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Entretien avec Noémie Chevalier
interview accordée aux SdI en février 2022


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Aucun souci !

Me voilà rassuré… Merci… smiley

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Bonjour, moi c’est Noëmie CHEVALIER, 34 ans, graphiste et illustratrice dans l'édition jeunesse.

J’aime lire et dessiner et j'adore apposer des motifs et ornements partout sur mes illustrations !

Je me suis décidée assez tardivement à me lancer dans les arts appliqués (fin de lycée). Après un BAC scientifique, j’ai suivi des études de Communication Visuelle, j'ai ensuite fait un détour par l’EESI d’Angoulême pour finalement être embauchée comme graphiste au sein des éditions Bragelonne où je suis restée quelques années. Et depuis maintenant 8 ans, je me suis lancée dans l’aventure free-lance car j’avais beaucoup trop envie de faire de l’illustration et de la créa à gogo et ça m’a plutôt bien réussi.

Maquette de couverture réalisée par Noémie ChevalierEnfant, quelle lectrice étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Une lectrice vorace ! J'ai toujours aimé lire, que ce soit des romans ou de la BD. Petite, je piquais les Tardi dans la bibliothèque de mes parents pour les feuilleter en cachette parce que ça fichait les chocottes. Toujours dans l'idée d'avoir les pétoches, une belle collection de Chair de Poule a suivi, puis énormément de lecture en fantasy, et c'est toujours le cas aujourd'hui. La littérature de l'imaginaire reste mon domaine de prédilection aussi bien pour mes lectures personnelles que dans mon travail.

La bande-dessinée a toujours été présente. Avec des membres de ma famille qui en faisaient collection, difficile de ne pas s'y frotter. Je pensais même pendant longtemps en faire mon seul métier.

A quel moment l’idée de devenir graphiste a-t-elle germé dans votre esprit ? Travailler dans le milieu de la bande-dessinée a-t-il coulé de source ?
Et bien pour être honnête, je ne pensais pas devenir graphiste, ni faire des études de graphisme d’ailleurs. Je voulais être bédéiste. Quand je cherchais quelle école intégrer pour faire de la BD, un de mes professeurs de l’époque, qui était lui-même auteur de bande-dessinée, m’a alors recommandé de d’abord obtenir des compétences dans un autre domaine afin d’avoir un job alimentaire car le milieu était (et est toujours) difficile. Ce que j'ai fait. D'où les études de Communication Visuelle. Par la suite, je suis allée à l'EESI d'Angoulême pour enfin me rapprocher du domaine qui m'intéressait mais l'enseignement ne correspondait finalement pas à mes attentes. J'ai validé mon année et après moult hésitations, je me suis lancée dans le monde du travail.

Graphiste le jour, j'ai travaillé mon dessin en autodidacte la nuit et ai vraiment pu développer pleinement ces deux métiers (graphisme et illustration) quand je me suis mise en free-lance.

Aujourd'hui je travaille dans la bande-dessinée surtout en tant que graphiste. Que ce soit pour la collection Métamorphose de Soleil, les éditions Drakoo, Jungle ou encore Pika. Et c'est un peu un hasard finalement. Ce sont les maquettes de mes couvertures de romans qui ont amené ces clients vers moi.

Maquette de couverture réalisée par Noémie ChevalierSur quel titre de la somptueuse collection Métamorphose as-tu par exemple travaillé ? (c’est clairement l’une des plus belle collection de BD et les couvertures sont bien souvent tout juste somptueuses !!!)
Et bien j'ai commencé à travailler pour cette collection sur un Billy Brouillard de Guillaume Bianco. J'ai eu la chance de travailler sur d'autres tomes de cette série depuis et sinon plusieurs ouvrages comme Nils de Jérome Hamon et Antoine Carrion, Dreams Factory de Jérome Hamon, Suheb Zako et Lena Sayaphoum, La Mille et unième Nuit d'Étienne Le Roux et Vincent Froissard, Peer Gynt d'Antoine Carrion et quelques autres.

Wahou… que de superbes albums !!!

Comment définiriez-vous votre métier en quelques mots ?

Vaste question. Je dirais que c'est passionnant et bien plus complexe qu'on ne le pense.

Quelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Je suis toujours très enthousiaste face à un nouveau projet. Les premières étapes de recherches, de création, c’est ce que je préfère. Trouver quelque chose qui soit à la fois adapté, qui plaise aux clients et qui ME plaise, c’est le combo ultime. C’est à la fois la difficulté et le plaisir du métier car, que ce soit en graphisme ou illustration, cela reste de la commande, ce qui induit des concessions.

J’ai pour ma part la chance d’avoir une clientèle qui me laisse de plus en plus de libertés et marges de manœuvre, ce qui est une reconnaissance de mes compétences que j’apprécie énormément. C’est même aujourd’hui je dirais indispensable à ma motivation au quotidien.

Maquette de couverture réalisée par Noémie ChevalierA quel moment de sa conception commencez-vous à travailler sur un album ?
Ça varie d'un livre à un autre. Je travaille beaucoup sur les couvertures des albums mais pas que. Et sur celles-ci, j'interviens à différents stades selon les projets. L'illustration n'est souvent pas débutée, parfois entamée et quelques fois déjà établie.

On fait souvent appel à moi quand on veut avoir une partie maquette très présente en couverture. Des cadres, des ornements etc. Dans ces cas-là, il faut penser la maquette et l'illustration ensemble pour que le tout s'harmonise bien et qu'on n'ait pas l'impression que les éléments sont juste collés ou rajoutés après.

J'échange alors beaucoup avec les auteur·ices. Chacun a sa façon de fonctionner, est plus ou moins à l'aise et apte à se projeter sur la partie maquette et je m'adapte au mieux pour que tout se fasse de manière fluide. Parfois je propose des compositions et suggère quoi faire figurer et ensuite la personne rebondit sur mes roughs. D'autres fois le dessinateur·ice a une envie particulière et me propose un rough sur lequel je retravaille etc.

Ce sont beaucoup d'échanges en ping-pong pour construire ces éléments.

Tu expliquais plus haut que tu n’intervenais pas que sur la couverture d’un album… Sur quelle autres parties d’une BD travailles-tu ?
Outre les pages de titre et parfois les pages de garde, j'ai souvent eu pour la collection Métamorphose à réaliser des pages intérieures spéciales comme dans les pages bestiaires des Billy Brouillard. Ce sont à chaque fois des planches qui nécessitent une mise en page particulière avec un habillage graphique, des ornements etc.
Maquette de pages réalisée par Noémie Chevalier
Serait-il possible, pour une couverture donnée, de visualiser les différentes versions et les différentes étapes de son élaboration ?
Voilà les principales étapes pour la couverture de La Baroque Épopée du monde qui ne voulait plus tourner.
J'ai d'abord lu les planches disponibles pour bien m'immerger dans l'univers et son graphisme. Puis, j'ai discuté avec les auteurs de ce vers quoi ils voulaient se diriger. Pour cette couverture, j'étais assez libre. Il y avait la volonté d'avoir de préférence une composition où l'illustration ne serait pas d'un seul tenant. Un fond couleur crème et pourquoi pas du doré selon ce que je proposerai. Et l'info que les oiseaux étaient des éléments importants de l'histoire. Le challenge était bien sûr d'organiser le titre qui est très long.

1 Après avoir gambergé là-dessus, fait des recherches iconographiques pour me mettre dans l'ambiance, j'ai proposé deux compositions où j'ai indiqué les zones d'illustration en rouge.
La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner, maquette de couverture, Work in Progress © Noémie Chevalier
2 Le premier test a été rapidement adopté, j'étais contente d'avoir visé juste. L'illustratrice a alors apposé un rough des éléments d'illustration pour voir si l'ensemble fonctionnait bien.
La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner, maquette de couverture, Work in Progress © Noémie Chevalier
3 Ensuite est venu la phase de clean pour ma partie comme pour l'illustratrice puis la mise en couleurs.
La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner, maquette de couverture, Work in Progress © Dimat / Noémie Chevalier
4 Et j'ai ensuite fait des essais pour la couleur des éléments maquette. Pour voir ce qu'il était possible d'obtenir, et ce qui conviendrait le mieux. Après pas mal de tests assez chargés, on est finalement revenu vers l'un des essais plus sobres pour obtenir la couverture que l'on connait.
La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner, maquette de couverture, Work in Progress © Dimat / Noémie Chevalier

Quelle couverture t’a donné le plus de fil à retordre ?
La plupart des couvertures sont un challenge, mais je n'ai pas le sentiment que ça me donne du « fil à retordre ». C'est plutôt une énergie très positive face au défi à relever.

Quand je suis en souffrance sur une couverture, c'est généralement que je me retrouve sur un sujet/genre de livre auquel je ne suis pas du tout habituée et avec lequel je n'ai pas beaucoup d'affinités, ou qu'un client me laisse très peu de marge de manœuvre et je suis du coup plus une exécutante de ses idées. J'ai alors l'impression d'être moins créative et de ne pas servir à grand chose.

Pour le reste des couvertures (et qui représente la majorité des cas), c'est, comme je le disais une énergie très positive et motivante qui me suit tout au long du processus d'élaboration. Si je dois parler de challenge récent, ce serait de m'être essayée au lettrage entièrement à la main. Pas de base typo. Ça a été le cas sur La Baroque Épopée du monde qui ne voulait plus tourner de Arleston et Dimat chez Drakoo et aussi Notre Dame des Loups d'Adrien Tomas chez Mnémos. Ça prend beaucoup de temps mais j'aimerais beaucoup m'y confronter de nouveau et m'améliorer.

Maquette de couverture réalisée par Noémie ChevalierPeux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Plusieurs projets terminés fin 2021 sont en attente d'être révélés. Des couvertures principalement.
Pour 2022, il y a beaucoup de travail de maquette au programme avec notamment la collection Métamorphose et Drakoo. Je suis également sur le T4 maintenant de la série Les Héritiers de Brisaine de David Bry chez Nathan et plusieurs couvertures dont je ne peux parler pour l'instant !

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Livre : ça date déjà mais c'était vraiment un énorme coup de cœur pour la série La Passe-Miroir de Christelle Dabos
Série/film : Sex Education ( je trouve cette série intelligente et bienveillante)
Anime : Jujutsu Kaisen
Musique : Foghorn Calling de Piers Faccini

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Je pense avoir déjà rempli des tartines de texte (je ne sais pas être concise). Courageux sont ceux qui arrivent au bout. Merci !

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

Maquette de couverture réalisée par Noémie Chevalier
une couverture de BD : j'aimerais beaucoup être une des couvertures des Ogre-Dieux de Hubert et Gatignol
un personnage de BD : retour à la réalité, Épiphanie dans L'épouvantable peur d'Épiphanie Frayeur de Séverine Gauthier et Clément Lefèvre
un personnage mythologique : plus folklore que mythologie mais je serais une sorcière, genre Baba Yaga pour mon côté misanthrope recluse
un personnage de roman : Rakis le chacureuil dans L'Anti-Magicien de Sébastien de Castell
une chanson : soyons poétique, Itsumo Nando Demo du Voyage de Chihiro
un instrument de musique : une nickelharpa
un jeu de société : le Bagh Chal (auquel je suis très très nulle soit dit en passant)
une découverte scientifique : je sèche
une recette culinaire : un bibimbap
une pâtisserie : un flan pâtissier
une ville : Rostudel (c'est un village mais c'est pareil)
une qualité : la sensibilité
un défaut : idem (c'est à double tranchant)
un monument : un petit dolmen perdu
une boisson : c'est la loose mais je pense bien être un Panaché
un proverbe : Tout est poison, rien n'est poison, c'est la dose qui fait le poison.

Un dernier mot pour la postérité ?
Et bien un grand merci pour cet entretien et cette attention portée aux métiers de création !

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !

Le Korrigan