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Entretien avec Steven Jezo-Vannier
Interview accordée aux SdI en novembre 2015


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’interview…

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?

Au contraire !

Merci beaucoup!
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)

Pas de comptes dans ce genre de « Paradis »... Mon paradis n'a rien de fiscal, il consiste en une vie simple et paisible, dans la campagne normande. Je suis né en 1984, en banlieue parisienne, où j'ai suivi le cursus habituel jusqu'à la fac, en histoire – une passion d'enfance. J'ai conduit un master de recherche sur le concept de barbarie dans l'Antiquité. J'ai toujours été intéressé par les marges et les cultures alternatives qui y germent, les contre-cultures. Mon intérêt pour elles et ma passion pour le rock m'ont amené à un univers beaucoup plus contemporain, celui des hippies de San Francisco. J'ai écrit un bouquin sur leur utopie libertaire en 2010 et depuis, les livres se suivent sur l'histoire de la musique et des dissidences.

Répertoire des lutins de Bretagne, planche de l'album © Coop Breizh / Heurteau / Jezo-VannierComment est née cette passion le rock auquel tu as consacré plusieurs ouvrages?
Une attirance naturelle sans doute. Il y a toujours eu beaucoup de musique chez moi ; mon oncle avait même construit un studio d'enregistrement dans le garage chez ma grand-mère, donc, je suis un peu tombé dedans quand j'étais enfant. L'adolescence et la maturité n'ont fait que conforter l'orientation rock. La passion pour le son des sixties a pris de plus en plus de place. Par déformation d'historien, j'ai contextualisé cette musique et cette époque, des recherches qui ont débouché sur l'écriture des premiers bouquins.

Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs favoris?
Bien qu'issu d'une famille très attachée à la langue et sa culture, j'étais un lecteur feignant et un élève très dissipé. Malgré tout, outre les BDs et les lectures associées, quelques classiques m'ont passionné à l'adolescence, comme Maupassant et son Horla, mais surtout Stevenson, dont j'aime encore tout l'imaginaire, de l'Etrange cas du Dr. Jekyll à l'Ile au trésor, en passant par le Club des Suicides et la Malle en cuir que j'ai découverts plus tard.

Devenir écrivain, était-ce un rêve de gosse?
Oui, même si je n'étais pas un grand lecteur. Je voulais me consacrer à l'histoire et écrire des bouquins.

Répertoire des lutins de Bretagne © HeurteauLe répertoire historique des lutins de Bretagne, illustré par votre complice Stéphane Heurteau, vient de paraître sur les étals. Comment vous êtes-vous rencontré et pourquoi t’être penché sur l’histoire des Corandons, Folliked et autres Arragousets?
Au regard de ma bibliographie, la sortie de cet essai peut paraître étonnante, rompant avec l'exploration des univers rock et contre-culturels, mais je l'ai écrit antérieurement, pendant mes années de fac, après avoir déniché la collection complète de la Revue des Traditions Populaires sur les étagères du centre de recherche auquel j'étais rattaché. Montrant un certain intérêt pour les contes et légendes, je me suis dit qu'il y avait quelque chose à faire avec toute cette matière authentique que les folkloristes ont compilée au XIXe siècle. J'en ai tiré tout ce qui concernait les lutins de Bretagne, constatant qu'il était possible de reconstituer les croyances sur les us et coutumes de ce petit peuple, autant que sur leur histoire. Ce que j'ai fait avec cet ouvrage. J'ai contacté la Coop Breizh, qui s'est immédiatement montrée intéressée. Ils ont fait appel à Stéphane pour l'illustration et ça a collé tout de suite. J'adore son style et on avait la même vision de ce qu'il fallait faire de ce livre.

Peux-tu préciser cette vision commune?
En écrivant le bouquin, j'avais une image plus ou moins claire de chaque lutin et de la façon dont il fallait illustrer le propos, sous forme de croquis, comme s'il s'agissait du carnet de notes d'un folkloriste de l'époque, qui aurait pu saisir les choses sur le vif. Lorsque Stéphane a découvert le projet, il a tout de suite accroché et l'interprétation qu'il a donnée au texte correspondait exactement à l'idée que je me faisais. Il a un sacré coup de crayon et un vrai sens de la composition, je suis fan.

Répertoire des lutins de Bretagne © Stephane HeurteauStéphane Heurteau a illustré ton essai avec talent et une bonne dose de malice. Concrètement, comment s’est passée ta collaboration avec Stéphane? Avait-il toute latitude pour mettre ton texte en image ou existait-il un cahier des charges précis pour chaque illustration?
Stéphane a été contacté par la maison d'édition et j'ai voulu avoir un contact direct avec lui, pour échanger sur le sujet et lui faire part de mes impressions et de l'idée que je me faisais du livre. Mais, il a eu toute liberté. Il me semble que c'est un impératif pour un illustrateur de pouvoir s'épanouir en toute aisance. Son confort était un gage de qualité, c'était le meilleur moyen pour lui de s'approprier le manuscrit et de prendre du plaisir. Je ne conçois pas les choses autrement. Je sais que l'éditeur a demandé un certain nombre de dessins et pointer les éléments qui nécessitaient une traduction graphique, mais Stéphane a été au-delà de ce qui lui a été demandé et tout ce qu'il a produit a été retenu.

Nous avons beaucoup apprécié cette approche d’historien et d’ethnologue du Petit Peuple, qui prend ses racines dans la tradition populaire.
Il m'a suffi de suivre l'impulsion donnée par les folkloristes. Eux-mêmes ont recueilli les témoignages avec objectivité. Il me semblait intéressant et amusant de reprendre cet angle, d'autant qu'il traduit la réalité et la consistance de la matière de Bretagne. Il est important que la tradition continue de vivre et que des auteurs, illustrateurs et bédéistes jouent avec elle, l'enrichissant d'un nouvel apport, mais il me semble tout aussi essentiel de préserver l'authenticité des croyances passées et de ne pas laisser disparaître un patrimoine essentiellement oral, c'est ce que je me suis attaché à faire.

Répertoire des lutins de Bretagne © Stephane HeurteauDifficile de ne pas être impressionné par le nombre de korrigans différents qui peuplent la Bretagne! Pourquoi le Petit Peuple est-il si présent dans la culture celte en général et bretonne en particulier?
Il était présent dans la plupart des cultures et croyances du monde et de l'histoire. En Bretagne, la force de la tradition orale a su perpétuer les récits jusqu'au XIXe siècle, juste à temps pour que les folkloristes les recueillent et les transcrivent, les sauvant ainsi de l'oubli. Il y avait des lutins partout, des Drôles, Goubelins et Lupins en Normandie, des Dracs dans le Midi, les Mélusines au Centre, des Fadets dans l'Ouest, des Nains dans l'Est et des Marluzennes dans le Nord. Les lutins sont partout en France et dans toute l'Europe. Leur diversité a sans doute, fondue dans un même ensemble, un peu comme les lutins bretons, aujourd'hui connus sous l'unique vocable de korrigans.

As-tu d’autres projets sur le grill ?
Oui, sur la musique, plusieurs. J'ai aussi dans les tiroirs des contes fantastiques que je voudrais reprendre et publier.

Pourrais-tu conseiller trois albums incontournables à un internaute désireux de découvrir le rock?
Seulement trois ! Difficile... le rock et aussi pluriel que les lutins de Bretagne. Il y a les paisibles comme The Mamas & Papas et les hargneux Sex Pistols, les mystérieux comme Pink Floyd, les malicieux de Jefferson Airplane, les sauvages de Led Zeppelin, ceux des forets comme Creedence Clearwater Revival et les « méchants » de Black Sabbath. Il y en a pour tout le monde. Pour une introduction au rock, je pourrais évoquer le blues de Muddy Waters, le folk de Bob Dylan et le rock'n'roll d'Elvis Presley, qui comptent parmi les racines majeures du genre. Je pourrais aussi aller vers la facilité : les Beatles, les Rolling Stones et Jimi Hendrix. Mais, je retiendrai surtout les discographies du Grateful Dead et des Byrds, pas seulement parce que mes goûts personnels m'y portent, ni parce que j'ai écrit sur ces groupes, mais parce que leurs œuvres sont d'une diversité inédite, allant du psychédélique au country-rock en passant par l'expérimental, le planant et le folk-rock. On peut presque découvrir toute l'étendue du rock à travers leurs albums.

Répertoire historique des lutins de Bretagne © Stephane HeurteauY a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Vu le contexte, je profite de l'occasion pour dire mon émotion suite aux attentats de Paris. Nous sommes le 18 novembre et tout en répondant à cette question, j'écoute à la radio l'assaut d'un appartement à Saint-Denis où se seraient retranchés quelques terroristes. J'ai longtemps habité Paris, fréquenté la rue Alibert et le boulevard Voltaire, j'ai bu des dizaines de coups à la terrasse du Carillon et assisté à plusieurs concerts au Bataclan. Pourtant, si j'ai de la peine et de la colère depuis ce maudit vendredi 13, ce n'est pas parce que ç'aurait pu être moi, mais bien parce que ç'aurait pu être n'importe qui sous les balles de ces fanatiques, parce que les valeurs auxquelles je crois et le mode de vie que j'aime sont une fois de plus attaqués. On a ciblé la liberté de dire, de dessiner, moquer et rire en janvier ; on s'en est pris cette fois-ci à la liberté de se réunir avec des copains, de boire un verre, de danser, d'écouter de la musique, en d'autres termes on a attaqué la liberté même d'exister. C’est notre devoir de continuer à jouir de la vie, car aucune idéologie, religieuse ou politique, ne peut rivaliser à long terme contre cela, aucun homme ne peut sensément préférer la mort, même en pariant sur l'existence d'un paradis céleste, quel qu’il soit. Mieux vaut donc cultiver ce que la vie terrestre a de paradisiaque.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…


Répertoire des lutins de Bretagne, planche de l'album © Coop Breizh / Heurteau / Jezo-Vannierun personnage de BD: J'adore le capitaine Meriadec du Sang du dragon, mais je suis sans doute plus proche de Nicolède dans Lanfeust ou d'Assurancetoutrix parce que je suis passionné de musique sans savoir en jouer...
un personnage de roman: Ouh la... vaste question. J'ai une sympathie immense pour Radagast le brun, l'un des cinq magiciens de Tolkien, qui s'est retiré dans les bois, déçu par l'humanité. Il défend la nature, mais n'hésite pas à s'impliquer en cas de péril. Sinon, j'adore Ben Gunn, le pirate abandonné de l'île au trésor qui trouve seul le butin du capitaine Flint, mais qui ne peut rien en faire sur son île déserte ! Il devient fou, se voue à la religion en confondant la Bible avec un morceau de fromage et prétend renier son mode de vie de boucanier, mais lorsqu'il revient à la civilisation avec une part du trésor, il dépense tout son or en quelques jours pour profiter des plaisirs de la vie. Chasser le naturel, il revient au galop !
un personnage de cinéma: Au risque de passer pour un geek après avoir cité le Seigneur des anneaux, j'évoquerai Star Wars, peut-être un anonyme padawan prenant modèle sur Obi-Wan Kenobi, ou un ewok, créature à moitié sauvage, sous-estimée, qui contribue pourtant à la destruction de l'étoile de la mort ! Il y a d'ailleurs une morale à tirer de ces fables, les ewoks comme les hobbits n'ont aucun pouvoir particulier, au contraire, ce sont de petits êtres paisibles, modestes, qui parviennent à surmonter les épreuves grâce à leur amour de la vie.
une chanson: « Cassidy » du Grateful Dead
un instrument de musique: une guitare ou un harmonica
un groupe de rock: le Grateful Dead
un jeu de société: Munchkin
une découverte scientifique : La boussole peut-être.
une recette culinaire: Je ne sais pas, j'hésite entre un plat mijoté comme le bœuf bourguignon et quelque chose de plus relevé et lointain comme les acras de morue.
une pâtisserie: un pain d'épices. J'ai une passion pour les épices et son parfum rappelle inévitablement Noël et son univers magique, rempli de lutins.
une boisson: le rhum parce qu'on peut l'arranger.
une ville: Granville
une qualité: l'humour, c'est la qualité que je conserverais s'il ne devait en rester qu'une.
un défaut: l'entêtement, pour les mêmes raisons.
un monument: sans doute un dolmen
un proverbe : « Mieux vaut être oiseau libre que roi captif »

Un dernier mot pour la postérité ?
On attendra la mort pour se poser la question...

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!
Le Korrigan