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Entretien avec Mickaël Bourgouin
interview accordée aux SdI en octore 2013


Bonjour et merci de vous prêter au jeu de l’interview…
Merci à vous !

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Uniquement les lundi 23 février entre 8h23 et 8h42, tu passes donc entre les mailles du filet !

Ouf, j’ai eu chaud smiley
Peux-tu en quelques mots nous parler de toi (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)?

J’ai passé un Brevet de technicien Dessinateur maquettiste à Lyon, où j’ai surtout étudié le graphisme, mais je crois définitivement que je n’étais pas fait pour ça… J’ai donc décidé de m’orienter plus vers le dessin pur, ce qui m’attirait vraiment depuis toujours. J’ai donc passé 4 ans à l’école Emile Cohl à Lyon, qui formait à l’illustration, l’animation et à la Bande Dessinée principalement. J’y ai rencontré beaucoup de gens talentueux, et des amis précieux qui m’ont aidé et continuent d’ailleurs à m’aider à progresser, artistiquement et humainement.

Passions : musique principalement, que j’aimerais avoir plus le temps de développer. Je suis d’une banalité à toute épreuve, car je ne dispose que de 24h par jour comme la plupart des gens sur terre, et la bd c’est plutôt chronophage, il faut donc faire des choix ! Je viens de découvrir la plongée et j’avoue que ça me plait beaucoup également, mais on arrive à la fin de saison, il va donc falloir attendre les beaux jours pour s’y remettre !
Qualités : A part être le meilleur, le plus beau, le plus majestueux, et le plus grandiose, je vois pas…
Pour le numéro de carte, désolé mais je suis pudique à ce niveau là… Et comment savez-vous pour les comptes en suisse ?!!


 © Mickaël BourgouinEnfant, quel lecteur étais-tu? La BD occupait-elle déjà une place de choix ? Quels étaient alors tes auteurs de chevet ?
Je n’ai jamais été un grand lecteur enfant, que ce soit bd ou roman. Je lisais les classiques comme tout le monde, mais j’ai vraiment découvert des auteurs qui m’ont marqué assez tard. Enfant, par contre, je me rappelle avoir passé des après midi à dessiner avec un ami des bd, c’était du cadavre exquis mais pour nous c’était top parce qu’on inventait l’histoire au fur et à mesure, et ca prenait forme sous nos yeux très vite ! Et j’ai passé pas mal de soirs à dessiner en regardant des films avec ma famille.

Devenir auteur de BD était-il un rêve de gosse ?
Je voulais faire du dessin, mais sans trop savoir quoi. Je n’ai jamais voulu être astronaute ou pompier… Evidemment, j’ai voulu être une rock star à l’époque du collège… ça n’a pas marché visiblement !

En 2006 paraissait le premier tome du magnifique Codex Angélique mettant en scène un jeune homme de bonne famille perdu dans le Paris de la Belle Epoque. Comment est né ce qui fut ta première série?
Apres avoir fini mes études, j’ai commencé à travailler sur différents projets bd qui n’ont pas abouti. Thierry Gloris m’a un jour envoyé son scénario du Codex Angélique que j’ai laissé trainer un moment sans trop l’ouvrir, j’attendais à ce moment des réponses d’éditeurs sur un autre projet. Finalement, j’ai fini par le lire et j’ai trouvé beaucoup de choses que je voulais raconter, ça m’a emballé. On a commencé à travailler ensemble, le projet d’avant n’ayant pas été accepté.
Un fait marrant sur cette série c’est qu’on ne s’est rencontré en vrai qu’à la sortie du premier tome! On échangeait beaucoup par téléphone, mails, mais on habite plutôt loin l’un de l’autre et on n’a pas eu l’occasion de se voir en vrai plus tôt.

crayonné du tome 1 © Mickaël BourgouinLe premier opus de Blue Note vient de paraître chez Dargaud, sur un scénario co-signé par Mathieu Mariolle et toi-même. Vous aviez déjà travaillé ensemble sur Shanghai dont tu assurais le story-board. Comment est née l’envie de créer cette nouvelle série?
Justement du fait de connaitre Mathieu avant qu’on commence à travailler ensemble. C’est lui qui m’a proposé de monter un projet, et j’avais envie, après avoir travaillé 4 ans sur l’histoire d’un autre, de me plonger dans l’écriture, d’y mettre les mains. Mathieu avait envie également de travailler comme ça, donc on a commencé à discuter de ce qu’on voulait raconter, les ambiances, les thèmes,…

Comment vous êtes-vous organisé pour écrire ce scénario à quatre mains ?
On a beaucoup discuté ! On s’est fait des sessions où je montais le voir, on passait trois ou quatre jours à échanger des idées. Puis des passages où on se renvoyait la balle par mails, et ainsi de suite. L’histoire est montée petit à petit.

Comment s’est construit le personnage de Jack Doyle, tant graphiquement que scénaristiquement? Quel rapport entretient-il avec le boxeur irlandais éponyme qui fut ténor et acteur à Hollywood?
On voulait un boxeur qui ait autre chose en tête que devenir champion du monde. On préférait qu’il soit en quête de quelque chose de personnel au travers de la boxe, et le personnage a pris forme en même temps que l’histoire, ce qui a donné une cohérence entre son caractère et l’époque dans laquelle il vit.
D’un point de vue graphique, j’ai essayé de le faire plutôt naturel, il n’est pas bodybuildé, il a du gras au ventre, ce n’est pas non plus le beau gosse à la mèche rebelle. C’est juste un type normal, certes massif, mais humain.
Et aucun rapport avec le boxeur éponyme, c’est juste un clin d’œil.

Storyboard des planches 32 et 33 © Mickaël BourgouinCoburn a un petit quelque chose de Gabin… Théo Egan, un petit côté James Cagney… Comment s’est fait le « casting » de l’album ? L’élaboration de l’apparence des personnages s’est-elle faite conjointement à l’écriture du scénario? A-t-elle beaucoup évolué au fil du temps ?
Pour Coburn, j’ai très vite pensé à Gabin en l’imaginant, avec une vraie gueule, et en même temps un côté paternel qui convenait bien au personnage.
Théo, c’est la fouine, le petit roquet qui a les dents qui rayent le parquet. Je le voulais plutôt frêle, en comparaison avec Jack, car cela créé des interactions intéressantes entre les personnages, un bon rapport de forces. Je n’avais pas vraiment d’acteur en tête quand je l’ai dessiné, mais Cagney aurait été parfait au final !
Lena, c’est la femme fatale au premier abord, mais finalement pas tant que ça. Elle devait être belle, attirante, et finalement je lui trouve beaucoup de caractère quand elle est en tenue de ville. Elle fait vraiment partie de son époqu6e.
Il y a d’autres personnages qu’on a pensés à l’écriture du scénario mais qui n’apparaitront que dans le deuxième tome, donc je n’en parle pas trop pour l’instant. Mais j’avais en tête des morphologies quand on élaborait l’histoire, que j’ai dessinée quand on avait déjà bien avancé l’histoire.

Bien que le lecteur ait la furieuse impression que l’action se passe à New-York, le lieu exact est laissé dans le flou. Comment s’est construite cette cité imaginaire et pourquoi avoir choisi de ne pas la nommer ?
Il n’y a pas de date précise, ni de ville précise car on est dans une vision fantasmée d’une époque qu’on n’a jamais vécue. Et l’idée n’est pas de montrer comment était telle ou telle ville à telle date précise, mais de plonger le lecteur dans cette vision qu’on a de cette époque.
Si la ville est presque un personnage à part entière dans notre histoire, elle reste un cadre qui permet à nos personnages d’évoluer, et je voulais à tout prix éviter le coté carte postale, du style Jack en haut de l’Empire State Building.
Pour finir je n’avais pas envie de me limiter à dessiner tel ou tel bâtiment à ce moment-là, ce n’est pas le but de cette histoire, et je trouve cela plutôt ennuyeux de dessiner exactement un bâtiment, avec le bon nombre de fenêtres, le bon panneau à la bonne place.

Storyboard des planches 33 et 34  © Mickaël BourgouinEcrire cette histoire se déroulant dans le monde de la boxe dans les dernières heures de la prohibition a-t-il nécessité de nombreuses recherches documentaires et picturales? Quelles furent vos principales sources?
Forcément, pour plonger le lecteur dans une époque précise et que ce soit crédible, il faut avoir recours à de la documentation. Les films représentant cette époque sont très utiles à ce niveau, et mon ami internet me rend des services très souvent. Apres, je ne suis pas non plus du genre à représenter très exactement les choses, j’essaie plutôt de transmettre une émotion au travers d’une époque, j’ai donc pris des libertés, si on se penche sur les costumes, ce n’est pas exactement ça, mais l’essentiel pour se sentir dans l’ambiance est là si j’ai bien fait mon travail !

Serait-il possible, pour une planche donnée de visualiser les différentes étapes de la réalisation d’une planche, du scénario en passant par le rough, le crayonné, l’encrage et la mise en couleur ?
Je n’ai pas de crayonné à vous montrer, car je les gomme une fois mon encrage effectué, mais je peux vous montrer story-board, encrage, et couleur.

Quelle étape de réalisation de l’album t’a procuré le plus de plaisir ?
Le storyboard c’est pour moi l’étape où je m’éclate le plus dans la réalisation d’une bd, parce que c’est là que tout le travail effectué en amont prend vraiment forme. C’est parfois là également qu’on se rend compte si quelque chose ne fonctionne pas dans la narration, l’histoire.

Storyboard des planches 40 et 41  © Mickaël BourgouinUne fois que tu t’es attelé à la planche à dessin, le scénario a-t-il connu des modifications ?
Oui ! on a dû refaire une scène (celle où Jack et Lena s’embrassent) alors que je l’avais déjà encrée… C’est rageant, mais à la relecture, la première version ne fonctionnait pas, c’était redondant avec la scène précédente avec ces deux personnages, et il ne faut pas ennuyer son lecteur ! On a donc repensé la scène, et ça nous a fait modifier quelques détails, mais il ne fallait pas tout bouger car le deuxieme album allait être complètement bouleversé également. J’ai donc dessiné 72 pages pour un album de 70 !

Comment ont été élaborés les dialogues (très percutants!) de l’album ?
Un dialogue, en tous cas dans mon cas, ça se travaille longtemps ! Mathieu m’envoyait le découpage, je lui proposais une version différente, on se renvoyait la balle comme ça, et les dialogues ont été élaborés par moment de cette même manière. J’ai besoin de réécrire 10 fois, 15 fois un dialogue sur une scène, avant qu’il soit correct. Apres le story-board, on modifie encore certaines choses qui sont dites par l’image, et qu’on n’a pas besoin de redire par le texte. Et quand on relit l’album, on modifie encore les dialogues. Jusqu’à la fin, des modifications peuvent s’effectuer.

La musique occupe une place très importante dans l’album. Pourquoi avoir choisi d’en faire quelque chose de presque palpable ?
C’est une question à laquelle je ne pourrai répondre que lorsque le deuxieme tome sortira !

Dans quelle ambiance sonore travailles-tu habituellement? Silence monacal ? radio ? Musique de circonstance? D’ailleurs, quelle B.O. conseillerais-tu pour lire cet album?
J’aime travailler en musique, dans le silence également, ça dépend vraiment de mon humeur. Je n’écoute pas la radio, et j’alterne les styles selon l’envie du moment.
Et plutôt que des B.O., Charlie Parker, Ella Fitzgerald, Louis Armstrong, Cab Calloway , etc…tous les grands de cette époque en gros !

 © Mickaël BourgouinPour quand est prévu le second tome de Blue Note ? As-tu d’autres projets sur le grill?
Si les étoiles s’alignent, le deuxieme tome est prévu pour la rentrée prochaine… Mais c’est si les étoiles s’alignent…
Actuellement, en parallèle de ma bd, je travaille avec Yann Tisseron et Anthony Jean sur un projet que l’on avait envie de faire depuis un moment, illustrer l’Odyssée. C’est chez Glenat et si le vent va dans notre sens, ça verra le jour vers noël 2014, un chouette cadeau à faire !

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier d’auteur de BD ?
Les joies d’abord : la possibilité de raconter, transmettre des émotions, partager des points de vue avec un lectorat, et ce avec peu de moyens contrairement à un film par exemple. On peut plus facilement etre maitre d’un projet. Le fait de travailler en collaboration est également une joie dans ce métier, on apprend énormément avec les autres, pourquoi s’en priver ?!
Les inconvénients : le manque de sociabilité au jour le jour, c’est un des plus gros inconvénients ; quand tu bosses sur une bd, tu te retrouves tout seul devant ta page, l’étape de collaboration citée au-dessus s’effectue avant, à la phase d’écriture. Et l’autre gros inconvénient pour moi, c’est le côté marathon : une bd c’est un an, par album. Dans le cas de Blue Note, un an et demi. Et en un an et demi, j’évolue, j’ai des envies, des besoins artistiques que je ne peux pas assouvir, parce que je me suis engagé sur un projet. C’est super frustrant, et j’ai l’impression qu’il me faudrait une deuxième vie pour réaliser tout ce que je veux. Pour finir, il me manque le coté direct d’un rapport avec le public, comme en musique lors d’un concert.

Jack Doyle © Mickaël BourgouinTous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur ?
En roman, le Loup des Mers de Jack London que j’ai lu assez récemment, une claque énorme !
En jeu vidéo, Journey est incontestablement le jeu qui m’a le plus scotché, je l’ai découvert récemment également.
En musique, la B.O. de Journey de Austin Wintory, absolument magnifique.
En bd, Ma Révérence de Lupano et Rodguen, superbe.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
La derniere question du questionnaire de Bernard Pivot : Si Dieu existe, qu’aimerais-tu qu’il te dise quand tu arrives au paradis ?
-Viens, je t’emmène à l’étage d’en dessous, y a des soirées d’enfer !

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


un personnage de BD: Batman
un personnage mythologique: Ulysse
un personnage de roman: Loup Larsen
une chanson: whole lotta love
un instrument de musique: La guitare
un jeu de société: Echecs
une recette culinaire: Onglet de bœuf sauce au poive, simple mais tendrement efficace !
une pâtisserie: Crème brulée (c’est considéré comme une patisserie ?)
une ville: Barcelone
une qualité : parfait.
un défaut: menteur, car la perfection n’existe pas…
un monument: Stonehenge
une boisson: Mojito
un proverbe : Bien faire et laisser dire

Un dernier mot pour la postérité?
Equidistant.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!
Jack Doyle © Mickaël Bourgouin
Le Korrigan