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Entretien avec Sébastien Vastra
interview accordée aux SdI en janvier 2015


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?

Du tout

Merci bien!
Peux-tu, en quelques mots, nous parler de toi? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)

Je suis né en 1977, j’ai grandi dans un petit village normand entre Le Havre et Etretat, quasiment au bord de la falaise (comme Jim ;). J’aimais beaucoup le dessin, sous toutes ses formes, particulièrement la bande dessinée et le dessin animé.
J’ai eu l’enfance d’un gamin des années 80, baigné par les grands classiques Disney forcément (je me rappelle encore le souvenir émouvant à la sortie de Robin des Bois ou encore Pinocchio) , mais aussi toutes les émissions jeunesses de l’époque, Récré A2, Vitamines, Croque vacances, Le club Dorothée et bien sûr toutes les séries qui les accompagnaient : Les mystérieuses citées d’or, Jayce et les conquérants de la lumière, Tom Sawyer, les trois mousquetaires, Dragon Ball, Le tour du monde en 80 jours, Sherlock Holmes ou encore l’île au trésor, pour ne citer que ceux là (mais je peux tous vous les citer smiley
Après mon bac, j’ai poursuivi des études d’arts plastiques dans l’objectif de devenir prof et faire de la bande dessinée en parallèle. J’ai rapidement réalisé que concilier les deux serait difficile, alors quand l’opportunité s’est présentée avec Fred Duval de réaliser un album, j’ai franchi le pas.
(Concernant mon compte en banque, j’ai bien une carte oui, mais elle est plutôt jaunie par le temps, avec quelques taches de sang séché et elle doit indiquer un emplacement par une croix du côté de l’île de Tortuga…)

Le Testament de Flint, Bill et Jim les pieds dans l'eau © Sébastien VastraEnfant, quelle lecteur étais-tu ? Quels étaient alors tes auteurs préférés?
Au désespoir de mes parents, je n’aimais pas lire. Jusqu’au lycée, je crois n’avoir quasiment lu que les livres recommandés par les professeurs, à part Bilbo le Hobbit et Le Seigneur des anneaux que j’ai découverts à 13 ans dans ma période « jeux de rôles ».
J’avais bien sûr plus de facilité à lire les bd. On en avait quelques unes à la maison. Les classiques : Astérix, Tintin, luckyluke et Gaston, un Alix, un 4 as, rien de très original en somme. Aucun comics (mes parents ne m’en ont jamais acheté un), il y avait les Gotlib de mon père et quelques titres comme « la jungle en folie » par exemple qui m’ont marqué.
J’ai rattrapé mes lacunes dans les bibliothèques du collège et du lycée avec la grande claque qui a été déterminante pour moi : découvrir « les Légendes des Contrées oubliées » et les éditions Delcourt.

Parle nous donc de cette grande claque de ce qui reste pour moi une trilogie de medieval-fantasy magistrale…
Cette découverte est arrivée quand je suis rentré au lycée à 15 ans. J’aimais les jeux de rôles de fantasy (JRTM) et j’avais lu Tolkien. J’aimais aussi beaucoup les bandes dessinées mais aucune que je lisais avec passion ou que je lisais régulièrement. Quand j’ai ouvert le premier tome « La saison des cendres », j’y ai trouvé tout ce que j’aimais à l’époque (et convoquait tous les ingrédients de l’imaginaire). Et surtout je n’avais jamais vu une mise en couleur aussi belle, je ne pensais même pas que c’était possible d’obtenir un tel résultat en bande dessinée ! (il faut préciser que la couleur a longtemps été le parent pauvre de la bd).
Ajoutez une narration exceptionnelle très cinématographique (c’est pas pour rien que Ségur fait régulièrement du story-board pour le cinéma), des designs excellents, des méchants charismatiques et vous avez le chef d’œuvre qu’on connait. ( le travail de Ségur reste encore pour moi une sorte de graal de beauté et d’impact visuel)

Le Testament de Flint, combat de entre Chien Noir et Bill Bones © Sébastien VastraComment as-tu découvert le jeu de rôle? Quels étaient tes jeux de prédilection?
J’ai découvert le jeu de rôle via un magazine White Dwarf qu’un copain avait ramené d’Angleterre (ça n’existait pas encore en France) et c’est d’abord les nombreuses illustrations qui m’ont fascinées. Notamment celles d’armées orques issues de Warhammer. Et j’étais fasciné par les figurines et les jeux de plateaux. J’ai ensuite joué un peu à Blood bowl, D&D et surtout JRTM (le jeu de rôle des terres du milieu).

Le jeu de rôle était-il alors une autre façon de mettre en scène tes propres histoires ?
Non car je n’ai jamais fait le MJ, je me contentais de jouer mon personnage et cette période n’a duré que 2 ans environ.

Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse ?
Pas vraiment, ou du moins pas très clairement, tout cela était flou, comme l’image que l’on se fait, enfant, de ces métiers. Comme pour les dessins animés, on les regarde, en imaginant qu’ils ont toujours été là, sans se demander quelles sont les petites mains qui sont derrière ces œuvres.
Non, comme tous les enfants, j’ai aussi voulu être pilote, vétérinaire mais aussi architecte.

Le Testament de Flint, l'Auberge de Long John Silver © Sébastien VastraA-t-il été difficile de sauter le pas ?
Le plus difficile a été de renoncer à un confort de vie immédiat. J’étais, en effet à quelques mois de passer le capes d’arts plastiques, qui en cas d’obtention m’aurait assuré une stabilité financière pour la vie et j’ai choisi la profession la plus précaire qui soit. Mais c’est un paramètre que l’on ne réalise pas à sa pleine mesure quand on est jeune et heureusement ; si on appliquait en permanence le principe de précaution on mettrait une sacrée bride à la création.

Dans quelques jours paraît Le Testament de Flint, premier tome de Jim Hawkins librement adapté du chef d’œuvre de Robert Louis Stevenson… Comment as-tu rencontré le roman et qu’est-ce qui t’a donné envie de l’adapter en bande-dessinée?
C’est une vieille histoire ! Le roman faisait partie de la bibliothèque de mes parents et le pirate de la couverture m’a intrigué durant des années. C’est seulement pendant mes études, en 1997-1998, que j’ai passé beaucoup de temps dans la lecture, tous genres confondus. Quand j’ai lu « l’île au trésor », ça a été une révélation. Comme beaucoup, je croyais connaître l’histoire, en fait je n’avais gardé que quelques souvenirs. Je me suis alors mis à dessiner frénétiquement des gueules de pirates (façon cartes postales d’Etienne Blandin, vous vous souvenez ?) et j’ai commencé à réécrire des scènes du livre ou à en développer d’autres dans l’idée d’en faire un jour une adaptation en bande dessinée.
Ma grande crainte était que Disney sorte avant un dessin animé adapté du livre. Ils ont bâti leur succès sur des adaptations de grands classiques de la littérature et « l’île au trésor » faisait partie des rares livres à ne pas avoir connu la sauce « mickey ». Hélas, trois ans plus tard, sortait « la planète au Trésor », mais heureusement pour moi, ils ont développé l’histoire dans un univers de science fiction, très loin de ce que j’avais en tête.

Le Testament de Flint, le sinistre Pew © Sébastien VastraPourquoi avoir opté pour une version anthropomorphique de l’histoire, choix audacieux et très judicieux au vu des superbes planches que l’on peut admirer sur le net?
Pendant des années, j’ai rempli des carnets d’idées et de scènes autour d’une adaptation « classique ». C’est en 2010 que l’idée d’en faire des personnages anthropomorphiques m’est venue. Son origine doit être multifactorielle, mais je crois qu’un croquis de Peter de Sève ; illustrateur dont j’admire le travail depuis 20 ans ; a participé au déclic. Il s’agit d’un croquis de Buck, une mangouste, qui n’est pas un pirate mais dont un bandeau lui couvrant un œil, lui en donne toute l’allure.
J’ai alors imaginé quels animaux pouvaient incarner les personnages et j’ai relu le roman en tenant compte de ces variantes. J’ai alors été surpris de voir comme le roman s’y prêtait admirablement bien, et comme Stevenson utilisait beaucoup d’expressions issues du monde animal, ce qui renforçait mon idée.
Et, j’ai toujours aimé les univers animaliers, qui, s’ils sont assez communs dans le domaine de l’animation, sont assez rares en bande dessinée. Soyons clair, notons « Le Vents dans les saules », « Blacksad », « Donjon », « Canardo », « Les enfants du capitaine Grant », « L’épée d’Ardenois », (« De capes et de Crocs » et « Garulfo », peuvent y figurer même si elles ne sont pas exclusivement anthropomorphique, on y voit beaucoup plus d’humains). Bref, finalement très très peu de séries (au regard de la masse avec des humains), un genre peu exploité qui m’encourageait à y développer mon adaptation.
Et puis, à ma connaissance, l’utilisation d’animaux dans le domaine de la piraterie n’avait jamais été faite en bande dessinée.
Toutes ces raisons (et d’autres par la suite) m’ont encouragé à poursuivre dans cette voix.

Le fait est qu’au vu de tes planches, cela paraît presque comme une évidence…
C’est marrant que tu emploies ce terme, c’est exactement comme ça que je l’ai ressenti et c’est ce qui m’a motivé durant toute la réalisation de l’album.

Le Testament de Flint, atelier de Sébastien VastraUne fois la « distribution » réalisée, comment s’attaque-t-on à un tel monument de la littérature? C’est à ma connaissance la première fois que tu t’attaques au scénario, endossant dès lors toute les casquettes… N’est-il pas difficile finalement de s’affranchir du carcan d’un roman devenu rapidement un classique et qui a fait l’objet de tant d’adaptations, cinématographiques, télévisuelles ou sous forme d’album?
Les difficultés n’ont effectivement pas manquées sur ce projet. Le travail de réécriture, à la fois nouveau et laborieux m’a demandé beaucoup de temps et a souvent terminé à la poubelle. Je ne voulais pas réinventer l’histoire, ni même trahir l’œuvre de Stevenson. L’idée est de transposer le roman dans un univers animalier et nourrir l’histoire et les relations entre les personnages des particularités de ses espèces animales.
J’avais aussi envie de « passer du temps » avec les personnages, en développant d’avantage leur personnalité et les interactions entre eux. Je ne veux pas que Jim soit un simple spectateur de son aventure (comme souvent je l’ai vu) mais un acteur en « relations » avec les autres protagonistes. Et bien sûr, suivre Jim dans son apprentissage de la vie autour de « pères » de substitution qui jalonneront son parcours.
Je ne voulais pas non plus me contenter de ramener l’œuvre à une simple chasse au trésor comme souvent le roman a été raccourci pour la jeunesse.
Par contre, je me suis servi de cette chasse au trésor comme un véritable fil rouge de l’aventure. C’est un des changements que j’ai opéré. Dans le roman, Trelawney, Livesay et Jim découvrent la carte sur laquelle est déjà indiqué le lieu du trésor. J’ai préféré ne laisser qu’un cryptogramme que les différents protagonistes s’échineront à déchiffrer au fur et a mesure qu’ils se rapprocheront du but. Ce qui ne manquera pas d’attiser les tensions entre les groupes…
Les autres changements majeurs interviendront dès le tome 2 et concernent essentiellement de nouveaux personnages (qui n’existent donc pas dans le roman) et les conséquences qu’implique leur présence dans le déroulement de l’histoire. Et d’autres petites choses encore…

Le Testament de Flint, atelier de Sébastien VastraComment se fait notamment le choix des scènes clefs et de celles qu’il faut se contraindre à laisser de côté?
Le roman a la particularité d’être assez court, ce n’est pas un pavé à la « Seigneur des Anneaux ». Stevenson ne s’égare pas dans de grandes descriptions ou des passages oniriques, il va à l’essentiel. De fait, chaque scène a son importance et il y a peu de choses à jeter.
La sélection se fait donc assez naturellement, il y a les moments clefs, ceux que tout le monde connait, les « cartes postales » de l’histoire. Et le roman, de part sa concision, est presque une invitation à l’extrapolation. On ne peut pas se contenter de donner au vieux Bill Bones, uniquement le rôle du porteur et passeur de carte, on a envie d’en savoir plus sur ce qu’il est, d’où il vient, comment il organise sa cavale et comment il tente de noyer ses démons dans l’alcool.
Quant aux scènes qu’il faut abandonner, je n’y ai pas vraiment été confronté sur le tome 1, sinon que j’aurais aimé développer davantage la relation entre ce vieux pirate Bill Bones et Jim. Par contre la toute première scène que j’ai écrite en 1998, suite à ma lecture du roman, concernait la traversée dans le tome 2 que je suis en train d’écrire, et j’ai malheureusement du la couper.

Le Testament de Flint, Long John Silver à ses fourneaux © Sébastien VastraComment s’est organisé ton travail sur l’album? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de ton travail?
D’abord le découpage de l’album en séquences, je choisi le nombre de planches que vont prendre les différents « moments » de l’histoire.Puis c’est le travail d’écriture,je décris précisément ce qui se passe dans la scène et je commence les dialogues(ceux-ci sont modifiables jusqu’à la fin). Je détermine ensuite le nombre de cases par planches, puis je fais rapidement des petits story-boards qui vont concrétiser ce travail et me permettre de mieux organiser mes planches si besoin.
Ensuite, crayonné, encrage, lavis et mise en couleur, puis je scanne les planches et monte le tout dans photoshop.

Quelle étape te procure le plus de plaisir?
L’étape du story-board, le moment où l’on cherche la meilleure configuration possible de la planche. Cette étape où l’on se déplace avec une caméra mentale dans un décor imaginaire en cherchant le cadrage le plus optimal pour faciliter la narration. Et bien sûr, organiser ses cases pour obtenir une certaine harmonie esthétique, et qu’aucune planche ne se ressemble, qu’elles aient chacune leur identité.

Planche 8 de l’album, étape par étape
Le Testament de Flint, scénario de la planche 8 © Sébastien VastraLe Testament de Flint, rough de la planche 8 © Sébastien Vastra
Le Testament de Flint, encrage de la planche 8 © Sébastien VastraLe Testament de Flint, planche 8 colorisée © Ankama / Sébastien Vastra


Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène?
Je n’ai pas vraiment de préférence, j’aime bien Bill Bones, Pew ou Kong John Silver. Par contre celui que j’aime le moins faire est surement le docteur Livesay.

En combien de tomes as-tu prévu de raconter ton histoire?
En quatre albums.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Les expos de Duchamp et Frank Gehri a Beaubourg (et l’extraordinaire fondation Louis Vuitton) ou Hokusai au grand Palais. Le travail effectué par l’équipe d’Arludik au musée qui porte le même nom à Paris.
L’artiste japonais Haroshi et son travail sur les skateboards ou le brésilien Henrique Oliveira, qui crée des structures très organiques à partir de bois de récupération.
Le roman « Théorème vivant » de Cédric Vilani.
En musique, les albums d’Arcade Fire et IAMX entre autres.
Au cinéma, rien ou pas grand-chose, petit coup de cœur pour le dernier Fincher « Gone Girl ».
En bande dessinée, j’en lis beaucoup moins qu’avant. J’ai cependant bien aimé « Le château des étoiles » d’Alex Alice, Billy Bat d’Urasawa, LastMan de l’extraordinaire Bastien Vivès&friends. Je reste toujours aussi scotché par le travail de Marini, si doué à tous les niveaux, c’est toujours une claque que d’ouvrir ses albums. J’ajoute aussi la belle découverte du dessin de Bertrand Gatignol (Petit).

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Je crois que j’ai largement dépassé le temps qui m’était impartit ;)

Le Testament de Flint, Bill Bones © Sébastien VastraPour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


un personnage de BD: Gipsy
un personnage mythologique: Hercule
un personnage de roman: Long John Silver
une chanson: Street Spirit de Radiohead
un instrument de musique: Une batterie
un jeu de société: Echecs
une découverte scientifique: L’Astronomie
une recette culinaire: Encornets farcis
une pâtisserie: Un Paris Brest
une ville: San Francisco
une qualité: l’empathie
un défaut: L’exigence
un monument: Machu picchu
une boisson: Un bourbon
un proverbe : « On ne s’égare jamais si loin que lorsque l’on croit connaitre la route »

Toutes ces réponses sont à prendre au douzième degré bien entendu…

Un dernier mot pour la postérité ?
Merci pour cette interview !

Un grand merci à toi pour le temps que tu nous a accordé…

Le Korrigan