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Entretien avec Xavier Besse
Interview accordée aux SdI en février 2018


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.
Tout le plaisir est pour moi !

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement?
Non au contraire smiley

Merci bien, cela facilitera les choses smiley
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)

C'est un peu chaotique. J'ai commencé par le plus sûr en matière d'éducation graphique : Passionné de dessin depuis toujours et donc autodidacte à 90%. Formation graphique que j'ai cherché à compléter à l'Ecole des Beaux-Arts, mais j'en suis parti au bout de 6 mois (car je voulais apprendre à dessiner et à peindre de façon classique et non à faire de l'Art concept en projetant de la peinture contre les murs smiley), j'ai ensuite claqué la porte d'une autre Ecole graphique (car on y cherchait à enfermer les élèves dans un style propre à l'école et à les dépersonnaliser graphiquement. Je me souviens de la phrase d'accueil du directeur : "Vous croyez savoir dessiner, mais vous allez désapprendre ce que vous savez pour réapprendre à dessiner à notre manière"). J'en suis venu à estimer que la formation graphique ce n'était pas fait pour moi (ou l'inverse plutôt). J'ai ensuite emprunté la voie de l'Histoire de l'art général et de la sinologie. Cette fois-ci je me suis formé l'œil véritablement et j'en suis ressorti diplômé de l’Ecole du Louvre, et titulaire d’un Master en Art & Archaeology de la London University. Cette spécialisation en arts asiatiques m'a tout naturellement mené à travailler sur les collections au département Chine du Musée Guimet à Paris.

Ce n'est que quelques années plus tard, que, rattrapé par le besoin de dessiner et nourri des merveilles de l'art asiatique, je me suis lancé comme illustrateur avec des albums jeunesse édités par la Réunion des Musées Nationaux, petit à petit je me suis frayé (avec de l'aide) un chemin vers la BD.

Laowai, encrage du crayonné © Xavier Besse
Qu’est-ce qui t’attire dans la Chine en général et dans l’art chinois en particulier?
La science de la synthèse, le côté très design de tout le vocabulaire iconographique chinois. Et puis pour un Occidental, la Chine est une terre lointaine et pleine de mystères avec une Histoire longue et dense. Une grande civilisation qu'on ne cesse de découvrir.

Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?
Enfant je lisais vraiment un peu tout ce qui se faisait en matière de BD classique (pas forcément toujours pour enfant d'ailleurs, on y trouvait pêle-mêle Tintin, Reiser, Astérix, Crumb, Achille Talon, Gotlib et Gaston ainsi que quelques Comics américains. Mais surtout j'adorais les vieux magazines de Tintin des années 50. Il s'en dégageait un calme incroyable et beaucoup d'infos. C'était de la vraie lecture pour enfant.

Aujourd'hui, je lis un peu tout aussi : Une BD extraordinaire pour moi c'est le Marquis d'Anaon, mais je lis aussi dès leur sortie du Nury et Vallée, du Marini, du Dufaux, Scalped.. J'ai adoré aussi le singe d'Hartlepool (excellent), Blutch. Bref un peu tout ce qui se fait aujourd'hui...

Que trouves-tu d’extraordinaire dans le Marquis d’Anaon, série de Fabien Vehlmann et Matthieu Bonhomme qui s’avère il est vrai particulièrement envoûtante?
La vérisme dans son traitement tant graphique que scénaristique. On est dans une série historique et pourtant on est aussi dans la vraie vie. Pas d'effet de scène faciles, on essaie pas de nous impressionner avec des effets de caméra ou des envolées graphiques (que je ne déteste pas faire, il faut bien le dire smiley). Tout est dans la mesure, repose sur des tas de petits riens, des détails qui montrent que les auteurs rendent quelque chose qui les a touché sincèrement. Et pourtant on a de grandes scènes et les personnages sont forts. C'est presque "pasolinien" comme traitement, ou "herzoguien". Bref ils ont fait fort. Nombre d'auteurs sont du même avis que moi, c'est un chef d'oeuvre !
Laowai, colorisation © Xavier Besse
En 2012 paraissait le second tome des Mémoire d'Abraham, ton premier album. Devenir dessinateur de BD est-il un rêve de gosse? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant?
C'était en 2011 je crois. Mon premier album était une adaptation de nouvelles de E. Poe "Tres cuentos de Poe en BN" paru en Espagne en 2009. C'était un rêve de gosse et un parcours du combattant car j'ai eu besoin d'intégrer les codes de la narration BD, ce qui n'était pas évident. Et je ne savais pas comment fonctionnait ce monde là. Jean-David Morvan est la personne qui m'a le plus aidé à tout comprendre (avec des mots hypers simples et peu nombreux j'ai appris bien plus à son contact, alors qu'il n'est pas dessinateur, que dans mes écoles de dessin, c'était fou !!) et surtout il m'a mis le pied à l'étrier et me présentant les bonnes personnes.

Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
Les joies et les difficultés sont les mêmes : Etre confronté à toutes sortes de problèmes techniques qu'en tant que dessinateur on doit résoudre seul. On doit être dessinateur, anatomiste, décorateur, habilleur, acteur, metteur en scène, narrateur (graphique), on doit faire de la perspective avoir l'œil pour les couleurs, et ce, sur des centaines de dessins par album. C'est dur mais comme c'est aussi un défi, c'est passionnant ! Et surtout on doit s'immerger dans des univers complets (historiques et géographiques) et ça c'est formidable!! Chacun travaille un peu à sa sauce, c'est pour ça qu'on trouve beaucoup d'autodidactes dans ce métier, et qui viennent de tous les horizons. Personnellement je connais des ingénieurs, chroniqueurs, historiens, graphistes, tailleurs de pierre, légistes, économistes, serveurs, agent de sécurité ... la BD est géniale car elle rassemble des gens qui à priori n'ont en commun que leur passion pour ce mode de narration et qui en ont intégré les codes plus ou moins de façon autodidacte, donc personnelle.

Après l’excellent et dérangeant Insane, scénarisé par Michaël Le Galli, vous nous entraînez avec Alcante et Laurent-Frédéric Bollée dans une Chine déchirée par une guerre civile et ravagée par la guerre de l’Opium que lui livre les puissances Coloniales britannique et française. Comment avez-vous rencontré le scénariste et qu’est-ce qui vous a séduit dans ce récit d’aventure historique particulièrement entraînant?
C'est Glénat qui nous a présenté. Didier cherchait un dessinateur qui connaissait bien l'univers chinois, j'avais envoyé un projet personnel à cet éditeur et comme ça arrive parfois apparemment, à la place du vôtre on vous en propose de travailler sur un autre smiley. J'ai sauté dessus ! Il y avait tout ce que je voulais dessiner dans ce projet : de la grande aventure, de l'Histoire, et surtout de grands paysages ! Dans le scénario on sentait le souffle des grandes épopées !! Et puis comme je connaissais déjà et appréciais le travail d’Alcante et Bollée, je ne pouvais pas refuser !
Laowai, work in progress... © Xavier Besse
Mettre en image ce scénario historique dévoilant un pan méconnu de notre histoire a-t-il nécessité de longues recherches documentaires? Quelles furent tes principales sources iconographiques? Quel ouvrage conseillerais-tu à un lecteur désireux d’en apprendre d’avantage sur la Chine du milieu du XIXe?
Pas mal de recherches en effet (au total avec les documents que je possédais déjà sur la Chine, je dois avoisiner les 15 ou 20.000 images (je ne plaisante pas). De plus nous avons reçu l'aide de spécialistes, pour le scénario, Jean-François Klein qui est historien, et pour les uniformes, Louis Delperier, spécialiste du militaria du Second Empire. J'aime bien être fidèle à la réalité pour les paysages et emmener le lecteur sur les lieux véritables de l'histoire (même si je joue des angles de la caméra pour m'amuser sur le plan graphique smiley). Je peux conseiller un petit livre très bien fait, concis et avec plein de photos d’époque : Il y a un siècle, la Chine, de Pierre de La Robertie.

Comment travailles-tu habituellement l’apparence de tes personnages? Celle de François Montagne s’est-elle d’emblée imposée ou est-il passé par différentes étapes avant de revêtir celle qu’on lui connaît?
Je suis parti d'un jeune acteur anglais qui s'appelle Alex Pettyfer, mais je l'ai un peu mixé avec Marlon Brando pour le nez. Mais ce n'est qu'une base. Je fais évoluer le personnage par la suite, et au final il n’a plus grand chose de commun avec ces acteurs... Pour Jacques je me suis basé sur Napoléon (j’aime bien son nez), pour Jia li, sur le mannequin Liu Wen

Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène?
Ca doit être le Sergent Marais avec sa tête à la Napoleon III. J'aime bien les photos d'époque. Tout le monde avait une sorte d'air dur avec des yeux enfoncés, des grandes moustaches et des grandes barbes. C'est très graphique tout ça !

Du scénario à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de ton travail?
Je fais un premier storyboard pour noter les idées à chaud au fur et à mesure de la lecture du scénario, sans presque me poser de questions. Ensuite je l’affine (en me posant énormément de questions), Je passe beaucoup de temps à rechercher le bon cadrage et la mise en page qui permettront la narration la plus dynamique, et la plus efficace. Puis je l’envoie aux scénaristes et à l’éditeur pour avoir leurs impressions. Ensuite j’imprime ce storyboard et le reporte en grand format (situé entre A3 et A2) et redessinant de façon définitive. J’encre en même temps mais parfois j’attends que toute la planche soit dessinée au crayon avant de le faire, c’est selon. Puis couleurs… depuis peu : couleur directe avec des encres acryliques.
Laowai, encrage... © Xavier Besse
Le résultat est en tous cas somptueux… Quelle étape te procure le plus de plaisir?
Merci ! J'essaie de faire voyager à l'intérieur des pages, mais sans nuire à la lecture de l'histoire. Toutes les étapes sont intéressantes pour moi !

Dans quelle ambiance sonore travailles-tu habituellement? Silence monacal? Musique de circonstance?
Si je dois me concentrer, silence ou musique classique ou d’ambiance (Guerre, Dead can Dance, musique de films sombres…) Dans l’étape de réalisation graphique où le travail est plus instinctif, là par contre j’aime avoir l’esprit libre, la musique est plus rythmée !

Legende:Laowai, case du tome 2 © Xavier BesseTous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
La série The man in the high castle est top ! J'aime les uchronies. et graphiquement elle est très réussie. J'attends la suite !

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


un personnage de BD: le capitaine Haddock
un personnage de roman: Phileas Fogg
un personnage de cinéma: Pareil, Haddock, je ne vois pas mieux
une chanson: "Everybody's talking at me " de Harry Nilson
un instrument de musique: Clarinette, ça permet de tout jouer
un outil de dessinateur: pinceau on peut tout faire avec
un jeu de société: Colon de Catane
une découverte scientifique: la boussole
une recette culinaire: Le boeuf en daube
une pâtisserie: berck
une boisson: Vin blanc reisling SVP
une ville: Roscoff (le nom est sympa mais je n'y ai jamais mis les pieds)
une qualité: la volonté
un défaut: la procrastination
un monument: la Manneken pis
un proverbe: Rien ne sert de courir il faut partir à point

Un dernier mot pour la postérité?
Alea jacta est (mais tant pis !)

Un immense merci pour le temps que tu nous as accordé!
Le Korrigan