Haut de page.

Entretien avec Olier
Interview accordée aux SdI en mars 2014


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?

Pas le moins du monde...

Merci bien… Peux-tu en quelques mots nous parler de toi ? (parcours, études, âges et qualité, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)
Le parcours commence à être long, arrivé en ces âges canoniques ! Disons pour simplifier que j'ai fait des études d'Histoire, que je suis devenu professeur d'Histoire en lycée mais que je me suis vite aperçu que je préférais raconter des histoires... J'ai donc petit à petit basculé dans le monde de la BD jusqu'à en faire ma profession... Mais les BDs que j'écris ou que je dessine ont toutes une base plus ou moins historique, on ne se refait pas ! En ce qui concerne les passions, hors de la BD et de la lecture en général, je m'intéresse de très près aux races anciennes d'animaux de ferme et au cheval de trait en particulier...

Les Godillots,lavis © Marko Enfant, quel lecteur étais-tu ? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils maintenant ?
Mes deux héros de jeunesse étaient le lieutenant Blueberry et Rahan, le fils des âges farouches. Puis j'ai découvert les comics à travers les traductions des éditions Lug et Artima et par là, je suis arrivé à l'héroïc-fantasy sur les pas de Conan (version Marvel puis dans le texte de R.E.Howard), de Tolkien, de Lord Dunsany et de tant d'autres... Aujourd'hui, je reste attaché à ces classiques mais j'ai entrepris de lire la saga du Trône de Fer. Je me nourris aussi de romans innombrables de Star Trek, d'ouvrages purement historiques et d'un stock impressionnant de BDs et de comics mensuels. Le chevet de mon lit est impraticable à pied sans marcher sur un livre...

Devenir auteur, étais-ce un rêve de gosse ?
Pas vraiment, ou alors de façon inconsciente, inavouée... Je voulais devenir agriculteur...

L’univers de tes premiers albums (Les Portail avec Alain Henriet et le Le rouleau de Kraân avec Mauricet, Agence Barbare avec Marko) laisse à penser que tu as tâté du jeu de rôle… Est-ce une impression fausse ?
J'ai effectivement été rôliste pendant mes années d'études, mais pas de façon obsessionnelle. J'avais et je garde surtout une passion pour l'héroïc-fantasy littéraire et les sagas historico-fantastiques...

Les Godillots,sculpture de Palette © Patrice BrochardComment-as-tu rencontré Marko avec qui tu as signé de nombreux albums ?
Nous nous sommes rencontrés par hasard sur internet, il y a tout juste treize ans, par l'intermédiaire de nos passions communes (musicales, surtout). L'alchimie a fonctionné presque tout de suite et nous sommes partis sur des délires bédéistiques de jeunesse dont certains ont même été publiés et pour lesquels nous gardons une grande tendresse. Depuis, on a mûri ensemble, mais pas trop, j'espère !

Comment sont nés les Godillots, série intelligente et didactique qui donne à voir la Grande Guerre à hauteur d’enfant ?
Je dirais que les Godillots présentent la Grande Guerre à hauteur d'Humain. Bixente est le personnage principal et le narrateur des romans jeunesse des Godillots, mais pour les albums BDs, c'est l'escouade toute entière qui est le centre des récits. C'est au départ une volonté de Marko, passionné par la période de la Première Guerre Mondiale. Il m'a entraîné là-dedans alors que ma nature me poussait vers des époques plus reculées... Mais je ne le regrette pas du tout et plus on avance, plus je me rends compte que la Grande Guerre, charnière entre le monde ancien et les temps nouveaux, recèle des épopées oubliées, des moments épiques et de la matière à créer de belles histoires. La saga des Godillots vient d'une construction en "ping-pong" entre Marko et moi, de la matière historique retravaillée à notre sauce : nous partons souvent d'une anecdote, d'un personnage, d'une photo d'époque qui nous inspire et nous inventons peu à peu l'histoire qui va autour. Les possibilités de scénario pour cette période sont infinies... Mais notre grande ligne directive est de raconter la Guerre à hauteur d'homme...

Les Godillots,illustration tirée du tome 3 © Marko / OlierFranchement, c’est plus que réussit! Peut-on connaitre les anecdotes à l’origine des deux albums et du roman jeunesse ?
Pour le tome 1, "Le Plateau du Croquemitaine", c'est une photo parue à l'époque dans un magazine du type "L'Illustration" et qui représentait deux mules enlisées dans un trou d'obus boueux. Pour le tome 2, c'est, bien sûr, l'épisode de "L'oreille coupée" qui avait été chroniquée par le journaliste Franck Beauclerc dans le magazine "Tranchée". Enfin, pour le roman jeunesse, j'avais envie de traduire le fait que les poilus venaient au front avec leur profession dans le "civil". J'étais en train de lire un ouvrage sur les sorciers et rebouteux du Berry. Je me suis dit que c'était une bien belle profession que celle-là. Et ça a donné "Le Gourbi du Sorcier"... Pour le tome 3, en préparation, je suis parti de la personnalité un peu particulière d'une figure connue de la Grande Guerre. Il me faut une étincelle pour lancer la machine de l'imaginaire...

L’écriture de l’intrigue des histoires des godillots a-t-elle nécessité de longues recherches documentaires? Quel ouvrage conseillerais-tu à un lecteur désireux d’en apprendre plus sur le quotidien des hommes de troupe?
Oui, bien sûr. Autant au niveau du scénario que du dessin, la documentation est importante, primordiale même. Nous tenons au fait que, malgré le ton plutôt léger de la série, la conformité historique soit maximale, y compris dans les détails d'uniforme ou d'équipement. C'est parfois fastidieux et de temps en temps, il nous arrive de passer à côté d'une information ou d'une photo d'époque qui aurait pu nous aider, mais, dans l'ensemble, c'est plutôt intéressant et gratifiant au final. L'offre de documentation tant écrite qu'iconographique est énorme, surtout en ces temps de commémoration où les ouvrages, les films et documentaires, les musées se multiplient... mais s'il ne fallait retenir qu'un seul livre, je conseillerais "La Première Guerre Mondiale pour les Nuls" de notre ami Jean-Yves le Naour. C'est une excellente porte d'entrée dans le sujet, concise, sérieuse et intéressante. Il en existe aussi une édition illustrée, ce qui ne gâche rien !

Les Godillots,crayonné de la couverture du roman © MarkoParmi les anecdotes sur la Grande Guerre que tu as trouvé dans tes recherches, y en a-t-il une qui t’as particulièrement touché?
Touché? Elles sont toutes intéressantes ou poignantes selon les cas... Mais personnellement, j'adore celles qui sortent de l'ordinaire, comme celle de cet éléphant d'Asie que l'armée allemande utilisait comme un bulldozer dans les bois de l'Avesnois, sur l'arrière du front dans le Nord de la France. La période regorge de ce genre d'histoires bizarres, insolites. Elles me confortent dans l'idée que la réalité a toujours un temps d'avance sur l'imagination la plus débridée...

Alors qu’on s’apprête à commémorer le centenaire des débuts de la Grande Guerre, les albums comme le roman des Godillots semblent être un formidable moyen de parler de cette guerre aux plus jeunes. Car si les atrocités de la der des ders y sont édulcorées, vous y abordez néanmoins le quotidien des soldats de la première guerre mondiale. Est-ce un numéro d’équilibriste de se faire réaliste tout s’adressant à de jeunes lecteurs ?
Attention. La Guerre n'est pas "édulcorée" dans "Les Godillots". C'est juste le point de vue qui change par rapport à ce qu'on présente habituellement du conflit. Nous avons choisi de mettre en scène une unité de deuxième ligne, une fonction de ravitaillement pour nos héros, afin de mettre en scène la vie quotidienne des Poilus. La vie des soldats était surtout faite d'attente entre deux assauts. Et cette attente, il fallait bien la combler. Par l'intendance, l'aménagement des tranchées, le théâtre aux armées, les perms, les corvées, l'amitié... C'est tout ce pan de l'existence des soldats que nous avons choisi d'explorer. Mais les aventures des Godillots ont aussi leurs victimes, leurs gueules-cassées, leur traîtres, leurs morts... Y compris dans le roman-jeunesse où le total des morts est plus élevé que dans les deux albums réunis. Le "numéro d'équilibriste" que tu évoques est juste une transcription de l'équilibre entre horreur et vie quotidienne, entre humanité et boucherie, entre le Front et l'Arrière... Tout ce qui faisait la vie et l'ordinaire des soldats de la Grande Guerre, des deux côtés du "no man's land"...

Les Godillots,lavis © MarkoAprès deux albums justement, voilà que les Godillots se déclinent en roman jeunesse… Pourquoi avoir voulu utiliser un autre média pour raconter les aventures de notre joyeuse troupe ?
Nous visions le jeune public dès le début des albums de BD. Notre maison d'édition publiant également des déclinaisons de ses principales séries, Marko a eu l'idée de nous y frotter aussi. Et c'était une excellente idée. C'est un bon support pour continuer et approfondir les aventures de nos héros, en prenant le point de vue de Bichette, le jeune garçon qui accompagne Bourru et Palette dans les albums. Nous espérons que ces récits pénètreront dans les classes afin de familiariser les jeunes lecteurs avec les réalités de cette période historique hors du commun. L'accueil est encourageant et nous espérons bien continuer ce pan de l'aventure. Mais les romans "jeunesse" sont également lisibles par un public plus adulte et constituent un complément aux aventures qui se déroulent dans les albums. Les deux supports sont interconnectés et c'est ça qui est intéressant à écrire, et, nous l'espérons, à lire aussi ! smiley D'autre part, il faut préciser que l'illustration de ce premier petit roman a permis à Marko d'explorer une nouvelle voie dans la représentation graphique des Godillots... Tellement intéressante qu'elle va se prolonger dans les albums. Alors, si vous voulez la découvrir avant tout le monde, lisez "Le Gourbi du Sorcier"...

Les Godillots,Illustration © MarkoEs-tu beaucoup sollicité pour venir parler de tes albums dans les écoles, alors qu’on s’apprête à commémorer le centenaire du début des hostilités ? Quelles sont les questions les plus fréquemment posées par les jeunes lecteurs que tu as rencontrés?
C'est vrai qu'en ces temps de commémorations, Marko et moi sommes beaucoup demandés en ce qui concerne les interventions en milieu scolaire. Nous avons de plus conçu une exposition itinérante sur la série "Les Godillots" qui est elle-aussi très demandée et nous en sommes très contents. A l'heure où j'écris ces lignes, Marko est en Champagne pour une semaine entière d'échanges avec des élèves et des lecteurs... La question qu'ils nous posent le plus souvent est celle-ci : "Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de faire une BD humoristique sur la Grande Guerre ?"... Pas facile d'y répondre précisément, mais c'est en tout cas le point de départ pour de bons échanges...

Est-il facile d’imposer l’idée que la BD peut-être aussi instructive, alors que, malgré des progrès notables, beaucoup la considèrent encore comme un pur divertissement ?
Je trouve que la BD est maintenant considérée comme une "lecture" à part entière, avec tout ce que ça implique en termes "d'instruction". Les profs d'aujourd'hui ont tous grandi avec la BD et sont très conscients de l'apport qu'elle peut constituer. La notion de "pur divertissement un peu inutile" s'est aujourd'hui déplacée vers le jeu vidéo. L'enthousiasme des enfants aussi...

Les Godillots,case du tome 3 © Marko / OlierPeut-on en savoir un peu plus sur l’intrigue du tome 3 ?
C'est encore un peu top secret... mais on peut d'ores et déjà dire que l'action se déroule dans le milieu de l'aviation, des As du combat aérien. Pour la première fois, on y trouve un personnage féminin d'importance... et le mystère qui entoure Bixente s'épaissit un peu plus. Au niveau du dessin, il y a aussi du changement, mais j'en ai déjà parlé plus haut. Vous comprendrez que je ne peux pas en dire beaucoup plus...

Quels sont, tous médias confondus, tes derniers coups de cœur ?
J'adore "Le juge Bao" en BD. Je viens de recevoir les deux tomes de la réédition du "Kamandi" de Jack Kirby de chez Urban Comics. Ca me rappelle mon adolescence et, comme tout geek qui se respecte, j'adore regarder les épisodes de "The Big Bang Theory" avec mon fils...

Y-a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Comment se passe la collaboration avec Marko, à plus de 1000 km de distance ?
Réponse : Par Skype et mail. C'est parfois un peu ardu d'aligner le caractère bouillant et hyperactif du Basque Bondissant et celui, plus calme et régulier du Nordiste Zen... Mais il faut avouer qu'au final, c'est l'éclate totale et que nous essayons de progresser continuellement dans notre travail, c'est ça l'essentiel, non ?

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


Les Godillots,recherche © Marko un personnage de BD: Ikaris, des Eternels (Jack Kirby)
un personnage mythologique: Pan
un personnage de roman: Meriadoc Brandebouc
une chanson: "Va Danser", de Gaston Couté
un instrument de musique: la veuze nantaise
un jeu de société: Catane
une découverte scientifique : la puce électronique
une recette culinaire: les tomates farcies
une pâtisserie: le baba au rhum
une ville: Bruges
une qualité : La solidité
un défaut: La frilosité
un monument: Les alignements de Carnac
une boisson: le jus de pommes
un proverbe : Une citation, plutôt : « Quand on est plus de quatre on est une bande de cons. A fortiori, moins de deux, c'est l'idéal. » (Pierre Desproges)


Un dernier mot pour la postérité ?
Pangolin

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Le Korrigan