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Entretien avec Léo Heitz
interview accordée aux SdI en février 2022


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Oui bien sûr nous pouvons nous tutoyer ! Surtout que nous nous sommes déjà rencontrés et que la discussion était très agréable.

Merci à toi smiley.

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Petit, mes passions étaient le foot, les lasagnes, les goûters avec les potes. Plus âgé, j’ai entrepris des études dans lesquelles je ne me sentais pas à ma place (prépa, fac de math, école de commerce). Je n’ai jamais eu mes diplômes d’ailleurs.

À l’intérieur de ces années, j’ai fait un séjour au Togo de plusieurs mois où je vivais avec des étudiants Togolais, un road trip à pieds avec un ami du Maroc jusqu’au Danemark, et enfin un stage à Sacrebleu Productions, une boîte de cinéma d’animation à Paris. C’est trois choses m’ont ouvert sur ce que je voulais vraiment faire, de la BD !

Satchmo, extrait © Jungle / Leo HeitzEnfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Enfant je lisais très peu. Par contre les livres que je lisais, je les adorais. Je voulais les voire en film, mettre de la musique par-dessus les mots, plonger à l’intérieur… Il y avait « Vingt mille lieux sous les mers » de Jules Verne, « L’enfant noir » de Camara Laye et « Graceland » de Chris Abanni. Je ne lisais quasiment pas de BD, je sais que mon frère adorait Gaston, donc je jetais un coup d’œil mais sans plus. La BD je n’y connaissais rien jusqu’à mes 26 ans !

Et depuis, quelles furent tes découvertes les plus marquantes dans le neuvième art?
Les bd de Marc-Antoine Mathieu, j’ai tout lu d’un coup, j’ai adoré évidemment sa mise en scène mais aussi son humour. Je ne savais pas qu’on pouvait faire ça en bd. Le choc le plus émotionnel a été la lecture des Bd de Cosey : Le voyage en Italie, Saigon-Hanoï, À la recherche de Peter Pan… Je suis bien avec cet auteur, il me fait du bien, sa manière de poser son regard sur les relations humaines me fait du bien. En enfin Brüno, pour son graphisme avec des grandes masses de noir. C’est léché, c’est beau !

Satchmo, extrait © Jungle / Leo HeitzOh que oui, on ne peut que plussoyer ! smiley

A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?

L’idée est venue quand j’ai entendu une interview à rallonge de Moebius (Jean Giraud) sur France Culture. Il décrivait son métier d’auteur. Et je me suis dit : « Purée, mais c’est la vie parfaite : écrire des personnages, faire l’acteur dans sa chambre, inventer des décors, imaginer une intrigue, colorier sans déborder ! ».

Très bien mais je ne savais pas par où commencer ! J’ai regardé sur internet : il fallait présenter des « books » aux écoles d’arts. À l’époque je vivais à Bordeaux, je suis sorti dans la rue, j’ai ouvert la porte du premier atelier de dessin que j’ai vu. C’était celui de Jean-Pierre Beyries, un peintre-Graveur réputé. Il était seul dans son atelier ce jour là. J’ai dit : « Faut que j’apprenne le dessin », il m’a dit « C’est ici, tu as un crayon ? ». Et j’ai pris mon premier cours.

Au bout de 5 mois j’ai présenté un petit dossier à L’iconograf, une école de BD à Strasbourg et c’était parti ! Trois ans de formation très sympathiques, j’ai tout appris là-bas. Pendant cette formation, j’ai produit une bd de 3 planches qui a été séléctionnée aux Jeunes Talents du Festival d’Angoulême et c’est comme ça que mon éditeur « Jungle » m’a repéré.

Satchmo, extrait © Jungle / Leo HeitzQuelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
La grande joie, c’est l’excitation initiale du projet, quand les idées bouillonnent, quand on ne sait pas encore tout de l’histoire. J’adore partir dans tous les sens dans ma tête. J’aime aussi m’attacher à mes personnages avant de les voir dans les planches. L’exécution d’un dessin qu’on trouve valable, une trouvaille graphique, un dialogue qui sonne bien sont aussi des joies mais plus éphémères.

Ma grande difficulté c’est la motivation pour dessiner : je ne suis absolument pas un dessinateur compulsif. Je ne dessine RIEN en dehors de ma BD. C’est trop d’efforts pour moi, surtout les personnages en action. Les décors j’adore en dessiner, ça vient tout seul, mais les personnages qui bougent… quelle corvée ! J’espère que ce plaisir viendra, je vais tout faire pour que ça arrive !

Ton premier album, Satchmo, vient de paraître sur les étals… Dans quel état d’esprit étais-tu à l’occasion de sa sortie ?
J’étais dans l’état d’esprit que je voulais à tout prix en faire un autre, avec tout ce que j’ai appris en le faisant. J’ai envie d’apprendre encore ! Apprendre et faire !

Satchmo, quatrième de couverture © Leo HeitzPour un premier album, tu n’as pas choisi la facilité ! Plus de 170 pages ! Combien de temps as-tu mis pour écrire et dessiner cet album très librement inspiré de l’enfance de Louis Armstrong alias Satchmo ?
J’ai mis 3 ans. Les 2 premières années, je ne bossais pas vraiment de manière très professionnelle. Je faisais de grandes pauses. J’ai trouvé mon rythme la dernière année et c’était beaucoup plus fluide.

Si on y parle de musique et de jazz, on y parle surtout de la relation entre une mère qui ne peut assumer son rôle de mère et un fils qui va devoir s’occuper d’elle et devenir, presque, son père… Quel fut le point de départ de cette histoire ?
Oui le point de départ fut la relation entre un fils obsédé par le bien-être d’une maman qui va mal et qui ne peut pas aller mieux. Je voulais parler d’une relation qui s’inverse, quand l’enfant devient parent et qu’il n’a pas les armes pour y faire face.
Satchmo, extrait © Jungle / Leo Heitz
J’avoue avoir été impressionné par ta maîtrise du dessin avec ces masses ombres qui structurent les planches et opèrent comme la musique d’un film… As-tu mis longtemps à trouver ce style ?
C’est gentil. Le style est venu tout seul. Je me dis toujours que le dessin doit marcher sans la couleur, que l’histoire doit marcher sans le dessin mais que les trois doivent marcher ensemble aussi et se sublimer.

Donc quand je dessinais, je pensais à faire des planches qui graphiquement peuvent avoir un intérêt à elles seules. Donc l’objectif était de ne pas répéter ce que j’avais vu chez d’autres mais aussi que le graphisme soit accessible à tous. Les masses de noir donnent souvent du caractère, de la force, du poids. C’était cohérent avec l’histoire. Aussi, les masses de noir permettent d’alléger le graphisme, en ne détaillant pas certaines zones de l’image, ce qui rend les pages plus fluides à lire. Surtout sur 180 pages !
Satchmo, recherches © Leo Heitz
Comment as-tu façonné l’apparence de vos personnages et celle de Satchmo en particulier ? Est-il passé par différents stades avant de revêtir l’apparence que l’on sait ?
Plusieurs apparences…laissez moi réfléchir… Pas vraiment, je l’avais déjà en tête quand j’ai posé les premiers dessins. J’avais déjà des personnages « souris/rats» dans mes autres petites BD. Lui je savais que je le voulais comme ça. Tout noir, avec un t-shirt trop grand, des chaussures trop grandes et un bérêt trop grand ! Il a de grandes mains aussi, ça lui permet d’être expressif avec.
Satchmo, recherches © Leo Heitz
Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène et lequel t'a donné le plus de fil à retordre ?
J’aimais mettre en scène les enfants, Satchmo et Jayjay par exemple. Je trouve que les enfants ont toujours des postures incroyables quand ils sont assis, quand ils marchent, quand ils parlent, il se tordent dans tout les sens. Et puis on ne sait jamais ce qu’ils ont dans la tête. On est toujours en attente d’une idée saugrenu. Cela crée une petite tension narrative quasi imperceptible car inconsciemment on sait qu’à tout moment ils peuvent faire des choses irrationnelles ou irresponsables. J’adore !

À contrario, certain personnages secondaires qui apparaissent de façon éphémères sont plus durs à mettre en scène car pour certains on n’a pas le temps de raconter leurs histoires propres et leur attitudes paraissent des fois trop clichés… J’en suis conscient mais ce n’est pas toujours faciles de trouver le bon ton. Je pense notamment à la bande proxénètes de New Orleans qu’on voit très succinctement vers la fin de la BD.
Satchmo, recherches © Leo Heitz
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène des personnages antropomorphiques pour raconter votre histoire ?
Pour plusieurs raisons. Premièrement, pour créer un contraste entre la forme légère, et le fond plus lourd. Ensuite, Satchmo était le surnom de Louis Armstrong, et je voulais avoir de la distance avec la personne réelle qu’il était, car l’histoire, même si elle s’inspire de sa vie, elle s’en écarte à bien des égards. Enfin, j’ai toujours dessiné avec des souris et des rats, dès l’école de BD. Donc je continue, je me sens bien avec eux.
Satchmo, recherches © Leo Heitz
La musique est bien sûre importante dans l’album. Quand est-il pour vous ? Es-tu toi-même amateur de Jazz ? Dans quel ambiance sonore dessines-tu habituellement ? Silence monacal ? Radio ? Musique de circonstance ?
Oui je me suis beaucoup documenté sur l’époque et sur ces personnes à l’origine de l’émancipation du Jazz. J’ai donc écouté leur musique aussi. Je voulais un New Orleans totalement fantasmé, mais pas être complètement à côté de la plaque non plus.

Pour parler musique, j’adore ça le Jazz mais je ne suis pas un connaisseur à proprement parler. Je dessine avec de la musique, ça donne de la force, ou alors j’écoute des conférences sur un peu tous les sujets. Au début oui j’écoutais pas mal de Jazz, mais ensuite j’ai varié. Le compositeur que j’aime le plus au monde est Joaquin Rodrigo si vous voulez tout savoir ! Et au moment de l’album, les musiques que j’ai dû le plus écouter furent « Maria » de Blondie et « Gambia » de Sona Jobarteh. Elles me motivent !

Concrètement, du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les grandes étapes de ton travail pour réaliser cet album? Avec quels outils travailles-tu généralement ?
Première y a la recherches d’un thème et d’un ton, quelque chose qui me parle. Ensuite je bosse sur le scénario en définissant le design des personnage. Ensuite c’est parti pour les planches de storyboard. Je n’ai pas fait tout les storyboard d’un coup, je me laisser la liberté de changer la fin de l’histoire même lorsque j’avais commencé la réalisation des planches. Et puis enfin, j’encre les planches finalisées avec la tablette graphique.

Mes outils sont très simples : crayon à papier pour les rough et tablette graphique pour la finalisation.
Satchmo, recherches © Leo Heitz
Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser ces différentes étapes afin de mieux comprendre ta façon de travailler ?
Oui bien sûr, je vous envois les différentes étapes.

Satchmo, extrait © Jungle / Leo HeitzQuelle étape te procure le plus de plaisir?
L’étape du storyboard est vraiment le coeur de la bd. C’est à la fois la plus excitante quand on trouve une bonne mise en scène et la plus frustrante quand on ne sait pas comment raconter les choses.

Comment as-tu conçu la couverture sobre et élégante de Satchmo?
Je voulais quelque chose de très simple, pas de fioriture sur la page. Le noir étant très présent dans ma BD donc je voulais la couverture noire. Enfin j’ai pensé que le personnage qui se noie dans le fond de l’image, qui est noire comme lui, était assez énigmatique et graphiquement sympa.

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Je viens d’aider un ami, Nicolas Ghisalberti, à faire sa colo sur une BD qu’il va sortir. Pour l’instant j’ai plein d’idée en tête mais rien de concret. J’ai envi de voyager dans ma prochaine histoire, de ne pas faire une histoire aussi sombre. Je voudrais plus de légèreté, plus de joie, y compris graphiquement !

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
En cinéma, j’ai été bien pris par le dernier Ken Loach « Sorry we missed you ». En BD, je ne sais pas, je ne lis plus de BD depuis 2 ou 3 ans. Ah si ! j’ai celle de Cyrille Meyer « Jungle Beef » qui est une Bd documentaire qui fait prendre conscience de plein de problèmes écologiques et politiques, c’est hyper intéressant et émouvant.
Satchmo, extrait © Jungle / Leo Heitz
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Est-ce que tu aimerais faire des films d’animation ? Oh oui ! C’est mon rêve, en tant que directeur artistique, scénariste, metteur en scène ou réalisateur. Cependant pas animateur. Le métier « d’animateur pur » étant trop dur pour moi, le niveau de dessins demandé me semble hors de portée. Par contre réalisateur pourquoi pas !
Satchmo, recherches © Leo Heitz
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

Satchmo, extrait © Jungle / Leo Heitz
un personnage de BD : le petit vieux dans « Un océan d’amour », ou la petite vieille aussi d’ailleurs…
un personnage mythologique : Zidane
un personnage de roman : l’enfant dans « L’enfant noir » de Camara Laye
une chanson : « Les passantes » de Brassens
un instrument de musique : la guitare
un jeu de société : le Dixit
une découverte scientifique : le bitcoin ! Non j’plaisante j’y connais rien…
une recette culinaire : Chef Dumas
une pâtisserie : le Paris-Brest, aller retour !
une ville : Bordeaux
une qualité : la délectation
un défaut : mon niveau d’allemand
un monument : Zidane
une boisson : Le Chuffy !
un proverbe : « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente. », Brassens

Un dernier mot pour la postérité ?
Pour la postérité ? Messieurs Mesdames les Alien, il reste des Kinder Maxi dans mon placard, régalez-vous.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Satchmo, recherches © Leo Heitz

Le Korrigan