait un niveau technique expert (que je n’ai pas) et prendrait un temps fou sans doute (déjà que ça m’en prend pas mal).

Combien de temps te prend en moyenne la réalisation d’une planche?
Je tourne à 8/10 cases par semaine avec cette technique. Cela dépend donc du format de la planche. Pour Skraeling c’est du 1 planche et demi semaine, Le Profileur c’était 1 planche semaine.

Planche Skraeling © Ankama / Damien VenziQuelle étape préfères-tu dans la réalisation d’un album?
Celle de la conception. Les persos, les décors, les véhicules, armes etc. Le Concept Art. J’aime aussi illustrer les scènes qui donnent la part belle à des éléments d’ordre technique si je les sens bien.

Dans quel environnement sonore travailles-tu habituellement?
Le son a son importance bien entendu. Musique en premier lieu, avec une préférence pour le lent, lourd, sombre, mélancolique, lyrique. Radio aussi avec France Culture et tout ce qui porte sur la socio/psycho/philo.

En tant que dessinateur, comment vis-tu les séances de dédicaces?
Pas super bien. Le regard des gens me gène assez quand je dessine. Je préfère être seul devant mon écran qu’entouré de regards porteurs d’une attente et donc d’une possible déception. Ils attendent LA dédicace qui tue, et je ne fais que des petits pattés, parfois pas super bien foutus, qui à mon sens pourrissent l’album plus qu’autre chose. Mais certains diront que j’exagère, comme à mon habitude. Et puis ça me vide et me colle dans une sorte de déprime post-natale qui n’est jamais très agréable. Qui plus est je me rend compte que l’ordinateur déforme ma façon de bosser de manière traditionnelle. Je rajoute je rajoute je rajoute et quand il y en a trop c’est foutu, pas de Pomme Z ou d’historique pour revenir en arrière, il faut tricher, et cela devient périlleux de retomber sur ses pieds. Je le sais, mais je me fais toujours avoir.

Planche Skraeling © Ankama / Damien VenziDans quel état d’esprit étais-tu au moment de la publication du premier tome de Skraeling?
Un mélange d’anxiété et d’excitation. Et l’appréhension des critiques. Activité avec laquelle j’ai bien du mal. Savoir comment va être accueilli cet album pour lequel je me suis donné à 150% (j’aurai préféré 200, mais ça a déjà failli me coûter ma santé nerveuse). Projet dont on a pas à rougir et qui a un certain potentiel croit-on.
Une critique ça peut faire du dégât, même s’il y a bien souvent une part de subjectivité trop présente là dedans. Comment prendre 2 avis complètements opposés sur un même sujet ? L’un des 2 à une meilleure culture ? De meilleures références ? De meilleurs goûts ? Lorsque l’on sait que cela peut faire la pluie et le beau temps sur une œuvre cela peut devenir très vite rageant. Il y a donc toujours la peur d’être négligé ou descendu au passage. La crainte de ne pas faire suffisamment de ventes aussi. Si ça ne marche pas : retour à la case départ. Il y a donc une certaine pression qui va avec la satisfaction et le plaisir d’avoir enfin entre les mains un album dont on est content.

Planche Skraeling © Ankama / Damien Venzi Quels sont tes derniers coups de cœur, tous médias confondus?
Valhalla Rising ! (DVD) Gros coup de cœur. Une atmosphère excellente.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Il me semblait qu’il y en avait une oui… Mais laquelle, ça… Ça me reviendra quand l’interview sera publiée à coup sûr.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire...
Dur dur ce genre de questionnaire, c’est trop réducteur et j’ai du mal.

Si tu étais...

un personnage de BD : Je n’en sais rien… je ne lis pas beaucoup de BD. Mais même en regardant dans ma bibliothèque, je n’en sais trop rien… Boba Fett ? Bien que je ne sois pas un véritable salaud pour ma part…
 © Ankama / Damien Venziun personnage biblique : St Thomas… Ou Jésus, mais sur le chemin de croix, et jusqu’à la crucifixion. À côté de cela surtout pas... Ou pour mieux pouvoir débarrasser le monde de ma présence !
un personnage de roman : … Oscar, de Let The Right One In . À moins que cela ne soit « Le Stalker » de Stalker (le film, pas le livre… Il est un peu trop salaud et intéressé à mon goût dans le livre). Un des Chevaliers Errants de Hugo ! Ça oui !
un personnage de théâtre : Le théâtre c’est pas vraiment mon truc…
un instrument de musique : Guitare ? Piano ? Pourquoi un seul d’abord ?!
une oeuvre d'art : C’est trop précis comme questions… Du Giger, Du Beksinski, du Hans Bellmer, du Gérard Trignac, du Piranèse, du Michel Haillard, du Julia Deville, et j’en oublie sans doute.
un jeu de société : Je ne suis pas fan de jeux de société… Mais quitte à choisir, WarHammer 40 000…
une ville : Le Paris Poètes… Prague ? Je ne connais qu’en images… Du romantisme quoi.
une recette culinaire : … Côte de bœuf au feu de bois ? Ce n’est pas vraiment moi ni même un plat d’auteur de BD méconnu mais enfin.
une boisson : Café.
une pâtisserie : Paris-Brest ?... Ou gâteau à la crème de marron !
un proverbe :… J’en ai une liste longue comme le bras. Enfin, plutôt de citations. Je ne sais pas du coup.

Un dernier mot pour la postérité?
… Je risquerai de devenir vulgaire… Je me contenterai d’un « Non merci ! » donc… Hum, quoique… Tout bien considéré… Si c’est pour la postérité : « C’est d’la Merde !!! » m’irait aussi très bien.

Merci pour le temps que tu nous as accordé !

Photo de Damien Venzi
Le Korrigan



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