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Entretien avec Céline Deregnaucourt
interview accordée aux SdI en novembre 2019


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Au contraire, ça m’arrange !

Vous m’en voyez ravi smiley
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Rien que ça ! Alors j’ai un parcours assez classique, petite j’adorais dessiner, lire et trainer avec les animaux et en 32 ans ma vie n’a pas beaucoup changé :) J’ai fait une licence en Graphisme/Illustration à l’ESA St Luc en Belgique puis de retour à Lille je me suis lancée dans l’illustration jeunesse. Pour ce qui est de mes passions, on retrouve en vrac : les animaux (avec beaucoup de fourrures), les livres (SF, fantasy, horreur), les jeux vidéos (Team Monkey Island), les sorcières (et tous les univers magiques), l’espace ainsi que les petits cailloux mignons.

Enfant, quelle lectrice étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
J’étais du genre à dévorer les livres et à passer ma vie à la bibliothèque. Niveau BD c’était très classique: Tintin, Astérix, le journal de Mickey mais ce n’était clairement pas mon format préféré, je lisais d’avantage de romans . Après avoir lu tous les Chairs de poule j’ai enchainé les Stephens King et tout ce qui pouvait faire un peu peur. Et en même temps à coté j’adorais lire les contes d’Andersen même si ça me faisait toujours pleurer et les fables de la Fontaine parce que c’était plein d’animaux. Et un peu plus tard je suis évidemment tombé dans les Harry Potter que je relis encore et encore maintenant.

Eli & Gaston, recherche de personnage, Alex © DeregnaucourtA quel moment l’idée de devenir autrice de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Je n’avais jamais pensé faire de la BD avant de rencontrer Ludo et que l’on se lance dans l’aventure Eli & Gaston. Plus jeune j’envisageai de travailler dans les jeux vidéos, l’animation, l’illustration jeunesse mais jamais la bd. Je crois que ça me paraissait quelque chose d’impossible. Et puis même une fois devenue illustratrice, je ne me pensais pas capable de gérer la narration et de tenir des personnages sur le long terme sans m’ennuyer et pourtant… Au final ça c’est fait tout seul. Je pense que ma passion pour les dessins animées et les jeux vidéos m’ont pas mal aidé pour la partie storyboard /découpage.

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? Comment définirais-tu le métier de dessinatrice?
Le truc le plus chouette c’est de pouvoir continuer à dessiner tous les jours (et en plus d’être payée pour ça).
Après un de mes grands plaisirs c’est lorsque j’arrive à retranscrire une ambiance ou un sentiment à travers une image. Ce moment où tu dessines ou colorises et que d’un coup PAF! Tu t’y attends pas et ça a pris vie comme tu voulais, sans que tu saches vraiment comment. Ça donne un petit coup d’adrénaline, c’est magique! Je crois que c’est la drogue pour laquelle je dessine.
Une autre grande joie que je découvre depuis peu, c’est la rencontre avec nos lecteurs en dédicaces / festivals. C’est tellement chouette de pouvoir discuter avec des gens de tous horizons et de pouvoir voir la tête émerveillée des enfants.

Pour ce qui est des difficultés du métier, pour ma part c’est plutôt de pas se démoraliser. Je suis une grande insatisfaite chronique, j’ai l’impression de ne jamais faire assez bien et je pourrais recommencer encore et encore. Ça rend vite dingue, surtout quand on passe des mois entiers enfermé, à ne faire que bosser devant son ordi.
Planches, Work in Progress
Eli & Gaston, Work in Progress © Deregnaucourt Eli & Gaston, Work in Progress © Deregnaucourt
Eli & Gaston, Work in Progress © Deregnaucourt Eli & Gaston, Work in Progress © Deregnaucourt

Eli & Gaston, recherche de personnage, Eli © DeregnaucourtComment as-tu rencontré Ludovic Villain qui signe le scénario de Eli & Gaston qui vient de paraître sur les étals ?
Par des amis en commun. On s’est retrouvé à une même soirée, on a discuté de ce qu’on faisait dans la vie. Il écrivait des scénarios, je dessinais, très vite est venu le « Et si on faisait une BD ensemble? »

Comment as-tu abordé votre travail sur l’album ?
D’abord avec appréhension, j’avais peur de ne pas réussir à faire un truc assez bien (on y revient) et puis, je me suis dis : OK le seul moyen de faire un truc bien c’est que je m’amuse, alors j’ai pensé à tout ce que j’aimais, à ce que j’aimerai trouver en ouvrant une bd et puis c’était parti!. J’ai surtout eu la chance que Ludo me laisse très libre dans le design des personnages ou la façon de raconter en image.

Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Gaston sans aucun doute. J’adore le dessiner et lui faire des têtes ou des postures improbables. Je m’inspire beaucoup de mon chat (même s’il ne lui ressemble pas physiquement), ça aide beaucoup pour les attitudes et les loufoqueries. Après j’ai aussi beaucoup aimé mettre en scène Tristefeuille car je m’étais donné la contrainte de le faire sortir des cases et c’est devenu comme un petit défi personnel de réussir à le faire circuler de page en page.

Eli a-t-elle d’emblée eu l’apparence qu’on lui connaît ou est-elle passée par différentes étapes avant de la revêtir ?
Eli est apparu très vite. Après la lecture du scénario global j’avais cerné son tempérament, je me suis lancé dans des croquis et après une dizaine de petites esquisses où je teste des trucs, Eli est arrivée ! Bien sûr elle a un petit peu changé au fur et à mesure que je la dessinais mais les grandes lignes sont restées.
Recherche de Personnage
Eli & Gaston, recherche de personnage, Eli © Deregnaucourt Eli & Gaston, recherche de personnage, Eli © Deregnaucourt

Comment s’est organisé votre travail à quatre mains sur l’album ? Du synopsis au livre finalisé, quelles furent les différentes étapes de votre travail ?
Ca c’est fait de manière super fluide.
Ludo m’a laissé beaucoup de liberté sur la mise en image du scénario. Son écriture me donnait suffisamment d’indications pour voir où j’allais mais suffisamment d’espace pour que je puisse y ajouter ma façon de voir les choses.
A chaque fois que j’avançais sur des planches, je les montrais à Ludo ainsi qu’à notre super éditrice. On en discutait ensemble, ils me donnaient leur avis, toujours très juste et encourageant. Ca a vraiment été super agréable de travailler à 3.
Eli & Gaston, recherche de personnage, Eli © DeregnaucourtNiveau étapes ce fut très classique. J’ai travaillé sur les personnages à partir du scénario global. Puis Ludo à peaufiner les textes en même temps que je réalisais le storyboard de manière à bien ajuster nos 2 manières de raconter; le texte et l’image. Une fois le storyboard entièrement fini, j’ai avancé en alternant mise au propre et mise en couleur.

Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser ces différentes étapes, afin de mieux comprendre comment tu travailles ? Quels outils utilises-tu pour composer tes planches ?
Je commence par mettre sur papier mon découpage de manière très très grossière, sur des bouts de feuilles et au crayon. Pour la page que je t’envoie ça reste lisible mais ça peut très vite finir en un tas de carrés / ronds / bonhomme bâton où l’on ne comprend pas grand chose (y compris moi-même).
Je déroule l’histoire comme ça sur plusieurs pages pour voir comment fonctionne les doubles pages ensemble et au besoin je sors les ciseaux et le scotch pour supprimer ou ajouter des cases.

Ensuite je reproduis cela sur ordinateur (avec tablette graphique et Photoshop). Ca devient un peu plus lisible et je peux vraiment commencer à réfléchir d’avantage à la composition de chaque case, au point de vue que j’adopte.
Puis je passe « au propre »
Et enfin à la couleur, toujours sur Photoshop
Work in Progress
Eli & Gaston, Work in Progress, rough © Deregnaucourt Eli & Gaston, Work in Progress, crayonné numérique © Deregnaucourt
Eli & Gaston, Work in Progress, encrage numérique © Deregnaucourt Eli & Gaston, Work in Progress, (somptueuse) mise en couleur © Deregnaucourt

Quelle étape te procures le plus de plaisir ?
Difficile à dire, j’aime beaucoup les toutes premières recherches de persos , de plans ou de découpages; ce moment où je suis encore libre de pouvoir tout chambouler, changer d’avis et tout recommencer encore et encore. Après j’adore aussi la colorisation, trouver les bonnes teintes, la bonne ambiance. Tenter des trucs et me laisser surprendre quand ça marche alors que j’avais pas du tout prévu d’utiliser ces couleurs.
Eli & Gaston, recherche de personnage, Gaston © Deregnaucourt
Mais dans tous les cas j’ai besoin d’alterner les périodes de dessin et de colorisation pour ne pas tomber dans le ras le bol, je suis du genre à vite me lasser.

Les enfants de ma connaissance qui ont eu l’album entre les mains ont tous posé la même question : et le tome 2 ? Une suite est-elle d’ores et déjà prévue ?
Avec Ludo on nous pose souvent la question et pour l’instant on ne peut encore rien confirmer. Suspense :)
Ce qui est sûre c’est qu’on adorerait réaliser d’autres aventures d’Eli & Gaston.

Peux-tu nous parler de tes projets présents et à venir ?
Je ne peux encore rien dire non plus pour le moment smiley

Eli & Gaston, recherche de personnage, Mia © DeregnaucourtTous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Mes derniers gros coup de coeur ne sont pas super récents mais en attendant de retomber amoureuse je dirai:
Les Hilda (Luke Pearson), Ultralazer (Henry, Duque, Giraud) et L’age d’or (Cyril Pedrosa) pour les BD.
Pour les romans : Le cycle « Le fou et l’assassin » et l’intégralité des livres de Robin Hobb, La maison dans laquelle (Mariam Petrosyan) et l’homme qui savait la langue des serpents (Andrus Kivirähk)
Dirk gently et Umbrella academy pour les séries; Gravity Falls et Steven Universe côté séries animées.
Et le jeu vidéo Night in the woods bien évidemment.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
On dirait bien que non

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

Eli & Gaston, Work in Progress © Deregnaucourtun personnage de BD: Pistouvi de la BD éponyme
un personnage mythologique: Euh… Une chimère?
un personnage de roman: un mix de Scout « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » et d’Hermione Granger
une chanson: Une chanson des Eels ou la BO des gardians de la Galaxie
un instrument de musique: Un harmonica
un jeu de société: Labyrinthe
une découverte scientifique : Je ne sais pas mais sans doute une découverte par sérendipité
une recette culinaire: Les cookies avec plein de noisettes
une pâtisserie: Toutes celles qui comportent du chocolat ou des noisettes
une ville: Zootopie
une qualité : J’ai toujours raison
un défaut: J’ai toujours raison
un monument: Poudlard
une boisson: Du café, beaucoup de café !
un proverbe : « Enfin, surtout que ça manque vachement de panneau une vie » (Le trop grand vide d’Alphonse Tabouret - qui est mon livre préféré de tout l’univers)


Un dernier mot pour la postérité ?
42 ?

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci beaucoup à toi !

Le Korrigan