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Jérome Phalippou
interview accordée aux SdI en mars 2021


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Vas-y, lâche-toi !

Youhou ! Merci à toi ! smiley
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Si je te donne mon numéro de carte, tu ne pourras pas t'acheter un yacht... Une barque, à la limite, mais sans les rames et en plusieurs mensualités... Et ça va faire long pour aller jusqu'aux îles Caïman ou même pour traverser le lac Léman... Donc, laissons opérer la magie plutôt que de rester sur de basses considérations matérielles !

Mon parcours... Après le Bac, on me propose un BTS de commerce international au regard de mes aptitudes en langues étrangères... Mais j'étais déjà à peu près sûr que cette voie ne me conviendrait pas et mon père, douanier, me soumet l'idée de passer des concours pour entrer dans l'administration. Je suis reçu et au bout de trois mois à tenter de piger les Incoterms et autres subtilités du commerce international, je plie bagages pour aller vers La Rochelle pour un stage de formation de six mois. J'ai juste 18 ans. Fin de stage, je suis affecté à Roissy, comme la plupart des jeunes gabelous de l'époque.

Dans le processus de construction d’une page, il y a d’abord le story-board, qui m’est fourni par Thierry. En sa qualité de dessinateur, il me transmet un story-board dessiné, alors que, généralement, les scénaristes font un découpage écrit de chaque page avec le détail de l’action de chaque case dialoguée. Le SB de base de Thierry, pour les pages 4 à 7, se détaillait ainsi... © Après cinq ans de purgatoire en région parisienne, je rejoins enfin celle qui allait devenir ma femme... Douanière elle aussi, elle était revenue de Roissy vers sa région d'origine, la Haute-Savoie et j'ai pu la retrouver en 1996. Muté à la brigade de Châtel, je passe 13 années formidables, jusqu'à la fermeture du bureau en 2009... Et là, tout s'emballe, mais j'en parle un peu plus loin...

Bref, je commence la BD en 2014 et j'ai déjà 43 ans...
Aujourd'hui, j'en ai 49. Nous avons deux gamins, de 19 et 21 ans.
Des qualités ? Peut-être... Je vais chercher...
Des passions ? Beaucoup ! De l'astronomie à la botanique en passant par l'observation des piafs et autres joyeusetés sauvages, j'ai de quoi faire dans mes alpages de Haute-Savoie. La douane aussi, me passionne. Pas celle d'aujourd'hui mais celle d'hier... Et puis les Lego... Les Lego Star Wars surtout. Enfin, tous ceux qui concernent les deux premières trilogies hein (et Rogue One aussi)... Pas les bouses de Disney ! Et depuis le confinement, je me suis découvert une passion pour le jardin et tout ce qui pousse...

Thierry me laisse les coudées franches pour adapter ce SB comme il me sied. Il me paraissait, par exemple, plus judicieux que la scène précédant l’attaque du train, se concentre sur Marie-Jeanne et son père pour assurer un lien entre le tome 1 et le tome 2. Et puis, la scène d’accident pouvait être découpée sans détailler toutes les étapes de la chute du train... Alors comme je suis un adepte de l’ellipse, j’ai usé de ma liberté pour en profiter... @ Jerome PhalippouEnfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Aussi loin que je me rappelle, j'ai toujours été un lecteur de BD. La première qui m'a été offerte, et qui m'a marqué durablement, était le 19° tome de Lucky Luke, « les rivaux de Painful Gulch ». Je devais avoir 7 ans. A partir de là, j'ai commencé à dessiner, ou plutôt à recopier les personnages que je préférais, avec le cow-boy de Morris en tête de liste. J'avais toute la collection des 31 albums Dupuis, en couverture souple et ma collection en est longtemps restée là car j'attendais qu'on me les achète ! La toute première BD que j'ai pu me payer avec mes propres économies, c'était « le Sablier d'El-Jeraada », la septième aventure de Percevan. J'adorais ce personnage et ça me fait toujours sourire aujourd'hui de me dire que je suis devenu plutôt proche de Philippe Luguy !

Je suis devenu boulimique des BD de chez Dupuis, avec un racisme très assumé envers les publications de Tintin ! Sans oublier Astérix bien sûr. Enfin bref, j'avais une tendance à privilégier les BD « gros nez »... jusqu'à la découverte de XIII... J'étais abonné, à l'époque, au magazine Spirou, et « le jour du Soleil Noir » y avait été prépublié, je crois, en 1982. Grosse claque. Dès ce stade, j'ai un peu plus ouvert mon esprit à tous les genres de BD, en lisant Comès, Hermann, Bourgeon, Tardi ou Munoz notamment. Tout le catalogue de Casterman y est passé et d'un abonnement à Spirou, j'ai changé pour (A suivre)... J'ai aimé le Spirou de l'époque ou deux albums étaient prépubliés en parallèle en l'espace de 4 semaines. Après, j'accrochais moins. Et puis j'adorais aussi ceux qui étaient capables de faire rire toutes les générations en une seule image, ou sans texte... En tête de liste, Quino, Mordillo ou Serre...

Comme le montre le résultat final une fois encré... A chaque étape que je modifie, on en cause avec Thierry avant validation, évidemment ! @ Jerome PhalippouMais bon, de ces jeunes années, la BD qui m'aura le plus marqué, dans mon évolution vers l'âge ado, c'est définitivement Broussaille. « Les sculpteurs de lumière » représentent ce que j'aimerais faire en BD, et « la nuit du Chat » représente le genre de récit que j'aimerais écrire...

Et puis ça continue, aujourd'hui. Au point de tapisser tous les murs de la maison de BD... Bonhomme, Vallée, Parnotte, Prado et tant d'autres... Et Frank Pé, toujours... Après Zoo, on ne le voyait plus trop et je suis ravi qu'il revienne de façon aussi tonitruante en ce moment !

A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Il ne me semble pas avoir eu un jour l'envie pressante de devenir auteur de BD. Ça devait être un truc inaccessible, qui se rapproche un peu de ce que je ressens toujours aujourd'hui en ce qui concerne mon sentiment de légitimité. C'est idiot, mais j'ai toujours du mal à me considérer comme légitime dans cette grande famille. Sans doute parce que j'y suis arrivé assez tard. Et puis bon, j'ai mis un sacré temps à être moins mécontent de mon boulot !

Le Merlu, Encrage de la page 6 et 7 @ Thierry Dubois / Jerome PhalippouDonc, dans ce cursus, s'il y a quelqu'un qui m'a poussé, qui m'a donné l'impulsion nécessaire, c'est Félix Meynet. Nous l'avions rencontré dans une bête pizzeria, avec ma chère et tendre, et depuis lors, il m'a suivi, motivé, corrigé dans tout ce que je lui montrais. Les journées passées chez lui devenaient des réserves d'énergie phénoménales qui me faisaient avancer sur mon petit chemin... Et puis, j'ai eu une opportunité professionnelle qui s'est offerte, à travers un détachement auprès des services de la mairie de Châtel en 2010. Je quittais, provisoirement au départ, l'administration des douanes pour superviser la création d'un musée pour le compte de la commune haut-savoyarde. Il s'agissait de mon bureau de douanes, dans lequel j'avais bossé pendant treize ans et qui avait fermé en 2009, pour être aussitôt acheté par la mairie de Châtel. Le maire proposait ainsi de me recruter pour mettre en forme un projet culturel sur la thématique de la contrebande en montagne... J'ai pu concrétiser toutes mes idées et la structure a ouvert ses portes en août 2012. Après avoir géré le site une année, je n'avais, par contre, aucune envie de rester guide toute ma vie... pas plus je ne ressentais l'envie de remettre l'uniforme ! C'était donc la bonne opportunité pour me lancer ! J'avais, en outre, illustré l'intégralité du musée et je me sentais un peu plus sûr de mon trait, notamment au regard de l'impact que mon circuit scénographique avait sur les visiteurs...

Au début, je faisais des illustrations, des expos etc... Je postais des dessins sur FB et j'ai été repéré par Olivier Marin, qui cherchait un dessinateur pour sa nouvelle série Betsy. Et c'est de la sorte que je suis entré chez Paquet !

Quant aux étapes de construction d’une planche, je commence toujours par faire de nombreux crayonnés sur des feuilles libres. A ce stade, j’essaie, je gomme, je recommence, jusqu’à user la fibre du papier. Une fois les crayonnés faits, je scanne tout ça en vrac et la mise en forme de la page va se faire sur ordinateur... @ Thierry Dubois / Jerome PhalippouQuelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Pour l'heure, je ne vois que des points positifs ! Je fais ce que j'aime et, au-delà du plaisir de voir les albums se vendre, c'est un job gratifiant. Si tu ne fais rien, ça n'avance pas, tout dépend de toi ! Moi qui ai connu une hiérarchie pesante avec les différentes administrations par lesquelles je suis passé, je découvre le télé-travail et la confiance de la maison d'édition ! Et moi qui pensais que ce serait compliqué de s'astreindre à une certaine quantité de travail à la maison, je m'aperçois que la chose se fait naturellement. Donc, tout va bien ! En plus, je me suis séparé de pas mal de boulots annexes à la BD, ces derniers temps (le confinement m'a permis de remettre beaucoup de choses à plat) et je ne fais quasiment que de la bande dessinée désormais !

Bon... Il y a quand même deux gros points négatifs... J'ai la vue qui baisse et les lorgnons qui vont avec... Et, en grand sédentaire à la maison, j'entretiens une relation néfaste avec mon frigo et les kilos commencent à me peser sérieusement...

Les crayonnés scannés sont ensuite introduits dans les cases que je mets en forme sous Photoshop. Ce qui me facilite la vie, à ce stade, c’est que je peux recadrer, agrandir ou rétrécir chaque crayonné pour l’adapter au mieux dans le format de case choisi. Comme le montre la case 3, le dessin de base était beaucoup plus général et je l’ai tronqué dans la case pour lui donner un effet plus «cinématographique»... Cette étape me permet aussi de prévoir le gabarit des textes de chaque dialogue, pour lesquels Thierry me donne le fil conducteur. Au regard de mes modifications incessantes par rapport au SB de Thierry, il faut souvent adapter les dialogues.  Une fois que la mise en scène me convient, j’imprime le tout au format A3+, et je passe à la table lumineuse pour décalquer mes croquis sur ma page définitive. @ Thierry Dubois / Jerome PhalippouComment as-tu rencontré Thierry Dubois qui signe le scénario du Merlu ? Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce récit s’inscrivant à la lisière de l’histoire ?
J'ai connu Thierry dès ma première prise de contact avec la maison Paquet. C'était en novembre 2014, au salon Epoq'Auto à Lyon. Je venais pour rencontrer Pierre Paquet et j'ai finalement fait la connaissance de toute l'écurie Calandre.

Plus tard, lors d'un autre salon, Thierry m'a dit qu'il avait dans ses tiroirs une histoire plus réaliste que ses récits habituels et qu'il trouvait que mon dessin pouvait convenir. On en a discuté, puis rediscuté et ça a fini par prendre corps. Ma crainte était que ce soit un récit documentaire sur les routiers et on a bossé de concert pour y développer une dramaturgie qui équilibre le tout. Quant à la période concernée, elle a tout pour me séduire car je m'y épanouis bien plus que si j'avais à traiter l'époque d'aujourd'hui ou de la science-fiction !
Et puis bon, quand Thierry commence à raconter des histoires, tu restes vite absorbé et il ne te lâche plus ! Enfin si, des fois quand même... quand il te sort son téléphone à table pour te faire écouter des bruits de moteurs de camion, là, je me rends compte que ma passion ne va pas aussi loin !

L’avantage de procéder ainsi, pour moi, est que je ne vais pas trop user le papier de ma page définitive à faire et refaire des croquis dans les cases, à gommer etc...  Ca évite, au moment de l’encrage, de se retrouver avec un papier qui peluche ou qui part en fibres... Sachant que mon encrage est (un peu trop) détaillé, il est salutaire que le grain du papier reste propre quand on commence à y appliquer de l’encre de Chine ! Les blocs de texte, préalablement prévus au moment de la préparation de la page, sont repris à ce stade. Les textes, eux, sont rédigés sur ordinateur grâce à une police spécifique que les éditions Paquet ont créée sur la base de ma propre écriture.  La page crayonnée est ensuite envoyée à Thierry et Pal, notre éditeur, pour validation. S’il y a des trucs à changer, c’est maintenant ou jamais ! @ Thierry Dubois / Jerome PhalippouLe travail sur l’album a-t-il nécessité de nombreuses recherches iconographiques ? Aurais-tu un ouvrage à conseiller aux lecteurs désireux d’en apprendre davantage sur l’époque ? Qu’as-tu appris sur cette période troublée en travaillant sur cette nouvelle série ?
Bien évidemment, lorsque tu traites cette période, la documentation est essentielle. Outre celle que je possède au regard de mon intérêt personnel pour le deuxième guerre, Thierry m'apporte un volume conséquent de doc technique. Qu'il s'agisse, bien sûr, des camions et autres véhicules avec des roues, ou de photos et cartes postales des endroits traversés par Georges... Car Thierry est pointilleux avec ça et je tente de me conformer à toutes les exigences d'exacitude qu'il formule !

Ensuite, j'avoue que les ouvrages auxquels je recoure sont tellement nombreux que je ne saurais lequel conseiller, mis à part des bouquins qui retranscrivent la guerre en photos couleurs comme celui qui reprend les clichés du collabo André Zucca dans « les parisiens sous l'occupation ». Sinon, j'avoue humblement que, comme quand je lis une BD, j'ouvre ces livres dans l'unique but de rechercher l'iconographie qui m'est nécessaire !

Quant aux découvertes que je fais à travers le Merlu, elles concernent avant tout la vie des petites gens et du monde du transport routier en général, qui s'avère passionnant et plein de ressorts dramatiques. Au gré des rencontres en festival, j'ai d'ailleurs fait la connaissance d'un collectionneur de camions qui habitait dans mon coin, et dont le grand père, routier, avait été un grand résistant. Grâce à lui, j'ai pu non seulement collecter un paquet d'anecdotes... mais j'ai aussi pu me mettre au volant et conduire un vieux Berliet ! Un de ceux que Franquin dessinait dans « les pirates du silence » ! Un pied total qui m'a permis de mieux appréhender les détails d'un routier dans sa cabine !

Une fois la page crayonnée validée par mes compères, je me lance dans l’encrage. Au cours de cet album (le tome 2 du Merlu), j’ai changé de méthode car le pinceau et l’encre me posaient de plus en plus de problèmes. Je ne parvenais pas à retrouver les pinceaux que j’avais utilisés jusque-là, des Isabey Martre Kolinsky 6227. Ils sont toujours fabriqués mais n’avaient plus la même finesse que je connaissais auparavant... Et puis, à force de côtoyer d’autres collègues dessinateurs, en particulier Etienne Willem et Michel Koeniguer, j’ai découvert la magie des feutres, et notamment les UniPin Brush de chez Mitsubishi. Ils permettent d’accélérer considérablement la manœuvre d’encrage avec un résultat convaincant en matière de pleins et de déliés. Et pour un gars qui n’aime pas les plages blanches et les vides, ils me permettent de dessiner un maximum de détails de manière plus précise qu’avec les nouvelles générations de pinceaux qui ne me convenaient plsu du tout ! Par contre, quand il s’agit de plages de noirs et d’ombres, le recours au binôme pinceau-encre de Chine reste le meilleur parti !  Ca donne le résultat ci-contre, à l’encrage brut, avant de gommer les traits de crayon que l’on voit encore en-dessous... @ Thierry Dubois / Jerome PhalippouComment as-tu créé l’apparence des principaux protagonistes ? Georges et Marie-Jeanne sont-ils passés par de nombreux stades avant de revêtir l’apparence que l’on connaît ?
J'ai réalisé beaucoup de croquis pour Georges et Marie-Jeanne. Pour la seconde, les choses sont allées assez vite. IL faut dire que lorsqu'on dessine des femmes, elles s'avèrent toujours un peu semblables, on a du mal à sortir de ses propres habitudes graphiques. Pour Georges, Thierry et Paul (notre éditeur) m'ont donné leur avis au gré des croquis et on a fini par ce personnage assez neutre, pour amplifier son air de français moyen pris dans la tourmente...

Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de l’élaboration de l’album ?
Nous avons le synopsis complet des aventures de Georges depuis le début de notre projet. Le contenu évolue plus ou moins au gré de l'élaboration du scénario, en fonction de l'avancée de l'histoire et, notamment, de nos aspirations par rapport au caractère des personnages. Thierry me fournit ensuite un story-board dessiné de son scénario, avec une difficulté pour lui au regard de ses autres séries... Je lui ai demandé un déroulement sur trois bandes par page, au lieu de quatre comme sur Gipar ou la Nationale 7. Ce type de rythme correspond mieux à une histoire réaliste...

Après encrage, on procède au gommage des traits de crayon et l’on fait un scan en haute définition de la page (1200 dpi en NB), histoire d’avoir un trait pur, sans parasite, qui servira de base pour la mise en couleurs.@ Thierry Dubois / Jerome PhalippouEnsuite, je me lance dans les crayonnés en fonction du story-board. Je change ou j'ajoute certaines choses en essayant d'apporter mon regard de lecteur dans tout ça. Les gros changements font l'objet de discussions avec Thierry, qui me dit souvent qu'il ne relit pas ses story-boards après avoir reçu mes planches, et que le résultat lui convient ! C'est une collaboration (choix douteux de mot) qui fonctionne bien et qui me permet d'apporter plus que mon dessin à l'édifice !

Ensuite, je numérise mes crayonnés pour les mettre en forme sur ordi au format de la planche. Ça me facilite la tâche car je peux recadrer, agrandir les visuels dans les cases et mettre le texte en forme. J'imprime au format final et je passe à la table lumineuse pour préparer proprement ma page... Je finalise les crayonnés puis passe à l'encrage. J'ai commencé au pinceau pour le tome 1, mais je suis passé au feutre Brush pour le tome 2, plus facile et plus rapide...

Quelle étape vous procure le plus de plaisir ?
Comme beaucoup de mes collègues, le crayonné est l'étape qui m'éclate le plus. C'est le moment où ton dessin est vivant, dynamique. Très crado aussi... Avec l'encrage, tout se fige un peu et on a du mal à retrouver l'énergie du crayon sous l'encre. J'envie des auteurs comme Gabrion ou Servain qui gardent ça après l'encrage. Plus loin dans le temps, quelqu'un comme Poïvet m'impressionne dans l'énergie de son dessin encré. Et que dire de Follet !

En combien de tomes le Merlu est-il prévu ?
Ce premier cycle est prévu en trois tomes. Si le lectorat est au rendez-vous et que l'éditeur est d'accord, nous devrions aborder d'autres cycles, sur d'autres époques. Le point de départ étant la vie d'une entreprise de transport, il est possible de décliner des histoires sur d'autres décennies.

Après d’ultimes vérifications, la page NB en haute définition est envoyée au coloriste, Patrick Larme, pour la suite de la procédure.  Pour ma part, je donne des instructions d’ambiances générales, comme ici l’ambiance nocturne, et le laisse prendre tout ça en mains. Pour les couleurs de véhicules, c’est Thierry qui s’occupe de tout ! Pour ma part, je recours souvent à de la documentation en noir et blanc et je suis bien incapable de définir les couleurs de ce que je dessine !  Une  fois mise en couleurs, la page part chez le maquettiste de la maison Paquet pour son assemblage avec les calques de textes, la mise en forme de la pagination et tout est plié ! @ Thierry Dubois / Jerome PhalippouA quel moment du processus a-t-il été décidé que ce premier tome du Merlu bénéficierait d’une (somptueuse) édition spéciale Canal BD ? Comment l’avez-vous abordé et comment se sont opérés les choix de la couverture ?
Nous étions à Angoulême, début 2020, avec les éditions Paquet, et le grand chef avait proposé aux libraires Canal BD une soirée pour présenter les nouveautés à venir. C'est là que Stéphane Godefroy, libraire à Nancy, à la Parenthèse, a eu un coup de cœur et a envisagé la production d'une édition spéciale pour le réseau. Après avoir sondé l'ensemble de ses partenaires, nous sommes partis sur un tirage de 1000 exemplaires. Pour la couverture, j'ai traité directement avec Stéphane, qui souhaitait lui donner un aspect vintage, dans la main comme dans le visuel. J'ai donc soumis une illustration très ligne claire, avec une pose légèrement théâtrale du soldat allemand et un fond uni, pour donner l'impression d'avoir en mains un bouquin des années 50/60. Idem pour le 4ème de couverture, pour lequel il me semblait opportun de faire comme à l'époque, une présentation des autres ouvrages des auteurs...

Plusieurs projets de couverture ont-ils été envisagés, tant pour la version classique que pour le tirage spécial ?
Les croquis ont été très nombreux avant de cibler ce que je voulais.
La couverture du tirage normal, à l'origine, était le visuel qui, aujourd'hui, orne le 4ème de couverture de cette même édition normale. Mais avec le confinement et le retard imposé dans la parution de ce premier tome, j'ai décidé de proposer d'autres visuels car la vue du camion arrivant au poste de contrôle de la ligne de démarcation ne me plaisait plus vraiment. Je voulais que Georges apparaisse clairement.

J'ai donc réalisé une deuxième couverture, avec Georges devant les croix d'un cimetière militaire improvisé en bord de route, et son camion en arrière-plan. Puis une troisième, sous un autre angle, qui a finalement été retenue. La deuxième, elle, a servi de couverture pour le tirage de luxe en néerlandais des édition Silvester Strips.
de sensuelles aquarelles…
Cela dit, quand il s’agit d’aquarelles, je préfère consacrer du temps à des sujets plus légers... comme la tenue de Betsy dans celles-ci... © Jerome Phalippou ou celle-ci... © Jerome Phalippou
ou celle-là... © Jerome Phalippou ou encore celle-ci... © Jerome Phalippou

Dans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement ? Silence monacal ? radio ? musique de circonstance ? Aurais-tu une suggestion de B.O. pour accompagner la lecture de l’album (autre que celle du ronronnement d’un moteur de Berliet smiley ) ?
Il y a de la musique en permanence dans la maison. Avec Deezer, c'est plutôt compliqué de dire ce que j'écoute en particulier car ma Playlist est plutôt variée. Mais la musique calme est aux avant-postes. Marc Cohn, Kate Bush, Steve Winwood, Donald Fagen, James Taylor et autres Dan Fogelberg ou America, figurent parmi les disques que j'écoute le plus, quand il s'agit de brailler de l'anglais en travaillant. Côté français, Michel Jonasz est mon favori et s'accompagne régulièrement de Berger, France Gall et Goldman.
Pour varier les plaisirs, il est fréquent que je bosse avec Netflix en fond. C'est toujours délicat, mais il faut trouver les bonnes séries pour ça. Celles qu'on peut se contenter d'écouter sans forcément avec toujours les yeux rivés sur l'écran pour suivre l'histoire. J'avais adoré Peaky Blinders, mais c'était trop compliqué à suivre sans trop regarder car les non-dits sont trop fréquents. Par contre, des séries comme Lucifer, Oazrk ou Breaking Bad, où les dialogues pullulent et sont truculents, te font passer un bon moment sans être capté par l'écran.
de sensuelles aquarelles…
Sur mes propres projets de BD, je réalise moi-même les couleurs sous Photoshop. Mais il m’arrive aussi quelquefois de faire de la mise en couleurs directe, à l’aquarelle...  A titre d’exemple, celle-ci a été faite à la fin de mon boulot sur le premier tome du Merlu, dans l’idée qu’elle illustre les pages de bonus. D’abord en couleurs...  © Jerome Phalippou ... je l’ai ensuite travaillée sur ordi pour la transformer en fausse vraie photo, mais elle n’a finalement pas été retenue. © Jerome Phalippou

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Pour le cinéma, incontestablement, « 1917 »... qui a été le dernier film que nous sommes allés voir au ciné en famille...
Pour la musique, un album incroyablement chouette et cohérent, signé Jessie Warner, que j'ai découvert sur Deezer. Et que j'écoute en boucle en ce moment.
Pour la BD... Y en a tellement... Mais je reviens quand même à l'une d'elle, qui a maintenant 4 ans... Le Lucky Luke de Matthieu Bonhomme. Mais pas n'importe lequel. J'ai eu la chance que le grand monsieur de la BD, François Corteggiani, m'offre le tirage de luxe NB des éditions Black & White... et je crois que je l'ouvre à peu près tous les jours. Pour trouver du plaisir et de l'énergie avant tout !

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Ca va là, c'est déjà pas mal !

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

un personnage de BD : Broussaille
un personnage mythologique : Jason
un personnage de roman : Watson
une chanson : Woman in chains de Tears for Fears
un instrument de musique : guitare
un jeu de société : Blanc Manger Coco
une découverte scientifique : la découverte des temples mayas de Tikal
une recette culinaire : l'oeuf à la coque
une pâtisserie : un truc avec de la nougatine
une ville : Besançon
une qualité : la gourmandise (de tout)
un défaut : la gourmandise (de tout)
un monument : le château de Montségur
une boisson : Une Zundert (la bière trappiste et ambrée que je préfère)


Un dernier mot pour la postérité ?
Faut que je retourne au boulot !

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
dans l’atelier de l’artiste
Betsy, work in progress © Jerome Phalippou Jerome Phalippou en pleine création
L'atelier des beaux jours de Jerome Phalippou Portrait de JeromePhalippou en artiste

Le Korrigan