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Entretien avec Henscher
Interview réalisée par les SdI en décembre 2013


Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à notre interview !

Question liminaire : êtes vous farouchement opposé au tutoiement ? (Sinon, je peux me faire violence !)

Henscher : Je suis plutôt farouchement opposé aux efforts superflus, donc je vais t’épargner celui-là. Va pour le tutoiement, donc.

Merci! Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? (parcours, études, âges et qualité, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)
J’ai 37 ans, je vis près de Paris, où je travaille depuis 12 ans comme scénariste de jeux vidéo pour Ubisoft – je suis aujourd’hui leur directeur d’écriture. J’ai une formation assez classique, avec un cursus en fac d’histoire. Je suis arrivé tardivement à l’écriture, même si je la pratique depuis que je sais tenir un stylo. Je suis passionné de science-fiction, de géopolitique, de littérature et bien évidemment de jeux sous toutes les formes – j’ai une longue carrière de joueur de jeux de rôles derrière moi, notamment. Dès que j’en fais ouvrir un, je te communique mon numéro de compte à Berne.

Le Banni, Ex Libris © TarumbanaSans indiscrétion, sur quel(s) jeu(x) vidéo as-tu travaillé et quel était ton rôle dans leur développement ?
J’ai travaillé sur tous les jeux à fort contenu narratif sortis chez Ubisoft depuis 2002. Cela inclut aussi bien la série des Splinter Cell que celles des Prince of Persia, Far Cry, Rainbow Six, Ghost Recon ou encore Assassin’s Creed ou le futur Watch Dogs. Pour ne citer que les plus connus. Mon rôle consiste à accompagner les projets, et plus particulièrement les scénaristes, et à travailler avec eux à chaque étape d’avancement de la narration – pitch, création des personnages, trame, dialogues, enregistrements de ces derniers. Par extension, je suis également associé à tous les produits dérivés narratifs, comme les romans ou les films éventuels tirés des jeux. De façon plus spécifique, j’ai été impliqué comme scénariste directement sur Far Cry Instinct, Prince of Persia : Les deux Royaumes, I Am Alive et Ghost Recon Future Soldier. (Lire : j’ai été intégré à l’équipe de développement).

Ta pratique du jeu de rôle est-elle pour beaucoup dans ton envie de conter des histoires ?
Le jeu de rôles a joué un rôle fondamental dans la construction de mon imaginaire. Ce sont mes parents qui m’y ont initié quand j’avais 8/10 ans (j’ai commencé par les Livres dont vous êtes le héros), et je n’en ai plus décroché par la suite. Cela m’a notamment appris à gérer les attentes d’un public – j’étais souvent maitre de jeu – et l’importance à la fois de personnages intéressants, complexes, et de l’apport d’un public dans ce qu’on lui raconte. Ce qui est primordial, c’est que ce que l’on raconte « parle » aux gens. Si ce que l’on écrit a une force d’évocation suffisante, c’est le lecteur qui va venir injecter de lui-même du contenu, en lisant entre les lignes.

Je me rends compte que c’est un peu abscond dit comme ça. En BD, par exemple, tout repose sur l’ellipse, sur la suggestion de ce qui se passe entre deux cases, deux pages, deux séquences. C’est ce que j’appelle « faire travailler le lecteur », au sens où il va de lui-même compléter l’histoire. D’où certaines entames et chutes de scènes un peu brutales dans mes histoires.

Contrairement à une bonne partie de la production actuelle, où on prend le lecteur pour un imbécile auquel il faut tout préciser notamment à travers des dialogues explicatifs souvent atroces et redondants, je préfère pour ma part faire confiance au lecteur. Jusqu’ici, la méthode a plutôt bien marché, donc je touche du bois. Je précise que je n’ai rien inventé – des gens comme Matz, Fabien Nury ou Xavier Dorison ont recours au même parti pris, et avec quel résultat.

Le Banni, scénario de la planche 1 du tome 2 ©HenscherQuels furent tes jeux de rôle de prédilection?
J’ai beaucoup, beaucoup joué à Star Wars – vraiment beaucoup. C’est sans doute l’univers le plus riche, le plus cohérent, et le plus souple, qui se prête autant à la comédie qu’à une ambiance sombre, mettant les personnages face à de vrais choix moraux. Et la gamme de suppléments éditée par West End était tout simplement magnifique. Des années plus tard, quand j’ai travaillé sur un jeu dans l’univers de Star Wars, mes références tirées de l’univers du jeu de rôle étaient parfaitement valables face aux gens de chez Lucas.

Egalement, je suis un grand fan de Shadowrun, à mon avis l’une des plus belles œuvres cyberpunk après William Gibson, et un grand amateur de jeux d’ambiance comme Kult, l’Appel de Cthulhu, Deadlands, ou encore Unknown Armies. J’ai également beaucoup joué à Nephilim, à la grande époque de Multisim. C’était le bon temps, quand les jeux vidéo n’avaient pas supplanté tout un pan de notre imaginaire… (Mode vieux con)

Si tu devais en quelques mots expliquer le jeu de rôle à ma grand-mère, que lui dirais-tu ?
Je dirais que c’est comme une veillée au coin du feu, sauf que l’auditoire intervient dans le récit du conteur, et qu’il influence le cours de l’histoire. Et j’éviterais de lui détailler certaines histoires que j’ai pu raconter. Nous ne voulons pas effrayer grand-mère !

Enfant, quel lecteur étais-tu ? Quels étaient alors tes auteurs de chevet?
Je viens d’une famille dans laquelle la télévision est arrivée très tard – j’avais 12 ans quand mes parents ont accepté d’en acheter une. Du coup, j’ai grandi dans les livres dès mon plus jeune âge. J’écumais les bibliothèques municipales chaque mercredi, et je dévorais toutes sortes d’ouvrages, dont des BD. Je lisais de tout, sans exception, et de préférence des ouvrages qui n’étaient pas de mon âge, notamment en BD.

Parmi mes auteurs de chevet, Tolkien a été une véritable révélation. J’ai du lire le Seigneur des Anneaux à 10 ans, et cela m’a marqué pour toujours. Curieusement, aujourd’hui, j’accroche beaucoup moins à cet ouvrage.

Sinon, pèle-mêle, j’adorais Jack London et Mark Twain (j’ai longtemps cauchemardé sur Joe l’Indien). Plus tard, à l’adolescence, j’ai découvert Moorcock, Lovecraft, Gibson et Ludlum, qui ont constitué le socle de mon inspiration – je les plagiais tour à tour dans ce que j’écrivais quand j’avais 15 ans. Ce n’est que plus tard que je me suis mis à Neal Stephenson, George Martin, Dan Simmons ou même, très récemment, Stephen King – que je n’avais jamais lu.

Le Banni, scénario de la planche 1 du tome 2 ©Henscher Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ?
En réalité, je ne me suis intéressé que très tardivement à la bande dessinée, en tant que vecteur d’écriture. Plus jeune, je voulais écrire des romans – je n’ai toujours pas renoncé, d’ailleurs – et je n’envisageais pas la bande dessinée pour faire vivre mes personnages. Ce sont des rencontres qui m’ont peu à peu amené à m’intéresser à la BD, et à écrire pour un dessinateur. Et notamment celle avec mon meilleur ami, Djib, qui prépare actuellement Cloaca Maxima chez Akileos, un album jeunesse auquel je crois beaucoup.

En février 2008, Casterman publie tonpremier album, le Seigneur des Couteaux, mis en image par Fabien Rondet... Comment es-tu passé de l'autre côté de la barrière?
Autant le dire, mes débuts en BD ont été catastrophiques. Le premier dessinateur avec lequel j’ai monté un dossier était un élève de Chauzy, que m’a présenté Matz. Nous avons bricolé un polar politique dans lequel un parti d’extrême droite se servait des principaux groupes criminels parisiens pour faire régner l’insécurité et influer sur les élections présidentielles.

Notre seul rendez-vous avec un éditeur fut chez Delcourt, et tout compris, il dura 10 minutes, pendant lesquels notre interlocuteur ne m’adressa pas la parole. Je compris ce jour-là la place ingrate qui était celle du scénariste de BD. Je ne l’ai jamais oubliée. (Le plus drôle, c’est qu’on s’est retrouvés côte à côte à un diner un soir, du coup on a rattrapé le temps perdu)

Il faut savoir écrire pour soi dans ce métier, et évidemment pour le dessinateur avec lequel on travaille, mais n’attendre aucune reconnaissance ou considération, que ce soit de la part des éditeurs ou des lecteurs. Si elle doit venir, c’est un heureux accident plus qu’autre chose. Mais dans la majeure partie des cas, vous serez oublié, négligé, et vous resterez dans l’ombre.

Mon compagnon de galère fut tellement ulcéré par l’accueil fait à notre projet – plus que médiocre, disons le tout net – qu’il renonça à la BD. Par contre, il me présenta un de ses amis, dessinateur lui-aussi. C’est comme ça que j’ai rencontré Fabien, avec qui j’ai monté un projet cyberpunk – l’un de deux termes à ne jamais prononcer devant un éditeur, avec « post-apocalyptique », je dis ça pour les aspirants auteurs qui nous lisent.

Nous l’avons envoyé à la terre entière, qui l’a refusé à l’unanimité, sans exception. Je crois rétrospectivement que ce n’était pas forcément le genre d’univers dans lequel Fabien était le plus à son aise. Et puis nous nous faisions une confiance relative à l’époque, donc nous ne nous disions pas les choses clairement quand l’un de nous deux voyait un problème dans le travail de l’autre. Vous n’allez jamais très loin dans ce cas de figure.

Quand Fabien m’a dit qu’il aurait aimé monter un second projet, je lui ai soumis une histoire médiévale très sombre, très tourmentée, particulièrement violente, et éminemment « sensible ». Je suis parti 15 jours en vacances, et à mon retour, il avait abattu un travail phénoménal de recherches sur le sujet. Selim l’assassin était né. Curieusement, ce projet n’a eu aucun problème à convaincre un éditeur – Casterman, en l’occurrence. Même si, en tant que parfaits débutants, nous avons du montrer patte plus que blanche.

Ainsi, nous avons du soumettre l’intégralité du storyboard dialogué du premier tome, puis les 10 premières planches storyboardées et dialoguées du tome 2, auquel nous n’avions même pas réfléchi à l’époque. Le tout en 3 mois de temps. Je crois que j’ai rarement autant travaillé de ma vie pendant cette période.

Mais au bout du compte, le projet a été accepté et nous nous sommes ainsi retrouvés de l’autre côté de la barrière.

Le Banni, storyboard de la planche 1 du tome 2 © Tarumbana / Henscher En janvier 2010 Le Lombard publie le premier tome d'une trilogie de médiéval-fantasy signé par un jeune dessinateur impressionnant de maîtrise, Tarumbana... Comment est né ce projet et comment as-tu rencontré ce dessinateur époustouflant?
Au tout départ, le Banni avait été conçu pour Alex Alice. Ou, tout du moins, j’avais ce pitch en tête avec ce personnage de vieille gloire alcoolique, aigrie, malade, et bannie, et je me suis « tout naturellement » dit qu’Alex Alice était l’homme de la situation. Je m’apprêtais à lui envoyer un mail quand on m’a informé qu’il était désormais très pris par son projet sur Siegfried.

Du coup j’ai renoncé, et j’ai commencé à travailler avec un dessinateur que m’avait présenté un ami. Ledit dessinateur a rapidement renoncé, le médiéval légèrement fantastique n’étant finalement pas sa tasse de thé. Je me suis donc retrouvé avec un projet orphelin, donc j’étais pourtant convaincu dur comme fer qu’il avait un réel potentiel et que j’avais le doigt sur « quelque chose » avec cette histoire.

C’est là qu’internet est venu à mon secours.

A l’époque, je fréquentais déjà le forum du Café Salé. Ni une ni deux, je suis allé pitcher mon projet dans la section Scénario, dont je m’occupe désormais. Deux dessinateurs m’ont rapidement contacté, et Tarumbana était l’un d’eux. Il avait arrêté la BD depuis plusieurs années, mais quand il a lu le pitch du Banni, il a été conquis et il a plongé dans l’aventure.

Il y avait « quelque chose » dans les tous premiers dessins qu’il m’a envoyés, mais rien qui ne laissait présager de la claque hallucinante que je me suis prise quand j’ai vu la première planche terminée du dossier de présentation. Sans rire, c’était par endroits du niveau d’un Alex Ross, rien de moins.

C’était d’autant plus époustouflant que ce dessinateur dont je ne savais rien – nous avons travaillé quasiment un an ensemble avant de nous rencontrer – ne vivait absolument pas de son art, loin de là. Il dessinait de temps à autres pour son plaisir, mais il travaillait dans un entrepôt où il déplaçait des caisses. Quand j’ai vu sa planche d’essai, je me suis promis qu’il ne retournerait plus jamais à l’entrepôt. Que ce soit avec ou sans moi, il percerait, et j’allais tout faire pour que cela arrive.

C’est ainsi qu’en janvier 2008, armé du dossier du Banni, et poussé par Julien Blondel, je suis descendu faire le tour des éditeurs à Angoulême… La sauce a tellement bien pris que nous avons eu le luxe inouï de choisir notre éditeur pour ce projet, chose rare s’il en est, surtout pour des débutants.

Le Banni, planche 1 du tome 2 en cours de réalisation © Tarumbana / Henscher Comment as-tu travaillé les personnages de ta saga? Chacun d’entre eux a-t-il fait l’objet d’une fiche détaillée comme on peut le voir dans les jeux de rôle?
Chaque personnage dispose d’une description plus ou moins longue selon son importance d’origine dans l’histoire – importance qui peut évoluer au fil du projet. Je m’attache assez peu à la description physique d’un personnage, sauf élément clef comme un personnage borgne, manchot, ce genre de chose. Pour le reste, je suis assez vague sur l’aspect physique. Par contre, je fais une description psychologique très poussée des personnages, en insistant notamment sur leur rapport aux autres personnages, et leurs objectifs et désirs. C’est de ce profil psychologique dont je veux que le dessinateur s’imprègne, afin d’accoucher de sa vision de tel ou tel type de personnage. Très souvent, les dessinateurs avec lesquels je travaille « trouvent » les personnages bien mieux que je n’aurais jamais pu les décrire physiquement. Ensuite, évidemment, on fait des retouches ensemble au besoin.

Quelles indications as-tu donné à Tarumbana pour l’élaboration des décors et de l’apparence des différents personnages ?
J’agis pour les décors de la même façon que pour les personnages. J’insiste beaucoup sur des éléments évocateurs, sur des types d’ambiance, de matières, plutôt que de faire une description par trop précise des environnements. Encore une fois, il me semble primordial que le dessinateur s’approprie l’univers. Mon rôle se cantonne vraiment à titiller au mieux sa créativité et son imagination. Si ce que j’écris l’ « emmène », alors je sais que quoi qu’il me présente, cela collera parfaitement à ce que j’avais en tête, de façon parfois confuse – je ne réfléchis pas de façon très graphique, c’est ma grande faiblesse.

 Le Banni, version finale de la planche 1 du tome 2 © Tarumbana / Henscher Outre le Banni, quel personnage as-tu particulièrement aimé mettre en scène?
J’ai de l’affection pour tous mes personnages, mais j’avoue que j’ai un faible pour le duc Amaltek – dont je reconnais qu’il a beaucoup évolué après que j’ai vu la performance d’Heath Ledger en Joker dans The Dark Knight - et surtout, pour le vilain (gros) canard, Alaric. Pour la petite histoire, ce personnage ne devait pas survivre à sa première rencontre avec le Banni. Mais quand Tarumbana l’a retravaillé et m’a présenté sa version définitive, il m’est apparu évident qu’on ne pouvait pas se débarrasser d’une telle « gueule » de cette façon. De fait, il est appelé à jouer un rôle non négligeable dans la suite des évènements.

Je crois beaucoup à la volonté intrinsèque d’un personnage que l’on a créé. Il arrive souvent que malgré tous nos efforts, les personnages se mettent à refuser de faire ce qu’on avait prévu de leur part, et « expriment » des désirs différents, qui font évoluer la vision que l’on avait de sa propre trame. Cela a été le cas avec Alaric, comme avec d’autres personnages, que je ne dévoilerai pas ici, pour ne pas trop spoiler.

Comment avez-vous organisé votre travail avec Tarumbana ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de votre travail? Serait-il possible, pour une planche donnée, de voir les différentes étapes de sa réalisation?
Pour le moment, je ne sais pas travailler autrement qu’en écrivant un script avec une première proposition de découpage. J’imagine que je pourrais gagner un temps précieux en ne me préoccupant pas du découpage et en laissant cette tâche au dessinateur. Il faudrait que je teste pour voir ce que ça donne. Sur un prochain projet, sans doute.

Je décris l’action d’une planche donnée case par case, en indiquant les strips, et en intégrant les dialogues. Cela ressemble beaucoup à ce qu’on peut trouver dans un script de film, sauf que parfois, je ne résiste pas à la tentation de donner des indications de mise en scène – sur l’angle de vue, le cadrage, l’avant plan et l’arrière plan. Je peux donc être parfois très directif… et me fourvoyer complètement.

De fait, quand il reçoit ma première mouture, Tarumbana la teste en réalisant un storyboard. La plupart du temps, cela ne fonctionne pas graphiquement – j’ai tendance à vouloir mettre trop de choses dans une même case – donc il me fait une contre-proposition qui respecte au mieux mon découpage d’origine, et dans tous les cas de figure l’esprit de la scène. Ensuite, nous faisons les ajustements nécessaires en nous basant sur le storyboard.

Enfin, pour ce qui est des dialogues, je les retouche trois, quatre, cinq fois, tout au long de la production de l’album. Donc quand il reçoit les pages pour la première fois, Tarumbana sait qu’il ne s’agit que d’une intention, même si certains dialogues sont bons dès le premier jet – très peu, à vrai dire, mais cela arrive de temps à autres.

Pour le tome 1, le storyboard était assez succinct, et je ne découvrais les pages qu’une fois celles-ci complètement achevées. En effet, il n’y a pas ou peu de crayonné dans le dessin de Tarumbana, du fait de son utilisation du numérique. Je n’ai réellement découvert son trait traditionnel que lors de nos premières séances de dédicaces communes à Angoulême 2010, alors que nous avons commencé à travailler ensemble en 2007 !

Sur le tome 2, par contre, pour des raisons de délais assez serrés lors de la reprise du projet, Tarumbana a d’avantage poussé ses storyboard, de façon à ce que je valide ses intentions et qu’il n’y ait pas trop de choses à refaire une fois la planche terminée. Ce luxe là, nous pouvions nous l’offrir sur le tome 1, pour lequel les délais étaient moins importants que de livrer le meilleur premier tome possible.


 Le Banni, dédicace couleur de TarumbanaL’excellent premier opus du Banni a été publié il y a plusieurs années. Sans indiscrétion, qu’est ce qui retardé la publication du second tome ?
Cela, c’est à Tarumbana d’y répondre, s’il le souhaite. Tout ce que je peux dire, c’est que parfois, la vie nous impose des situations contre lesquelles on ne peut pas grand-chose, et que dans ces cas-là, effectivement, un projet peut être brisé net dans son élan. Donc oui, cela a été long, douloureux, et incertain, mais je pense sincèrement que l’attente en valait le coup, si j’en crois les premiers retours des fans. Et nous travaillons déjà sur le tome 3, qui ne mettra sûrement pas autant de temps à se faire.


As-tu d’autres projets dans tes cartons? (BD ou autre)
J’ai beaucoup (trop) de projets dans mes cartons, en BD.

J’ai travaillé avec plusieurs dessinateurs (Redec, Madd, Djib ou encore Nikopek) par la suite, qui ont tous ou presque été publiés, mais sur d’autres scénarios que les miens. La raison essentielle en est que les histoires que je tentais de vendre étaient trop compliquées, trop risquées quant aux thèmes qu’elles traitaient et que les éditeurs sont notoirement frileux en la matière.

Entretemps, j’ai terminé Le Seigneur des Couteaux, dont l’intégrale est parue dans l’indifférence générale en mars 2013.

J’ai une nouvelle série en préparation au Lombard. Un projet très ambitieux, pharaonique, écrit à 4 mains avec Emmanuel Herzet, et dessiné par l’immense Rafa Sandoval. Un français, un belge et trois espagnols (Rafa a un encreur et un coloriste – il travaille habituellement pour les US), bref, un projet européen ! Ca va s’appeler Les Prométhéens, et les 4 ( !) premiers tomes devraient sortir en 2015.

Je travaille également sur plusieurs concepts avec Djilali Defali – le complice habituel d’Eric Corbeyran, avec qui il fait notamment Assassin’s Creed en BD – et nous attendons des réponses d’éditeurs.

Je ne cours pas après la signature, je préfère de loin produire peu, mais des choses dont je sois fier – le Banni a mis presque 4 ans à voir le jour, entre l’idée initiale et la sortie du premier tome - . J’ai cette chance de ne pas directement vivre de ma plume et donc de pouvoir temporiser. Prendre du recul et réfléchir avant de faire n’importe quoi avec n’importe qui, est donc un luxe que je peux me permettre.

J’ai également des envies de romans et un ou deux projets de long métrage qu’il faut que je jette sur le papier. Mais là encore, ces choses là prennent du temps, pour une issue souvent négative. Et puis il faudrait que je réactive mon blog, en mode encéphalogramme plat depuis trop longtemps.

Une chose est sûre, j’ai de quoi m’occuper pour les 15 prochaines années !

 Le Banni, Tarok © TarumbanaQuels sont tes derniers coups de cœur (ciné, BD, musique, romans… tous médias confondus quoi smiley ) ?

Je suis atrocement en retard en la matière, mais je comble ça petit à petit.

Dernièrement, en BD, j’ai eu le coup de cœur pour Blue Note, de l’ami Mathieu Mariolle, Tyler Cross de Nury (quelle maitrise dans la narration, et cette écriture asséchée, épurée jusqu’à l’os) et le somptueux Elric de Julien Blondel. Et Ma Révérence, par Lupano. Parce que Lupano n’est pas le nouveau scénariste qui monte pour rien – ce type a un style formidable.

Oui, je ne cite que les scénaristes, parce que parfois, il faut leur faire un peu plus de place que d’ordinaire.

Je suis Walking Dead en BD comme en série, ainsi que le Trône de Fer, Homeland, House of Cards et j’attends avec impatience la suite des Revenants sur Canal.

Par contre, musicalement, je ne peux pas travailler sans écouter Deezer ou Spotify. Parfois j’écoute le même morceau en boucle toute la journée, parfois je zappe de référence en référence. Je peux ainsi passer d’Eminem à Propelerheads à David Bowie à qui sais-je encore. Peu importe en fait, puisqu’au bout d’un moment la musique s’estompe quand on écrit et on n’y prête plus attention.

Mais l’album « Passion » de Peter Gabriel et « La mémoire dans la peau » de John Powell ont joué un rôle important dans l’écriture du Seigneur des Couteaux, par exemple. Pour le Banni, c’est plus épars – il y a aussi bien eu du Depeche Mode que du Aerosmith.

Et par-dessus tout, je suis un fan absolu de Bruce Springsteen, dont le talent de conteur dans ses chansons est juste éblouissant.


 Le Banni, le poids des légendes © TarumbanaQuel bouquin traîne en ce moment sur ta table de chevet?
Le dernier tome du Trône de Fer – en anglais – que je ne parviens pas à finir depuis deux ans – je ne comprends pas comment Martin s’est infligé ce pensum – et Reamde, de Neal Stephenson, également en anglais, un bouquin immense, picaresque, qui me fait pleurer à la fois de bonheur et de jalousie à chaque page. Et Gagner la guerre, de Jean-Philippe Jaworski. Un bouquin énorme, au style éblouissant. On a un très grand de la littérature en France, et personne n’en parle. Vraiment, lisez Gagner la guerre. Sinon de manière générale, je lis énormément la presse, je m’informe beaucoup – le Courrier International, aussi, est une excellente source d’inspiration.


Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Je pourrais parler longuement des aléas du métier, de la quête illusoire de la gloire, et du prix qu’on finit par payer à trop croire au miroir aux alouettes, mais on va encore me dire que je suis un vilain cynique. Comme disait je ne sais plus qui, « le succès, c’est aller d’échec en échec avec un enthousiasme jamais démenti ». C’est très vrai.


Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


Un personnage de cinéma : Le Big Lebowski
Une créature mythologique : Un gnome.
Un personnage de Jeu de rôle: Voleur gnome spécialisation couradise.
Un personnage de BD : Achille Talon.
Un personnage biblique : Goliath.
Un personnage de roman : Martin Silenus, d’Hyperion.
Un personnage de théâtre : Scapin.
Une œuvre humaine : N’importe quelle place du Trastevere à Rome.
Un jeu de société : La bonne paye.
Une recette culinaire : Un gros chou à la crème.
Une boisson : Un Russe Blanc.


Un dernier mot pour la postérité?
J’espère surtout que la postérité aura un mot pour moi. Même un tout petit, je m’en contenterais. Les scénaristes sont de grands égocentriques, c’est bien connu, et je ne prétends pas être différent de mes petit(e)s camarades.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé…


Le Korrigan