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Entretien avec Frédéric Maupomé
Interview accordée aux SdI en février 2017


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?

Non, pas du tout, il y a plein de personnes que je tutoie, dans ma famille notamment, parfois même certains de mes collaborateurs ! Je sais que cela ne fait pas très sérieux, mais après tout, nous sommes des artistes !

Merci à toi… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
J’ai 42 ans, je vis à Toulouse où je suis venu faire des études de mathématiques et où je suis resté. Même si j’adore cette ville, mon côté aventurier me pousse parfois à prendre des risques et je vais de temps en, temps dans le grand nord, au-dessus de la Garonne.
Mon premier livre a été publié en 2004 aux éditions Kaléidoscope. (‘Pirateries’, un album de littérature jeunesse avec Stéphane Sénégas au dessin). Ma première BD est Anuki (toujours avec Stéphane Sénégas) publiée en 2011.
Et sinon c’est mon vrai métier !

Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?
Je lisais de tout. Beaucoup de BD classiques (Asterix, Lucky Luke, les Schtroumpfs…) et d’albums. Vers 11 ans j’ai lu tout ce que je pouvais trouver sur la mythologie grecque et romaine et dans le même temps je découvrais Valérian, Jules Vernes et Wells. C’est à peu près le moment où je suis tombé dans la science-fiction avec Franck Herbert, Asimov et Jack Vance.

Je ne peux pas dire que j’ai des auteurs de chevet, à vrai dire je ne finis pas souvent les romans que je commence! Ce week end je viens de lire Redshirts de John Scalzi.

Supers, Benji, en costume et en civil © Editions de la gouttiere / Dawid / MaupoméDevenir scénariste de BD, était-ce un rêve de gosse? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant?
Quand j’étais gamin, je voulais devenir astronaute, ou mousquetaire à la rigueur. Rien à voir avec l’imaginaire donc ! De toute façon, l’idée d’être écrivain ou scénariste ne m’effleurait pas vraiment. Je n’ai commencé à écrire sérieusement que vers 18-20 ans et même alors, en faire mon métier ne me venait pas à l’idée : je voulais être chercheur en mathématiques. Finalement, la préparation de l’agrégation a réussi à me dégouter des maths, et j’ai eu une révélation lors de l’oral du CAPES : « Mais qu’est-ce que je fous ici ? »

Après, je pense que c’est toujours compliqué de débuter. D’un côté on ne connait personne et c’est compliqué de monter des dossiers, d’un autre on se berce souvent d’illusions sur la qualité de notre travail. J’ai eu la chance de rencontrer Stéphane et on a fait assez rapidement un livre ensemble qui a pas mal marché et a été remarqué mais je bossais à côté et j’avais du mal faire plein de choses en même temps (et j’écris assez lentement). Je ne fais qu’écrire et rien d’autre que depuis 2011. J’ai gagné le SMIC pour la première fois (en temps qu’auteur) en 2015. Après est-ce que c’est un parcours du combattant, je ne sais pas. Pas plus que beaucoup d’autres en tout cas.

Quelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
C’est compliqué comme question. Surtout parce que tout est assez mêlé. Créer c’est de la souffrance. Pas tout le temps, pas tous les jours, mais c’est quand même ça. Les remises en question permanentes, les erreurs, le travail qu’on jette parce que c’est de la merde. Tout ça, c’est douloureux.
Mais sentir qu’on a touché quelque chose là, quelque chose de tout petit entouré d’un tas d’inepties et en tirer le fil pour construire quelque chose de bien c’est du bonheur. Et on n’a pas l’un sans l’autre. Dans les grandes joies, il y a aussi des réactions de lecteurs, (de jeunes lecteurs, souvent, en ce qui me concerne). Comme cette petite fille de 4 ans qui a décidé de se balader avec un oiseau en bois dans son sac au cas où elle verrait un enfant qui se fait mal, pour le lui donner et le consoler. Ou ce lecteur (adulte) qui nous dit : « quand j’ai lu votre livre, j’avais 10 ans ».

Supers, Lili, en costume et en civil © Editions de la gouttiere / Dawid / MaupoméEn 2011 paraissait la Guerre des Poules, premier tome d’Anuki joliment mis en image par Stéphane Sénégas… Comment sont nées ces aventures muettes et pour le moins entraînantes?
Stéphane et moi avions envie de faire de la BD depuis qu’on s’est rencontré, et on avait aussi envie de travailler sur des histoires muettes pour les petits. Mais comme on est un peu crétins et compliqués, on n’a pas fait le lien tout de suite. On travaillait sur des albums illustrés muets, Stéphane m’a dit : « j’aimerais faire une histoire avec un totem ». Mais comme on est un peu crétins… On n’y était toujours pas ! J’ai écrit une première histoire (d’album, pas muet) puis une deuxième (toujours pas muet) avant de proposer à Stéphane l’histoire d’Anuki.

Petit à petit, on avançait, mais comme je l’ai dit on est un peu lents, on en était à faire une histoire, muette, sur un indien. Il nous faudra juste… 1 an de plus pour commencer à en faire une BD !

Une application mettant en scène le héros de cette BD est proposée gratuitement sur les tablettes… Quelle a été l’origine de son développement?
C’est la bibliothèque départementale de la Somme qui est à l’origine du projet. Céline Méneghin, la directrice de l’époque, cherchait à créer un support de médiation numérique en direction des jeunes lecteurs et nous a proposé le projet. Stéphane et moi avons créé le principe de l’appli, les différentes composantes, etc. Et la réalisation a été faite par la société Lumini.

Le fait est qu’elle est à la fois belle et très bien conçue!
Comment est née l’idée de la série SuperS dont le second tome vient de paraître sur les étals?

C’est une question terrible… On m’a posé la même lors de la remise du prix de l’ACBD et je n'ai pas su vraiment y répondre, pas plus maintenant ! En fait je mets tellement longtemps à écrire que je ne sais plus vraiment d’où c’est venu. Je sais que je voulais traiter de la famille, de l’absence des parents, de l’hérédité. Mais je le sais maintenant, je ne sais pas si j’en étais vraiment conscient à l’époque où j’ai commencé le projet!

Supers, Mat, en costume et en civil © Editions de la gouttiere / Dawid / MaupoméQu’est-ce que cela fait de voir son travail couronné par le prix jeunesse ACBD 2016?
Et bien, on est bien content ! Le prix ACBD est un prix très prestigieux, et d’être lauréat de sa première version jeunesse, c’est vraiment un honneur. Quand on voit, la liste des auteurs primés par l’ACBD précédemment, on a un peu l’impression d’être rentré par effraction, mais ça fait bien plaisir ! C’est évidemment une très bonne nouvelle pour le livre, mais aussi pour les éditions de la Gouttière qui voient à travers nous leur travail récompensé.

Comment as-tu rencontré Dawid qui signe les (magnifiques!) dessins de la série?
Je ne le connaissais pas avant d’entamer la série. J’avais juste lu et beaucoup apprécié son premier livre aux éditions de la gouttière (Passe-Passe). Je cherchais un dessinateur et je lui ai envoyé mon scénario sans espoir parce que je pensais qu’il était pris. Coup de bol, il n’avait rien en cours et il a aimé le scénario ! Nous avons commencé à travailler ensemble par internet et nous ne sommes rencontrés « en vrai » que quelques mois plus tard.

Si vous aviez déjà signé plusieurs albums d’Anuki avant de vous lancer dans SuperS, il y a entre les deux séries une différence de taille : l’une est entièrement muette, alors que l’autre non… Cela change-t-il fondamentalement ta façon d’aborder un scénario?
Non, je ne crois pas vraiment. Une fois que je suis au clair sur ce que je veux raconter, je commence à travailler sur la structure, et c’est plus ou moins pareil que ce soit muet ou pas. Les dialogues (ou tout de moins une grosse partie) naissent en même temps que je structure l’histoire et que j’en écris les scènes. Il faut dire que quand, étudiant, j’ai commencé à écrire, j’écrivais pour le théâtre. Du coup les dialogues, j’adore ça et ça m’est assez naturel.

Supers, Lili © Editions de la gouttiere / Dawid / MaupoméSuperS est un subtil équilibre entre la vie d’enfants ordinaires et leurs activités nocturnes de super-héros… Comment as-tu créé les personnages très attachants de Mat, Lili et Benji? Quelles ont été tes sources d’inspiration?
Franchement, je ne saurais dire. La question de l’inspiration, c’est toujours très difficile. En fait, à peu près tout est susceptible de m’inspirer, et c’est compliqué d’isoler un élément ou un autre. J’ai lu beaucoup de Comics quand j’ai commencé à travailler sur Supers, mais je ne crois pas que les personnages viennent précisément de là.

Lequel prends-tu le plus de plaisir à mettre en scène?
Tu es en train de me demander lequel de mes enfants je préfère ! C’est mal !

Effectivement, désolé, je suis un monstre de perversité…

Comment s’est organisé votre travail à quatre mains avec Dawid sur la série Supers? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album?

Les grandes lignes de l’histoire et le découpage par album sont posés depuis le début de la série, mais évidemment, je n’ai pas écrit tous les albums. À chaque nouveau tome, je propose un scénario, dialogué à environ 50%, à Dawid. Il me fait des retours dessus et ensuite je lui envoie une continuité dialoguée, c’est-à-dire le scénario, avec des indications de mise en scène, et la totalité des dialogues. À partir de cette continuité dialoguée, Dawid me fait une proposition de découpage graphique, un story-board très lâché, sur lequel nous travaillons ensuite ensemble. On découpe, on déplace des cases, on raccourcit certaines scènes. D’une manière générale, c’est surtout un travail sur le rythme et aussi sur l’intensité dramatique (l’un n’allant pas sans l’autre de toute façon). On travaille ainsi sur la totalité du story-board. Ensuite une fois que c’est fini, Dawid attaque les crayonnés, puis il encre, fait les lavis et met en couleur. Je n’interviens que peu une fois le story-board calé. Je retouche des dialogues principalement.

Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser ces différentes étapes afin de mieux comprendre votre façon de travailler à tous les deux?
On ne garde pas forcement trace de toutes nos étapes de travail. Mais par exemple sur cette planche de Supers 3, vous pouvez voir la version avant et après notre travail commun. L’essentiel ne bouge pas, mais on a retravaillé sur le rythme. La case 1 est légèrement dézoomée, il y a une case qui apparait entre la 2 et la 3 (accompagnée d’un rajout de texte) et une entre la 3 et la 4. La case 4 est dézoomée, et l’attitude sur la dernière case change.
Supers, Rough de la planche 20 du tome 3, version 1 © Editions de la gouttiere / Dawid / Maupomé Supers, Rough de la planche 20 du tome 3, version 2 © Editions de la gouttiere / Dawid / Maupomé


En combien de tome la série Supers est-elle prévue?
En 4 ou 5 tomes…

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
en BD : La maison de Paco Roca
en poésie / Slam : War song de Kate Tempest
et en comédie musicale: Hamilton de Lin-Manuel Miranda

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!


dans les coulisses d’une planche
Supers, encrage de la planche 24 du tome 2Supers, planche 24 du tome 2, ajout de la texture © Editions de la gouttiere / Dawid / MaupoméSupers, planche 24 du tome 2, calque de colorisation © Editions de la gouttiere / Dawid / MaupoméSupers, planche 24 du tome 2, aplats © Editions de la gouttiere / Dawid / MaupoméSupers, planche 24 du tome 2, rehauts de blanc © Editions de la gouttiere / Dawid / MaupoméSupers, planche 24 du tome 2, ajout des dégradés © Editions de la gouttiere / Dawid / MaupoméSupers, planche 24 du tome 2, ajout des bulles © Editions de la gouttiere / Dawid / Maupomé
Le Korrigan