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Entretien avec Dobbs
interview accordée aux SdI en juillet 2012


Bonjour et merci de te (re)prêter au petit jeu de l’entretien…
D’ici quelques jours paraissent « Une aube rouge », second tome d’Alamo et « Au cœur des Ténèbres », premier tome de Scottland Yard, mis en image par l’immense Stéphane Perger, tous deux dans la collection 1800… Qu’est ce qui t’attire dans cette collection?

Dobbs : J’ai eu d’autres occasions de le dire, mais l’image est là : cette collection c’est un énorme terrain de jeu, un gigantesque bac à sable pour les scénaristes. Certes, nous sommes limités au 19eme siècle, mais quelles possibilités tout de même !
J’ai eu autant le choix de travailler sur de l’adaptation de roman, de l’uchronie, du fantastique, du western historique… Bref, pour celui qui aime comme moi cette période, c’est un vrai cadeau que de pouvoir travailler à l’écriture de ces diptyques 1800.

L’aspect diptyque fait-il partie du cahier des charges de la série? Quels sont pour le scénariste que tu es les avantages et les inconvénients de ce format ?
Dobbs : Tout à fait, deux tomes c’est la base du concept en plus de l’époque. Il n’y a à mon avis que des avantages : cela permet de développer une histoire complète sur 92 pages, avec une articulation entre les deux tomes et des caractérisations de personnages largement suffisantes. C’est un challenge/exercice très agréable qui permet aussi de ne pas faire attendre trop longtemps le lecteur et donc de ne pas trop le frustrer. En fait, c’est un équilibre, une sécurité et du fun…

Qu’est ce qui t’as donné envie de te pencher sur l’histoire du siège d’Alamo, l’un des grands mythes fondateurs des Etats-Unis ?
Dobbs : J’ai toujours voulu écrire sur la chute de ce fort… les seules choses qui me manquaient étaient l’opportunité et l’angle. Jean-Luc istin (directeur de la collection) m’a tout de suite dit ok pour le traitement réaliste de cette bataille devenue légende, et je n’ai plus eu qu’à trouver le point de vue dominant du récit.
Le personnage historique du seul français du fort, Louis Rose, vétéran des guerres napoléoniennes m’a paru la bonne accroche : je l’ai juste rajeuni et inséré dans un complot d’assassinat lié aux ambitions politiques de certaines figures de l’époque. Alamo devenait alors un monstre singulier, bien différent du traitement manichéen du film de et avec John Wayne…

Un collier bien inquiétant © Soleil / Dobbs / Stéphane PergerContrairement à d’autres albums de la (jubilatoire) collection 1800, les personnages d’Alamo sont puisés dans l’histoire et non dans la littérature, bien que de nombreuses choses aient été écrites à ce sujet. Comment as-tu travaillé en amont du scénario? Quelles furent tes principales sources de documentation?
Dobbs : Des documents historiques autour de Bowie, Travis, Crockett, Santa Anna, Houston et Rose. Sur le net, dans pas mal d’ouvrages y compris ceux de l’éditeur Osprey sur les tactiques, les tenues militaires, les formations d’attaque, les cartes de l’époque.
Bref, un long travail d’approche sur la politique de la jeune république du Texas et des enjeux pour des gens très impliqués et importants comme Sam Houston, et cette bonne vieille trogne de Davy Crockett, plus ambitieux qu’un simple coureur des bois.
Alamo c’est un western classique, mais c’est aussi un thriller politique qui focalise les tensions sur un huis clos dont tout le monde connait l’issue, sans forcément avoir conscience des enjeux à courts et moyens termes.

Peux-tu en quelques lignes nous faire le pitch de Scottland Yard…
Dobbs : Une équipe singulière d’enquêteurs affiliés à Scotland Yard doit pactiser avec la pègre londonienne pour mettre hors d’état de nuire deux aliénés mentaux particulièrement dangereux qui répandent terreur et mort dans la capitale.

La façon d’appréhender l’aliénation a connu à cette époque de grands bouleversements. L’élaboration du scénario a-t-il donné lieu à de nombreuses recherches documentaires? Quelles furent tes principales sources?
Dobbs : J’ai eu pour mes études en criminologie et sociologie criminelles (avec une thèse avortée sur les serial killers) pas mal de docs en stock. Et comme j’avais commencé par des BD biographiques sur les tueurs Ed Gein et Ted Bundy, cela m’a semblé « naturel » hehehe.
Le travail a été plutôt de se focaliser sur un environnement non fantastique avec des repères/jalons techniques et historiques dans l’histoire policière anglaise. J’ai pris contact avec le Yard et plusieurs de ses responsables qui m’ont donné de la matière. Le reste, c’est de la recherche personnelle et un jeu avec les personnages fictifs et réels ( et un sous-texte lié à la tentative d’écriture d’un nouveau roman par Bram Stoker, mais chut, tu en sais trop).

Faustine Clerval © Soleil / Dobbs / Stéphane PergerLe nom de Scotland Yard évoque de suite certaines figures tirées des romans populaires du XIXième siècle. Aura-t-on droit à quelques enquêteurs « guest-star » dans cette nouvelle série ?
Dobbs : Il y a toute flopée de personnages secondaires du Yard dans beaucoup de romans, alors je m’en suis emparé pour leur faire vivre quelque chose de différent. On y retrouvera pas mal de seconds couteaux de Sherlock Holmes (comme Lestrade, Gregson, Bradtreet, Wiggins, Moran etc), mais aussi quelques personnages liés à Jules Verne, et surtout on assistera au retour de Faustine Clerval (un personnage de Mister Hyde contre Frankenstein très apprécié par les lecteurs).

Le scénario restera-t-il rationnel ou lui as-tu apporté une touche plus ou moins prononcée de fantastique?
Dobbs : Pour moi, rien de fantastique dans Scotland Yard. C’est un pur thriller d’atmosphère qui permet de se focaliser sur les personnages, sans être détaché du réel par un principe fantastique. C’est d’autant plus agressif, manipulateur et viscéral… Forcément, on craindra ainsi plus pour les protagonistes, car tout peut arriver dans cette réalité sordide.

Comment est né ce projet et comment as-tu rencontré Stéphane Perger, illustrateur et dessinateur talentueux dont on a pu admirer le travail dans Sir Arthur Benton de Tarek, ou dans Sequana de Léo henry ?
Dobbs : J’ai adoré son travail sur Sequana et j’ai relu Sir Arthur Benton avant de le contacter. On s’est entendus sur le type d’histoire à faire, et surtout l’atmosphère qui devait y régner. On a monté le projet et j’ai présenté Stéphane à Jean-Luc Istin à l’avant dernier festival d’Angoulême pour la négociation du contrat. L’affaire était rapidement faite, et nous sommes partis sur les recherches de personnages et les lieux à traiter en priorité.

Scénario de la page 2 © Dobbs As-tu travaillé avec Stéphane comme avec les autres dessinateurs qui ont mis tes histoires en images?
Dobbs : Oui, on a longtemps discuté de l’atmosphère, du type de personnages, des passages clefs qui demandaient des références cinématographiques, picturales etc… Stéphane m’a fait des propositions, et on a avancé au fur et à mesure jusqu’aux premiers crayonnés des premières planches…
Je savais que sa couleur directe sur ses crayonnées serait à tomber, et je n’ai pas été déçu par son travail de fou. Après, chaque dessinateur a son approche, son rythme, sa façon de traiter la lumière et les ellipses entre les cases, c’est ça qui me plait : voir les choses prendre une autre dimension d’après le texte et, ce, de façon différentes à chaque fois.

Crayonné de la page 2 © Soleil / Dobbs / Stéphane PergerComment penses-tu tes personnages lors de l’écriture d’un scénario ? Chaque personnage fait-il l’objet d’une fiche étoffée présentant leur histoire, leur motivation et leur apparence? Serait-il possible de visualiser ce travail pour un personnage donné ?
Dobbs : Bien que j’ai travaillé un temps pour l’industrie du jeu (pour le jeu de rôle, plus précisément), je n’ai jamais eu cette approche par fiche. Je fais des portraits et ensuite les personnages prennent vie par les dialogues, le rythme et ce qui mettra le dessinateur. J’ai une idée physique de ce à quoi ils peuvent ressembler et ensuite on s’est débrouillés avec Stéphane pour leur donner une âme et une sensibilité.
On peut donner des exemples de crayonnés tests sur Wiggins, l’enfant des rues, ou encore Faustine Clerval dont l’apparence dépendait de l’autre ouvrage dans lequel elle apparaissait (mais le lecteur n’a pas à connaître Mister Hyde contre Frankenstein pour apprécier Scotland Yard).

Lors de tes découpages, suggères-tu les cadrages au dessinateur ou lui laisses-tu une grande liberté pour la composition des planches ?
Dobbs : J’ai pour habitude de travailler progressivement du synopsis au découpage en passant par le séquencier. Je pense très rapidement en images, donc mes séquences et les planches sont découpées image par image avec tout le descriptif pour le dessinateur.
Par la suite, rien n’est figé, cela dépend aussi du feeling et de l’indépendance de l’artiste avec qui je bosse. On peut faire plusieurs allers-retours avec lui pour voir si des solutions peuvent être adoptées pour booster le récit, le rendre plus dynamique, plus compréhensible ou juste plus fun. Mais j’aime découper intégralement mes albums, ça me permet d’avoir un rôle de scénariste et de (co)réalisateur en BD hehehe…

Planche 2 finalisée © Soleil / Dobbs / Stéphane PergerSur quels autres projets travailles-tu actuellement ?
Dobbs : Je finis l’écriture en ce moment du 2eme et dernier tome de Loki avec benjamin Loirat aux dessins. J’ai entamé une collaboration étonnante avec Ricardo Tercio sur un Dofus Monster pour Ankama, les lecteurs seront très surpris je pense par le ton et l’approche…
Plusieurs autres projets one-shots, séries, ou autres trucs étranges sont en cours de concepts / élaboration en ce moment même. Je lance les amorces aux éditeurs, on verra ce que cela donnera ultérieurement.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Dobbs : Les courts-métrages de mes étudiants à ARTFX, l’école d’effets spéciaux dans laquelle j’enseigne l’histoire du cinéma et l’analyse de films. C’est la première promotion que je suis depuis le début, cad 4 ans et ça m’a fait vraiment quelque chose de les voir partir vers de nouveaux horizons professionnels. Ils ont fait des merveilles, et j’en suis très fier…
Site école
Films

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé et pour le plaisir jubilatoire que nous avons eu en lisant ce premier tome…
Recherche de personnage© Soleil / Dobbs / Stéphane Perger
Le Korrigan