Tout d’abord, un grand merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien !
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposée au tutoiement ?
Bah non.
Merci bien ! Peux-tu te présenter en quelques mots (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue et comptes numérotés en Suisse) ?
Je suis montréalaise, je m’appelle Julie, je fais des dessins. J’ai terminé des études en dessin animé (tradi) en 2002 puis j’ai fait du storyboard et du design de perso pour différents studios, pendant plusieurs années. À côté de ça, j’ai fais aussi de l’illustration pour divers projets (livre jeunesse, jeux de table, affiche pour des évènements, etc...) De nos jours, je fais surtout de la BD, mais j’aime aussi me prétendre naturaliste amateur, coureuse de fond novice et joueuse d’harmonica médiocre.
Enfant, quelle lectrice étais-tu ? Quels étaient alors tes auteurs de chevet ?
Les mêmes bd que tous enfants lisent en France, je crois: Astérix, Tintin, Lucky Luck, etc... A 9-10 ans, j’étais fan de Yoko Tsuno. Un peu plus vieille, je réalisai enfin le génie de Franquin.
Sinon, avant la puberté je lisais aussi régulièrement le dictionnaire, des cartons de lait, des livres sur les bestioles...
Devenir dessinateur de BD, étais-ce un rêve de gosse ?
Oui. je suis passée au dessin animé parce que de ça, je pouvais en vivre. Mais je n’ai jamais complètement cessé mes enfantillages, alors éventuellement la bd m’a retrouvée.
Quelles sont tes références en matière d’auteurs de BD?
Y’en a trop... vite comme ça, dans aucun ordre précis : George Herimman, Mattotti, Pedrosa, Larcenet, Guy Delisle, Jimmy Beaulieu, etc.
En 2010 paraissait La Fille invisible scénarisé par Émilie Villeneuve. Dès ce premier album, tu faisais déjà montre d’une grande maturité graphique… Comment est née cette aventure?
J’ai eu beaucoup de chance. En 2008, l‘éditrice m’a contacté pour ce projet, sachant que je m’intéressais à la BD, et que la scénariste aimait mon dessin. J’habitais en Hongrie à ce moment là, et elles l’ignoraient. J’étais juste de passage à Montréal quant elles m’ont passé un coup de fil... J’aurais pu rater le bateau ! Après, j’avais encore tout à apprendre en BD. La Fille Invisible à été comme un laboratoire, de la recherche presque plus qu’un résultat. J’y ai développé une identité graphique que je tente de perfectionner avec Fantômas.
Avec votre premier album vous avez abordé avec finesse un sujet ô combien difficile : celui de l’anorexie… N’est-ce pas particulièrement déconcertant de mettre en image un premier album sur une telle thématique?
Oui, j’avais peur de ne pas viser juste, c’est un sujet délicat avec un message qui doit être bien rendu, sans ennuyer ou moraliser... Emilie s’était très bien documentée et a fait un super travail au scénario, ce qui m’a grandement facilité la tâche. Après, il fallait m’imaginer comment j’aurais aimer qu’on aborde ce sujet avec moi quand j’avais 15 ans, qu’est-ce qui m’aurait fait aimer ce livre, etc.
Le premier tome de la Colère de Fantômas vient de paraître sur les étals. Qu’est ce qui t’a séduit dans le scénario d’Olivier Bocquet ?
Dessiner le Fantômas d’Olivier m’amène (m’oblige !) à être inventive et à me dépasser, à explorer, à bricoler, à faire des pirouettes. C’est un récit plein de rebondissements et de situations improbables, c’est violent, c’est énergique : on ne s’ennuie pas une seconde! Et puis Les dialogues me font marrer. Voilà.
Avant de travailler sur Les Bois de Justice, qu’évoquait Fantômas pour toi?
Fantômas n’est pas du tout connu au Québec. Pour les plus vieux, ça évoque vaguement quelque chose (de vieux). Pour les gens de mon âge, ça ne veut rien dire. J’avais déjà entendu le non, dans la chanson française, et j’imaginais un genre de Mack The Knife français, ou un Arsène Lupin avec un bas sur la tête.
Et après avoir mis en image ses aventures, comment perçois-tu ce génie du crime?
En tout cas, on oublie définitivement Arsène Lupin. Il est le principe du mal incarné, il est plus grand que nature, il a une aura monstrueuse, comme une menace qui pèse dans l’air même quand il n’est pas là. C’est l’épée de Damoclès au dessus de l’une des plus grande cité d’Europe. Ça fait peur ! Brrr.
L’apparence que tu lui avais donnée tranche avec ses traditionnelles représentations, le rendant par la même plus inquiétant encore… Comment s’est élaborée cette version du criminel masqué ? Est-il passé par différentes stades avant de trouver le masque qu’on lui connaît dans l’album ?
Oui, j’ai rempli de croquis un gros paquet de feuilles blanches. Olivier identifiait ceux qu’il préférait, puis je recommençais à partir de là. On a passé de Darth Vader aux nazis en passant par des gymnastes en collant avec des masques à gaz. Finalement, pour faire peur, le moins détaillé, le mieux.
La représentation de ce Paris de début de (XXième) siècle a-t-elle nécessité de nombreuses recherches iconographiques? Quelles furent tes principales sources de documentation ?
Mon prévoyant scénariste m’a envoyé plusieurs livres de photos anciennes de Paris, notamment une collection d’Eugène Atget. Pour le reste il y a internet et les souvenirs de mes passages à Paris de jadis. Il faut quand même dire que la plupart des décors sont complètement inventés... J’essais de donner une ambiance parisienne plutôt que de reproduire la ville de façon documentaire.
Comment s’est organisé ton travail trans-atlantique ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de réalisation de l’album ?
On s’échange beaucoup, beaucoup de courriels. D’abord, Olivier m’envoie une courte séquence de son scénario, divisé en cases. Libre à moi de suivre ou non ce pré-découpage, mais ça aide à visualiser ce que lui a en tête. Je fais un storyboard rapide ce cette séquence, je lui envoie, il me le retourne avec ses réflexions, je le lui retourne avec les miennes, et on joue au ping-pong comme ça jusqu’à ce qu’on soit satisfaits. Après, je mets le tout au propre et en couleurs pendant qu’Olivier écrit la séquence suivante. Expliquer comme ça, ça peut sembler long comme processus, mais en fait on s’entend généralement bien, et ça roule !
Quelle étape de la réalisation d’un album t’apporte le plus de plaisir ?
Toutes les étapes (recherche, designs, storyboard, propre, couleurs) ont un potentiel de grand moment d’euphorie ou de pure rage. Ça dépend de la séquence sur laquelle je travaille, de mon humeur, de la température... Des fois on a envie de peindre de joliment, d’autres fois de crayonner furieusement.
Quel(s) outil(s) utilises-tu pour composer tes planches?
Pour le dessin, c’est crayons de couleur, encre et lavis sur papier aquarelle. Ensuite je scanne et fais la couleur finale sous Photoshop.
Il se dégage de tes planches une force et une énergie saisissante qui exacerbent la violence de Fantômas, la rendant plus cinglante encore. Comment abordes-tu une nouvelle planche? As-tu abordé l’album dans son ordre chronologique ou de façon séquentielle, au grès de tes envies du moment?
Je ne suis pas religieusement l’ordre chronologique, mais je ne m’éparpille pas non plus. J’aurais tendance à vouloir sauter sur les séquences les plus juteuses en premier, mais parfois, il est bon d’attendre avant de faire sortir une idée, même si on a hâte de l’exécuter... faut que ça mijote. L’important c’est qu’au final on ait trouvé le bon ton et que ça cingle.
Dans quel état d’esprit étais-tu au moment de la sortie de l’album ?
Super contente! Mais un peu « jet-laguée », parce que j’arrivais en France le matin même. Ça fait toujours quelques chose quand « l’animal » qu’on à élevé et nourri pendant plus d’un an devient tout d’un coup une bête autonome. On peut le voir dans les librairies, sur internet, dans les journaux... C’est spécial, tout d’un coup, on a un recul qu’on n’avait pas avant.
Quel effet cela fait de se retrouver au festival d’Angoulême? Cette manifestation a-t-elle un grand retentissement outre-Atlantique?
J’ai beaucoup aimé mon premier Angoulême. Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais au final c’est un fauve bien sympa, cet Angoulême. Je ne sais pas trop quel retentissement ça peut avoir au Québec, ou le marché de la BD est encore beaucoup plus petit qu’en France ou en Belgique. Les auteurs et les bédéphiles québécois connaissent bien ce festival, mais pour ceux qui ne suivent pas la bd d’aussi près, il n’y a pas d’intérêt.
En tant que dessinatrice, comment percevez-vous les séances de dédicaces? Se déroulent-t-elle de la même manière en France qu’au Québec? Plus généralement, comment la BD « européenne» est-elle perçue de par chez vous? Est-ce considéré comme une forme d’art ou comme des lectures pour adolescents attardés?
Je n’ai pas une très grande expérience en matière de dédicace. Je peux cependant dire qu’il y beaucoup plus de gens qui se déplacent pour ce genre d’évènement en France qu’au Québec. Quant à la perception des gens, j’imagine que c’est la même chose un partout : il y a ceux qui aiment la BD et qui en lisent, et ceux qui se sont arrêté à Tintin et Astérix. Pour ces derniers, la bd reste un vague souvenir de leur enfance et ne s’y intéressent pas. Ils ne sont pas conscients de l’incroyable diversité des ouvrages, qu’il y en a pour tous les âges et tous les types. La très grande majorité des Québécois fait partie de la deuxième catégorie, mais c’est en train de changer !...
Avez-vous d’autres projets sur le grill en plus des aventures de ce sulfureux criminel?
Oui mais ce n’est pas encore cuit.
Quels sont tes derniers coups de cœur, tous médias confondus ? (BD, romans, ciné, musique, jeux…)
Romans : mon plus récent coup de cœur est l’écrivain finlandais Arto Paasilinna, avec son humour un brin surréaliste.
BD : Cul-de-sac de Richard Thompson.
Musique : Gil Scott-Heron, mais j’aime aussi des trucs un peu plus pop, comme le band torontois Austra.
Cinéma : j’ai raffolé de Seven Psychopaths de Martin McDonagh, et ai été séduite par la beauté de L’Odyssée de Pi de Ang Lee.
Jeux : j’aime bien jouer aux fléchettes dans les bars, mais je ne suis pas douée du tout.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Hmmm non ça va merci. C’est dur trouver des questions.
Pour finir et afin de mieux te connaître, voici un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD : Krazy Kat, le chat débile amoureux.
un personnage biblique : une des brebis égarées.
un personnage de roman : je ne sais pas mais j’aurais bien aimé être écrite par J D Salinger .
une chanson : n’importe quoi qu’on chante toute seule dans sa douche.
un instrument de musique : une guimbarde
un jeu de société : le jeu du cadavre exquis
une recette culinaire : la tranche de pain au beurre d’arachide et confiture.
une pâtisserie : sans doute une sorte de tarte.
une ville : Montréal, parce que je suis chauvine.
un monument : le monument aux fourmis écrasées.
une boisson : une bonne petite bière brune un soir de mai.
un proverbe : Si les poules pondaient des haches, elles se fendraient le cul. (Interprétation libre)
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé et aussi, et surtout !, pour ce magnifique album!
Tout le plaisir est pour moi. ...