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Entretien avec Jérémy Demeure
interview accordée aux SdI en février 2021


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Non, pas de soucis.

Merci à toi…

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Je m’appelle Jeremy Demeure. J’ai 35 ans et je vis en famille à Viesville, un village entre Nivelles et Charleroi, en Belgique.
J’ai un diplôme en communication, je travaille comme chargé de com’ pour une asbl sociale en journée et je griffonne et j’écris quand je ne m’occupe pas de mes bambins (plutôt rare pour l’instant avec mon dernier démon de 2 ans).
J’aime beaucoup la littérature, l’imaginaire sous toutes ses formes, l’art, le silence et la nourriture grasse.

Enfant, quel joueur étai-tu et quels étaient alors tes jeux de chevet ?
En journée j’étais souvent dehors à jouer au basket ou à construire des cabanes un peu n’importe où avec mes copains. Le soir, je passais des heures à jouer aux Lego ou aux GI Joe et autres Tortues Ninjas.

Comment es-tu tombé dans la marmite du Jeu de Rôle ?
J’ai entendu des types jouer à Donjon et Dragon (probablement) aux Trois Rois (une des nombreuses boutiques de JdR disparues de Charleroi). Puis, un copain a essayé de nous initier à l’école, sans succès. Quelques temps plus tard, je devais avoir 13 ou 14 ans, je suis allé dans une autre boutique, l’Amalgames, avec ma maman qui m’a offert Cthulhu D20… Là, j’ai commencé à masteriser.

Peux-tu en quelque mot expliquer ce qu’est le JdR à ma grand-mère ?
C’est une sorte de pièce de théâtre improvisée en présence du metteur en scène qui n’aurait potentiellement aucune limite.

Quels ont tes meilleurs et tes pires souvenirs de parties de JdR ?
Je pense qu’il s’agit de la même partie. J’ai été invité dans un groupe à masteriser quelques séances de Rune Quest. Je devais emmener les joueurs dans un plan chaotique et j’avais carte blanche. Je m’y suis pointé un soir avec ma compagne et notre fillette qui devait avoir quelques mois (à l’époque je pensais encore bêtement que enfants en bas âge et jdr étaient compatibles). Au bout de quelques minutes, assise sur mes genoux, elle est montée sur la table et s’est mise à y marcher à quatre pattes. Je me souviens que j’étais à la fois furax qu’elle mette le « souk » à la table mais aussi ultra attendri par ce petit bout qui était devenu partie intégrante de ma vie.

illustration pour une série de nouvelles  © Jérémy DemeureQuel est en ce moment ton jeu de rôle de chevet ?
J’ai toujours un exemplaire du |I]DK Système qui traîne a portée de main. Sinon, le dernier que j’ai lu, c’est un exemplaire de Inflorenza Minima et avant ça, j’ai relu Mahamot.

Quels sont pour toi les principaux avantages du DK Système… et, éventuellement, ses petits défauts…
Le fait qu’il s’agisse de règles génériques et que le bouquin soit relativement facile à consulter. Ensuite, j’aime vraiment bien les Dk justement qui rendent les choses potentiellement explosives. Ça traduit bien cette espèce d’exagération soudaine, brusque et violente que j’aime apporter à certaines scènes.

Ce qui peut poser problème selon moi, c’est la présence de certains raccourcis comme la puissance des armes qui est décomposée en trois niveaux. Si tu veux des choses plus précises pour du combat tactique par exemple, tu dois adapter toi-même. Maintenant, ce n’est pas non plus très difficile et d’autres livres en D20 remplis de table d’équipement peuvent aider.

A quel moment as-tu eu envie de passer de l’autre côté de la barrière et de devenir auteur ?
Directement je pense car l’aspect du JdR que j’ai toujours préféré, c’est la phase créative de la rédaction de scénarios. Je crois n’avoir jamais fait jouer une aventure que je n’ai pas écrite. Plus tard, j’ai écrit des articles dans la presse et ai vendu des textes en tant que ghostwriter. Là, j’ai osé commencer à contacter des professionnels du monde ludique.

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Le plaisir véritable, je l’éprouve quand je cogite et que je griffonne des idées et des bouquets d’illustrations en début de projet. A ce moment tout est possible, il n’y a pas de limite et mon imagination peut tourner à plein régime. Puis, il y a l’instant réjouissant où quelqu'un te dit oui pour publier, acheter, commander un texte, une illu ou un concept.

La plus grande difficulté pour moi est de ne pas me lasser d’une idée au bout de quelques jours ou une fois que j’ai posé toutes mes idées par écrit. S’obliger à boucler un projet plus long, comme 7 Sorcières justement, pour moi, c’est vraiment difficile du point de vue de la discipline.

essais pour un projet de jeu de pêche  © Jérémy DemeurePeux-tu nous parler de la genèse de 7 Sorcières dont la campagne de financement participative vient d’être lancée sur Gameontabletop ?
Ça a commencé par un commentaire que j’ai laissé sur la page Facebook des XII Singes. Je voulais savoir comment leur proposer des illustrations. J’ai envoyé une démo assez costaude qui a amené à une discussion. Là, des idées ont rencontré des opportunités, un pitch a fait mouche et comme Les XII Singes représentaient depuis longtemps pour moi une sorte de Must en matière de jdr, je n’ai pas hésité une seconde smiley.

Tu sais (apprête ton petit violon mais il est deux heures du mat’, j’écris ces réponses sur mon GSM avec mes gros doigts qui ratent une touche sur deux alors que mon fils squatte le canapé à côté de moi. Du coup, j’ai envie de causer de ça, tu supprimeras si tu n’aimes pas), je viens d’un milieu où l’imagination et l’art ne sont pas perçus comme des choses ayant beaucoup de valeur. J’ai longtemps fait ça dans mon coin en rêvant plus qu’en faisant. J’ai du attendre un bon bout de temps avant d’avoir mes premiers bouquins de SF, mes premiers jeux de rôle, ma première boîte de figurines Confrontation. C’était déjà chouette alors mais je n’avais accès qu’a des choses fort classiques tout en ayant des goûts un peu “spéciaux”.

Les gars autour de moi ne juraient que par D&D, Warhammer et autres mais perso je restais sur ma faim. Puis, un jour, j’ai acheté Warsaw de chez John Doe et Wastburg des XII Singes (des années étaient déjà passées si tu regardes mon âge, l’époque de mes premiers JdR et la date de parution de cette adaptation du livre de Ferrand). Là, je me suis rendu compte qu’il existait des parutions peut être plus confidentielles mais qui correspondaient beaucoup plus à mes inclinations, que ce soit pour le JdR, la musique ou la littérature. Depuis, je pense avoir franchi un pas supplémentaire, que tu découvriras à la lecture de 7 Sorcières et je t'assure que je peux aller encore bien plus loin dans les trucs perchés smiley
7 Sorcières, visuel de la campagne de financement © les XII Singes / Demeure
Dans quels films ou bouquins as-tu puisé pour créer cette prometteuse campagne ?
Hum, les idées de personnages ou de situations viennent d’un peu n’importe où, une photo, un article, un souvenir, je fonctionne beaucoup par bissociation au niveau créatif. C’est l’idée de mixer des concepts qui n’ont a priori rien avoir pour pondre quelque chose de vraiment spécial et j’ai la chance que ça se fasse en boucle et de manière automatique dans ma tête.

Ce qui est plus intéressant, il me semble, c’est mon approche, la saveur ou l'arrière-goût plutôt que j’essaie de donner à tout ce que je fais. J’ai déjà réfléchi ailleurs à la question et je dois encore avoir un article la-dessus.

J’adore les livres de Harry Crews, le journalisme Gonzo, certains manga bien particuliers (Blame!, Priest, La cantine de minuit, Spirale), un certain cinéma belge (C’est arrivé près de chez vous, Calvaire) et quelques émissions type Streap Tease, les publicités désuètes, Lovecraft et le folklore carolo (plus une tonnes d’autres choses plus gentillettes et populaires -j’aime beaucoup Downtown Abbey, Hercule Poirot et la musique de Cardi B par exemple-) mais je te parle de tout ce qui a un rapport avec mes créations. Tu mélanges tout ça, et tu as moi et ce que je crée.
J’aime bien m’attarder sur l’histoire de péquenots géniaux, ces gens totalement imparfaits, moches a priori et parfois pas très fréquentables mais qui dégagent plus de poésie, qui amènent plus de tripes et de relief à tous que n’importe quoi d’autre. Ce que je fais n'est jamais très joyeux joyeux, il y a souvent une bonne part de cynisme, c’est souvent cru, violent et très sombre avec une bonne part d’absurde et/ou d’exagération. Il y a fréquemment un minimum de magie ou de croyances populaires (ou à l’inverse une débauche de IT) et Lovecraft n’est jamais bien loin non plus. Imparfait sans doute mais je pense que ça a le mérite d’être original et savoureux.

7 Sorcières, illustrations © les XII Singes / DemeurePeux-tu en quelques mots nous faire le pitch de 7 Sorcière ?
De mon point de vue, 7 Sorcières c’est une enquête hallucinée dans un monde à part où tu ne peux te fier à rien, pas même à toi-même. C’est une campagne relativement extrême dans son traitement et dans ses thèmes qui ne laissera personne indifférent et qui secouera même les plus blasés.

L’approche scénaristique rompt un peu avec les jeux de rôle classique puisque tu expliques dans l’intro que les joueurs ne vont pas incarner un unique personnage mais plusieurs, leur mort participant à l’ambiance horrifique de l’histoire… Cet artifice narratif était-il présent dès le début ou s’est-il imposé au fil de l’écriture ?
Le côté multi-perso est venu pendant l’écriture car je me suis dit que si les joueurs s’attachaient trop à leur PJ, ils ne prendraient pas assez de risque et qu’ils pourraient ainsi passer à côté de scènes intéressantes. Puis quand l’idée est venue des handicaps et autres, je n’ai plus hésité.

Sa structure éminemment symbolique (une campagne de 7 scénarios pour un clef en main qui peut être considéré comme la 7eme publication de la collection 6) était-elle une figure imposée ?
Oui et non. La structure elle-même est faite d’aventures liées en campagne mais pouvant être jouées dans n’importe quel ordre a directement été mise sur la table. Pourquoi, il y en a 7 et pas 6…tu le découvriras en lisant le livre smiley (je n’ai pas envie de spoiler l’affaire).

Comment as-tu élaboré le background et les figurants de cette campagne ? Quel fut le point de départ de ton scénario ?
Ici, il faut que je sois prudent pour ne pas trop en dire… en fait, il y avait une notion de base dirons-nous. En l’étudiant et en me demandant comment l’adapter à ma sauce, l’idée du Burning Man comme lieu d’aventure s’est imposée rapidement pour ses nombreuses possibilités. Ce festival était aussi un prétexte pour me laisser le champ libre côté bizarreries en mode contemporain. Pour les figurants, c’est un mélange d’improvisation, de besoin pour la narration/intrigue et d’envies personnelles (souvent inspirées par des dessins que je faisais en réfléchissant).

7 Sorcières, illustrations © les XII Singes / DemeureEtant à la fois auteur et illustrateur de la campagne je voulais savoir si tu pensais tes récits en images ou si l’apparence de tes PNJ et des décors venaient sur le tard, une fois la structure bien en place…
Clairement, l’image est au centre de tout. Parfois, je vais jusqu’à chercher un twist pour permettre l’apparition d’un concept ou d’un graphisme que j’aime. Je dessine vraiment beaucoup ou pour être plus exact, je griffonne tout le temps, des personnages, des trames, des idées de mise en page, de cover, de publicités, … J’ai plusieurs fardes remplies de ces croquis qui partent dans tous les sens.

Fardes ??? kezako ???
Ce sont trois (pour l’instant) gros classeurs noirs qui contiennent des chemises en plastique. Dans chaque chemise, tu as un projet plus ou moins développé. Ça va d’une page de gribouillis à un truc presque fini avec le graphisme, un prototype et tous les textes.

Ce sont tous les trucs que j’aimerais publier un jour. Je pense que si j’avais une équipe de développeurs à ma solde, il y en aurait pour 10 ans de travail :)

Dans quel état d’esprit étais-tu au moment du lancement de la campagne de financement ?
Stressé car c’était une première pour moi. Les XII Singes ont investi du temps et de l’énergie dans ce projet. Je ne sais pas si c’est pareil avec d’autres maisons d’édition mais j’ai réellement été guidé et encouragé lorsque cela était nécessaire. Je n’aime pas décevoir et comme je te l’ai dit, c’est une « enseigne » qui a un côté « mythique » pour moi. Donc oui, j’avais un peu peur que ça ne se passe pas bien mais j’étais aussi vachement excité car c’est très stimulant de vivre ça de l’intérieur.

Financé en une journée à peine, dans quel état d’esprit es-tu à présent ?
Je suis un peu rassuré. Maintenant, j’attends le retour critique des lecteurs le moment venu. J’espère surtout que les gens seront étonnés (et qu’ils s’amuseront évidemment). Je pense que c’est ce que j’ai à apporter, de l’inattendu.

Il semblerait bien, effectivement… smiley

Comment a été conçu cette campagne de financement ? As-tu été partie prenante de son élaboration ?

Ce sont les XII Singes qui s’occupent de la campagne de financement. Mon rôle est de répondre aux questions, comme ici, et j’essaie de partager ce que je peux, du mieux que je peux.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
illustration d'un article sur le tatouage dans le JdR © Jérémy Demeure
Littérature : le dernier gros truc qui m’a vraiment marqué, à tous les niveaux et même si ça remonte à plus d’un an, c’est Le courtier en tabac de John Barth. Plus récemment, j’ai lu Ce que cela coûte, un récit type “nouveau journalisme“ sur la boxe et D’un château l’autre qui étaient vraiment excellents. Là, je dois me commander Vorrh qui a l’air monstrueux.

Musique : l’album Some rap songs d’Earl Sweatshirt

Film/série : j’ai vu une bonne partie des Hercule Poirot avec ma compagne et j’ai vraiment bien aimé. Ça a un côté rassurant parfait pour l’époque.

Jdr : j’ai regardé une vidéo de présentation de Into the Odd. J’ai envie de me l’acheter et de créer une espèce de sur-couche à ma sauce.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
La question, je ne sais pas comment tu voudras la formuler mais la réponse serait : avoir le loisir de me consacrer à l’écriture de trucs originaux comme l’histoire d’un lutteur belge has-been doté d’un super pouvoir à double tranchant qui le contraint à partir explorer un appendice inconnu de l’enfer de Dante ou un jeu de pêche contemplatif présenté comme une série d’œuvres d’art contemporaines ou encore un autre projet de jdr bien sombre et torturé qui causerait de mineurs/pirates/repris de justice le long d’un fleuve-spirale à l’époque de Germinal smiley

Euh… Joker pour trouver la question… smiley

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

un personnage de BD : Le cuistot de La cantine de minuit
un personnage mythologique : un gardien des forêts avec une grosse barbe et une grosse hache à deux mains.
un personnage de roman : Hagrid me dit-on
une chanson : pour l’instant, le générique de Peppa Pig ou un truc bruyant de qualité
un instrument de musique : un accordéon
un jeu de société : un truc solo, un peu compliqué avec un graphisme un brin désuet
une découverte scientifique : les calmants
une recette culinaire : les frites
une pâtisserie : le baklawa
une ville : pas de ville, un hameaux n’importe où
une qualité : l’imagination
un défaut : l’impatience
un monument : un calvaire au milieu des champs
une boisson : le café
un proverbe : bénis soient les simples d’esprit

illustration d'un article sur le tatouage dans le JdR © Jérémy Demeure
Un dernier mot pour la postérité ?
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Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Avec plaisir.
Le Korrigan