Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Oh oui, pas de soucis !
Merci à toi… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Je suis né dans le Sud-Ouest de la France en décembre 1990, j'ai grandi là-bas dans une petite ville du nom de Bazas. Mes parents étaient tous les deux sensibles à l'art et le sont toujours. Mon père dessine et ma mère est sculpteur alors j'ai trempé là-dedans très tôt.
J'ai passé un BAC option Arts Plastique et j'ai tenté quelques écoles spécialisées BD qui m'ont refusée. Alors j'ai fait une année de Fac, qui ne m'a pas vraiment plus puis j'ai été déscolarisé pendant deux ans.
Pour me remettre dans le bain des études et parce que je voulais apprendre un métier artisanal, je suis parti en Normandie faire un CAP de Fonderie d'Art, c'était très intéressant et la façon de penser, de respecter un protocole, me sert toujours au quotidien.
Après ça, j'ai quitté la France pour aller étudier en Belgique. A Bruxelles je me suis inscris à l'ESA St-Luc où je voulais intégrer la section BD.
Mais à l'inscription, j'ai changé d'avis et finalement j'ai étudié l'Illustration. C'était chouette, j'ai beaucoup appris. C'est aussi là-bas que j'ai pu commencer la gravure.
Le diplôme en poche (2015) je me suis inscrit dans une académie de quartier pour continuer à pratiquer et à apprendre la gravure. A ce jour, j'y vais toujours régulièrement.
Les passions, c'est compliqué, je me passionne pour toutes sortes de choses, l'artisanat de manière globale, la musique, les bouquins, les images animées ou pas et depuis quelques années, je fais du sport (Aiki-Jutsu) pour contrecarrer le fait d'être assis toute la journée et ça peut paraître idiot mais je pense que ça a beaucoup fait progresser mon dessin.
Je me suis rendu compte il y a peu que j'ai le même plaisir à fabriquer quelque chose que de dessiner. Le plaisir de faire en bref.
En ce qui concerne les comptes offshores, gardons ça pour nous, il faut que les gens continuent de croire que le métier d'auteur est un truc de crève la faim.
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Ma famille a toujours eu beaucoup de livres, alors je lisais un peu ce qui me tombait sous la main. Mon plus vieux souvenir de lecture est celui de vieilles encyclopédies illustrées avec des gravures de machines, d'insectes. Ça remonte à loin tout ça !
Ils avaient aussi pas mal de BD, j'ai lu comme tout le monde Lucky-Luke, Tintin, Gaston...
Il y avait aussi les revues qui arrivaient à la maison, Fluide Glacial, Spirou, Science et Vie.
Mais les bouquins qui m'ont vraiment marqués et qui m'ont donné envie de faire de la BD, c'était ceux je lisais en cachette, les recueils de (a suivre) avec Tardi, Manara, Pratt et puis les albums de Peter Pan et la Quête de l'oiseau du temps de Loisel.
Et puis il y avait les romans, je pense que celui qui m'a le plus marqué enfant, c'était « Les Fourmis » de Bernard Weber, j'avais même fait un exposé à l'école pour en parler.
Bizarrement je ne me souviens pas bien des roman que j'ai pu lire enfant, je pense que j'ai pris de telles claques à l'adolescence et plus tard que ces souvenirs ce sont évaporés. Ou peut-être que je n'en ai lu que très peu !
A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Alors là c'est une bonne question.
Comme je l'ai dit plus tôt, j'étais pas mal entouré, ma mère faisait de la sculpture, dessinait et peignait, mon père a fait des études de photos et à côté de son boulot de sylviculteur il dessinait un peu pour les journaux et a fait deux albums auto édité.
Dans leur entourage il y avait beaucoup d'artistes, j'ai donc eu pas mal d'exemples, j'ai été épaulé très tôt et pour moi ça a toujours été quelque chose d'envisageable et de faisable.
Un peu plus tard je me suis dit que ce serait un bon moyen de vivre du dessin et puis je trouve que c'est plus simple de raconter des choses complexes avec la succession d'images que par un dessin « seul ».
Du coup, c'est un peu comme un fils qui reprend l'entreprise de ses parents, parfois je me dis que je ne l'ai pas vraiment choisi et ça me va !
Pendant mon adolescence, j'ai eu la chance de rencontrer Max Cabanes, il était venu chez moi à l'occasion d'un dîner, il avait amené des planches avec lui (les siennes et celles d'autres grands dessinateurs) et m'a raconté son histoire et ce que c'était vraiment que le métier d'auteur de BD. L'idée de faire de la BD était déjà bien boulonnée dans ma tête, mais je pense que cette rencontre a vraiment rendu ça réel.
Aujourd'hui encore, je continue de lui soumettre mon travail pour qu'il me conseille.
Après ça a été assez compliqué, l'accès aux études en France est assez particulier et je n'ai pas réussi à y trouver ma place. Mais bon, je pense avoir réussi à me frayer un chemin.
Pour faire éditer cet album, ça a été assez laborieux car je pense qu'il est un peu hybride. Mais j'ai rencontré Wandrille de Warum durant le festival d'Angoulême en 2017 et il a décidé de me faire confiance et finalement, le livre est là.
J’ai eu l’occasion de parler un peu de toi avec Max Cabanes lors de sa venue au festival de Strasbulles et il semblait vraiment impressionné par tes planches.
Ahah c'est chouette, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu, j'aimerai bien le croiser en festival.
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Au quotidien, je pense que le fait de faire est déjà quelque chose qui me procure beaucoup de satisfaction. Le fait d'avancer chaque jour sur un projet qu'on a décidé de mener. Le dessin qui tombe parfois d'un coup, sans effort et puis que les gens regardent et critiquent le travail.
De petites choses finalement, rien d'explosif.
Mais des grandes joies, il y en a quand même. Quand quelqu'un croit en ton travail et décide de te faire confiance. Et puis finir le boulot, être arrivé au bout de quelque chose.
La difficulté réside pour moi dans tout ce qui est administratif, la négociation, les contrats, le fait de devoir bosser à côté et d'organiser ses activités autour de la BD, pour que ça ne prenne pas toute la place. Bosser les jours où tu n'as pas envie. Garder confiance en soi en cours ou entre deux projets. Et puis, ne pas se surestimer, mais ça je viens juste de m'y attaquer.
Comment est née l’idée de votre premier album, Le Passager, qui vient d’être (magnifiquement) édité chez Warum ?
Ahah, c'est gentil !
Et bien quand j'ai commencé à écrire l'histoire, j'étais encore à St-Luc et je vivais en collocation avec des copains musiciens. Ils avaient plein de projets et vivaient vraiment au contact permanent des autres. Je me posais beaucoup de questions sur la solitude à l'époque (je me préparais sûrement au travail d'auteur) et je me demandais comment il faisait pour vivre comme ça, et pourquoi l'Homme avait tant besoin des autres.
Au même moment par hasard j'ai lu des articles scientifiques sur le parasitisme, qui est une forme de vie qu'on explique difficilement étant donné la complexité de ses mécanismes de reproduction et de survie.
Alors j'ai continué à me renseigner et je suis tombé sur une étude de la Binghamton University de l'état de New York démontrant que durant la période d'immunisation, le virus de la grippe pousse les sujets à se mélanger aux autres pour mieux se répandre.
Je voulais faire quelque chose de métaphorique pour réfléchir et parler de cette sorte « d'obligation sociale » et finalement certains éléments naturels m'ont donné quelque chose à creuser, c'était finalement assez réel, alors j'ai continué d'écrire cette histoire dans ce sens-là.
C’est fascinant de savoir qu’il y a une base scientifique à ce récit… Cette histoire de virus poussant les gens à se mélanger pour mieux se répandre est à la fois édifiante… et passablement terrifiante…
Comment as-tu organisé ton travail sur l’album ? Du synopsis à la planches finalisée, quelles furent les différentes étapes de sa réalisation ? Peux-tu parler de la technique utilisée pour créer tes planches ?
Pour l'écriture, j'ai commencé par faire une frise chronologique, où j'ai placé tous les éléments du récit pour pouvoir les organiser. C'est une étape qui m'a pris beaucoup de temps, car je voulais que le lecteur puisse résoudre le mystère lui-même.
Ensuite, j'ai commencé directement le storyboard, ce qui ne se fait pas trop d'après ce que j'ai cru comprendre. Mais bon, c'était plus logique pour moi à ce moment-là.
C'était une étape assez difficile car je devais dessiner très vite pour ne pas oublier les idées de mise en scène qui me venaient au fur et à mesure. Au bout du compte, ce n'était pas très lisible, alors pour que les gens à qui je devais le montrer puisse comprendre l'action, j'ai mis des signes distinctifs à mes personnages. C'est par pure nécessité que Henri devint myope et fût contraint de porter des lunettes .
En parallèle, j’ai fait pas mal de recherche documentaire, surtout pour les passages en bateau, il fallait que ce soit crédible.
Je voulais que le récit démarre sur un huis-clos, alors j'ai décidé de faire évoluer les personnages en bateau, car je pense que c'est ce qui donne la meilleure idée de la solitude.
Quand il était plus jeune, mon père habitait à Marseille. Avec son frère et un ami à lui, ils ont retapé un huit mètres à voile, puis ils sont partis à trois au Sénégal. Son ami est resté et vit toujours là-bas aujourd’hui. Puis à deux, ils sont repartis et ont traversé l'océan Atlantique jusqu’au Brésil.
Il avait fait pas mal de diapos durant ce voyage et je les regardais souvent quand j’étais petit.
Du coup, je lui ai posé plein de questions sur le fonctionnement du bateau, la navigation, la vie à bord.
Il m’a expliqué plein de choses et m’a même fait un plan du bateau avec les dimensions et l’emplacement du moteur, des couchettes, les astuces qu’ils avaient trouvées pour gagner de la place, ils avaient bricolé ça super bien. Grâce à tous ces éléments, j’étais capable de dessiner tous les angles de vue que j’avais en tête.
Le reste de l’histoire n’est pas situé géographiquement, donc la plupart du temps j’invente les décors. Je me sers pas mal de mes souvenirs pour créer les environnements même si je me documente souvent en fonction de mes besoins.
Pour les planches finales, je suis passé par pas mal de phases, j’ai testé beaucoup de choses. Mais le premier test concluant, c’était en gravure sur métal. Je voulais quelque-chose avec des valeurs de gris, des aplats, du coup j’ai fait une page en aquatinte. Le rendu me plaisait, mais utiliser un procédé de reproduction pour n'imprimer qu'un seul exemplaire qui serait ensuite reproduit avec des machines modernes, c’était un processus vraiment trop long et un peu paradoxal, alors j’ai décidé d’essayer d’approcher ce rendu au lavis d'encre de chine.
Pour créer les planches, je fais d'abord un crayonné sur un papier très fin. Cette étape est très importante, car c'est à ce moment-là que je compose vraiment les images, je découpe, je refais une case, un élément, un visage et une fois que je suis satisfait je décalque mon dessin avec un crayon sur ma planche définitive, du papier à très gros grammage, à l'aide d'une table lumineuse surpuissante fabriquée maison.
Ça me permet de gagner beaucoup de temps parce que je peux recadrer, refaire certaines cases si j’ai fait une tâche et puis je n’use pas mon papier (mes crayonnés sont très sales).
Une fois la mise au propre terminée, je réserve tous mes blancs et puis j'attaque les lavis, couches après couches. Du plus clair au plus foncé.
En général je travaille les lavis sur 4 ou 5 planches en même temps pour gagner du temps sur les séchages.
Une fois les valeurs en place, j'ajoute les contours noirs là où ils sont nécessaires et j'écris tous les textes à la main sur une feuille séparée.
Lorsque ces deux éléments sont terminés, je numérise le tout et j'intègre les textes scannés sur la planches à l'ordinateur.
C'est une manière de faire assez classique je pense.
Quelle étape te procures le plus de plaisir ?
Je ne sais pas vraiment, j'aime beaucoup le crayonné car c'est vraiment là que tout se joue, on peut vraiment s'amuser à tourner et retourner des plans, à chercher telle ou telle expression. Mais j'aime aussi beaucoup l'encrage car il y a une certaine tension, avec le lavis on n’a pas trop le droit à l'erreur et puis il y a quelque chose de très artisanal et assez méditatif de l'ordre de l’exécution pure.
Dans quelles ambiances sonores travailles-tu habituellement ? Silence monacal ? Radio ? Musique de circonstance ?
Ça dépend, j'aime bien écrire en silence, mais j'écoute beaucoup de musique en dessinant.
Sur cet album j'ai eu pas mal de phases, mais le style qui m'a le plus accompagné c'est vraiment le Métal sous différentes formes, mais souvent du Black quand même.
Pour bosser j'ai vraiment besoin de quelque chose qui me remue un peu, alors ce n'est pas forcement violent, mais ça arrive souvent.
Quelle bande-son conseillerais-tu pour la lecture de l’album ?
Ahah, j'en sais rien, il faudrait quelque-chose qui aille du rêve au cauchemars, mais comme ça, je n'ai rien en tête! Peut-être qu'il existe un split Crosby Still Nash / Leviathan !
Peux-tu nous parler de tes projets présents et à venir ?
Je travaille sur un nouveau projet de BD, une adaptation d'un roman de Steinbeck. Je préfère ne pas trop en dire, car pour l'instant, je suis encore dans la recherche, mais ça avance pas trop mal.
Quand j'aurai terminé le dossier, d'ici quelques mois, j'essayerai de le faire signer.
А̀ par ça, je ne sais pas trop, je pense que je vais continuer sur ma lancée et puis on verra bien !
Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur ?
Récemment, je dirais, en musique, Spectral Wound, un groupe de Black Canadien. Le bouquin La longue route de Moitessier. Fleabag, une série anglaise bien gênante. L'anime Mononoke de Kenji Nakamura et puis le film Cent mille dollars au soleil.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non, je ne pense pas.
Un dernier mot pour la postérité ?
Ahah, je ne sais pas ce que je pourrais transmettre, mais apprenez à fabriquer des trucs avec vos mains.
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci à toi.