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Entretien avec Olivier Taduc
Interview accordée aux SdI en juin 2013


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’interview… Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Non, bien sûr, tu peux y aller.

Merci bien! Peux-tu en quelques mots nous parler de toi (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)?
J’ai commencé à travailler en 1986 dans la presse pour enfants dans un magazine qui s’appelait Triolo aux éditions Fleurus. Mes premiers albums BD ont été publiés chez Glénat : Sark avec Dieter au scénario.
Par la suite, j’ai travaillé avec Serge Le Tendre chez Delcourt sur les Voyages de Takuan et nous avons enchaîné ensemble sur la série Chinaman qui a été initialement publiée aux Humanos avant de se poursuivre chez Dupuis dans la collection Repérages.
J’ai fait une petite incursion dans la BD humoristique grâce à mon compère Nicolas Barral avec la série Mon pépé est un fantôme également chez Dupuis. Et me voici maintenant chez Dargaud avec Griffe Blanche.


recherché de personnage ©Olivier TaducEnfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes livres de chevet?
Mes plus vieux souvenirs de lecteur de BD sont liés à Astérix que j’ai lu et relu inlassablement. Je suis un lecteur classique, enfant j’ai également adoré lire Lucky Luke.
J’ai été lecteur du magazine Pif, celui de la grande époque, dans lequel j’ai adoré mes premières séries réalistes telles que Rahan, Dr Justice etc…
J’ai découvert par la suite les super-héros grâce à Strange, avec des dessinateurs américains comme Neal Adams, John Buscema, John Romita ou Joe Kubert.


Devenir auteur de BD était-ce un rêve de gosse? Comment es-tu devenu dessinateur de BD?
Quand j’étais enfant, je dessinais beaucoup sans imaginer un seul instant que j’en ferais mon métier.
Ce n’est vraiment qu’après le Bac que j’ai pu imposer à mes parents l’idée que je puisse faire de la BD professionnellement. Auparavant je ne m’autorisais même pas l’idée. Ce n’est pas simple pour des parents d’imaginer leur enfant faire un métier artistique.
Avant de devenir auteur de BD professionnel, je n’ai malheureusement pas eu l’opportunité de passer par une école, mais j’ai tout simplement fait des pages de BD dans mon coin afin de rencontrer les éditeurs avec mon dossier sous le bras.
J’ai quand même fréquenté le monde du fanzinat, ce qui m’a permis de croiser des jeunes aspirants dessinateurs comme moi.

Illustration noir & blanc ©Olivier TaducEn 1994, tu reprends le dessin des Voyages de Maître Takuan. Comment as-tu fait la connaissance de Serge Le Tendre qui scénarisait la série?
J’ai tout simplement répondu à une offre de Guy Delcourt qui cherchait un repreneur pour le dessin de Voyages de Takuan. On s’est découvert à cette période-là avec Serge Le Tendre, et on a adoré travailler ensemble au point que je lui propose d’enchaîner avec moi sur un projet qui traînait dans mes cartons depuis quelques années : Chinaman, projet que nous avons réécrit ensemble afin qu’il puisse y apporter ses idées et qu’il puisse s’approprier la série au même titre que moi.

Quel effet cela fait-il de travailler avec le scénariste de la mythique quête de l’Oiseau du Temps ?
Je connais Serge Le Tendre depuis plus de 20 ans, nous sommes actuellement en train de travailler sur le 14ème album ensemble. Nous nous connaissons très bien et nous sommes dans une relation totalement équilibrée depuis le départ. Il me semble d’ailleurs que Serge entretient ce genre de relation avec tous les dessinateurs avec lesquels il collabore. Il ne cherche absolument pas à ramener sa position de scénariste de la Quête de l’Oiseau du Temps sur le devant.
Et c’est très agréable !

Galerie de personnages ©Olivier TaducA l’instar des Voyages de Maître Takuan, Griffe Blanche se déroule dans univers de medival-fantasy. Comment est née cette histoire se déroulant dans un univers évoquant les lointaines contrées asiatiques?
Alors que nous travaillions depuis plusieurs tomes sur la série Chinaman, j’ai évoqué à Serge l’idée de créer une autre série à connotation encore plus asiatique que ne l’était l’univers de Chinaman, où nous n’avions que le parcours d’un Chinois dans un monde essentiellement composé de Blancs à l’époque de la ruée vers l’or et la construction du Chemin de fer aux États-Unis au 19ème siècle. Tout est parti des lecteurs qui venaient me voir en séances de dédicace et qui me demandaient si un jour le personnage principal retournerait en Chine ; chose peu envisageable dans le concept de la série. L’envie est malgré tout venue de dessiner une histoire dans une Asie historique fantasmée.

Croquis ©Olivier TaducA l’instar des films d’action-comédie du cinéma hongkongais, on retrouve dans Griffe Blanche une histoire légère, menée sur un registre semi humoristique dans un contexte sombre de guerres claniques sanglantes. Pourquoi avoir choisi ce registre un peu décalé?
C’est encore en opposition à la série Chinaman qui était une série très « sérieuse », car elle aborde le thème de l’immigration chinoise aux États-Unis à une époque où la connaissance de l’Autre » n’était pas celle que l’on a de nos jours. L’humour y est plutôt absent.
John Chinaman est un personnage taciturne manquant un poil de fantaisie. Ce qui n’aide pas forcément à l’écriture de séquences de comédie.
Le concept du trio, composé d’une demoiselle (Griffe Blanche) et de deux garçons ( Taho et Foudre) lui tournant autour, le permet plus aisément.


Comment s’est organisé votre travail avec Serge Le Tendre? Comment s’est construite cette histoire à quatre mains ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album?
J’ai imaginé les bases de l’univers : une Chine médiévale fantastique dans laquelle évoluerait ce trio de personnages. À partir de là, j’en ai parlé à Serge Le Tendre de manière à voir s’il se sentait de partir sur cette idée là avec moi. On s’est donc mis tous les deux autour d’une table et ainsi a commencé un échange d’idées tel un véritable jeu de ping pong.
Une fois la trame de l’histoire déterminée, Serge s’attelle à la mise au propre puis au découpage case par case ainsi qu’à l’écriture des dialogues provisoires.
Mon travail commence alors en faisant un premier découpage dessiné de chaque page sur lequel il peut intervenir. Comme nous n’habitons pas la même région, les échanges se font pour l’essentiel grâce à internet, qui a révolutionné la collaboration entre auteurs de BD.
Ensuite vient l’étape du crayonné que je réalise sur tablette numérique (cintiq) et que j’imprime en gris très léger sur du papier épais idéal pour les étapes suivantes d’encrage en traditionnel (pinceau, plume, stylo-plume etc…) et surtout de mise en couleur (aux encres et aquarelles).

Décors ©Olivier TaducPourquoi avoir fait le choix de l’exigeante mais magnifique couleur directe pour cette série?
Cela fait quelques années que je voulais me charger intégralement de la mise en couleur d’un album. Cette nouvelle série en a été l’occasion.
J’ai eu la possibilité d’expérimenter la technique de la couleur directe grâce aux illustrations de couverture des albums de Chinaman mais ma première planche de BD réalisée avec cette technique correspond véritablement à la première planche du tome 1 de Griffe Blanche.
Travailler comme cela demande d’être concentré lors de l’encrage de manière à éviter au maximum les corrections sur le papier, car ce dernier doit rester le plus propre possible pour la mise en couleur.
Les retouches au blanco y sont proscrites.
On est donc en permanence sur le fil… le frisson est garanti ! Cette mise en danger est excitante… Entendons-nous bien, il n’y a pas de vie en jeu. Mais le risque est là de gâcher quelques heures de travail. Cela fait partie du plaisir que l’on peut ressentir en travaillant de cette manière.
C’est également un aboutissement de plusieurs années de perfectionnement dans son art car cela signifie que l’on maîtrise un certain nombre de difficultés techniques.


As-tu d’autres projets sur le grill ?
On va dire que l’on m’a proposé de dessiner un album que je ne pourrai pas refuser. Mais il est trop tôt pour en parler. Mais ce n’est pas pour tout de suite… Pas avant fin 2016. On aura le temps d’en parler d’ici là.

Un immense merci pour le temps que tu nous as accordé !
l’artiste dans son atelier
Le Korrigan