Haut de page.

Entretien avec Charlène Le Scanff
Interview accordée aux SdI en décembre 2015


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?

Absolument pas.

Merci bien…
Peux-tu tu présenter en quelques mots? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)

Alors... J'ai 28 ans, je suis née en Bretagne (bon en fait, c'est Nantes , mais le château des Ducs de Bretagne ne s'y trouve-t-il pas ?) et j'ai ensuite déménagé à de nombreuses reprises pour les études et le travail.


J'ai fait une petite année de fac d'Arts Plastiques à Bordeaux après un bac L arts Plastiques pour ensuite migrer à Lyon, et y terminer mes études, à l'école Emile Cohl. A l’obtention de mon diplôme en 2010, j'ai été embauchée à Ankama dans le Ch'Nord à Roubaix comme artiste 2D sur le jeu Dofus. Fin 2013, hop, je rebouge à nouveau, mais pour la Haute Savoie et la chouette ville d'Annecy, ou j'ai bossé en freelance comme illustratrice de jeux de plateaux pendant près de deux ans.

J'ai finalement choisi de poser mes valises en Californie en Septembre, pour travailler comme concept artiste chez Blizzard sur Hearthstone.

Je m'intéresse à plein de trucs différents, des randos en montagne à la musique iranienne en passant par les documentaires sur les trous noirs (sérieux, y a rien de mieux que de dessiner en écoutant un doc sur les mystères de l'univers!)

© Charlène Le ScanffEnfant, quelle dessinatrice étais-tu? Quand donc est née l’idée d’en faire votre métier ?
Je dessine depuis toute gamine, et à chaque fois qu'on m'a demandé : « Que veux-tu faire quand tu seras grande ? » , j'ai toujours répondu « dessinatrice » .


Et arrivant au lycée, mes goûts se sont étoffés, et j'ai hésité entre plusieurs voies, la majorité liée à l’illustration : prof d'arts plastiques, restauratrice d’œuvres d'art, dessinatrice de fouilles archéologiques, concept artiste de jeux vidéo, dessinatrice de BD, et même... ethnologue ! Comme je passais la majeur partie de mon temps libre à imaginer des histoires et à essayer de les illustrer, j'ai décidé de poursuivre des études de dessin académique, pour m'orienter vers une voie d'illustration pure et dure, ce que je ne regrette pas. Je pense que je serais frustrée si je ne dessinais pas sur des projets qui laissent la part belle à l'imagination.

Te souviens-tu de ton premier contrat ?
Mon premier vrai contrat, je l'ai signé avec Oracom pour faire des tutos Photoshop pour un de leurs magazines, j'étais alors étudiante en dernière année à l'école Emile Cohl... Mais mes premiers dessins rémunérés, je les ai vendus aux tatoueurs de ma ville quand j'étais au lycée, comme modèles de tattoos pour me faire de l'argent de poche (Malgré ça il a bien dû s'écouler 10 ans avant que je ne me fasse moi-même tatouer! ).

© Charlène Le ScanffQuelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier d’illustrateur?
La plus grande satisfaction reste sans doute de travailler sur quelque chose qui nous passionne, et rien n'est plus gratifiant que de voir ses illustrations transformées en petites figurines dans un jeu de plateau ou servir à l'élaboration d'un niveau dans un jeu vidéo... Mais c'est un travail qui demande beaucoup d'abnégation, surtout en freelance.

En indé, on ne compte pas ses heures (on travaille jusque tard dans la nuit et les week-ends n'existent pas), la vie sociale en prend parfois un coup, et il faut batailler avec les clients en permanence pour toucher un salaire décent, parce que c'est un métier qui est de plus en plus précarisé et déconsidéré (les collègues bédéistes et illustrateurs jeunesse en savent quelque chose). Le paiement des heures sup' n'existe pas dans cette branche, pas plus que les congés.

Dans la vie courante et pratique, être illustrateur peut être source de nombreuses frustrations. Avoir besoin de garants à 30 balais, quand on bosse depuis plus de 7 ans dans la vie active, lors d'un changement d'appart, parce que les proprios pensent que dessiner, c'est pas un vrai taf, est aussi révoltant qu'humiliant. Nous ne sommes plus des étudiants.
On ne fait pas de l'illustration son métier par hasard. On le fait parce que c'est une nécessité, un besoin, et parce que si nous ne dessinions en permanence, nous serions malheureux, sans quoi beaucoup abandonneraient.

Malgré tout, la passion ne devrait pas être une excuse à des conditions de travail qui ne cessent de se dégrader. Il y a un très bon blog qui résume au mieux l'opinion des artistes sur leur situation actuelle : « Mon maçon était illustrateur » (http://monmacon.tumblr.com/). Notre travail est loin d'être le plus pénible, clairement. Cependant je pense que les gens ne réalisent pas combien le décalage est grand entre le temps passé sur les différents projets et autres illus, et notre rémunérations réelle.

© Charlène Le ScanffTu as cette année signé les (superbes) illustrations de plusieurs jeux : Maître Renard, Crossing ou For Sale. Comment es-tu vous rentré dans le monde du jeu? Quelle est la spécificité de ces travaux d’illustration ludiques?
Contente que mes illus plaisent !
J'ai commencé à travailler sur du jeu de plateau en parallèle de mon travail à Ankama en 2011, comme character designer sur la deuxième édition de « Descent : Journeys in the Dark » (j'avais déposé une candidature chez FFG quelques mois auparavant ), pour finalement me mettre au freelance à plein temps quand j'ai quitté mon poste dans le Nord fin 2013, pour suivre mon compagnon sur Annecy.

Les illustrations de jeux de société sur lesquelles j'ai travaillé diffèrent beaucoup du travail de concept artiste pour lequel j'ai été formée. Ce sont des véritables illustrations qui nécessitent un décor et une mise en scène, et c'est sans doute la grande différence avec le travail de graphiste sur du jeu vidéo. L'illustration de jeu de société a aussi la spécificité d’être très favorable à l'illustration cartoon en ce moment, ce qui n'est pas pour me déplaire.

A partir de quelle « matière » as-tu crées les illustrations de For Sale? Quel était en quelques mots le cahier des charges?
Je ne connais pas très bien la première mouture de For Sale, à l'exception de la couverture. En résumé, on m'a demandé de réaliser des illustrations cartoon de maisons, une version peut être un peu moins austère de de la première édition ? Le tout était de garder des couleurs chatoyantes et un aspect ludique dans le dessin.

Quelle joueuse es-tu?
Je joue principalement à des jeux vidéo, (RPG type Elder Scrolls ou Final Fantasy) mais je suis une grande nostalgique des jeux PC et Playstation des années 90 (Jazz Jackrabbit, Dune, Lands of Lore, Crash Bandicoot), et étudiante, il m'arrivait de jouer à des jeux de rôle sur table.

J'ai véritablement découvert des jeux de sociétés un peu plus élaborés que ce à quoi on joue enfant quand j'ai commencé à travailler à Ankama, où on trouve de nombreux rôlistes et autres afficionados de jeux de plateaux.

Plus jeune je jouais à Full Metal Planet avec mes parents (les petites figurines avec les pierres colorées, l'univers SF très proche de Dune - que j'adore - me fascinaient : quel jeu magnifique!) . Aujourd'hui, ce serait plus 7 Wonders, Citadelle, Jamaica, ou Carcassonne, qui malgré l'austérité de ses illustrations, me plaît beaucoup. D'une manière générale, j'ai un peu de mal avec les jeux de société qui demandent des réflexes!

© Charlène Le ScanffTu viens de quitter la France pour rejoindre la Californie pour prêter vos crayons à Hearthstone chez Blizzard… Parles-nous de cette nouvelle et palpitante aventure qui commence…
Houla, une superposition d’événements assez improbable !...

Quelques jours après que j'ai donné ma lettre de démission à Ankama fin 2013, et alors que je faisais mes valises pour Annecy, j'ai eu la surprise d'être contactée par Blizzard : on me proposait un poste de concept artiste sur Hearthstone. J'étais aussi enthousiaste qu’embarrassée, parce que nous devions déménager dans les Alpes dans le même temps, mais en réfléchissant avec mon compagnon, nous nous sommes dit qu'une occasion pareille ne se représenterait pas souvent dans une vie.

Alors, j'ai accepté, et après presque deux ans d'attente et de rebondissements liés au visa de travail, nous avons fini par déménager en Californie à la mi-Septembre de cette année.

Les gens de Blizzard ont été formidables à chacune de nos rencontres (malgré mon anglais approximatif!), et j'avoue retourner travailler dans un studio de jeu vidéo avec un plaisir non dissimulé, parce que j'aime beaucoup la rigueur et les méthodes de travail utilisées dans ce milieu, assez différentes du celles du freelanciat en général (qui me semblent un peu plus « freestyle » en comparaison! ). Enorme coup de cœur pour l'univers du jeu vidéo en général, le salariat et le travail en équipe, surtout avec des gens comme ceux d'Hearthstone !

© Charlène Le ScanffPeux-tu nous expliquer quelle est exactement la fonction de concept artiste ?
C'est normalement l'idée qui doit primer dans un concept art. Le concept artist, c'est donc celui qui va réussir à transmettre une idée forte à travers un simple dessin, plus encore que dans une illustration qui elle, racontera plutôt une histoire.

Quand on regarde les concept arts de certains jeux vidéo, on se dit que c'est perfectible techniquement, que certains illustrateurs feraient mieux d'un point de vue peinture digitale, anatomie ou perspective (je pense aux premiers concepts qui ont servi à faire Crash Bandicoot ou même plus récemment à Bioshock ou le premier Witcher) . Malgré ça l'idée est là, et l'adaptation en 3D de ces concepts donne un résultat décoiffant. C'est parce qu'un concept n'a pas besoin d'être « beau », c'est là toute la différence avec une illustration.

Avec quels outils travailles-tu habituellement?
Je travaille sous Photoshop CS6, avec une tablette Wacom de taille medium à la maison. Au boulot, c'est une Cintiq. Parfois je scanne des crayonnés que je dessine en tradi sur des feuilles de papier, mais je les clean toujours sous photoshop.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Je suis actuellement en train de lire la « Trilogie de Bartiméus », une série de romans fantastiques qui prend place dans un 21ème siècle et un monde gouvernés par des magiciens qui sollicitent l'aide de démons pour asseoir leur domination... J'aime beaucoup la manière dont c'est écrit (humour british garanti), ça me rappelle un petit peu (feu) Terry Pratchett. C'est très rafraîchissant !

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

© Charlène Le Scanffun personnage de BD: Nävis, de Sillage (Morvan et Buchet)
un personnage de jeux vidéo: Jen, de Primal sur PS2
un personnage de roman: Lyra, des Royaumes du Nord (de Philippe Pullmann)
une chanson: Marchand de Cailloux, de Renaud
un instrument de musique: Un oud
un jeu de société: Full Metal Planet
une découverte scientifique: La reconstruction clitoridienne pour les femmes victimes d'excision, du chirurgien Pierre Foldes. Oui c'est trash, mais c'est probablement une des inventions les plus féministes et humaniste qui existent.
une recette culinaire: Les berniques farcies. Je m'en ferais péter la panse si je ne m'étais pas promis de devenir végétarienne à mon arrivée aux Etats Unis (de toutes façons, je suis à peu près sûre que ça n'existe pas ici) !
une pâtisserie: Un kouignamann (Breizh for ever!)
une ville: Nantes
une qualité : Curieuse
un défaut: Distraite
un monument: La Tour à Plomb à Couëron, ville dans laquelle j'ai passé les premières années de ma vie, dans la banlieue de Nantes, et qui symbolise le passé ouvrier de la ville .
une boisson: De la bière Karmeliet (très bonne bière belge) !
un proverbe: « Je suis Homme ; rien de ce qui est humain ne m'est étranger » (Térence)


Un dernier mot pour la postérité ?
Nantes : pour toujours en Bretagne !

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé…
Mais je t'en prie !
Le Korrigan