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Entretien avec Gihef
interview accordée aux SdI en mars 2021


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Si tu voulez.

Je voulez bien… mais je peux me faire violence… smiley
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Gihef, auteur caucasien de la planète Terre (à mon grand regret). J'ai commencé ma carrière il y a 18 ans environ, en tant que dessinateur. J'ai collaboré avec deux scénaristes (Jean-Christophe Derrien et Joël Callède) avant de prendre moi-même la plume. Mon premier album en tant que scénariste est sorti en 2009, c'était Mister Hollywood pour mon ami de longue date Eric Lenaerts. Depuis, j'ai continué. D'abord en parallèle du dessin, puis exclusivement. J'aime toucher un peu à tous les genres, cela correspond à mes envies et mes goûts plutôt éclectiques. Et j'espère que ça va continuer encore un bon moment.

Monsieur Vadim, recherches © TancoEnfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
J'ai été bercé par Bob & Bobette (une série flamande connue essentiellement en Belgique), les Tuniques Bleues, Sammy, Gil Jourdan, Spirou & Fantasio, mais aussi Comanche, Rahan ou Durango. Puis, je me suis intéressé aux comics grâce aux mensuels Strange, Spidey, Titans, etc... J'ai effectivement toujours lu des BD, sauf pendant une période de cinq-six ans tout récemment. Je pense que c'était dû à un ras-le-bol d'avoir le nez en permanence plongé dedans. Quand on coupe de la bidoche toute la journée, on n'a plus forcément envie d'en bouffer le soir. Mais je viens de m'y remettre, aussi étrangement que j'avais arrêté. Je pense que j'avais tout simplement besoin d'une pause.

A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Pour paraphraser le personnage de Ray Liotta dans 'Les Affranchis', je dirais qu'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu envie de faire de la BD. Il y a eu des déclics, forcément. Quant à savoir quel auteur en particulier a suscité cette envie, vaste question. Je dirais que c'est une somme de plusieurs auteurs. Enfin, le parcours d'un auteur ressemble souvent à celui d'un combattant. Et pas seulement au début. On vit dans une époque où on est forcé de songer au prochain projet en commençant le précédent. Et en tant que scénariste, il vaut même mieux songer aux projets au pluriel. Sachant que les refus sont nombreux. Il n'existe aucune formule magique permettant de signer chez un éditeur, et encore moins garantissant le succès.

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés des métiers de dessinateur et de scénariste ?
Ma plus grande joie, c'est la création. Je m'immerge complètement dans le processus d'élaboration de l'univers d'un nouveau projet. C'est même parfois trop prenant. Mais ça m'éclate. Ça me sort du quotidien. Le pouvoir de l'imagination est le plus fort.

Monsieur Vadim, recherches © Tanco Comment vis-tu cette période un peu irréelle où le monde entier fait face à une pandémie qui, dans un récit de fiction, aurait paru asse peu crédible ?
Comme à peu près tout le monde, j'imagine. Après, il faut avouer que lorsqu'on fait de la BD, on vit déjà quasiment en confinement. Mon quotidien n'a pas vraiment changé. J'ai juste l'impression que c'est carnaval tous les jours en voyant les gens masqués dans la rue.

Comment as-tu rencontré Morgann Tanco qui signe les remarquables dessins de Monsieur Vadim ?
On s'était croisés dans un festival du sud-ouest il y a quelques années déjà. J'avais repéré son travail et lui avais proposé Vadim lorsque le scénario était prêt. Comme j'avais dans l'idée d'en faire potentiellement une série longue (la fin du premier cycle est un peu 'ouverte' sur d'éventuelles suites), il n'était pas très chaud, préférant un format plus court. Je n'ai pas insisté, et ai envoyé le dossier en l'état chez Hervé Richez, directeur de la collection Grand Angle, qui a accepté le projet. On 'est mis en quête d'un dessinateur, et il se trouve que parmi les candidats à qui Hérvé avait envoyé le dossier, il y avait Morgann. Après avoir lu le script, il m'a contacté pour me dire qu'il était emballé à l'idée de le faire. Et c'était parti mon kiki.

Lorsque tu te lances dans l’écriture d’un scénario, sais-tu déjà qui va l’illustrer ou le dessinateur s’impose-t-il au fil de l’écriture ?
Il y a un peu tous les cas de figure. Autrefois, j'ai écrit des projets POUR des dessinateurs (Crotales et D'Encre et de Sang pour Renaud ; Mister Hollywood pour Eric Lenaerts). Aujourd'hui, j'écris le plus souvent pour répondre à une envie et des idées personnelles. J'ai souvent une idée de graphisme qui serait approprié en tête, mais je reste assez souple.

Comment est né cet étrange Monsieur Vadim ? Quel fut le point de départ cette nouvelle série ?
L'idée de départ est aussi simple que son pitch : qui soupçonnerait un vieillard d'être une arme redoutable ? Après, il a fallu que je choisisse un contexte, des enjeux, etc... J'ai opté pour la Côte d'Azur parce que j'y ai passé mon adolescence et que je connais assez bien la région. Il est de notoriété publique que la pègre y tient une place prépondérante depuis plusieurs décennies. Partant de là, avec un peu de documentation et d'imagination, j'en suis arrivé à faire vivre ce petit univers de façon assez logique finalement.
Monsieur Vadim, recherches © Tanco
A partir de quelle « matière » Morgann Tanco a-t-il créé l’apparence de tes personnages ? Certains sont-ils passés par différents stades avant de revêtir celle que l’on connaît ?
Cela fait partie du processus de recherche. On en discute, je lui communique ma vision, éventuellement des modèles dont il peut s'inspirer (acteurs, personnalités publiques, etc). Sur cette première base, on redéfinit éventuellement les personnages. Par exemple, la première version du 'Belge' était totalement différente dans sa tête. Il était plutôt mince, presque élégant. Je me suis rendu compte que je ne lui avais pas communiqué suffisamment d'infos à son sujet. Parfois, on a des idées qui semblent tellement évidentes dans notre tête, qu'on en oublie de les partager.

Comment s’est organisé ton travail avec Morgann sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de sa réalisation ? A partir de quelle « base » a-t-il réalisé son travail ? (découpage, storyboard ?)
Alors, même si je suis également dessinateur à la base, je ne soumets jamais de storyboards afin de ne pas brider la créativité de mon ou ma coauteur.trice. Je tâche de faire des découpages écrits assez précis. Mais pas trop non plus, j'estime qu'on doit laisser une certaine liberté graphique au dessinateur ou à la dessinatrice. Il y a évidemment des points importants sur lesquels j'insiste. Mais bien souvent, le résultat n'est pas exactement comme je l'imaginais. Et c'est tant mieux. C'est comme ça que doit fonctionner une collaboration, à mon sens. Je ne suis pas de ces scénaristes qui imposent leur vision. Morgann m'envoie des storyboards que je valide (ou sur lesquels je demande parfois des petits modifications), puis il passe à l'étape du crayonné, et enfin de l'encrage. Nous sommes très souples l'un comme l'autre. Nous travaillons ensemble, dans tous les sens du terme.
Monsieur Vadim, work in progress
Monsieur Vadim, WIP © Tanco / Gihef Monsieur Vadim, WIP, crayonné © Tanco / Gihef Monsieur Vadim, WIP, encrage © Tanco / Gihef

Penses-tu que le fait d’être toi-même dessinateur change la façon dont tu écris un scénario ?
Disons qu'il m'est probablement plus facile de décrire une case en un minimum de mots. Mais c'est également dangereux, dans la mesure où comme je le disais plus tôt, je peux avoir des idées qui me semblent évidentes, mais qui ne le sont pas forcément pour tout le monde.

Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène dans cette histoire ?
Très probablement le Belge. je me suis un peu lâché sur les dialogues, et pour une fois (comme on dit chez nous), les clichés sont vrais (sous-entendus, pas colportés par des français qui n'y connaissent rien et sont restés sur Roucas et Collaro comme références).

Dans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement ? Silence monacal ? Radio ? Musique de circonstance ?
Lorsque j'écris, c'est souvent en silence. Mais il m'arrive de mettre un fond sonore en résonnance avec le projet qui m'occupe. Sur Vadim par exemple, j'ai beaucoup écouté de bandes originales de vieux films des années 60 et 70. Essentiellement du Michel Magne (qui a notamment fait Les Tontons Flingueurs et OSS 117), du François de Roubaix ou du Lalo Schifrin. Ca me plongeait dans une ambiance de circonstance.
Monsieur Vadim, strip du tome 2 © Tanco / Gihef
Aurais-tu une B.O. à proposer pour s’immerger plus avant dans la série ?
Eh bien, je dirais les Tontons Flingueurs de Magne, les Félins de Schifrin ou Diaboliquement Vôtre / Adieu l'Ami / Tante Zita / La Blonde de Pékin de François de Rouv-baix.

As-tu définitivement remisé tes crayons ou envisages-tu de les reprendre un jour prochain ?
Rien de prévu pour le moment.

En combien de tome Monsieur Vadim est-il prévu ? Pour quand donc est prévu le prochain tome ?
Deux tomes sont prévus, le second paraîtra courant août. Si l'éditeur le demande et que le dessinateur le désire, j'ai des idées pour un second cycle.
Monsieur Vadim, strip du tome 2 © Tanco / Gihef
Au vu du plaisir que nous avons eut à lire le tome 1, on ne peut que l’espérer !

As-tu d’autres projets non classés secret défense sur le grill ?

A ce jour, je travaille sur deux projets pour un nouvel éditeur qui s'appelle Kamiti : une adaptation des romans Le Cycle d'Alamänder d'Alexis Flamand, avec mon compère Marco Dominici au dessin ; une biographie romancée de la vie de Robert Roy MacGregor qui mèle aventure et historique, avec Karl Tollet au dessin ; et un album d'humour que je co-écris avec Janry pour Morgann Tanco, qui avait des envies de s'essayer au 'gros nez'.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Le dernier film que j'ai adoré, et je ne m'y attendais pas vraiment, était 'Palm Springs' avec Andy Samberg (qui joue Perralta dans Brooklyn 99) et Cristin Milioti. En série TV, il y a eu 'Seven seconds' - une mini série sur un sujet particulièrement d'actualité (les violences raciales engendrées par la police) - et 'Queen's Gambit', comme beaucoup de gens je pense. Je me suis remis à la lecture il y a peu de temps (je ne suis pas parvenu à ouvrir un livre ou une BD, à part pour le travail, pendant trois ou quatre ans). Mais rien ne m'a réellement transcendé. Ah, si : 'Le Cycle d'Alamänder' que j'adapte justement. C'est de la fantasy assez barrée et plutôt fun.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
J'espère que non.
Monsieur Vadim, WIP, couverture de l'Immanquable © Tanco / Gihef / Cerise
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

un personnage de BD : Marv dans Sin City
un personnage de polar : Jimmy dans Mystic River de Lehane
une chanson : La Nuit Je Mens d'Alain Bashung
un instrument de musique : le tam-tam
un jeu de société : Concept
une découverte scientifique : la bombe atomique
une recette culinaire : les sushis
une pâtisserie : la tarte brésilienne
une ville : Londres
une qualité : la fidélité
un défaut : l'impatience
un monument : la statue du Soldat Inconnu
une boisson : Talisker
un proverbe : « Bière qui coule ne ramasse pas de mousse »

Un dernier mot pour la postérité ?
FUCK


Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Le Korrigan