Haut de page.

Entretien avec Philippe Aymond
Interview accordé aux SdI en juillet 2013


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’interview…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?

Non, il y a des raisons plus grave pour se battre en duel...

Merci bien… Peux-tu en quelques mots nous parler de toi (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse et/ou aux îles caïmans…)?
Je suis né trois mois avant la révolution de 68, mais n'y voyez aucune corrélation. J'ai appris à lire avec Tintin et j'ai fait des études d'arts plastiques pour devenir professeur de cette même matière. Je me suis arrêté à la maîtrise, et je n'ai jamais enseigné. Et j'attends d'avoir franchi le million d'exemplaires d' « Highlands » vendus pour ouvrir un compte aux îles Caïmans. Autant dire que j'ai encore le temps d'y penser.

Enfant, quel lecteur étiez-vous? Quels étaient alors vos livres de chevet?
Comme je l'ai dit, j'ai appris à lire avec Tintin. J'ai commencé par « lire » les images seules, puis ensuite avec les bulles. En dehors de la BD, je lisais Jules Verne, James Bond, Arsène Lupin, Fantomâs... Ce qu'on appelle la littérature populaire.

Highlands, croquis préparatoires © Philippe AymondDevenir auteur de BD était-il un rêve de gosse ?
Totalement. A l'âge de huit ou neuf ans, je me suis dit que faire de la BD était le métier idéal. On appelle ça une vocation, je crois... Et ça rime avec passion.

Tu as fait tes premiers pas dans le neuvième art en mettant en image les scénario écrits par un certain Pierre Christin, auteur au talent impressionnant qui signa des monuments de la BD, tels les Phalanges de l’Ordre Noir, Partie de Chasse ou la Ville qui n’existait pas… Comment ta route a-t-elle croisé la sienne?
Cette rencontre s'est faire par l'intermédiaire de Coutelis, un dessinateur que je connaissais depuis que j'avais 16 ou 17 ans et qui me recevait chez lui pour me donner des conseils de pro. Un jour, il m'appelle et me dit que Jean-Claude Mézières cherche un encreur pour un studio de dessin. Je me pointe chez Mézières, en me disant qu'il a besoin de quelqu'un pour faire des petits boulots d'encrage de temps en temps. Mais pas du tout. Il a décidé, avec Pierre Christin de monter un studio avec de jeunes dessinateurs débutant, pour les former sur le tas, en faisant des albums. Ils ont déjà deux dessinateurs, et ils cherchent un encreur. Je montre mes dessins à Mézières, il me dit que je peux faire l'affaire, et me voilà embarqué avec Chapelle et Labiano sur une série d'albums, avec vrai un contrat d'édition. La série était publiée par les Humanoïdes associés. Il y a eu 4 albums. Ca s'appelait « Canal Choc, et Pierre Christin en était le scénariste. Mézières, lui, était en quelque sorte le dircteur artistique, et faisait le storyboard. Après cette série, Pierre m'a proposé qu'on continue à travailler ensemble. Nous avons fait deux one-shot, et une série qui n'a hélas pas du tout marché : « Les 4X4 ».

croquis préparatoires pour Highlands © Philippe AymondTu travailles ensuite avec Laurent-Frédéric Bollée et Jean Van Hamme, autre monument de la Bd, puis, en 2012, tu signes seul le diptyque historico-romantique Highlands. A quand remonte ton envie d’écrire et de dessiner vos propres histoires ?
J'ai toujours voulu écrire mes propres histoires. Mais en commençant à travailler sur Canal Choc, je me suis rendu compte de la difficulté déjà colossale que constitue la réalisation de la partie graphique d'une BD. Et comme j'ai eu la chance de travailler avec d'excellents scénaristes, j'avais mis cette envie d'écrire en sommeil. Quand la série Apocalypse Mania, que je faisais avec Bollée, s'est terminée, je me suis retrouvé avec un peu de temps à consacrer à un nouveau projet. J'ai compris que c'était le moment de se lancer. Tout en sachant qu'on m'attendrait au tournant.

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier de dessinateur? De scénariste?
La joie la plus forte, c'est la liberté, et un sentiment bizarre de ne pas vraiment travailler. Même si parfois les contraintes éditoriales font que le côté professionnel prend le dessus. Mais cette liberté a aussi un prix, et c'est une des difficultés : être suffisamment discipliné pour se mettre chaque jour au boulot sans traîner les pieds, et sans forcément attendre ce qu'on appelle l'inspiration. Parce que pour vivre correctement de la BD, il faut avoir une bonne capacité de production. Sans pour autant tomber dans la facilité, parce que je crois qu'il faut miser avant tout sur la qualité. C'est un équilibre à trouver.

Highlands, crayonné d'une case de la planche 14 © Philippe AymondLes paysages qui servent de décor à votre série sont de toutes beauté, donnant la furieuse envie de partir au plus tôt en vacances en écosse… A partir de quelle « matière » les avaient vous dessiné? Vous êtes-vous rendu sur place pour vous inspirer de la géographie si typique des Highlands ou divers livres ou internet ont-ils inspiré vos pinceaux ?
En fait, j'ai été payé par l'office du tourisme d'Ecosse. Non, je plaisante, mais c'est vrai que je milite pour envoyer du monde là-bas. C'est un pays splendide. Pour ce diptyque, je me suis rendu sur les lieux exacts de l'histoire. J'avais besoin de ça pour nourrir mon récit d'abord et mes cases ensuite.

Highlands, crayonné d'une case de la planche 17 © Philippe AymondBien qu’étant une fiction romantique, Highlands a un cadre historique précis. L’élaboration de l’intrigue, le dessin des bâtiments et des costumes a-t-il nécessité de longues recherches? Quelles furent vos principales sources?
Il y a eu en effet un gros travail de recherche, et même un retour au point de départ pour moi qui n'avait encore dessiné que des histoires contemporaines ou de la SF. Pour un récit historique, la documentation ne se trouve pas du tout de la même manière. Pour ce qui concerne l'Ecosse du XVIIIe siècle, j'ai découvert beaucoup de choses sur place, en visitant des châteaux, des musées, des lieux historiques. J'ai lu aussi quelques livres purement historiques, chronologiques et factuels. Et bien sûr, j'ai lu en détails l'incontournable Walter Scott, qui a écrit plusieurs romans très documentés sur cette période, comme « Waverley » ou « La fiancée de Lavermoor ». L'univers de Scott est un peu naïf, mais sur le plan documentaire, c'était une mine extraordinaire. Pour l'aspect visuel, je me suis beaucoup tourné vers les peintres de l'époque comme Reynolds ou Hogarth. Et pour les uniformes, il y a un éditeur que je conseille à tous mes confrères et qui s'appelle Osprey. Chez eux, il y a tout. Et les illustrateurs sont très bons, très précis. Pour vous donner un exemple, je me demandais comment les highlanders accrochaient leur kilt. C'était en fait une couverture qui était attachée à la taille et qui revenait sur le dessus de l'épaule en pendant sur l'arrière. Eh bien dans un fascicule d'Osprey, il y a l'explication, avec plusieurs dessins. Pour les architectures, les librairies des musées m'ont apporté tout ce que je ne pouvais pas photographier moi-même sur place, comme les habitations paysannes, par exemple. Les châteaux, eux, sont encore debout pour une partie, et j'ai pu les visiter.

Les combats que tu mets en scène sont de toutes beautés, de même que le duel qui clôture presque l’album et qui est fort bien chorégraphié… En tant que dessinateur, comment s’y prend-on pour mettre en scène un duel de façon crédible? Pratiques-t-on l’escrime? S’entretien-t-on avec un maître d’arme ? Se fie-t-on à sa fertile imagination en s’inspirant des films de cape et d’épées?
Le duel de la fin, honnêtement, je n'y ai pas trop réfléchi. L'idée, c'était que la joute verbale qui oppose Joseph et William vienne se superposer au combat à l'épée, et c'est ça qui a guidé ma mise en scène. En revanche, les quatre pages de la bataille de Culloden m'ont demandé beaucoup de travail. Je m'en doutais un peu en les écrivant, et du coup, je les ai dessinées à la fin, après avoir dessiné tout le reste de l'album, même si elles interviennent en milieu d'album. Je n'ai jamais pratiqué l'escrime. En revanche, j'ai fait du tir à l'arc, et ça a influencé la création du personnage de William. Ca m'amusait de le montrer avec un arc, à côté de ses hommes qui tirent au fusil, en leur démontrant que l'arc est beaucoup plus efficace. Surtout pendant cette bataille où la pluie rendait la poudre inutilisable.

Highlands , Personnages © Philippe AymondComment s’est créée l’apparence de tes principaux protagonistes? Etant à la fois scénariste et dessinateur sur cette série, leurs visages et caractéristiques ont-elles été construites parallèlement au récit? Amelia et Joseph ont-ils eu d’emblée l’apparence qu’on leur connaît ou sont-ils passés par différents stades?
J'ai écrit l'histoire sans me soucier du physique des personnages. J'ai laissé ça au dessinateur qui a pris le relais du scénariste. Et celui-là a déjà une certaine expérience en la matière. Quand je m'attaque à la création visuelle d'un personnage n'ai pas l'habitude de tâtonner pendant des semaines. Si un personnage est bien défini dans son rôle par le scénario, ça vient spontanément. J'ai en général en tête un modèle de base, souvent issu du cinéma. Pour Joseph, par exemple, je voulais un personnage qui ressemble à Patrick Dewaere dans « Coup de tête ». Et il y a un auto-portrait de Rembrandt, aussi, qui m'a guidé vers un personnage aux cheveux en bataille. Amelia, je voulais qu'elle soit brune, pour pouvoir jouer du pinceau dans ses cheveux et travailler les reflets.

Comment s’est déroulé le travail sur cette série ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album ? Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser ces différentes étapes?
J'ai travaillé de manière très classique. J'avais mon histoire en tête et j'en ai d'abord fait un synopsis que j'ai envoyé à l'éditeur. Ensuite, j'ai écrit entièrement le scénario du tome 1, comme un scénariste, avec un découpage précis case par case et tous les dialogues, sans me soucier du travail graphique à venir. Une fois le scénario terminé, je suis passé au dessin, en faisant d'abord un storyboard, puis un crayonné, puis un encrage. Même méthode pour le tome 2.


Making-of

Highlands, planche 1 du tome 2, Scénario © Philippe AymondHighlands, planche 1 du tome 2, rough © Philippe AymondHighlands, planche 1 du tome 2, crayonné © Philippe AymondHighlands, planche 1 du tome 2, encrage © Philippe AymondHighlands, planche 1 du tome 2, mise en couleurs © Philippe Aymond
Highlands, planche 2 du tome 2, Scénario © Philippe AymondHighlands, planche 2 du tome 2, rough © Philippe AymondHighlands, planche 2 du tome 2, crayonné © Philippe AymondHighlands, planche 2 du tome 2, encrage © Philippe AymondHighlands, planche 2 du tome 2, mise en couleurs © Philippe Aymond


Quelle étape d’un album te procure le plus de plaisir ? Le plus de « souffrances » ?
Chaque étape à ses plaisirs et ses souffrances. Encore que souffrance est un mot excessif. Disons qu'il y a des moments qui demandent davantage d'efforts. Sur l'écriture, le moment qui demande le plus de concentration, c'est le dialogue. Le découpage ou la construction du récit, ça vient tout seul. Et graphiquement, je dirais que le plus difficile, c'est l'étape du crayonné. C'est le moment le moins fougueux du travail, le moment où il faut de la rigueur. Sur le storyboard, c'est de la mise en page rapide, c'est très excitant à faire, car on voit les choses se concrétiser très vite. Et l'étape de l'encrage, c'est de la finalisation. On se balade sur le crayonné et on ajoute les ombres, les matières... J'aime beaucoup ce moment. Mais il y a aussi beaucoup de plaisir sur la couleur. Je la fais quand tout l'album est dessiné, ce qui me permet de redécouvrir les pages avec un œil neuf. Mais là, en général, je sais à l'avance ce que je vais faire. Je prévois l'essentiel de la mise en couleur au moment de l'encrage, pour avoir un bon équilibre entre trait et couleurs.

Highlands , crayonné d'une case de la planche 23 © Philippe AymondSur quel projet travailles-tu actuellement ?
Le tome 9 de Lady S, qui ne me dépayse pas tellement puisqu'il se passe en Angleterre et se termine dans un vieux château. Et j'ai aussi quelques idées de scénarios qui avancent doucement dans mon esprit.

Quels sont tes derniers coups de cœur, tous médias confondus ?
Le dernier album de « Texas », qui, comme son nom ne l'indique pas, est un groupe écossais. Et la dernière BO de Morricone pour « Ultimo », une série de la télé italienne. A 84 ans, le maestro est toujours au top.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?

Celle-ci : « Qui est pour toi le plus grand auteur de BD de tous les temps ? » La réponse est « Milton Caniff ».

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


un personnage de BD: Valérian, pour des raisons affectives. Mais il y en a tant d'autres...
un personnage mythique: L'Homme à l'harmonica
un personnage de roman: Sherlock Holmes
une chanson: Paradis Blanc, de Michel Berger
un instrument de musique: la voix d'Edda Dell'Orso
un jeu de société: les échecs
une recette culinaire: la soupe à l'oignon (y crouton, évidemment)
une pâtisserie: un cannelé
une ville: Paris
une qualité : le sens de l'humour
un défaut: la timidité
un monument: Stonehenge
une boisson: le Talisker. Avec modération.
un proverbe : « Quand on s'attend au pire, on n'est jamais déçu. »

Un dernier mot pour la postérité ?
Houlà, rien que ça ? Alors, je vais reprendre cette citation de Goscinny (je cite souvent Goscinny, c'est une référence majeure pour moi). Lorsqu'on lui demandait « Qu'est-ce qu'un personnage de BD ? », il répondait : « Un petit bonhomme dessiné au crayon et qu'on peut gommer. C'est tout. »

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !

Highlands , crayonné d'une case de la planche 16 © Philippe Aymond
Le Korrigan