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Entretien avec Kevan Stevens
interview accordée aux SdI en février 2022


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Un « tu » dans l’interview et je te fais avaler le clavier et toute ta tour gaming acer predator derrière !
Non, pas de problème.

Merci… Gasp…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

J’ai 43 ans, des études d’espagnol et de cinéma par paquet de dix (5+5), mon numéro de carte bleue : 47 89 66 33 8888 (c’est celui de ma belle-mère ahaha !)

Grosse envie de devenir réalisateur, parcours du combattant, quelques courts réalisés, des prix mais pas suffisamment prestigieux pour lancer du long et puis un bon long tunnel des familles. Quelques tafs de galérien, un passage à la morgue. Ensuite, des projets signés en série, en long métrage, mais là encore qui se sont arrêtés en cours de route (comme pour beaucoup d’entre nous…).
Mezkal, case de l'album © Soleil / Jef / Stevens
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ?
J’étais un dingo de la bibliothèque municipale de Belfort (merci pour ce formidable service public français ! merci la Franche Comté, meine Heimat !) même si je baignais aussi par ailleurs dans les livres : pas de télévision à la maison, pas de console de jeu et pas ces saloperies de smartphone (Steve Jobs un héros ?! Hahaha ! Un criminel de guerre selon mon humble avis. C’est Julian Assange qui va être expulsé et jugé ? Mais c’est Steve Jobs qui aurait dû prendre perpét !).

Donc mes bouquins, beaucoup beaucoup de romans d’aventures, western, chevalerie. Quelques livres qui m’ont puissamment marqué étant jeune : Les rois maudits de Maurice Druon, Ivanohé, et Grizzly de James Oliver Curwood que j’avais adoré. Je lisais trois quatre romans par semaine. Et une dizaine de bd.

Et puis l’univers BD de mon père déjà. Nourri au biberon à Spirou magazine, puis A Suivre. Comès, Bilal, Druillet, Moebius. Et des séries que je surkiffe : Thorgal, Les tours de Bois Maury, Blueberry, XIII, et mon petit chéri Jérémiah.

Quand a germé l’idée de devenir scénariste ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ?
Non, justement pas. J’adorais écrire, c’est tout. Dans des carnets, des cahiers, partout… J’ai commencé à écrire des nouvelles débiles (R comme Rat, imagine un peu…), des scénarios de courts métrages (surtout de la série B, du gore teenage), avec le plaisir d’avoir tapé des nouvelles (en secret, quand je travaillais l’été à l’Alstom de Belfort), tiens-toi bien, sur une machine à écrire IBM à boule ! Le son, je m’en souviendrai toujours, sensationnel… cette sensation du marteau qui écrase le papier, le texte qui apparaît magiquement. Là, j’étais le King, je me télétransportais direct dans le Festin Nu de Cronenberg mec !

Après, j’ai écrit des scénarios de longs, j’en ai vendus quelques-uns (après en avoir écrit des dizaines…), quelques nouvelles aussi, et je me suis lancé dans le roman. Mais là, j’ai rapidement compris. Je pensais être un génie, mais je ne vendais rien. Les retours honnêtes étaient très maussades. Je me suis relu ensuite et j’ai vraiment senti que j’avais écrit de la merde. Que c’était un peu une insulte à la littérature (ou alors, il aurait fallu que je bosse dans des collections pourries, à balancer du polar bidon au mètre. Mais pourquoi pas après tout, c’est pas plus naze qu’autre chose).

En tout cas, j’ai arrêté. Parce qu’en plus en scénar, je sentais que j’avais un truc assez fort à mettre en œuvre. Un style sec, hérité un peu d’une veine Brett Easton Ellis, James Ellroy. Des trucs cash qui envoient. Mais dans le vrai, dans le dur, qui font mal à entendre des fois parce que ça parle de nous. (je suis pas un peu super long là à raconter ma life ???).
Mezkal, case de l'album © Soleil / Jef / Stevens
Du tout, c’est d’autant plus passionnant que c’est fait avec style !
Quelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?

Grande claque 1. Quand j’étais persuadé que j’allais entrer à la Fémis et que j’ai été recalé dès la première épreuve en passant du grade de star montante du cinéma français (dans ma tête du jeune mec qui commence à chopper la boulasse) à looser intersidéral all over the world (en passant par d’autres galaxies inconnues).

Grande Joie 1. Quand Annie Miller, la femme de Claude Miller, avait co-produit mon premier court métrage en me disant que je faisais partie de la famille.

Grande Claque 2. Quand elle a splitté avec son copro et n’a jamais vu mon court et m’a envoyé iéch comme un clébard.

Grande Joie 2. Quand les Films au long cours ont pris un de mes courts et m’ont annoncé qu’on le plaçait sur l’aide automatique au programme CNC (= le film va se faire, j’ai déjà 80K qui tombent…).

Grande claque 3. Quand quelques jours plus tard ils m’annoncent que la prod se sépare (encore putain !) et qu’ils laissent tout tomber…

Et après, c’est une alternance de 20 grandes joies, 20 grandes claquas ! On te prend ton truc, finalement on te le prend pas. T’as untel super connu au cast mais en fait non. Le truc est en train de se vendre mais ça capote. Un gros distrib entre en piste puis finalement arrête… Bref, le business du scénariste… Le plus dur parfois c’est juste le manque d’honnêteté et de courage de certaines personnes, surtout dans le milieu cinéma/AV. Les mecs adorent et soudain ne t’adressent plus la parole quand ça ne marche pas ou que le deal est moins bon ou qu’une commission refuse. Ce qui était génial devient tout pourri. Idem au niveau business. Dès que tu demandes plus ou un plus gros pourcentage, ton truc soudain devient complètement naze (« en fait Kevan, j’ai relu, c’est vraiment moyen, on va continuer sans toi »… - juste en fait parce que tu avais demandé… à être payé ! Ahahah… je ris, mais j’ai une matraque télescopique planquée dans mon sac à présent).

Mezkal, case de l'album © Soleil / Jef / StevensA quel moment avez-vous eu l’idée d’œuvrer dans le neuvième art ? Quels sont vos références en la matière ?
La BD, ça a commencé à Lyon. Une double rencontre très forte. Déjà mon pote Joao qui m’a présenté Jef via sa frangine (je crois qu’il en pinçait pour elle mais elle était déjà maquée… ahahah…). Mais avec Jef, ça a commencé en amitié solide. Et surtout en mode cinoche. On a réalisé quelques dingueries barrées en cinéma tous les deux, avec son poteau Thomas Kotlarek aussi. De très bons souvenirs tout ça.

Et puis l’assos MacGuffin. Et là un truc de fou. Ils voulaient faire des bd, et grâce à eux j’ai rencontré un type qui sortait d’Emil Cohl. Et honnêtement ce mec était juste hyper talentueux mais hyper spé. Le gars venait d’avoir une fille et bossait… comme convoyeur de fond ! taciturne, il taffait la nuit un gun à la ceinture et passait ses journées tout seul chez lui à se mater des docus animaliers et attendre sa femme et sa fille ! Donc le gars (j’ai oublié son nom mais je peux le retrouver, et s’il nous, lit, appelle nous mec parce que j’essayerai de vendre notre projet ! Je l’ai relu, j’adore toujours !), le gars donc dessine quelques pages d’un de mes projets, Les Darzines, dans une ville futuriste avec un étudiant qui fantasme des nains tueurs qui prennent vraiment vie et le traquent…). Bon, là, le pitch ne fait pas complètement bander. Mais ce mec avait la patte d’un Moebius dans l’Incal. Honnêtement. Il était hyper doué. Et Glénat a accroché mais voulait visiblement des planches couleurs (j’ai décroché à ce moment…) et le mec n’a jamais voulu les faire et l’assos ne m’a pas filé son contact Glénat et ça s’est un peu terminé comme ça… bizarre et fou non ?

Oui parce que dit comme ça, ça appâte le chaland ! On aimerait en savoir plus, voir carrément lire cette histoire !
Ça, c’est pas pour tout de suite… à part si ce mec revient à la vie (visiblement, pas pour demain non plus). Mais je n’oublie pas cette histoire qui était assez dense et excitante indeed…

En quoi l’écriture d’un scénario de BD diffère-t-il de vos précédents travaux ?
C’est une autre technique mais qui en fait me convient à 200%. Parce que mon problème, c’était en fait que j’étais tellement imprégné de bd que je découpais et storyboardais mes films comme de la BD (donc beaucoup trop haché, ou alors pour un budget hollywoodien). Donc, du coup, là, c’est fluide. Et surtout, on se connaît tellement bien avec Jef qu’on se complète dans le découpage (il faut dire que ce salopard change les ¾ de ce que je propose, ce qui nous a déjà valu des échanges musclés ahahah ! Mais c’est lui le Jefe, donc normal. Et il balance souvent des trucs plus imaginatifs que les miens !).
Mezkal, case de l'album © Soleil / Jef / Stevens
Comment avez-vous rencontré Jef avec qui vous signez le jubilatoire Mezkal ?
Donc à Lyon. Les années 2000. Mon groupe de punk. Lui et sa musique. Nos films. Nos nuits endiablées. Et MEZKAL, ça fait quelques années que c’est dans les tuyaux, lui était super occupé mais avait adoré cette histoire. On en a reparlé il y a un an et il a réembrayé dessus. Je crois qu’il cherchait à ce moment à changer un peu de style, d’univers. Et tout mon apport ultra violent et frappadingue lui parlait beaucoup, en mode série B américaine (mais de qualité hein !). Et puis il y a eu cette rencontre avec Jean Wacquet chez Soleil qui a tout balayé. Un bon trio à ce niveau.

Quel effet cela fait-il de voir votre histoire prendre forme et vos personnages prendre vie sous les crayons de ce dessinateur virtuose ?
C’était juste énorme. J’avais très peur d’être déçu face à autant d’attente. Toutes nos références communes, surtout pour MEZKAL, Duel, El Mariachi, Sailor et Lula, le cinéma de Sergio Leone, tous ces films avec ces gueules incroyables… mais j’ai été bluffé, notamment par ce sens du détail et de la mécanique (un prochain one shot, Le convoi, va bientôt arriver et part encore plus loin à ce niveau).
Mezkal, case de l'album © Soleil / Jef / Stevens
Puis-je te demander d’en dire un peu plus sur le Convoi sans risquer de me faire dessouder par quelque maniaque de la gâchette pour avoir posé les mauvaises questions ?
Le Convoi, c’est The Sorcerer de W. Friedkin (donc Le salaire de la peur de Clouzot, une de mes idoles) + Thelma et Louise + Mad Max. C’est un road movie futuriste totalement déjanté, dans la même veine action/humour que Mezkal. Et surtout cette fois, il y a aura du très très lourd en personnages féminins qui dominent l’aventure !

Quand tu dis qu’il arrive prochainement… C’est très bientôt ?
C’est déjà tout chaud sorti du four. Je pense fin d’année ou courant Automne prochain, toujours chez Soleil. Avec Jef on est au taquet à chaque nouvelle rencontre. Un peu comme deux missiles air-air qui partirait de chez Trump et de chez Kim, tu vois, les atomes qui veulent que ça chauffe direct très fort !

Et on ne va pas spoiler mais on est déjà sur une trilogie thriller noir Blade Runner dans un Lyon futuriste. Du Ellroy meets les Métabarons avec de l’ancrage direct (Jef, arrête moi si je dis une connerie !), un nouveau style pur et dur et une nouvelle étape pour Jef ! On ne va pas s’arrêter en si bon chemin ! (donc, mettez des économies de côté les gars… si vous hésitez entre un bon petit gâteau pâtissier pour vos mômes et la prochaine sortie, vous savez déjà ce qui va se passer… je sens que les loulous vont rester pleurer tout seuls au parc pendant que papa maman vont se prendre un petit café en terrasse avec la nouvelle sortie Jef/Stevens…).
Mezkal, crayonné d'une planche © Soleil / Jef / Stevens
A partir de quelle « matière » Jef a-t-il composé l’apparence des personnages ? Vananka et Leila sont-ils passés par différentes étapes avant de revêtir l’apparence que l’on sait ?
On a un fonctionnement très cinéma avec Jef. Je lui propose un synopsis développé, un découpage ultra précis dialogué, et surtout un book persos, décors, matos. Un book de cast cinéma avec plusieurs propositions de persos (dans Mezkal, si on est attentif, on peut par exemple retrouver cette gueule inoubliable aperçue dans Heat et surtout Machete, Dany Trejo). On joue beaucoup entre nous là-dessus.

Pour Vananka et Leila, c’est top secret. Ou plutôt on part dans sa sphère intime. Il faudra le lui demander !

Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Il y en eu deux en fait. Bon Vananka, ça ne compte pas, il occupe tout l’espace. Mais c’est Fantasma, le tueur du cartel (dont on découvre que c’est… bref… no spoiling…). Et puis surtout El Flaco (le maigre, le gros sac qui bouffe tout le temps, un tueur quasi sympathique tant il est horrible et fou).

Le plus complexe en revanche, c’est Leila. Surtout qu’on est passé en plein par Meetoo et la nouvelle donne de la représentativité des femmes dans le milieu artistique. Je me suis posé beaucoup de questions parce qu’elle a un rôle complexe, très victimisé par moments, « marquée » même comme du bétail, prostituée par les gangs. Une vision très dure de la femme (la seule en plus !), qui a suivi naïvement ses rêves de jeune fille et s’est fracassée dans le mur du réel et de la violence bestiale et testostéronée de ces cartels remplis de fous furieux complètement frapadingues et psychopathes. D’où ce retournement ultra pessimiste et tragique à la fin la concernant. Elle a tout perdu et tout gagné à la fois… Ce qui la rend j’espère d’autant plus touchante.

(Bon dans les prochains projets, les femmes auront des places bien plus imposantes. Des trans aussi. Le monde évolue bordel et nos histoires aussi !).
Mezkal, crayonné d'une planche © Soleil / Jef / Stevens
Concrètement, comment s’est déroulé le travail à quatre mains sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de l’élaboration de l’album ?
Avec Jef, au départ, on a beaucoup parlé de l’histoire. Je suis très attentif aussi à ce que chacun puisse se sentir investi à fond. Donc j’ajoute des trucs que le dessinateur adore, des envies personnelles que j’incorpore (comme ça en plus, il ne se lasse pas, il ne met pas en scène mon histoire mais NOTRE histoire). Toutes ces années à côtoyer des réalisateurs relous et des mecs ultra égocentriques dans le milieu cinéma, je suis aussi devenu un psy du scénar et de la collaboration, un peu un mixe entre un diplomate et Joe Pesci « Nicky Santoro » dans Casino. Comme quoi je suis ultra cool mais faut pas non plus trop venir me les casser…ahaha.

L’histoire était hyper sérieuse au début. Une série B dure, carrée. Mais Jef voulait partir plus loin, dans le délire, la folie. Et l’humour aussi. C’est lui qui a souhaité tout cet apport mystique. Il m’a dit de me lâcher complètement, dans l’hyper violence (ça, il ne faut pas me le dire deux fois…), mais aussi les dialogues dingos, les folies, tout. Après, il a souhaité mettre sa patte aux dialogues. J’ai hésité mais ça allait vraiment dans le sens de notre histoire. Et il m’a assez bluffé je dois dire à ce niveau (je balançais des trucs bien ciselés, mais il en renvoyait d’autres encore plus marrants… bref, on jouait au jokari de la répartie !).

Donc, il valide avec Jean le synopsis et là je pars sur le découpage très carré, le dialogué. On valide le tout avec l’éditeur (Jean Wacquet et Guy Delcourt pour le topo global de l’histoire). Et après j’abandonne le bébé à Jef. Il me pose ensuite plein de questions super chiantes (des détails, ou parce qu’il a lu trop vite et zappé des trucs ahaha ! Ou alors il met le doigt sur des parties où c’est moi qui suis allé trop vite, oubliant des trucs, et du coup on ne capte plus rien…). Ensuite, je lui demande de remettre les planches par tranches de 10/20 pour voir si ça suit quand même, s’il n’a pas pris trop de peyotl ou abusé sur le mescal entre deux planches… Bon, clairement, il avait abusé et terminé la bouteille mais ça a marché ! Donc on rediscute de détails, on peaufine (après faut être super réactif parce que l’ami Jef c’est une turbo fusée du dessin, donc si tu t’endors aux toilettes, que la planche a été tracée dans la nuit, c’est terminado pour toi…).

Et après, vámonos, c’est la sortie, les discussions techniques avec l’éditeur ; là, je ferme ma grande gueule, je donne mon profil le plus pro mais j’ai ma chaise au fond du placard et il n’y a plus personne pour s’intéresser à moi (« dans [le placard], personne ne vous entendra crier » !) ahaha bon je déconne hein, tout le monde était à l’écoute et le Flaco me tendait de temps en temps d’une main un petit mister freeze à la mangue à travers la porte pour me détendre… avec un UZI 9mm dans l’autre … évidemment… mais ça, c’est déjà another story, hermano !
Mezkal, case de l'album © Soleil / Jef / Stevens
Les dialogues sont clairement jubilatoires et on sent que vous vous êtes éclatés à les écrire !
Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser toutes ces étapes afin de mieux comprendre votre façon de travailler ?

Sorry, c’est en fait juste IM-PO-SSIBLE ! Il y a plusieurs allers retours entre Jef et moi, notamment par simples échanges mails ou par téléphone, juste autour d’une intonation, d’un phrasé, d’une expression. Au point que parfois, on ne sait plus qui a eu l’idée de départ !
Et puis Jef a eu des envies persos qui se sont incorporées aussi en cours de route, allant dans le sens qu’on souhaitait tous les deux propulser au récit.

Dans quelle étape du processus créatif as-tu le plus de plaisir ?
Je fonctionne par mouvements d’adrénaline. Déjà via des « auto-pitchs ». Je me pitche ou j’écris des tonnes de pitchs, souvent je trouve mais tellement génial quand j’ai l’idée. Et puis deux jours plus tard j’y repense et soit j’ai oublié (donc pas si intéressant que cela) soit je trouve l’idée déjà bien moins géniale…

Mais dans tout le processus l’arrivée d’une idée puissante d’histoire est déjà un summum de plaisir. Puis la mise en place des personnages. Après, il y a de la douleur dans la conception de l’histoire, quand je butte sur des écueils, que ça n’avance pas, que je trouve les différents mouvements pas assez originaux ou puissants par exemple. Là, je me remets en question. Mais c’est dur…

Enfin, le découpage est assez excitant, même si je sais qu’avec Jef, ça va beaucoup bouger !

La musique est très présente dans l’album et Jef la met en image comme personne. Dans quelle ambiance sonore as-tu travaillé sur cet album ? Silence monacal ? Musique de circonstance ? Radio ?
Radio j’adore, mais je ne peux pas travailler avec. Le plus souvent, je travaille accompagné de bandes sons persos, en fonction de mes inspirations, de mes humeurs. Depuis deux ans, je travaille quasiment en permanence avec la version longue de Lost In translation de Air (Tokyo Air) que je repasse en boucle. Ça peut aussi être la BO de Lost Highway, ou Julee Cruise (dans Twin Peaks notamment) ou encore un concert de Ramnstein, du Pink Floyd ou la Baïonarena de Manu Chao… comme quoi, c’est éclectique. Et je passe souvent des musiques hyper émouvantes pour justement pousser, que je puisse trouver des scènes qui m’émeuvent personnellement.
Mezkal, case de l'album © Soleil / Jef / Stevens
Si Mezkal devait être adapté au cinéma, quel compositeur verrais-tu pour composer la B.O. du film ? D’ailleurs, quel réalisateur derrière la caméra ?
Allez, on est fou. On part sur un Alejandro González Iñárritu et sur Badalamenti justement ahahah ! Ou alors on fait un pari plus osé, on demande à Alice Winocour et à de jeunes compositeurs en devenir ! Tout aussi excitant non ?

Peux-tu nous parler en quelques mots de tes projets présents et à venir ?
Je vais vraiment investir la bd où je sens que je vais gagner en crédibilité et en force les temps à venir. Avec des projets un peu fous, aux confins des genres, que j’ai déjà commencé à développer. Mais j’aimerais bien aussi relancer la machinerie cinéma. J’ai signé quelques séries mais qui tardent à trouver un diffuseur, avec les plateformes/prod. françaises très molles du genou. Avec surtout deux genres que j’affectionne, qui ont leur public, mais qui étrangement n’ont pas encore les producteurs adéquats en France pour les développer (ni les diffuseurs vraiment…) : le film d’épouvante ghost teenage à l’asiatique (dans un style Ring, Dark Water ou REC ou Morse au niveau baltique) et le thriller noir social en mode nordique (Bull Head, les séries style The Bridge, The Killing, ou plus récemment Oktober) : des histoires simples, percutantes, avec de l’émotion.

Seulement, en ce moment, les gens cherchent du Feel Good chiantissime et des films de genre en mode ultra high concept qui à chaque fois se plantent ou sont des navets interstellaires. Ou encore du film de genre sur-intellectualisé, ce que je supporte rarement (notamment parce que réalisés par des jeunes gens éclairés, souvent parisiens de souche, qui ne comprennent pas les rouages basiques, les moteurs, les émotions nécessaire au film de genre pur et dur – la bonne série B !). Simplicité, efficacité, trajectoires de personnages puissantes et univers investi ! Des films peu chers, pas pour un très large public mais qui peuvent aisément trouver leur financement et leur équilibre.
Mezkal, crayonné d'une planche © Soleil / Jef / Stevens
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Théâtre : Harvey avec Jacques Gamblin comme je ne l’avais jamais encore connu (aussi bon je veux dire, l’acteur est vraiment ultra touchant dans cette pièce)

Cinéma : ouf… heu… attends, je reprends mon carnet… j’avoue, je suis super déçu par ce qui sort actuellement. Allez, ADN de Maiwen paraissait totalement naze et a été une belle découverte. La panthère des neiges aussi (même si j’ai moins de 60 ans et je ne lis pas Télérama… ahahah !). Nomadland clairement et Médecin de Nuit de Eli Wajeman. Mais bon, on peut aussi redécouvrir The proposition de John Hillcoat… et retrouver le goût du cinéma lourd et puissant…

Plateforme : encore et toujours Ozark. Indétrônable.

Radio : Interception sur Inter. Et cet abruti d’Aymeric Lompret qui est quand même génial.

CD : heu… Pink Floyd… ok, je sors… ah non, le dernier Jay Jay Johanson Rorschach, parfait pour un coup de déprime nostalgique, tu devrais essayer Jef !

Livre : deux gros coups de cœur, Billy Wilder et moi de Jonathan Coe, magique et le très bon Nicolas Mathieu.

BD : Enferme-moi si tu peux de Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non. Parce que je sais qu’on va commencer par parler business et rémunération d’auteur et là je vais partir en roue libre, à parler cash, je vais me mettre tout le monde à dos et mon éditeur, ce cher Jean, va m’enfermer trois mois dans un placard dans les bureaux de Delcourt et je vais avoir un mal au dos de chien et sortir tout piteux et déprimé et demander pardon et tout, et « est-ce qu’on peut sortir quand même un nouvel album ? » et « non mon Kev, t’as beaucoup trop déconné » sur ce coup.
Mezkal, case de l'album © Soleil / Jef / Stevens
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
C’est pas un peu raciste ça non comme contextualisation, comme dirait mon fils, ahahah !
Si tu étais…
photo de Kevan Stevens
un personnage de BD : sauce imaginaire, je suis Valérian. Dans mes rêves (mouillés… ok, je sors…), je suis Giuseppe Bergman de Manara, et en vrai, hélas, je suis plutôt Hébus dans Lanfeust de Troy…
un réalisateur : Nicolas Winding Refn (jusqu’au sublime Le guerrier silencieux), plus du tout après…
un personnage de film : le Joker… mais non, Charlie Barber dans Marriage Story de Noah Baumbach !
une B.O. de film : je vais dire une folie, la BO de Backstage de Emmanuelle Bercot chantée par Ludivine Seignier. Tout le monde va hurler, mais oui, je trouve ça hyper émouvant, tellement en lien avec le film…
un instrument de musique : une clarinette, mais je joue de la batterie…
un jeu de société : Scythe, auquel on a toujours rêvé de jouer sans jamais pouvoir concrétiser l’envie (surtout avec 6 heures pour capter les règles et quatre jours pour la partie…). Sinon, Bunny Kingdom off course… sans parler de notre clasico : Ninja Taisen !
une découverte scientifique : Pénicilline ;
une recette culinaire : moi je suis un bœuf bourguignon, mais j’aimerais être une soupe miso légendaire…
une pâtisserie : je suis une religieuse qui rêve de se transformer en mille-feuille croquant fruits du verger et praline du Mékong sur lit de menthe mongole caramélisée craquante et nappage framboisé gelé.
une ville : je suis Marseille, je suis Belfort, je suis Rostock. Peut-être je suis nulle part…
une qualité : l’intuition féminine (c’est bien un portrait imaginaire hein ?)
un défaut : je deviens parano et je panique à chaque fois que je gare ma Lamborghini urus dans le patio de Manu (Macron), j’ai peur que Brigitte m’engueule !
un monument : le lion de Belfort mixé à la statue de la liberté (quoi ? c’est le même architecte. Ok, je sors. Tant mieux non ?).
une boisson : je suis un bon Bourgogne bien charpenté (non, pas dans ce sens…), je suis un mojito subtil, je suis… un lait grenadine trop sucré ! fuck… je suis le mélange de trop dans la soirée !
un proverbe : attends, attends, je checke un bouquin… « Was Hänschen nicht lernt, lernt Hans nimmer mehr » le premier qui trouve aura le droit à un café froid allongé gratos servi avec une paille en carton recyclé et déjà utilisée…

Mezkal, case de l'album © Soleil / Jef / Stevens
Un dernier mot pour la postérité ?
Ben, on se revoit bientôt non ? Avec Zemmour président… quoi ? mes bouquins sont interdits ? Ok… pas une bonne idée alors peut être… ahaha !

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Celui-là, je l’accepte volontiers… tain… le temps de cinglé que ça prend… jamais vu une itv aussi longue ! Les gens s’en servent pour retapisser leur garage après ? Non sérieux, merci à toi et à tout ce taf que tu te donnes. D’ailleurs, t’as vu, je suis magnanime, tu repars avec ta tour gaming acer predator intacte… Merci encore ! Et merci mille fois à ceux et à celles qui arriveront jusqu’au bout de la lecture sans s’être endormis trois fois dans leur canap d’occas trop mou acheté sur leboncoin en s’étant fait enfler par un petit malin ! (cf. qui tu sais et qui de toute façon ne lira jamais cette fucking itv !)
Le Korrigan