Bonjour Laurent Devernay et merci de vous prêter au petit jeu de l’interview…
Merci de venir me poser toutes ces questions.
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Non, même si je frôle l’overdose de tutoiement à cause de mon boulot. Et puis bon, je vais peut-être devoir révéler quelques-uns de mes plus sombres secrets alors autant se mettre à l’aise.
Merci bien… Peux-tu en quelques mots nous parler un peu de toi? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
En quelques mots : la trentaine, toulousain d’adoption, ingénieur en systèmes d’information dans la vraie vie. Et surtout une fille que je compte bien convertir aux jeux en général. Pour l’instant, j’essaie déjà de la convertir à l’idée de faire ses nuits (et c’est pas encore gagné).
Au niveau des passions (en-dehors de jeux, donc), la BD sous toutes ses formes. Je te donnerais bien mon numéro de carte bleue mais je m’en rappelle jamais.
Enfant, quel joueur étais-tu ? Comment es-tu tombé dans la marmite du jeu de rôle ?
Enfant unique et pas particulièrement sociable, j’étais surtout lecteur. Heureusement, les jeux vidéo et l’abnégation de ma mère pour me faire jouer à des jeux de société m’ont permis de baigner très jeune dans le jeu. Pour le jeu de rôle, ce n’est venu que bien plus tard, après le bac. Avant ça, j’ai juste lu quelques livres dont vous êtes le héros. Je garde un souvenir poignant de mon premier : il y avait un dinosaure et un robot sur la couverture. C’est tout ce dont je me souviens mais c’est la classe! On n’a pas fait mieux depuis, à part peut-être Dinosaur Planet D20.
Au collège, j’ai pas mal joué à Magic avant d’enchaîner avec le JCC L5R. C’est à cause de ce dernier que j’ai été converti au JDR L5R en prépa. Puis à Shadowrun. Avec les katanas, ce n’était pas trop dépaysant. Après, tout s’est enchaîné. Mais j’y reviendrai un peu plus loin.
Si tu devais en quelques mots expliquer à ma grand-mère ce qu’est le JdR, que lui diriez-vous ?
Tu vas voir, Mère-Grand (je peux t’appeler Mère-Grand), c’est un super jeu où tu peux interpréter n’importe quel personnage et faire tout ce que tu veux. Comme un épisode de Derrick où tu chercherais toi-même les indices, tu interrogerais les témoins et tu devinerais qui est le tueur. De mon côté, je me contenterai de répondre à tes questions et de t’aider à voir ce qui est faisable ou pas. Je pose les scènes, je décris les autres personnages et tu fais tout ce que tu veux. Plutôt cool, non?
Quelles sont tes meilleurs et pires souvenirs de rôliste?
Mes meilleurs souvenirs de rôlistes gravitent autour de parties de Brain Soda hautement improbables avec des joueurs totalement impliqués dans le but d’enchaîner les mauvaises idées. J’ajoute aussi dans le lot une double-table de Sweepers Inc carrément épique. Une dizaine de joueurs à gérer en même temps et beaucoup de satisfaction à les voir s’amuser autant. Ha oui, et le test d’un scénario pour Kuro avec une table de joueurs qui n’en menaient pas large.
Je n’ai pas vraiment de mauvais souvenirs, à part peut-être le traditionnel joueur qui saborde un scénario dès le début parce qu’il est fatigué.
De joueur à auteur, comment as-tu sauté le pas ?
A une époque, je faisais jouer à Brain Soda une ou deux fois par semaine. Même s’il y avait déjà beaucoup de matos disponible sur le site de l’auteur, j’ai fini par en faire le tour. Après avoir improvisé un scénario et m’être rendu compte du côté périlleux de l’exercice (agréable mais éprouvant), je me suis mis en tête de m’y prendre un peu plus à l’avance. De fil en aiguille, je me suis mis à rédiger mes propres scénarios. Grâce au forum Casus No, je pouvais côtoyer l’auteur du jeu (Willy Favre). Je lui ai donc envoyé mes créations et il a été suffisamment indulgent pour les mettre en ligne. Quand il lui a fallu un coup de main pour l’édition pro du jeu, il est directement venu me voir et c’était le début d’une belle aventure. Ha, on était jeunes et fous, on courait sur la plage main dans la main…. hmm je m’égare. Question suivante?
Prochainement va paraître un jeu de rôle se déroulant dans l’univers de City Hall, manga créé par Rémi Guérin et Guillaume Lapeyre. Comment as-tu découvert la série ?
Comme je le disais précédemment, je lis énormément de BD, sans distinction de genre. J’ai même appris l’italien grâce aux fumetti, c’est dire. Je me suis converti aux mangas peu après l’arrivée de Dragon Ball en France. Depuis quelques années, les mangas français cherchent à s’imposer mais n’y parviennent pas vraiment, pour diverses raisons. J’ai découvert City Hall en boutiques un peu par hasard et le pitch m’a tout de suite parlé. En le feuilletant, j’ai été conquis et la lecture m’a confirmé cette excellente première impression.
Comment est né ce projet d’adaptation en jeu de rôle et comment s’est organisé le travail avec les auteurs de la BD ? Sont-ils eux-mêmes rôlistes ?
En lisant City Hall, mon côté rôliste a régulièrement été titillé. Ce qui est écrit prend vie, l’univers s’appuie sur l’histoire et la littérature tout en prenant pas mal de libertés pour proposer un tout cohérent. Partant de là, je me suis dit qu’il y aurait moyen d’en faire un JDR. Le truc, comme souvent avec les adaptations, était de ne pas trop empiéter sur le matériel d’origine, surtout que la série est toujours en cours de publication. J’ai donc opté pour une préquelle. Ce fut l’occasion de revenir sur une période intéressante : Londres en 1850 soit quelques décennies après la fin de la guerre visant à éliminer le papier et les écrivains. Pour savoir ce qu’on joue, rien de plus simple : des agents de Nostromo, une agence gouvernementale chargée de traquer les écrivains. Ainsi, on aurait plus ou moins un jeu à mission, ce qui est idéal pour en faire un jeu d’initiation. En effet, quitte à adapter une BD, autant s’intéresser directement à ses lecteurs. Grâce à la magie des réseaux sociaux, j’ai contacté Rémi et Guillaume (les auteurs de la BD) pour leur présenter mon projet. Ils se sont montrés très intéressés et flattés. Ils ont donc directement servi d’intermédiaires avec Ankama. Là, j’ai eu la chance de tomber sur une interlocutrice rôliste, Céline Antoine, qui a énormément apporté au projet (au-delà du fait même de le rendre possible). Les auteurs ont montré énormément d’enthousiasme face à mon travail et j’ai pu creuser l’univers pour revenir cinquante ans en arrière et essayer de développer tout ce qui aurait besoin de l’être pour en faire un JDR. Céline m’a d’ailleurs là aussi beaucoup aidé en apportant le regard inestimable du rôliste aussi appelé “celui qui remet tout en question”.
Rémi et Guillaume ont pratiqué le JDR à quelques reprises par le passé et j’ai même pu les faire jouer directement au jeu, ce qui a été une excellente expérience. Le fait qu’ils soient extrêmement sympathiques et talentueux y est pour beaucoup.
Mince, j’ai l’impression de rédiger mon discours pour la remise des Oscars.
Il faudra penser à créer des oscars du jeu de rôle avec moult catégories telle celle de la meilleure adaptation BD…
Je triche un peu en essayant d’en proposer le plus possible mais je serais quand même capable de ne rien gagner. Il faut dire qu’il y a du lourd en face! J’entends le plus grand bien des Quatre de Baker Street (et la réputation d’Olivier Legrand n’est plus à faire pour ce qui est des adaptations). Et surtout, je reste un fan inconditionnel du JDR Lanfeust : le meilleur jeu d’initiation que je connaisse. C’est quand même ce qui a donné naissance au dK et ça reste ma référence en matière de scénario d’initiation/tutoriel. Un beau gros bouquin tout en couleurs, richement illustré avec de quoi jouer pendant bien longtemps. Un jour, il faudra que je finisse de rédiger ma campagne pour ce jeu (qui doit être à moitié finie). Ça commence à dater mais ça fait partie de ces jeux qui m’ont mis le pied à l’étrier pour l’écriture.
Mais revenons à nos moutons : peux-tu nous faire le pitch de l’univers du jeu en quelques mots pour les joueurs potentiels ne connaissant pas (encore) la série?
Le pitch de la BD est le suivant : dans le monde de City Hall, ce que vous écrivez prend vie. Moyennant un minimum de talent, n’importe qui disposant de papier et d’un crayon peut donner vie à une créature, le papercut. Il n’en fallait pas plus pour déclencher une grande guerre aboutissant au bannissement du papier et des écrivains. La BD s’intéresse à Londres en 1902, alors que Jules Verne et Arthur Conan Doyle sont chargés de traquer un terroriste écrivain. Le JDR se situe cinquante ans avant et propose d’incarner des agents de Nostromo, les hommes de la Reine traquant les écrivains et tâchant tant bien que mal de garder leurs agissements secrets. Le tout sur fond de steampunk et d’horreur gothique.
Peux-tu en quelques mots nous parler de la création de personnage et des règles du jeu?
Chaque personnage dispose d’une vocation au choix parmi quatre (Soldat, Espion, Inquisiteur et… Écrivain!). Elles sont véritablement complémentaires et chacune lui apporte des capacités particulières. Il se choisit également un tempérament qui lui permettra de se dépasser ponctuellement tout en fournissant un moyen supplémentaire de donner de l’épaisseur au personnage. Le système repose sur le classique Trait/Compétence : on lance autant de D6 que la Compétence, chaque dé dont la valeur ne dépasse pas celle du Trait utilisé est un Succès. Ajoutez à cela un système de combat simple avec un peu de tactique et tu auras déjà un bon aperçu de ce que le jeu a sous le capot.
Les illustrations du jeu sont-elles tirées des albums ou Guillaume Lapeyre a-t-il créé des dessins originaux pour l’occasion?
Il y aura un peu des deux. Il aurait été dommage de ne pas piocher dans la BD (surtout quand celle-ci prend soin de détailler l’univers en quelques pages). En plus de cela, Guillaume était tellement enthousiaste qu’il a réalisé une grosse vingtaine d’illustrations. Certaines présentent même de nouveaux pans de l’univers qui n’ont pas encore été dévoilés dans la BD. Du coup, c’était un véritable échange avec les auteurs de la BD : je cherche à détailler et enrichir l’univers de City Hall et Guillaume se charge de dessiner une partie de ces éléments. C’est pour moi l’un des aspects les plus grisants de la création de JDR et c’était un véritable plaisir de voir mes textes s’illustrer ainsi!
Quelle sera la pagination du jeu et quel sera son format?
Je ne peux pas encore te donner le signage définitif mais on devrait être à plus de 220 pages. Le format sera celui du notebook “deluxe” : du 18x23 avec couverture rigide.
Des suppléments de contexte ou de scénario sont-ils d’ores et déjà prévus?
Pour qu’on puisse se lancer dans des suppléments, on espère que le public sera au rendez-vous pour le livre de base. Je sais, ça sonne un peu VRP, dit comme ça. On proposera de toute façon l’écran et son livret pour faire patienter et probablement du matos en téléchargement sur le site et probablement dans les magazines. Avec tout ça, il y aura déjà de quoi tenir un bon moment. Et j’espère bien que les futurs MJ proposeront leurs propres créations!
Quand le JdR City Hall sera-t-il disponible dans tout le multivers?
Dès le 5 septembre, en même temps que le livret et son écran.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
Le relaunch de l’univers Valiant sous la forme de plusieurs séries (et mini-séries) de comics dans des genres très différents mais avec du beau monde. En plus, les premiers cross-overs ont vu le jour et sont bien plus rafraîchissants que ce que propose DC et Marvel. En plus, c’est une occasion unique de se lancer dans un univers partagé qui n’a pas 50 ou 75 ans de publications derrière lui.
La série télé Justified : Timothy Oliphant façon cow-boy au Kentucky et des dialogues qui valent sacrément le détour.
Avengers Arena : des ados super-héros de chez Marvel réunis sur une île pour un Battle Royale. Le dessin et le scénario sont au top et la “suite” (Avengers Undercover) promet énormément.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Tu ne m’as même pas demandé quand sort le prochain supplément pour Hexagon Universe!
Je t’aurais probablement répondu qu’il vient de sortir, qu’il s’appelle Hexagon et qu’il aborde les plus grands super-héros de cet univers. Je t’aurais peut-être même révélé que le prochain supplément abordera les aventures cosmiques et qu’on compte bien tenir ce rythme (un supplément tous les deux mois, environ). On a même commencé à plancher sur la suite avec déjà quelques idées pour des suppléments qui différeront pas mal des autres au niveau format.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD: Dashiell Bad Horse (un indien avec nunchakus!).
un personnage mythologique: Jason (surtout depuis qu’il s’est installé à Crystal Lake).
un personnage de roman: Rincevent (rien que pour le chapeau).
un personnage de JdR: Doji Reju (le duelliste qui a la classe).
une chanson: Bring out your dead (par Strung Out).
un instrument de musique: une guimbarde (rien que pour le nom).
un jeu de société: Can’t Stop (sûrement pas le plus élaboré mais toujours fun et rapide).
une découverte scientifique: le radium (chouette, ça va faire des super-héros… ou pas).
une recette culinaire: l’aubergine au four (simple et efficace).
une pâtisserie: le banoffee (mais sans chocolat).
une ville: Toulouse (parce que c’est pas mal, quand même).
une qualité: la constance (parce que c’est pratique, quand même).
un défaut: l’anxiété (parce que c’est tout de suite moins pratique).
un monument: les mines de sel de Wieliczka, en Pologne (pour le petit côté “on est en pause, profitons-en pour sculpter une cathédrale”).
une boisson: un thé fumé, le genre qui réveille le matin (faute de pouvoir boire du café).
un proverbe: Mieux vaut tard que jamais (très utile dans le domaine du JDR pro).
Un dernier mot pour la postérité ?
Solipsisme.