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Entretien avec Serge Carrere
Interview accordé aux SdI en octobre 2022


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Peux-tu nous parler de nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Bonjour, né en 1958 à Toulouse, on peut dire que je suis un « autodidacte »... Après un BAC orienté sciences, je suis allé à la fac d'Arts Plastiques d'Aix en Provence en Octobre 1978, où je ne suis resté que jusqu'en avril 1979.. Les cours donnés ne correspondaient pas à ce que j'attendais... Mes passion : le dessin et la musique et notamment la guitare...

Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Gamin, j'étais un bon lecteur, romans, journaux, albums BD.. Mon livre de chevet enfant « les aventures de Tom Swayer »... Je lisais les BD dans la presse. Les journaux Pilote, Tintin et Spirou... Mes premiers albums étaient les premiers Astérix...

A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Depuis toujours, j'aimais dessiner et raconter des histoires, donc le meilleur médium pour ça est la BD… De manière naturelle, je me suis tourné vers ce métier. Au début, je ne savais pas que c'était un métier, c'est en créant un club BD au collège que j'ai pu découvrir qu'il existait des auteurs. J'ai ainsi pu rencontrer Pierdec, auteur toulousain pour les Editions Fleurus, qui m'a encouragé dans cette voie... Sinon, l'auteur et la BD qui m'a vraiment donné envie c'est Maurice Tillieux et ses Gil Jourdan...
Léo Loden, rough du tome 29 © Soleil / Carrere
Entre 1979 et 1982, devenu papa, j'ai exercé différents métiers (électricien, maquettiste publicitaire..) et en parallèle j'essayais de réaliser des BD, que je proposais aux éditeurs.. Certaines ont été publiées dans des fanzines de l'époque, une histoire fût même achetée par Michel Deligne, éditeur des Ed. Deligne, mais non publiée smiley. Enfin en 1983, les Ed. MILAN, située à Toulouse, m'ont fait signer mon premier contrat pro. Les aventures de Coline MAILLARD, scénario Patrick Cothias (rencontré lors du salon d'Angoulême 1982, débutaient dans le N° 1 du journal MIKADO.. Suivies par les aventures de Rémi FORGET, scénario Alain Oriol, directement en albums.. Je ne peux pas dire que ce fût un parcours du combattant... Entre mes premiers essais et les BD chez Milan, deux ans se sont passés et comme je bossais, cela allait.. Mes deux professeurs dans ce métier étaient Cothias avec qui je montais des projets et François Walthéry pour le dessin... Soit je montais en Belgique, ou je lui envoyais des photocopies qu'il corrigeait.

Par contre dès mon premier contrat en 1983, je me suis consacré entièrement à la BD...

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? Comment définiriez-tu le métier de scénariste ?
Joies et difficultés s'entremêlent tout le temps, c'est le challenge du métier. On cherche toujours la perfection, perfection relative que nous avons chacun de nous en nous et que nous n'atteignons jamais… C'est notre moteur dans la création... Le scénariste est le premier qui bosse, lorsque nous débutons une histoire... À lui de trouver le ton, le tempo, le rythme de l'histoire. Le découpage arrive à ce stade. Le scénariste propose et le dessinateur dispose... C'est un échange permanent entre les deux auteurs..

Serge Carrere, Atelier de l'artisteComment as-tu rencontré Christophe Arleston avec qui tu as donné naissance à Léo Loden ?
Arleston, je l'ai rencontré à Angoulême en 1985 ou 1986. Il venait d'éditer un album de Paul Glaudel, que j'avais connu à le Fac d'Aix. On a sympathisé et plus tard, j'ai pris contact avec lui car je cherchais un scénariste pour un projet médiéval, une sorte de Johan et Pirlouit revu par les Monty Pythons, et je trouvais qu'il avait le profil pour ça. On a proposé ce projet à un jeune éditeur du Sud, Mourad Boujellal qui venait de monter les éditions MC Productions. Le projet ne l'a pas branché, il nous a demandé de réfléchir à un polar.. Ainsi est né LÉO LODEN.

Johan et Pirlouit revisité à la sauce Monty Pythons… J’aurais adoré lire cela ! smiley

Pourquoi avoir décidé d situer l’action à Marseille plutôt que dans une autre cité… je ne sais pas moi, Toulouse ?

Au début, Christophe Arleston a proposé un détective sur Paris. C'est moi qui lui ai conseillé Marseille. Habitant Aix et ayant fait ses études de journalisme à Marseille, cela me paraissait évident, mais comme souvent, on ne voit pas certaines évidences. Marseille, c'est la Franch Connection, c'est une belle cité, cosmopolite, avec une diversité de décors intéressante : la mer, la montagne, la ville, bref, tout est là. Une fois l'idée proposée, Arleston a modifié le projet.

Quelles étaient alors tes polars de référence ?
Pour Arleston et moi, en BD, notre référence était Tillieux. Donc, notre postulat fût si Tillieux devait créer Gil Jourdan en 1992, il ferait … Léo Loden ?

Serge Carrere, Atelier de l'artisteComment expliques-tu la popularité de l’ex-inspecteur marseillais reconverti en détective privé ?
On ne sait pas pourquoi un personnage devient populaire ou non... Quand on crée, on reste sincère dans nos choix, exigeant dans la réalisation et après... Le lecteur doit sentir cela et si, en plus, les histoires plaisent, alors on peut espérer la popularité...

Voilà plusieurs tomes déjà qu’Arleston travaillait en tandem avec Loïc Nicoloff avant de lui céder la main… Comment s’est opéré le changement de scénariste ?
Le passage de témoin s'est déroulé tout seul. Arleston m'a appelé pour me dire qu'avec ses nouvelles responsabilités au sein du label Drakoo, il aurait du mal à tenir le rythme . Comme leur collaboration faites d'allers-retours entre eux deux tendaient à donner du retard pour le rendu des pages, c'était la bonne solution. Loïc Nicoloff co-scénarisait Léo depuis déjà 10 ans, ce n'était pas difficile pour lui de se retrouver seul.. Comme toujours, je réagis au scénario, il y a toujours des échanges entre nous, il n'est pas vraiment seul...

Concrètement, comment s’organise le travail sur un album de Léo Loden ? Du synopsis de Loïc Nicoloff à la planche finalisée, quelles sont les différentes étapes de la réalisation d’un album ?
Au début, Loïc propose des pistes de scénario. On choisit une idée, et là il bosse sur le synopsis qu'il me propose ainsi qu'à l'éditrice. On discute ensemble et alors, il commence le découpage séquences par séquences. Ensuite le découpage se précise page par page et je prends la main... Tout comme Arleston, Loïc me fournit la majorité des photos de documentation, faites en fonction du récit... Et je m'amuse avec tout cela...

Serge Carrere, Atelier de l'artisteA partir de quelles données ou information Cerise se lance-t-elle dans la colorisation ?
Pour gagner du temps, je fournis les pages par séquence à l'éditeur qui envoit les scans à Cerise. En même temps, je donne à Cerise mes indications et les documents qui m'ont servi pour le dessin. Depuis le temps que nous bossons ensemble, on se comprend vite...

Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Que ce soit le dessin ou l'encrage, j'éprouve autant de plaisir.. Le dessin, s'est le plaisir du crayon, de la création, choix des cadrages servant la narration, recherche des attitudes des expressions des personnages.. C'est la partie la plus chronophage.. Ensuite, l'encrage, le plaisir de laisser aller le pinceau pour donner le rythme, le mouvement, les éclairages en usant du noir comme révélateur de la lumière. Bref, deux plaisirs différents...

Dans chaque album de Léo Loden, on retrouve des personnages truculents avec un réel plaisir… Quel personnage récurent prends-tu le plus de plaisir à mettre en scène ?
Je pense que Tonton Loco est celui que j'anime avec le plus d'amusement. C'est mon Obélix à moi...

Serge Carrere, Atelier de l'artisteComment élabores-tu généralement l’apparence de tes personnages ? Celui de Loden a-t-il été facile à trouver ou est-il passé par plusieurs étapes avant de trouver l’apparence que l’on sait ?
Pour tout nouveau personnage « important », Loïc me dit comment il le voit : psychologie, morphologie (un grand gros ne se déplace pas comme un petit mince) et me donne des pistes avec des personnes que l'on connait : amies, amis ou actrices/acteurs... À partir de là, je fais mes recherches.. Parfois de nouvelles idées arrivent et on en discute.. Léo a été assez rapidement trouvé. Au début, je crois que je l'avais fait brun, Arleston m'a dit : « Fais le roux, tous les grands héros sont roux, Tintin, Spirou, Gil Jourdan, etc...) » donc j'ai revu ma copie pour arriver à Léo..

Polar oblige, Marseille est un personnage à part entière de la série… A partir de quelle « matière » donnes-tu vie à la cité phocéenne ?
C'est le scénario qui donne le tempo. Marseille commence à vibrer sous la plume du scénariste et ensuite, j'essaie de rendre cette vibration dans mon dessin.. J'adore cette ville...

Lorsque tu t’atèles à la table à dessin, dans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement ? Radio ? silence monacal ? podcast ? musique de circonstance ?
J'ai besoin de musique pour travailler, même dans les périodes de repos, la musique est omniprésente.. Je travaille en atelier avec d'autres auteurs, donc j'essaie de ne pas les troubler, mais comme c'est moi qui ai les meilleures enceintes, j'ai le dernier mot smiley

Gunthrie, recherche © Soleil / CarrereQuels outils utilises-tu pour composer tes planches ? Es-tu plutôt traditionnel ou numérique ?
On va dire que je suis traditionnel. Pour mes séries, c'est papier, crayon et encre de chine.. Pour chaque série, j'essaie de changer de papier, de format et d'outils d'encrage pour éviter une routine.. Pour Léo Loden, c'est du pinceau pour l'encrage, pour une série gag « Les Chicoufs » c'est un format plus petit et de la plume pour l'encrage, pour un western en cours format assez grand et encrage stylo Bic et pinceau, enfin pour certains travaux, du numérique avec un rendu fait sur l'Ipad avec Procreate...

Quel(s) conseils donnerais-tu à un jeune dessinateur désireux de faire carrière dans la BD ?
Qu'il se fasse plaisir... Quand on débute, on n'a pas de contraintes (délais, format, rythme, etc...) C'est le moment de faire ce que l'on a envie de faire, et ensuite, bien choisir l'éditeur à qui on va présenter son projet.. Les contraintes et problèmes viendront après et il faudra les gérer. Il devindra, alors, un professionnel.

Avec quel scénariste rêverais-tu de travailler ?
Je n'ai pas de rêves précis en ce domaine. Les scénaristes avec qui je collabore sont d'excellents compagnons de route. L'entente est le maître mot dans ce type de collaboration. Sinon, j'aurais aimé rencontrer et discuter avec Goscinny et Tillieux..

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Actuellement, en plus de Léo Loden, j'ai signé deux nouvelles séries chez Soleil Prod. Une série gag, les « Chicoufs » avec Falzar, série familiale mettant en scène les relations entre grands-parents et petits enfants, avec au milieu les enfants-parents aussi...
Et aussi sur un scénario de Cazenove, un western crépusculaire, relatant l'histoire d'une fratrie particulière... Un road-BD du texas au Montana...
Et quand j'aurais un peu plus de temps, un projet polar avec au scénario un journaliste qui m'a proposé une histoire qui me régale... Encore un peu de patience et je le mettrai en images pour le proposer aux éditeurs.
Gunthrie, rough © Soleil / Carrere / Casenove
Quel polar (bouquin, roman ou BD) conseillerais-tu à un lecteur amateur du genre ?
J'ai bien apprécié l'album « Tif et Tondu » « Mais où est Kiki » par Blutch et Robber.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Côté cinéma, j'ai vraiment aimé « Riders of justice » film danois de Anders Jensen avec Mads Mikkelsen.. Scénario riche et réjouissant par ses surprises, personnages attachants, bref, un régal.
Côté musique, la découverte de Gary Clark Jr, super guitariste et chanteur de blues...
Gunthrie, crayonné © Soleil / Carrere / Casenove
Y-a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

Gunthrie, recherche © Soleil / Carrere
un personnage de BD : Fritz the Cat
un héros de polar : Sam Spade
un personnage de roman : Tom Swayer
une chanson : Love In Vain
un instrument de musique : la guitare
un jeu de société : le Cluedo
une découverte scientifique : un vaccin
une recette culinaire : un steak-frites-salade
une pâtisserie : un flan
une ville : New-York
une qualité : la gentillesse
un défaut : l'impatience
un monument : aucun
une boisson : un grand cru de bourgogne
un proverbe : « Wait and see »


Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Gunthrie, encrage, Work in Progress © Soleil / Carrere / Casenove
Le Korrigan