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Entretien avec Rodolphe
Interview accordée aux SdI en décembre 2016


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.

Pouvez-vous nous parler de vous en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)

Résumer une vie en seulement quelques mots ? Difficile !… Naissance 1948. Etudes longues, fatigantes, médiocres… Maitrise de Lettres Nanterre 1968. Divers métiers : prof, libraire, éditeur, journaliste, puis critique et scénariste de BD à partir des années 75-80...

1968 à Nanterre… Cela a dû être quelque peu mouvementé! Quels souvenirs gardez-vous de cette tumultueuse époque?
Un rêve bizarre ! En fait du grand n’importe quoi ! La vacuité de grands ados paumés dans une époque trop facile et trop riche. Un monôme énorme ! Et puis certains slogans drôles mais idiots façon « Interdit d’Interdire » dont on n’a pas fini de se mordre les doigts !

Enfant, quel lecteur étiez-vous? Quels étaient alors vos auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui? La Bd occupait-elle une place de choix dans vos lectures?
et Dieu créa... Bardot, making-off planche 8 © Jungle / Kolonelchabert / RodolpheLecteur boulimique. Tout le catalogue de la Bibliothèque Verte plus une lecture assidue des hebdomadaires Tintin et Spirou ! Des auteurs ? Stevenson, Scott, Dickens, London, Curwood. En bande dessinée Hergé, Jacobs, Cuvelier, Franquin, Tillieux, Macherot...

Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse?
Le rêve de gosse (mais était-ce un rêve ou de fait une certitude?) était de raconter des histoires, d’inventer. J’ai dessiné, écrit, peint, joué de la musique, composé, j’ai même réalisé une expo de photos ! Ensuite je m’en suis un peu remis au hasard. Mes incursions musicales ou graphiques sont restées sans suite et je me suis recentré sur l’écriture. Mais la BD n’était qu’une expression parmi d’autres. Du reste je continue à publier livres d’enfants, romans etc...

Cela a-t-il relevé du parcours du combattant?
Non. Via quelques rencontres déterminantes : Jacques Lob, Alexis, Jean Claude Forest- cela a semblé (presque) couler de source.

...Mais bien sûr il y eut quand même quelques bagarres ! Il faut savoir s’accrocher quand le bateau tangue !

et Dieu créa... Bardot, making-off planche 9 © Jungle / Kolonelchabert / Rodolphe Au milieu des années 70, vous avez travaillé en tant que critique et journaliste dans les pages des prestigieux magazines Métal Hurlant et Pilote… Quels souvenirs gardez-vous de cette époque et que pensez-vous de la presse BD aujourd’hui?
Oui, et encore A Suivre, Charlie et Vécu! Souvenirs heureux d’un temps de haute créativité où les « monsieur Boulier » n’avaient pas encore pris le pouvoir. On pouvait bien s’amuser et dire à peu près tout ce qu’on avait envie de dire (et cogner sur tout le monde). La censure -et l’auto-censure- n’existaient quasiment plus ! Quel incroyable retour en arrière on vit aujourd’hui ! De nos jours des gens comme Reiser, Coluche ou Choron n’auraient plus qu’à fermer leurs gueules !
Quand à votre question sur la presse BD contemporaine, quelle presse ? Je ne vois pas...

En survolant votre œuvre, il est difficile de ne pas être impressionné par votre capacité à explorer de multiples genres et univers… Comment définiriez-vous le métier de scénariste? Quelles en sont selon vous les grandes joies et les grandes difficultés?
Au niveau stylistique c’est un art fait tout de sobriété. Il faut d’emblée aller à l’essentiel. Ni verbiage ni fioritures. Les limites du scénario sont précisément celles imposées par cette sobriété : difficile, voire impossible, de faire passer les poussières de l’instant, les rêveries, les états d’âmes. D’où l’équilibre que je trouve en alternant avec l’écriture de romans.

Un des grands bonheurs de l’écriture du scénario peut être le partage indispensable fait avec un dessinateur. Partage qui peut parfois aussi aboutir à une douloureuse catastrophe !

et Dieu créa... Bardot, making-off, encrage de la planche 10 © Jungle / Kolonelchabert / RodolpheUne douloureuse catastrophe? Une relation difficile avec un dessinateur ou un résultat en deçà de vos espérances?
Les deux mon général : résultats médiocres et grosses fâcheries. Et encore ceux qui brusquement abandonnent tout et disparaissent. Permettez que je ne donne pas de noms...

Vous avez côtoyé des grands noms de la bande-dessinée avant d’en devenir un vous-même… Comment voyez-vous l’évolution du métier au fil du temps?
Guère de façon positive. Dans leur course au succès et à l’argent, les éditeurs ont fait entrer 3000 nouveaux dessinateurs là où il y en avait 300. Les 300 vivaient bien de leur métier, les 3000 sont au bord de la misère. A tous les jeunes qui s’interrogent sur un éventuel avenir dans la BD et qui me demandent conseil, je suggère plutôt d’aller voir du côté de la plomberie ou l’électricité!

Et quel(s) conseil(s) donneriez-vous à celui qui désirerait malgré tout persévérer dans cette voie?
Se trouver une compagne (ou pour ces dames un compagnon!) qui dispose d’un « vrai » métier et gagne sa vie pour deux !
et Dieu créa... Bardot, making-off, encrage de la planche 11 © Jungle / Kolonelchabert / Rodolphe
Comment est né Voyage au pays de la peur qui vient de paraître dans la jubilatoire collection Flesh & Bones? Comment avez-vous rencontré l’œuvre de H.P. Lovecraft?
Oh, Lovecraft, je suis tombé dedans étant petit ! A 14 ou 15 ans, ce salopard m’a fait passer quelques belles nuits d’insomnie et de trouille!

Quand à Flesh and Bones il s’est agit d’une proposition de mon éditeur et ami Philippe Hauri (Ed.Glénat). Je ne suis pas un vrai lecteur de comics, mais le chalenge m’a amusé. J’ai tenté d’en reprendre les codes et les rythmes. Ais-je réussi le pari ? Ca c’est aux lecteurs de le dire !

Quel roman ou nouvelle conseilleriez-vous à un lecteur désireux de découvrir l’écrivain de Providence?
L’Affaire Charles Dexter Ward ou Le Cauchemar d’Innsmouth. A propos de Lovecraft , nous préparons par ailleurs avec Philippe Marcelé (Gothic, Markheim) un album intitulé une nuit avec Lovecraft» consacré au maître de Providence...

En voilà une excellente nouvelle… Encore que l’idée d’une nuit passée avec Lovecraft puisse être quelque peu angoissante…
et Dieu créa... Bardot, making-off, encrage de la planche 12 © Jungle / Kolonelchabert / RodolpheUne jeune femme contemporaine, fan du Maitre, se trouve propulsée une nuit dans le Providence de 1935. Avant même de s’interroger comment regagner notre époque, elle réalise que Lovecraft est là, vivant, quelques rues plus loin, et elle ne peut résister à l’idée d’une rencontre. Le « vieux gentleman » va alors l’entrainer à ses côtés dans les rues de la vieille cité et les méandres de ses souvenirs et de ses peurs...

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire Et dieu créa… Bardot mis en image par Kolonelchabert alias Alexis Chabert? Que représente cette icone pour vous?
Un peu la même réponse que précédent ! Une proposition que là non plus je ne pouvais laisser passer ! L’icône sexe des sixties m’a elle aussi valu, jeune ado, nuits moites et insomnies. Mais bien sûr par pour les mêmes raisons que Lovecraft !

Selon vous, pourquoi a-t-elle tant marqué son époque?
Belle, bien sûr mais encore irrévérencieuse, mutine et terriblement sensuelle. J’allais dire sexuelle ! ...Allez : je le dis !

Si vous deviez choisir un film et une chanson représentant le mieux Brigitte Bardot, lesquel serait-ce?
J’aime bien « En Cas de Malheur ». Et aussi « Voulez-vous danser avec moi ». Moins sérieux, mais il y a Gainsbourg et Dario Moreno! Question chanson « La Madrague » (Coquillages et Crustacés...)

et Dieu créa... Bardot, making-off, encrage de la planche 13 © Jungle / Kolonelchabert / RodolpheComment avez-vous choisi votre angle d’attaque de cette biographie de Bardot?
Résolument joyeux, drôle, optimiste. Une vision des sixties rose et bleu layette. Ici, ni guerres, ni divorces, que des mariages et des tournages rigolos. Même De Gaulle (personnage à son corps défendant de l’album!) n’est pas sérieux!

Le couple De Gaulle est effectivement irrésistible…
Merci ! On n’est sans doute pas très gentil avec madame. Mais très respectueux par contre de son grand homme de mari, lequel apparaît doté d’un solide sens de l’humour !

C’est Alexis Chabert, sous le pseudo de Kolonelchabert, qui en signe les dessins… Comment vous-êtes-vous rencontré?
Sur un salon...de BD ! Etrange, n’est-ce pas ? Nous avons sympathisé en vidant quelques verres. Plus tard, il s’est souvenu de moi (et de mon amour pour les années 50-60) lorsqu’il s’est agi de mettre cet album en route.

et Dieu créa... Bardot, projet de couverture © Jungle / Kolonelchabert / RodolpheComment s’est organisé votre travail à tous deux sur cet album? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les principales étapes de son élaboration?
Comme toujours : de mon côté, un vague synopsis de quelques feuillets, puis un découpage assez précis (mais interprétable) de l’ensemble.
Après, du côté du dessinateur, un storybord correspondant à la totalité de l’histoire. Une fois calés sur ce dernier, la réalisation des planches elles-mêmes peut commencer.
Enfin, derniers maillons de la chaine, le travail de lettrage puis la mise en couleurs.

D’après vous, pourquoi B.B. a-t-elle d’un coup décidé de mettre fin à ses carrières d’actrice et de chanteuse?
Parce qu’elle ne s’amusait plus. Elle avait de quoi vivre confortablement, alors pourquoi se forcer ?

De plus elle arrivait à un âge où les rôles de « jeune première » allaient disparaître. Il eut fallu (à l’instar de quelqu’un comme Jeanne Moreau) démarrer une seconde carrière avec une autre gamme de rôles excluant la plupart des jeux de séduction...

Avez-vous un retour de Brigitte Bardot sur cet album?
Oui. Son agent littéraire a fait savoir à l’éditeur que Brigitte avait beaucoup aimé! Pour nous, les auteurs, un vrai vent de bonheur !

On peut difficilement trouver meilleur compliment effectivement…

Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur ?

Je ne suis que de très loin l’actualité culturelle du temps… J’ai vu le dernier film de Tim Burton, j’écoute le dernier CD de Madeleine Peyroux, mais pour le reste je découvre sur le tard les merveilleux romans de Barbara Pym, je relis Gil Jourdan, je ré-écoute Buddy Holly et les Rolling Stones...

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle vous souhaiteriez néanmoins répondre ?
Juste un mot sur mon prochain titre à paraître (en janvier) C’est le premier volet d’un diptyque co-signé avec Werner Griffo (et publié chez .Vents d’Ouest) dont Charles Dickens est le héros (à son corps défendant!). Une comédie fantastique intitulée Dickens & Dickens.


Dickens & Dickens
couverture & planches de l’album
projet de couverture du tome 1 de Dickens & Dickens © Vents d'Ouest / Griffo / Rodolphe Dickens & Dickens, planche © Vents d’Ouest / Griffo / Rodolphe Dickens & Dickens, planche de l'album © Vents d’Ouest / Griffo / Rodolphe


Pour finir et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si vous étiez…


Rodolphe © Guy Buchheitun personnage de BD: Capitaine Haddock
un personnage de roman: David Coperfield (Dickens)
un personnage de cinéma: Michel Simon dans « La Beauté du Diable »
une chanson: Etrangère au Paradis (Gloria Lasso) d’aprés les Danses Polovtsienes de Borodine)
un instrument de musique: guitare Fender
un jeu de société: bah !
une découverte scientifique: la machine à remonter le Temps
une recette culinaire: œuf dur mayo & entrecote frittes
une pâtisserie: bof !
une boisson: Whisky single malt Islay
une ville: Granville (Manche)
une qualité : fidélité
un défaut: fragilité
un monument: Mont St Michel
un proverbe : « Il ne faut compter que sur soi-même et encore pas beaucoup »


Un dernier mot pour la postérité?
A l’âge des grandes interrogations, j’ai choisi d’être moi-même car toutes les autres places étaient déjà prises.

Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé…
Le Korrigan