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Entretien avec Kid Toussaint
Interview accordé aux SdI en avril 2019


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Au contraire…

Merci à toi !

Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes auteurs de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?

Lecteur gourmand et curieux. Je lisais un peu de tout. Jeune enfant, je ne suis pas sûr que je faisais attention aux auteurs (et c’est sans doute plus sain). J’ai commencé à y prêter attention vers 11 ans. Je le dis souvent mais l’Odyssée et l’Iliade ont eu un gros effet sur moi. Ensuite, j’ai eu des « marottes » comme Bob Morane, Stephen King, Agatha Christie, puis à partir de 14 ans, plutôt Saint Exupéry, Donald Westlake, James Ellroy etc etc. Je lisais plus de comics que de BD même si un pote avait une impressionnante Bédéthèque dans laquelle je piochais chaque semaine des Tuniques Bleues, du Bruno Brazil, les Astérix etc.

40 Eléphants, fiche antropométrique © Bamboo / Augustin / ToussaintA quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Ça fait trois questions, ça. Mais bon, je vais être joueur. J’ai toujours voulu écrire des histoires (puis de toute façon, je ne sais faire que ça)…mais ce n’est que vers 22 ans que j’ai compris que la BD était la forme d’expression qui me correspondait le mieux. Pas d’auteur particulier, non, sinon, je citerais les mêmes que tout le monde : Alan Moore, Frank Miller etc. et ça n’aurait aucun intérêt. Et oui, ça a été un parcours du combattant. Il faut minimum 10 ans pour réussir ou du moins percer dans ce métier ; Je n’ai pas fait exception à la règle.

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? Comment définirais-tu le métier de scénariste ?
La difficulté dans un premier temps, c’est simplement d’être lu. Ensuite d’obtenir la confiance, ensuite d’être patient (entre le mot fin sur le script et la sortie de l’album il se passe plus d’un an), ensuite de voir son travail disparaître des rayons après parfois moins d’une semaine dans l’indifférence générale.
Les joies, c’est l’écriture en elle-même, c’est la co-création et l’échange avec le dessinateur et enfin le partage avec le lecteur. Quand on reçoit un retour positif ou enthousiaste (plus encore du jeune lectorat), on se dit qu’on n’a pas sué sang et encre en vain.

40 Eléphants, rough © Bamboo / Augustin / ToussaintComment as-tu rencontré la talentueuse Virginie Augustin qui signe les dessins des 40 Eléphants dont le troisième tome vient de paraître ? Pensais-tu déjà à elle lorsqu’à germé l’idée de la série ?
Généralement, je réponds « dans une boîte à partouze »…mais il parait que c’est peu crédible. Donc, cette fois, je vais répondre « chez le coiffeur » ce qui sera tout aussi faut. Ce n’est pas à elle que je songeais en l’écrivant mais je pense que c’était définitivement un projet pour elle.

Quelle fut le point de départ de la série ? Comment est née l’idée de mettre en scène un gang de femme dans le Londres des années 20?
Je suis tombé sur un bref article qui parlait de ce gang qui a vraiment existé. Ça a fait germer un tas de questions en moi qui pourraient se résumer en une seule : En quoi un gang entièrement féminin est-il différent d’un gang traditionnel ? En étudiant les faits divers de l’époque ou les procès-verbaux, j’ai été séduit et intrigué par toute cette faune londonienne.

Aurais-tu un bouquin à conseiller aux lecteurs désireux d’en apprendre plus sur la période ?
Gangs of London et Alice Diamond and the 40 elephants (qui n’était pas disponible au moment où j’ai commencé la série) de Brian McDonald. Même si l’auteur y fantasme un peu toute cette pègre, c’est un bon point de départ.

40 Eléphants, l'encrage élégant de Virginie Augustin © Bamboo / Augustin / ToussaintComment as-tu créé cette formidable galerie de personnages féminins qui est l’un des charmes de la série? A partir de quelle « matière » Virgine Augustin a-t-elle concocté leur apparence ? Certaines ont-elles connu différentes physionomies avant de revêtir celle qu’on leur connaît ?
Les crimes connus ont fait naître les personnages dans leurs diversités : Le chapardage, l’extorsion, le kidnapping, le racolage… Au début, on a une forme vague (une tueuse) puis en grattant un peu, on découvre une personne (Dorothy). Virginie s’est basée sur des photos anthropométriques de criminelles de l’époque…principalement en Australie où elle a trouvé une belle base de données. Le personnage qui a le plus évolué est Florrie sans doute parce qu’elle était le personnage principal et la porte d’entrée à cet univers pour le lecteur.

Est-il un personnage que tu as pris particulièrement plaisir à mettre en scène ?
Maggie. Définitivement. Mais je les aime toutes. J’aimerais me pencher sur Almira mais peut-être que je la garderai pour la fin parce que le peu d’informations qu’elle donne à chaque fois sont encore plus improbables.

Du synopsis à sa finalisation, comment s’est organisé votre travail à quatre mains sur l’album ? Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser ces différentes étapes ?
J’écris. On en parle (presque pas). Elle fait le storyboard. On en parle (presque pas). Elle dessine. On en parle (presque pas). Elle le file à Hubert qui colorise. On en parle (presque pas). L’album sort. On en parle (presque pas). On fait la fête… En fait, c’est vraiment simple de travailler ensemble.

40 Eléphants, encrage © Bamboo / Augustin / Toussaint
Outre le scénario inventif qui joue les équilibristes entre drame et burlesque et le magnifique dessin de Virginie Augustin, nous avons beaucoup apprécié le fait que les 40 Eléphants évoluent au fil du récit, au grès des changements de la société et des péripéties qui émaillent la vie de ce gang atypique car féminin… 40 Eléphants, recherche de persos © Bamboo / Augustin / ToussaintIl est, comme le titre le suggère, le personnage central de la série… Avez-vous l’idée de poursuivre la série jusqu’aux années d’après-guerre qui virent la disparition du gang ? Combien de cycles sont-ils encore prévus ?
C’est le but inavoué. Tant qu’il y aura des lecteurs pour nous suivre, je pense qu’on continuera. L’idée étant d’explorer une voleuse par album et de suivre l’évolution de ce gang au fil des années, on a encore pas mal de matière. Il faudra tout de même que je fasse des ellipses à un moment parce qu’à raison d’un tome par année, on est parti pour près d’une quarantaine d’albums… Notez que ça ferait sens.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur tes projets présents et à venir ?
Beaucoup. Du côté jeunesse, Magic 7, Télémaque et Animal Jack continuent mais des projets adultes ou « young adultes » arrivent aussi. Un western notamment avec Tristan Josse chez Grand Angle, bientôt de la SF aussi. Puis on va préparer un nouvel album avec Servain.

40 Eléphants, recherche de persos © Bamboo / Augustin / ToussaintTous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
Je ne suis pas assez tourné vers l’actualité en matière de divertissements hélas. Ce que je te dirais aurait certainement une dizaine d’années de retard. Là, j’ai découvert un jeune gars qui devrait bientôt percer. Il fait de la bonne zic. C’est un autrichien dont le nom m’échappe, un truc en « ‘Zart », ce genre-là. Je ne regarde pas de séries, je ne suis même pas abonné à Netflix. Je lis trop peu de BD et ne vais pas assez souvent au cinéma. Du coup, je ne vais rien vous conseiller. Démerdez-vous.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Certainement pas.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


40 Eléphants, recherche de persos © Bamboo / Augustin / Toussaintun personnage de BD : Léo de Magic 7….mais bon, je l’ai écrit donc, je triche un peu.
un personnage de roman: Eugène Onéguine. J’suis certainement aussi prétentieux et désuet que lui ou Foltyn de Karel Capek
un personnage de cinéma: Trop. Disons Cosmo Brown dans Singing in the Rain. Je ne sais plus, on doit donner des explications dans les portraits chinois ?
une chanson: Cosmic Dancer de T.Rex.
un instrument de musique: Sérieusement ?
un outil de dessinateur: Qui ?
un jeu de société: Le Stratego plus que les échecs. La mise en place y étant primordiale.
une découverte scientifique: On en est où, là ? On a déjà les voitures volantes ou pas encore ?
une recette culinaire: Ce serait un Poulet Biryani Cajun en forme de sushi avec un goût de goulash.
une pâtisserie: Une tarte au citron pour des raisons évidentes.
une boisson: Un ginger ale au nord, un iced tea au sud, un thé noir partout ailleurs.
une ville: Toutes. Elles me fascinent.
une qualité: L’empathie ?
un défaut: C’est là qu’on répond « la générosité » ou le « perfectionnisme », non ?
un monument: Je devrais répondre un truc phallique pour faire plaisir à mon psy mais en vrai sans doute une gare ou un pont. Note que la gare avec tous les trains qui passent dessus, ça fera plaisir à mon psy aussi… Alors, on va dire le Pont Alexandre III à Paris.
un proverbe: Aucun. Je les déteste tous.


Un dernier mot pour la postérité?
Diem perdidi.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé…
40 Eléphants, Photo d'époque
Le Korrigan