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Entretien avec Nicolas Guibert
interview accordé aux SdI en octobre 2012


Nicolas Guibert est en charge de la nouvelle plateforme de jeu en ligne Happy Meeple, une plateforme particulièrement adaptée aux personnes qui ne connaissent pas le jeu de société moderne. A l'occasion de la future sortie de la version 2 du site, Nicolas répond à nos questions.

Bonjour et tout d’abord un grand merci de nous accorder un peu de ton précieux temps pour répondre à nos questions !
C’est avec grand plaisir. Un grand merci aux Sentiers de l’imaginaire de me donner l’occasion de m’exprimer sur votre fort joli site !

Peux-tu en quelques mots nous parler de toi ?
J’ai 39 ans. Je suis marié et j’ai 2 enfants adorables de 3 et 5 ans dont la culture ludique est déjà impressionnante. Je vis à Londres, une ville agréable à l’accent de plus en plus français. Je suis ingénieur en génie chimique de formation, mais je n’ai jamais exercé que dans l’informatique.

Enfant, quel joueur étais-tu? Mon petit doigt me dit que les dames occupaient une place de choix… Quels étaient tes autres jeux de chevet ?
Côté jeu de société, du classique… Scrabble, Monopoly, Risk ou encore Scotland Yard. Par ailleurs, j’ai eu la chance d’avoir très tôt un ordinateur à la maison et j’ai donc beaucoup joué sur écran. Je me souviens en particulier d’un incroyable jeu de flipper, de Lode Runner, et plus tard de Civilization.
Il y a eu Jeux et Stratégie aussi. Je ne comprenais pas tout aux problèmes de maths qui y étaient posés mais l’éclectisme de ce magazine était extraordinaire pour le joueur isolé que j’étais.
A 15 ans, j’ai ouvert mon premier livre de jeu de dames. Ce sport de l’esprit difficile est rapidement devenu ma passion. Au point de publier des traductions de livres néerlandais ou de me lancer plus tard dans la programmation d’un logiciel de jeu de dames et même d’organiser le premier match homme-machine de la discipline. Ce dernier événement reste d’ailleurs mon moment de gloire puisque de manière complètement inattendu, « Le Monde » fit un papier sur le match. En soi, cela n’avait rien d’extraordinaire. Ce qui le fut en revanche c’est que l’article fut publié sur la couverture! Il faut croire que l’actualité ne battait pas son plein ! C’était en plein mois d’août…

Version 2 du site, mis en place prochainementComment es-tu passé du jeu de dames aux cubes en bois ? Un jeu en particulier t’a-t-il fait basculer dans l’univers passionnant des meeples?
Ce fut une transition en deux étapes en fait. Je me suis d’abord pas mal investi dans le poker puis le backgammon. C’est sans doute là que j’ai pu commencer à apprécier les nombreuses vertus du hasard dans les jeux.
Je ne sais plus ce qui m’a fait basculer dans le monde des meeples. Je me rappelle néanmoins que j’étais dès le début très intéressé par la création de jeux. J’ai beaucoup lu, acheté et pratiqué les jeux avec l’idée de comprendre les tenants et aboutissants du secteur. Toujours avec l’idée de parvenir à créer un jeu digne de ce nom. Comme tout aspirant game designer, j’ai quelques prototypes dans mes cartons ainsi qu’une dizaine d’idées de jeux supplémentaires dans la tête. Mais force est de constater que le plus dur n’est pas d’avoir des idées, c’est d’en faire quelque chose qui tienne la route, et c’est extrêmement difficile. C’est pourquoi les auteurs de jeu, les vrais, ont toute mon admiration et c’est aussi pour cette raison que les noms des auteurs sont mis en valeur sur Happy Meeple, comme nulle part ailleurs.

Quels sont aujourd’hui tes jeux de chevet ? Quel est ton dernier coup de cœur ludique ?
En vrac, Dominion, Race for the Galaxy, Yggdrasil, Pingouins, Medina, Himalaya, La Havane, Times up, Linq, Dixit, Unanimo, Offboard, Carcassonne, Les Citées perdues (Lost Cities), Schotten Toten, Cœur de Dragon, Colorpop, Ra the dice game, Thurn and Taxis, Génial, et avec les enfants la course des tortues. Mon dernier gros coup de cœur, c’est Qin, un jeu qui me fait penser au Go.

le logo du site Happy MeepleComment est née l’idée de Happy Meeple? Combien de temps s’est-il écoulé de l’idée à sa concrétisation?
C’est en jouant à Carcassonne sur Iphone. Non seulement l’application était très réussie mais en plus elle proposait un système d’appariement des joueurs relativement peu courant et diablement efficace. Au lieu de créer une table comme partout ailleurs et d’attendre un hypothétique adversaire, l’application vous attribuait automatiquement un adversaire au bout d’un temps relativement raisonnable (moins d’une minute). Non seulement, ce système permettait aux joueurs de commencer une partie en ligne sans complexité d’interface, mais en plus, contrairement à la plupart des autres applications de jeu de plateau, on trouvait effectivement un adversaire !
Il y avait quand même un problème de taille : la moitié des parties ne se terminaient pas. L’adversaire disparaissait dans la nature. D’où une importante frustration.
Parallèlement, je constatais que des centaines de millions de personnes jouaient sur Internet tous les jours et le plus souvent à des jeux médiocres. Y avait-il de bonnes raisons pour que les gens n’apprécient pas nos bons jeux de plateau ? Selon moi, la réponse était non. Mais pour avoir une chance de toucher le grand public, il y avait pas mal d’écueils à éviter. L’utilisateur lambda n’est pas le geek moyen : il n’a a priori aucune patience ni aucune référence ludique et doit donc être pris par la main.
C’est en réfléchissant à toutes ces problématiques que les concepts principaux d’Happy Meeple sont nés.
Pour séduire le non-joueur, il fallait d’abord une interface simple et intuitive. Ensuite, il fallait expliquer les règles. Un tutoriel pour chaque jeu était indispensable.
Parce que tout le monde ne parle pas anglais, il fallait aussi que le site soit multilingue (et en français bien sûr).
Pour toujours trouver un adversaire rapidement, l’idée des robots (Intelligence Artificielle) était naturelle. Encore fallait-il que ces robots soient de qualité ! Ceux qui pratiquent beaucoup les applications Iphone savent combien cela est rare. Par chance, c’est quelque chose que je savais faire.
Pour que les parties aillent jusqu’à leur terme, il fallait deux choses. Tout d’abord, des jeux courts : une partie de 5 minutes a moins de chances d’être interrompue qu‘une partie d’une heure. Ensuite que les débutants ne puissent pas jouer en ligne sans avoir montré qu’ils maitrisaient les règles : une expérience minimale serait donc demandée avant de pouvoir jouer en ligne.
Il manquait un dernier élément pour espérer atteindre l’indispensable masse critique : que la plateforme soit accessible partout, dans tout navigateur, sans plugin. Aujourd’hui Happy Meeple est même jouable sur smartphone ce qui donne aux joueurs la possibilité de jouer loin de chez eux.
D’autres idées se sont greffé ensuite, mais l’essentiel était là. Il ne restait plus qu’à développer tout cela ! Pas une mince affaire !
Le chantier a commencé en septembre 2010 pour un lancement en mars 2012. Le projet a été très bien accueilli par la communauté ludique et nous avons désormais une bonne base de joueurs réguliers. Nous serons très bientôt en mesure de communiquer sérieusement auprès du grand public et espérons ainsi convertir un grand nombre de visiteurs à notre passion commune.

Interface de Keltis Or, un jeu de Reiner KniziaLe temps et la simplicité sont-ils les principaux critères pour voir un jeu transposé sur Happy Meeple ?
Ce sont des critères importants en effet. Nous voulons aussi des jeux qui allient stratégie (plutôt que la tactique de préférence) et hasard. Idéalement, le champion du monde peut se faire battre par un débutant sur une partie. Il faut aussi que le jeu ait une grande rejouabilité et bien sûr qu’il soit jouable à 2.

Développes-tu seul les algorithmes des différentes adaptations proposées sur Happy Meeple?
En effet. Ces intelligences artificielles sont d’ailleurs l’un des points forts du site, les tutoriels étant le deuxième.

En matière de droit, quelle est la législation en vigueur pour transposer des jeux de société sur une plateforme virtuelle? Est-ce chose aisée que d’obtenir cette autorisation?
Les jeux sont soumis au droit d’auteur (même si en réalité c’est essentiellement la syntaxe de la règle du jeu, le titre du jeu et les graphismes qui sont protégés et pas vraiment les mécanismes). Il faut donc obtenir l’autorisation auprès des ayant-droits. Certains auteurs gardent les droits numériques et c’est avec eux qu’il faut traiter. Mais le plus souvent, ce sont les éditeurs qui ont ces droits. Quant à savoir s’il est simple d’obtenir une autorisation, il n’y a pas de règle générale. Disons que c’est en général plus direct et plus simple avec les auteurs.

Tutorial de Level X, un jeu de Stefan RisthausPeux-tu nous parler plus en détail du meta-jeu développé sur le site? Quelles idées ont présidé à son élaboration?
Lors des phases de développement, mon principal testeur ne cessait de se demander s’il ne manquait pas encore un petit quelque chose pour inciter le joueur à revenir. Il y avait déjà le système de meeples qui comme les ceintures au judo indiquent la progression du joueur jusqu’au meeple noir dé 6 (=6ème dan).). Il y avait aussi tous les trophées (victoires contre les bots, victoires successives, meeples). Et il y avait aussi le système de classement. Malgré tout cela, mon testeur favori continuait à suggérer une couche supplémentaire. Puis un jour en me rendant à UK Game Expo à Birmingham, j’ai vraiment réfléchi à la question et en suis arrivé à l’idée du méta-jeu.
Dans le monde d’Happy Meeple, il faut de la nourriture pour jouer. Chaque partie coûte de la nourriture. Le méta-jeu est un petit monde médiéval que le joueur construit petit à petit et dont une des logiques principales est d’obtenir plus de nourriture. Les habituels suspects sont là : or, bois, briques, pierre et des bâtiments. Il y a un château (dans lequel on prend les décisions), un marché (dans lequel on échange les ressources), des routes (qui augmentent la productivité de nourriture), des greniers (qui permettent de stocker plus de nourriture). Il y aura bientôt une ferme (pour produire de nourriture), un port (pour aller pêcher), un épicier (pour acheter la nourriture à l’unité) et bien d’autres encore. A terme, la carte représentant ce petit monde devrait également représenter les progrès du joueur. Le château indiquera le statut du joueur.
Ajoutons que le joueur gagne de l’or régulièrement. Il peut l’utiliser à sa guise, soit en nourriture directement (stratégie court terme peu recommandée), soit en construisant des bâtiments, soit en déverrouillant des robots, soit enfin en déverrouillant des nouveaux jeux (car seuls Lost Cities et Finito! sont accessibles au nouveau joueur pour ne pas le noyer). Le joueur est donc face à un choix. A lui de se fixer se propres objectifs.
Le méta-jeu a plusieurs avantages. Mais s’il faut résumer ceux-ci, on peut dire que l’objectif principal du méta-jeu est de donner du sens à l’ensemble, une cohérence. C’est très bien de jouer à un de nos jeux, mais j’aime l’idée que l’on puisse faire un voyage dans le monde du jeu de société moderne, que de nouveaux joueurs découvrent notre passion dans un environnement cohérent qui la met en valeur.

Vue d’ensemble des botsParlons chiffre… Combien de joueurs se sont inscrits sur Happy Meeple depuis sa création? Combien de parties sont jouées quotidiennement sur cette plateforme?
Nous avons aujourd’hui 3500 comptes créés, près de 150 joueurs par jour et nous approchons les 1000 parties par jour.
Nous avons également près de 800 j’aime sur Facebook ce qui n’est pas rien. 60% de nos joueurs Facebook aiment Happy Meeple. C’est un très fort ratio qui montre que ceux qui essayent la plateforme sont majoritairement satisfaits. Et cela nous fait très plaisir bien sûr.
Tous ces chiffres devraient rapidement augmenter puisque nous allons bientôt commencer à investir dans de la publicité.

De nouveaux jeux sont-ils d’ores et déjà en développement ?
Même si le site est déjà très complet, il y manque encore quelques briques importantes. Nous nous concentrerons sur ces briques avant d’implémenter de nouveaux jeux. Ceci étant, pour le joueur casual qui découvre notre passion, les 5 jeux présents actuellement ont déjà de quoi l’occuper pendant de longs mois.
Mais soyez rassurés ! Il y aura de nouveaux jeux, la question est simplement de savoir quel en sera le type. Deux options s’offrent à nous : continuer dans le même format de jeu court et accessible ou proposer un ou deux jeux légèrement plus difficiles pour permettre de prolonger la courbe d’apprentissage de celui qui découvre le jeu de de société moderne par notre intermédiaire. Le joueur casual est notre cible prioritaire.
En attendant qu’on se le dise ! Happy Meeple est la seule plateforme qui soit spécifiquement développée pour permettre au débutant de découvrir le jeu de société moderne. Tout geek qui se respecte doit donc le recommander à ses amis et à sa famille smiley

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Le Korrigan