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Entretien avec Genseric Delpâture
Interview accordée aux SdI en décembre 2015


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l‘interview…
Question préliminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?

Pas du tout, tu peux y aller. Au fait, je suppose que toi non plus tu n’y es pas opposé…

Non, bien au contraire! Peux-tu te présenter en quelques mots? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
Je suis né en 1978 en Belgique. J’ai suivi un cursus plutôt littéraire que j’ai poursuivi avec des études en journalisme et en communication. Ma thèse était consacrée à l’impact des Terres du Milieu de Tolkien sur divers médias, comme les jeux vidéo, la musique, le cinéma, etc. Mes études et ma passion de l’actu m’ont poussé vers une profession dans le monde du journalisme. Je visais la presse écrite, je me suis retrouvé assistant de production en radio et désormais, je suis « info producer », c’est-à-dire la personne qui met en images les journaux de la radio à destination de la télé à la RTBF et sur Vivacité plus particulièrement (la première radio belge francophone). Pour les comptes en Suisse, désolé, mais j’ai tout transféré aux Îles Caïman, par sécurité.

l'Agence Barbare, Planche © Stellamaris / MarkoEnfant, quel joueur étais? Quels étaient alors tes jeux de chevet ?
Je me rappelle de quantité de jouets de la Guerre des Etoiles : personnages, vaisseaux, véhicules divers ou encore les GI Joe, les Maîtres de l’Univers et Mask… Je jouais aussi beaucoup aux jeux de société (Destins, Monopoly, Le Flambeur, Jumbo Jet…) et j’ai notamment été très marqué par HeroQuest, le légendaire jeu d’exploration de donjons de MB.

Comment es-tu tombé dans la marmite du JdR ?
C’est mon frère, de deux ans mon aîné, qui m’a invité à la table d’un de ses amis d’école. J’avais 11 ans et c’était Advanced Dungeons & Dragons, première édition. Je me rappelle d’avoir joué un magicien et de m’être couvert de ridicule parce que le maître du donjon exigeait que je me mette debout et que je mime une incantation pour lancer un sort… Les salauds. Par après, comme les jeux de rôle étaient chers, j’ai commencé à écrire mes propres jeux, dont un jeu futuriste appelé « L’Aube du Futur ». On pouvait y jouer des nains, des elfes ou des skavens dans un monde cyberpunk… C’était avant d’entendre parler de Shadowrun… Puis, quand j’en ai eu l’occasion, je me suis mis à acheter des jeux moi-même. C’était l’époque du Jeu de Rôle des Terres du Milieu, de RuneQuest, de l’Appel de Cthulhu ou encore de Berlin XVIII !

l'Agence Barbare, Planche © Stellamaris / MarkoSi tu devais expliquer le JdR en quelques mots à ma grand-mère, que lui dirais-tu?
Je la prendrais à part et je lui offrirais une tasse de café avec quelques biscuits, pour la mettre à l’aise. Ensuite, je lui dirais que le jeu de rôle, c’est un jeu de société sans plateau et que l’on y joue en racontant une histoire. Chaque joueur joue un personnage différent et l’un des joueurs, en plus de connaître les grandes lignes de l’histoire, en joue également tous les figurants. On utilise des dés pour ajouter une part de hasard et pour créer du défi. Si possible, les univers dans lesquels on joue ont quelque chose de spécial, qui les rend intéressants à jouer pour s’évader : de la magie, de l’aventure, du rêve, de la poésie. Puis, quand elle se sentirait rassurée, je lui parlerais des éviscérations de gobelins au clair de lune.

Quels est ton meilleur et ton pire souvenir de JdR ?
Les meilleurs souvenirs se bousculent… J’adore ces moments où, en tant que meneur de jeu, on sent qu’il se passe quelque chose, que les joueurs adhèrent à l’histoire et ressentent de vraies émotions : de la joie, de la tristesse aussi. Cela n’arrive pas à chaque fois, mais quand cela se produit, on a l’impression qu’on y est arrivé et que cette partie restera dans les mémoires. Quant aux pires souvenirs ? Aucun qui soit réellement notable… Peut-être un joueur (j’étais alors joueur aussi) qui s’ingéniait à faire tout le contraire de ce qu’on attendait de lui, mettant sans cesse le groupe en péril, menaçant de dénoncer tout le monde aux autorités alors qu’on ne faisait rien de mal… Mais en règle générale, je préfère ne me souvenir que du positif.

l'Agence Barbare, rough © Stellamaris / MarkoDe joueur à acteur du monde du jeu, comment as-tu sauté le pas?
J’ai depuis toujours créé mes propres jeux. Je ne suis pas fier de chacun d’eux, mais la plupart me semblaient plutôt bons. Aussi, j’ai créé un blog pour les mettre gratuitement à disposition de la communauté. J’ai eu pas mal de retours positifs, alors ça m’a poussé à continuer et à participer à des concours. L’un de ces concours m’a ouvert les portes du Studio 09 (D6 Intégral, Campus, Tecumah Gulch…) et j’ai commencé à écrire pour les gammes Campus, Tecumah Gulch et pour Altro Mondo. J’ai aussi écrit quelques pages pour LA 2045, de Samuel Saz Zonato. Dans le même temps, j’ai été recruté par Nel pour devenir correcteur pour les Ombres d’Esteren.

Comment est née l’idée d’adapter l’Agence Barbare en JdR, bouclant en quelque sorte la boucle amorcée par Olier et Marko?
A la lecture des bandes dessinées de l’Agence Barbare, j’ai tout de suite ressenti le potentiel de cet univers pour un jeu de rôle. On y incarne des agents confrontés au crime sous toutes ses formes dans une grande cité médiévale multiculturelle et parodique à souhait. J’ai toujours eu un faible pour les jeux humoristiques et je suis un grand fan de Terry Pratchett. J’ai donc commencé à écrire un jeu de rôle amateur sur le sujet, mais l’idée de le proposer à l’édition me trottait en tête. J’ai donc pris contact avec les auteurs de la BD, Marko (dessins) et Olier (scénario) pour leur en soumettre l’idée. D’emblée, le courant est bien passé. Si le jeu restait amateur, je pouvais en faire ce que je voulais. S’il passait pro, il y aurait bien entendu contrat, mais également un feu vert de principe. Cela m’a motivé et en trois mois, le jeu était écrit, presque dans sa forme actuelle. Il est vrai que l’Agence Barbare puise dans le jeu de rôle. Il est donc assez naturel que, comme vous le dites, la boucle se boucle avec un retour au jeu de rôle.

l'Agence Barbare, recherche © Stellamaris / MarkoTrouver un éditeur pour éditer un jeu de rôle dérivé d’une BD est-il chose aisée? Concrètement et sans indiscrétions, comment cela s’est-il organisé entre les auteurs, Bamboo et Stellamaris?
Cela peut être compliqué. Mais ce ne fut pas le cas pour l’Agence Barbare car, en réalité, les bandes dessinées étaient sorties quelques années plus tôt du catalogue des éditions Bamboo, donc, seuls les auteurs étaient titulaires des droits. Ils étaient donc les seuls avec qui discuter et comme ils sont en bons termes et continuent à travailler ensemble (notamment sur l’excellente série Godillots), il fut assez facile de mener les discussions. Marko, qui si j’ai bien compris a connu l’une ou l’autre expérience délicate dans le secteur de l’édition, a été très strict sur toute une série de termes du contrat, mais c’est normal. J’ai laissé l’éditeur et lui en débattre, m’assurant tout simplement que les choses avançaient dans le bon sens.

Les auteurs de la série ont-ils participé activement à l’élaboration du jeu ?
A ce jour, je n’ai eu l’occasion de rencontrer qu’Olier, lors d’une convention à Lille, pour parler du jeu et de l’adaptation d’une BD en JDR. Tout au long de l’aventure éditoriale, j’ai eu un excellent contact avec les deux auteurs par mail. Marko s’est surtout penché sur les détails du contrat – que je laissais à l’éditeur (les éditions Stellamaris). Je m’attendais fébrilement à des remarques de la part d’Olier sur des choses que j’aurais écrites et qui n’auraient pas été adaptées à la vision qu’il avait de son univers, mais au contraire, je n’ai eu droit qu’à des félicitations pour avoir bien synthétisé l’esprit de la BD et éclairé les zones d’ombre. Donc, je dirais avec fierté que les auteurs m’ont donné carte blanche et qu’ils n’ont pas eu à s’en plaindre. Ce qui me convient très bien, en fait. J’ai toujours mieux travaillé seul qu’en groupe dans mes travaux de plume. D’un autre côté, comme l’Agence Barbare s’inspire des jeux de rôle, l’adaptation était plutôt facile…

l'Agence Barbare, la carte du monde © StellamarisFinancé par une campagne Ulule, le jeu de rôle et son sympathique écran sont disponibles sur les étals… Quelle sensation de tenir entre les mains ce premier JdR édité dont tu es seul aux commandes?
C’est un sentiment agréable, je ne le cache pas. Pouvoir ranger dans ma ludothèque un jeu de ma plume aux côtés de gammes comme Donjons & Dragons, l’Appel de Cthulhu, le Jeu de Rôle de la Guerre des Etoiles ou encore Warhammer, ça fait quelque chose. Mais d’un autre côté, je faisais relier et imprimer à titre personnel chacun de mes jeux de rôle amateurs et j’ai toujours eu des contacts avec des joueurs de mes jeux partout en francophonie. La différence en matière de notoriété n’est donc pas flagrante en tout cas. Même si cette demande d’interview tend à prouver le contraire. Mais la caissière de mon hypermarché ne me fait pas encore les yeux doux.

Parlons un peu mécanique… Comment as-tu crées le moteur de l’Agence Barbare? Peux-tu nous dire en quelques mots comment s’est construit le corpus des règles, tout à la fois simples et sympathique (j’avoue avoir bien aimé le choix offert par l’attribution des dés de combats) ?
Tout a commencé dans le cadre d’un autre jeu. Un membre de mon club de jeux (qui est aussi un collègue) m’avait proposé de travailler avec lui sur un jeu orienté pulp inspiré de l’univers du film Iron Sky (les nazis se sont cachés sur la lune et reviennent à bord de vaisseaux spatiaux de nos jours). C’est pour ce jeu que j’ai pondu F.L.A.G.S. (Fast and Light Adventure Gaming System). L’idée des dés de combat m’est venue comme ça, en voulant créer quelque chose de plus ludique pour les combats, qui sont toujours des moments spéciaux dans un jeu de rôle. Je voulais en tout cas éviter de relancer les dés pour localiser la frappe, puis pour les dégâts… Comme j’avais pris le parti d’utiliser 3D6 pour les tests, j’avais la solution devant moi : chaque dé allait se révéler utile en combat, en plus d’en faire la somme pour le jet d’attaque. J’adore lancer des dés, mais pas trop non plus.

Plus spécifiquement, je voulais en effet un système simple pour l’Agence Barbare, car un jeu humoristique affublé d’un système prise de tête, ça ne l’aurait pas fait du tout. Je l’ai voulu assez souple pour qu’il ne soit jamais une entrave à la narration, et en même temps, je voulais que le combat soit assez mortel, pour que les joueurs comprennent assez vite qu’ils ne devaient pas tout résoudre par la force, comme ils le font d’habitude dans les jeux médiévaux-fantastiques… A part les dés de combat, le système n’est pas révolutionnaire, mais il tourne et c’est ce que je voulais. Heureux que ça te plaise en tout cas.

l'Agence Barbare, recherche © Stellamaris / MarkoQuel avenir pour l’Agence Barbare? Peux-tu nous parler de l’Écho d'Astaris dont le premier numéro vient de paraître?
L’éditeur et moi-même voulions assurer un suivi au livre de base, mais nous ne savions pas trop sous quelle forme. Le projet a été financé par souscription, mais nous n’avons pas encore assez de fans pour nous lancer dans une gamme de suppléments « en dur », comme on dit. L’idée des Echos d’Astaris est donc venue de l’éditeur lui-même : publier des textes de façon apériodique avec un scénario et quelques aides de jeu. Le numéro 2 est déjà fini également : il fera voyager les agents barbares hors des murs d’Astaris, proposera une nouvelle race jouable (la fée-clochette) et apprendra aux joueurs à remplir les rapports de mission de leurs agents…

On parle d’une nouvelle campagne de financement pour rééditer les 4 tomes de la série l’Agence Barbare… Peux-tu nous en dire plus à ce sujet? Les auteurs ayant récupéré les droits, peut-on espérer de nouveaux albums se déroulant dans cet univers loufoque et déjanté?
Cette question concerne l’éditeur et les auteurs, je ne suis en rien impliqué dans ces choix-là, si ce n’est que le jeu de rôle a sans aucun doute relancé l’intérêt pour les bandes dessinées. L’idée de cette nouvelle campagne serait de rééditer les quatre volumes en une intégrale numérique ou papier, mais les négociations sont encore en cours. Par contre, je ne pense pas – sauf incroyable succès de cette réédition – que l’on se dirige vers de nouveaux albums. Et c’est dommage, puisque l’histoire des quatre volumes parus est incomplète. Ceci dit, le jeu de rôle peut venir combler cette lacune et permettre aux fans d’imaginer – et de vivre – la fin de la saga qu’ils veulent.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
En matière de jeux de rôles, c’est la campagne Anathazerïn pour le jeu d’initiation Chroniques Oubliées. J’aime le format et la qualité de l’ensemble. Au cinéma, j’ai été séduit par l’esthétique d’un film comme Crimson Peak. En musique, je suis un indécrottable fan de metal et j’ai beau les connaître par cœur, je me laisse continuellement séduire par les albums de mon groupe favori : Black Sabbath !

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Oui, et la réponse est 42.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

l'Agence Barbare, recherche © Stellamaris / Markoun personnage de BD: je devrais sans doute choisir un personnage de l’Agence Barbare, pour faire bonne figure. Et bien que j’éprouve pas mal de sympathie pour Jason Brisemur, le jeune premier de la série, je choisirai plutôt Quinlan Vos, un personnage de l’univers étendu de la Guerre des Etoiles, très présent dans l’excellente série Clone Wars. C’est un jedi qui, pour infiltrer l’ennemi, se rapproche de plus en plus du côté obscur, jusqu’à ne plus très bien savoir dans quel camp il travaille. Il est l’exemple que nous avons tous une part d’ombre et de lumière en nous.
un personnage de roman: Drizzt Do Urden, l’elfe noir qui a fait le succès de R.A. Salvatore. Ce n’est pas de la grande littérature, mais j’adore la première trilogie, qui humanise les monstres que l’on a pris l’habitude de hacher menu dans les jeux de rôle.
un personnage de JdR: difficile d’en choisir un qui ne soit pas un personnage de BD, de film ou de roman. Je vais donc opter pour « Herr Doktor » Lugi Pavarotti, un de mes personnages préférés de la campagne impériale de Warhammer, un médecin officiant dans les hautes sphères de Middenheim, un bon vivant porté sur les femmes et l’alcool. J’ai pris pas mal de plaisir à le présenter à mes joueurs et à lui donner vie.
un personnage de cinéma: le professeur Daniel Jackson dans le film et dans la série Stargate SG-1. C’est un homme de science qui ne se laisse pas modeler par l’infrastructure militaire qui l’entoure, mais c’est aussi un rêveur et un homme plein de ressources.
une chanson: sans aucun doute « Bible Black » de Heaven And Hell, un groupe composé d’anciens membres de Black Sabbath avec Ronnie James Dio au chant. Dio est mon chanteur préféré et ce morceau reflète tout ce que j’aime dans ce genre musical. Une intro très mélodique, une excellente partie rythmique, des paroles puissantes et sombres à souhait… Je ne m’en lasse pas.
l'Agence Barbare, illustration © Stellamaris / Markoun instrument de musique: la guitare électrique… There’s nothing like a tortured stratocaster, disait Joe Perry (Aerosmith).
un jeu de société: je fais partie d’un club de jeux et on teste donc pas mal de jeux de société. Bien que je décrive souvent le jeu de rôle comme un jeu de société, je vais me contenter de jeux plus « classiques ». En ce moment, j’aime beaucoup Blood Bowl Team Manager et j’ai pas mal accroché à Mysterium.
une découverte scientifique : la théorie de l’évolution de Charles Darwin.
une recette culinaire: je cuisine souvent, mais uniquement des plats simples (viande, pommes de terre, salade…). Mais au goût, j’adore la cuisine chinoise ou thaïlandaise. Et la mère de ma fille étant camerounaise, j’ai appris à apprécier la nourriture africaine, particulièrement épicée.
une pâtisserie: le tiramisu. J’ai longtemps cru que c’était un dessert japonais…
une boisson: comme je travaille en horaire très matinal, le café est mon ami.
une ville: Rio de Janeiro, que j’ai eu l’occasion de visiter en reportage pendant la Coupe du Monde brésilienne en 2014. Je suis tombé sous le charme.
une qualité: l’empathie. Le fait de ressentir ce que les autres ressentent permet de se mettre à leur place et de mieux les juger (ou d’éviter de le faire).
un défaut: la gourmandise, ou la curiosité.
un monument: allez, je vais dire l’Atomium, notre tour Eiffel à nous, les Belges…
un proverbe : « nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense, notre crédulité fait toute leur science ». C’est de Voltaire. Et c’est plus une citation qu’un proverbe.

Un dernier mot pour la postérité ?
Rhaaaaa argl gasp.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Le Korrigan