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Entretien avec Roger Seiter
Interview accordé aux SdI en mars 2023


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Après avoir signé plusieurs aventures de Lefranc, le bruit court que vous allez redonner vie à Alix, un autre personnage emblématique de Jacques Martin… Quel effet cela fait-il pour un lecteur assidu de ces deux séries de présider au destin de ces deux héros ?

Bonjour. J’ai effectivement repris le personnage de Lefranc en 2013 avec l’album Cuba Libre. Régric est d’ailleurs en train de dessiner notre sixième Lefranc commun et je viens de terminer le scénario du prochain il y a quelques jours à peine.

Et ce sont effectivement des séries que je lisais enfant. Ma collaboration avec les séries Martin remonte à une dizaine d’années. Entre 2020 et 2021, à l’occasion des différents confinements, les auteurs de BD ont eu beaucoup de temps pour discuter entre eux (il fallait bien s’occuper). J’ai ainsi échangé avec Marc Jailloux que je connaissais un peu pour l’avoir croisé à Angoulême et qui avait déjà dessiné quatre albums d’Alix. J’ai parlé avec lui de la série phare de Jacques Martin et au fil des échanges, nous avons réalisé que nous avions beaucoup d’idées communes.
J’ai finalement décidé, sans même en parler à Casterman, d’écrire un scénario d’Alix en tenant compte des envies graphiques de Marc. Une fois ce scénario terminé, je l’ai envoyé à Casterman pour avis. Ils ne m’avaient rien demandé et je ne pouvais donc rien exiger. Au pire, cela ne leur plaisait pas et on laissait tomber. Mais à ma grande surprise, ils m’ont donné le feu vert et j’ai donc terminé l’écriture de l’album. Il s’agit du « Bouclier d’Achille » que Marc a pratiquement terminé et qui devrait sortir en octobre 2023. Entre temps, j’ai écrit et finalisé un deuxième scénario d’Alix que Marc devrait commencer à dessiner dans quelques mois (Le titre sera Le Royaume Inerdit).
Je suis donc actuellement sur le plan scénaristique en charge des deux principales séries de Jacques Martin. Mais je ne suis pas seul puisqu’il y a à chaque fois deux équipes sur chaque série. Pour Alix, il y a Valérie Mangin et Chrys Millien en plus de Marc Jailloux et de moi (ils viennent de publier La Reine des Amazones). Et Christophe Alvès termine actuellement un Lefranc scénarisé par le regretté François Corteggiani. Ce sont des séries que je lisais enfant (Lefranc a eu 70 ans en 2022 et Alix a 75 ans en 2023) et c’est effectivement très motivant de reprendre ces personnages. Je connaissais personnellement Jacques Martin qui comme moi est né à Strasbourg et que j’ai rencontré en 2000 au festival de Sierre. Une coïncidence qui l’avait beaucoup amusé la première fois que nous l’avons évoqué, surtout que nous avions également à cette époque les mêmes éditeurs, à savoir Casterman et la Nuée Bleue. Maintenant que Jacques Martin n’est plus là, j’espère simplement être à la hauteur de ces reprises. Mais ça, c’est aux lecteurs d’en décider.

Affiche de l'exposition consacrée aux 70 ans de Lefranc © RégricPouvez-vous en quelques mots revenir sur la formidable exposition consacrée à l’œuvre de Martin que vous avez initiée à l’occasion de son centième anniversaire et des soixante-dix ans de Guy Lefranc ?
2022 était l’année des 70 ans de Lefranc et j’avais un album de prévu pour le mois de mai 2022 (Le Scandale Arès). En novembre 2021, Casterman m’a commandé un récit de 8 pages pour illustrer l’album des voitures de Lefranc (Le Rallye de la Route des Vins). Et nous avions prévu aux éditions Caurette la publication d’une version luxe de Cuba Libre au printemps 2022. Dans Le Rallye de la Route des Vins Lefranc pilote une Bugatti Atalante. J’ai donc contacté Jean Engel, l’adjoint à la culture de Molsheim, pour lui proposer une petite exposition. Ce que je ne savais pas à ce moment là, c’est que la ville de Molsheim était à la recherche d’idées pour fêter les 75 ans de la mort d’Ettore Bugatti et que Casterman cherchait de son côté un lieu pour fêter les 70 de Lefranc. En sachant que Jacques Martin a vécu dans sa jeunesse à Obernai, faire une expo Martin à Molsheim semblait donc une bonne idée.
Finalement, Jimmy Van de Hautte, le responsable des séries Martin chez Casterman, est venu à Molsheim en janvier 2022 pour rencontrer les représentants de la municipalité et ce qui devait être au départ une petite exposition locale est devenue une des plus grandes expos Martin jamais organisée. Je suis très content et très fier d’avoir pu monter cet hommage à Jacques Martin en Alsace. C’est une région qui lui tenait particulièrement à cœur et je pense qu’il aurait apprécié l’exposition de Molsheim qui a tout de même duré cinq mois et qui a été vue par des milliers de visiteurs.

Anchorage, recherche de personnage : Amber © Pascal RegnauldLe petit monde de la bande-dessinée semble en passe de connaître de grands bouleversements. En tant qu’auteur installé et renommé ayant une grande connaissance du milieu du neuvième art, comment percevez-vous les profonds changements qui semblent s’opérer ?
C’est une question compliquée. La bande dessinée a beaucoup évoluée et s’est beaucoup développée depuis le début des années 2000. La surproduction, l’arrivée massive des mangas, l’arrivée sur le marché de nombreux nouveaux auteurs ont fragilisé un secteur de l’édition qui pourtant ne se porte pas si mal en termes de chiffre d’affaire. L’augmentation de la production et de l’offre ont eu pour effet immédiat la chute des ventes moyennes par album. Quand j’ai commencé à publier (en 1989) un album se vendait en moyenne à 10 000 exemplaires (moins, c’était clairement un échec).

Faire une bande dessinée est un travail de création assez long. Il faut en gros un an pour produire un album de 54 planches. Et souvent, il y a plusieurs auteurs professionnels sur le projet (un scénariste, un dessinateur et parfois un coloriste). S’il veut avancer sur son album, le dessinateur doit s’y consacrer à plein temps et il ne faut pas oublier que les auteurs sont rémunérés en droits. Autrement dit, il faut vendre un certain nombre d’albums pour pouvoir vivre de la bande dessinée. Dans les années 90 la profession a donc mis en place un système d’avances sur droits assez généreux. Pour la réalisation d’un album les auteurs touchaient l’équivalent de 30 000 euros en avances non remboursables (on avait souvent un forfait de 500 euros par planche). Comme les auteurs étaient encore peu nombreux et les ventes importantes, le système fonctionnait (les ventes à 50 000 voire 300 000 exemplaires n’étaient pas rares). Mais aujourd’hui, avec 6000 nouveautés par an et des ventes moyennes entre 1000 et 2000 exemplaires, le système n’arrive plus à s’équilibrer. Il faut donc produire plus vite et à moindres frais. Depuis une dizaine d’années, le format album de 46, 54 ou 62 pages avec une couverture cartonnée a progressivement été remplacé par des romans graphiques plus petits avec des couvertures souples (et souvent une plus grosse pagination). Et les nouveaux contrats proposent aux auteurs des avances forfaitaires de 5000 ou 6000 euros. Avec des droits entre 8 et 12 % et des ventes moyennes autour de mille exemplaires, les dessinateurs ont de plus en plus de mal à être professionnels à plein temps. Ils sont souvent obligés de prendre un boulot alimentaire en plus du dessin et travaillent plus vite. Le dessin et les couleurs sont donc forcément moins élaborés. En gros, la production de BD s’aligne aujourd’hui sur le modèle qui existe depuis longtemps pour la littérature et le roman où beaucoup d’auteurs écrivent sur leur temps de loisir et touchent une avance de quelques centaines d’euros au mieux.

Anchorage, recherche de personnage : Amber © Pascal RegnauldIl reste quelques exceptions. Les grosses séries se vendent toujours très bien. Pour un Alix ou un Lefranc on va assez rapidement arriver à 50000 exemplaires et de nombreuses traductions en langues étrangères. Un Blake et Mortimer ou un Lucky Luke se vendent à des centaines de milliers d’exemplaires.

Mais globalement, la bande dessinée évolue. Cela n’est pas gênant. C’est même normal et sans doute souhaitable. On voit aujourd’hui en plus des récits de fiction beaucoup de romans graphiques qui abordent des sujets de société. Pourquoi pas. Ce qui est plus gênant, c’est qu’on assiste depuis maintenant quelques années à une sorte de querelle entre les anciens/classiques (les récits franco-belges de fiction ou de genre comme les westerns, les polars ou les récits historiques) et les modernes avec les romans graphiques abordant des sujets de société. Et ces derniers sont très largement soutenus par les médias, alors que la bande dessinée de fiction est de plus en plus ringardisée par certains critiques (aucun album primé à Angoulême cette année).

C’est bien dommage et quand on discute de ce problème avec les libraires, ils expliquent assez facilement que les plus gros de leurs ventes restent les albums de fiction. Il faudrait sans doute apaiser tout cela car à mon avis, il y a de la place pour tous les genres : mangas, albums de fictions classiques ou romans graphiques militants.

Comment est né Anchorage, le nouveau polar que vous signez avec l’incroyable Pascal Regnauld et qui s’inscrit dans la veine graphique de Trou de Mémoire ?
Après Trou de Mémoire, Pascal et moi nous avons publié un autre polar qui a été publié par Glénat. Il s’agit de Balles Tragiques pour une Série Z , un polar qui se passe à Los Angeles dans les années 50 sur le tournage de la série Zorro. J’aime beaucoup travailler avec Pascal Regnauld qui en plus d’être un formidable dessinateur est un garçon absolument adorable. Le projet d’Anchorage s’est monté après une discussion avec Pascal. Il avait envie de dessiner un polar avec des décors enneigés, des bikers et des motos. Je tiens toujours compte des envies graphiques de mes dessinateurs. J’ai donc inventé une histoire comprenant ces différents éléments et ça a donné Anchorage.
Anchorage, recherche de personnages : biker © Pascal Regnauld
L’écriture de ce récit policier se déroulant dans l’univers des bikers a-t-il nécessité de longues recherches documentaires ? Quelles furent vos principales sources d’inspirations ?
Dans la mesure où ni moi ni Pascal nous ne sommes des bikers, cela a effectivement demandé quelques recherches. Comme d’habitude, mes sources d’inspiration sont littéraires ou cinématographiques. J’ai donc beaucoup lu sur l’univers des bikers et j’ai visionné l’ensemble des saisons de l’excellente série Sons of Anarchy avec Charlie Hunnam. Mais les recherches ont également porté sur l’Alaska, la ville de Vancouver ou les Premières Nations du Canada. Des bikers dans la neige, c’est une idée assez originale car les Harley Davidson ne sont pas vraiment conçues pour cet exercice. L’histoire est assez réaliste et le fonctionnement très particulier des gangs de motards d’Amérique du Nord très documenté. Il en résulte un récit assez dur et peut-être moins décalé que Balles Tragiques pour une série Z.
Anchorage, recherche de personnage : biker © Pascal Regnauld
La musique joue un rôle important dans l’excellente série Sons of Anarchy. Dans quelle ambiance écrivez-vous généralement ? Silence monacal ? Musique de circonstance ? Quelle B.O. conseilleriez-vous pour accompagner la lecture d’Anchorage ?
En fait, j’écris en silence. La musique me gêne dans ma concentration. Mais pour la lecture de l’album, un groupe américain des années 70 me semble tout indiqué pour l’ambiance. Peut-être Chicago, Santana ou ZZ Top. Et pour les scènes d’action on pourrait même pousser jusqu’à Kiss. Mais est-ce que les lecteurs de 2023 écoutent encore ce genre de chose ?

Anchorage, recherche de personnage : l enotaire © Pascal RegnauldPeux-tu, en quelques mots, nous faire le pitch de l’album ?
Le voilà :
Etre milliardaire n’a jamais préservé quiconque de la maladie. C’est le dur constat fait par Zachary Brooks alors qu’il est en train de mourir d’un cancer dans sa luxueuse villa d’Anchorage. Il sait qu’il lui reste à peine quelques mois à vivre et qu’il est grand temps de mettre de l’ordre dans sa vie. Une tâche qu’il a confiée à Carter Evans, son notaire et ami. Car deux choses préoccupent Zachary. Eviter que sa femme Lauren mette la main sur sa fortune et retrouver sa fille, qui s’est tirée de la maison quelques années plus tôt en coupant brutalement tous les ponts avec son père. Et comme Zachary n’a aucune idée de l’endroit où se trouve Amber, il a chargé Maître Evans de recruter un privé pour la retrouver avant qu’il ne passe l’arme à gauche.

Le privé en question s’appelle Tony Rivera. Un ancien marine d’abord devenu flic avant de se faire virer de la police et de se mettre à son compte. Tony finit par localiser la fille de Zachary à Vancouver. Le problème, c’est qu’elle vit avec une bande de bikers et qu’elle n’a pas du tout envie de retourner chez son père. Tony décide donc de l’enlever, buttant quelques Outlaws au passage. Et c’est donc avec une bande de bikers fous furieux et bien décidés à lui faire la peau qu’il remonte la route 97 vers le nord en plein hiver.

Anchorage, un biker © Pascal RegnauldEt Tony réalise bientôt que la neige et les bikers ne sont pas ses seuls problèmes. Visiblement, la belle Lauren n’a pas du tout envie de voir revenir sa belle-fille à la maison. Du coup, elle a elle aussi engagé des hommes de main dont la mission est de faire disparaître Amber entre Vancouver et Anchorage.

Au final, le boulot de Tony Rivera consiste à éviter de se faire buter par des bikers fous tout en empêchant la jolie Amber de mettre les voiles et de la préserver des balles des tueurs envoyés par la belle-mère de la donzelle. Il se dit un peu tard et en poussant un soupir qu’il a accompli des missions moins suicidaires au Vietnam …

La nouvelle édition de Trou de Mémoire nous avait permis de lire votre séquencier, document auquel les lecteurs ont rarement accès. Pouvez-vous nous expliquer votre façon de construire le scénario d’une BD, de l’idée au découpage final en passant par ce fameux et fascinant séquencier ?
Depuis 1989, j’ai publié 110 ou 120 albums. Il n’est pas rare que je travaille sur cinq ou six projets en même temps et il se passe souvent du temps entre l’écriture du scénario et le découpage et l’écriture des dialogues (parfois plusieurs mois). J’ai donc progressivement mis au point une méthode de travail qui me facilite le plus possible la tâche.

C’est au moment de l’écriture du scénario que je fais l’essentiel des recherches. Je me documente sur tout. Les lieux, les objets, les armes. Tout doit être le plus juste possible. Mon scénario est également un séquencier. Il détaille avec précision toutes les articulations du récit et donne des renseignements sur les personnages. Il est écrit comme une nouvelle, mais sans dialogues (ils seront mis en place au moment du découpage). En le rédigeant, je garde à l’esprit que c’est le document qui va convaincre le dessinateur de se lancer dans l’aventure et qui va donner à l’éditeur l’envie d’investir dans le projet. C’est donc un document très important auquel j’apporte beaucoup de soins. Tous les scénaristes ne travaillent pas comme ça. Ce que je sais, c’est que c’est une méthode de travail qui me convient bien et qui convient aux dessinateurs et aux éditeurs. C’est un peu ma marque de fabrique …
Anchorage, recherche de personnage : le détective Tony Rivera © Pascal Regnauld
Avec Anchorage, Pascal Regnauld semble avoir subtilement modifié son approche de la couleur. Comment s’est articulé votre travail à quatre mains sur cet album ?
Oui, Pascal voulait quelque chose de plus coloré. Pour Trou de Mémoire et Balles tragiques pour une sérié Z, nous avions opté pour de la bichromie. Pour Anchorage, il nous a paru intéressant de proposer une autre approche graphique aux lecteurs. Pascal a fait des essais qui se sont immédiatement avérés concluants. Mais de manière générale, même si bien sûr je donne mon avis, je n’interviens pas énormément dans la conception graphique des albums. Je fais confiance à mes dessinateurs. A chacun son domaine de compétence.
du crayonné à la planche
Anchorage, recherche pour un case © Editions des 4 Mondes / Pascal Regnauld / Roger Seiter Anchorage, crayonné de la première planche de l'album © Pascal Regnauld / Roger Seiter Anchorage, crayonné de la première planche de l'album © Editions des 4 Mondes / Pascal Regnauld / Roger Seiter

Après des dizaines d’albums publiés, quelles émotions vous assaillent lorsque vous découvrez votre histoire prendre vie sous le stylet de Pascal ?
Cela fait déjà quelques temps que je ne compte plus, mais effectivement trente trois ans de carrière en tant que scénariste, cela représente pas mal d’albums (plus d’une centaine maintenant sans compter les adaptations …). Mais voir l’histoire qu’on a écrite prendre vie a toujours un côté émouvant. Actuellement, je travaille sur neuf albums différents. Certains sont pratiquement terminés et pour d’autres, je vois arriver les premières planches. Dans une journée il arrive que trois ou quatre dessinateurs différents m’envoient des planches. C’est à chaque fois un moment fort, plein d’émotion. Un vrai privilège …

Anchorage, recherche de personnage : des natifs © Pascal RegnauldParmi la galerie de personnage que vous avez imaginé pour cette nouvelle histoire, lequel avez-vous pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
J’aime bien Anoki, Isha et Paco, les trois cousins indiens de Kaya. Ils sont authentiques et ont une manière très personnelle de résoudre les problèmes. Très efficace. D’ailleurs pour eux, les problèmes, ça n’existe pas. En tout cas, eux n’en ont pas. Ce qui n’est pas toujours le cas des malheureux qui croisent leur chemin …

Le personnage d’Amber/Kaya est également un personnage intéressant. Assez complexe et imprévisible. Une fille qui peut se montrer très dure et même dangereuse, mais qui est également une victime. J’aime bien ce genre de personnage.

Lorsque vous écrivez une histoire, visualisez-vous l’apparence des « acteurs » qui endosseront tel ou tel rôle ?
Pas du tout. Je ne visualise rien. Ni les personnages, ni les décors. Je ne me représente pas le contenu des cases. J’écris une histoire et je me concentre sur la cohérence du récit et sur l’efficacité de la narration. Tous les scénaristes ne travaillent pas comme ça. Certains font même des roughs des planches. Pour en avoir souvent discuté avec les dessinateurs (j’ai à ce jour travaillé avec une cinquantaine de dessinateurs différents) je sais qu’en réalité, ces derniers n’aiment pas ça. Si le scénariste se mêle trop de la mise en page et du dessin, il bride d’une certaine manière la créativité du dessinateur ce qui est dommage. Le boulot du scénariste, ce sont les recherches documentaires, la construction et la cohérence du récit, la narration (donc la mise ne place de la structure des planches) et enfin l’efficacité des dialogues. C’est déjà pas mal …

Anchorage, recherche de personnages : biker © Pascal RegnauldJe ne sais plus quel cinéaste poussait le réalisme jusqu’à mettre dans les poches des costumes des acteurs qu’il dirigeait des objets qui resteraient invisibles à l’écran afin qu’ils investissent pleinement leur rôle… Jusqu’où poussez-vous le travail lors de la création d’un personnage ? Ce qu’on voit dans les planches n’est-il que la partie émergée de l’iceberg ?
Sans aller jusque là, je me documente beaucoup en amont. Et pour certains récits, il peut être intéressant de savoir de quoi on parle. Par exemple, quand j’ai écrit mon premier western, je me suis acheté deux colts et un Remington. Des copies, mais qui peuvent tirer de vraies balles avec de la poudre noire. J’ai même les balles, la poudre et les amorces. L’idée était d’avoir le poids des armes en main pour comprendre ce qu’impliquait un tir. Grâce à Tiburce Oger, grand spécialiste du western et des armes historiques, j’ai également eu l’occasion de tirer avec un revolver et une winchester. C’est assez impressionnant et très déstabilisant. De la même manière, j’ai acheté une copie très conforme (forgée en Hongrie) d’une épée du XIIIème siècle quand j’ai entrepris de réaliser plusieurs albums sur le moyen-âge. Entre-autre pour ressentir le poids réel d’une telle arme. Mais bon, pour être tout à fait honnête, ça m’amuse aussi d’acheter ce genre d’objets qui sont d’une certaine manière des versions très réalistes de mes jouets d’enfant.
Globalement, toutes les expériences accumulées durant notre vie nous servent dans notre travail. Si Trou de Mémoire commence à San Francisco, c’est parce que j’ai eu l’occasion de séjourner dans cette ville. Récemment, j’ai écrit un Alix qui se passe en Grèce et les souvenirs d’un voyage dans cette région ont déterminé le choix de certains décors (on passe notamment par les ruines de Mycènes). Quand il y a quelques années, j’ai lancé la série HMS chez Casterman, j’ai fait avec Johannes Roussel la tournée des musées de la marine et nous avons même négocié avec la marine britannique une visite privée du HMS Victory pour bien comprendre à quoi ressemblait un authentique navire de ligne du XVIIIème siècle (même s’il est en calle sèche à Portsmouth, le navire de Nelson est toujours considéré comme une unité active de la marine britannique). Donc, d’une certaine manière, le scénariste se met bien dans la peau de ses personnages.
des esquisses à la couverture
Anchorage, recherche de couverture © Editions des 4 Mondes / Pascal Regnauld / Roger SeiterAnchorage, recherche de couverture © Editions des 4 Mondes / Pascal Regnauld / Roger SeiterAnchorage, recherche de couverture © Editions des 4 Mondes / Pascal Regnauld / Roger Seiter
Anchorage, recherche de couverture © Editions des 4 Mondes / Pascal Regnauld / Roger SeiterAnchorage, couverture de l'album classique © Editions des 4 Mondes / Pascal Regnauld / Roger Seiter

Pouvez-vous en quelques mots nous parler de vos projets présents et à venir ?
Il y en a beaucoup. Je travaille actuellement sur trois scénarios de Lefranc et trois scénarios d’Alix (avec Régric et Marc Jailloux chez Casterman). Chez Grand Angle, il y a un western de prévu (Flagstaff) et Fred Blier réalise actuellement les planches de la Lionne Sanglante, une histoire de femme pirate au XIVème siècle. Avec Fabrice Le Hénanff, nous venons de terminer Ghost Ship, un western qui va sortir début avril 2023 aux Sculpteurs de Bulles. Et Fabrice vient de commencer le tome 1 de The Lawmen, un autre western chez le même éditeur. Je réfléchis également à une suite du Dossier Thanatos avec Jean-Louis Thouard chez Robinson. Et il y a bien sûr Anchorage aux 4 Mondes … Après, il y a des envies ou des scénarios déjà écrits mais pas encore proposés à des éditeurs. Notamment Vinland, un proto-western qui raconte l’installation d’une colonie viking en Amérique du nord…

Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur ?
Je suis très « culture populaire ». Personnellement, j’ai bien aimé le dernier Astérix. J’ai passé un bon moment avec ce film. Sinon, je regarde beaucoup de séries. Actuellement, je suis sur les cinq saisons de Person of Interest. J’aime bien Michael Emerson, Jim Caviezel et surtout Amy Acker. En BD, j’ai bien aimé Le Serpent et le Coyote de Xavier et Matz (toujours le polar). Mes autres lectures actuelles sont plutôt historiques et documentaires et ont un rapport avec mes scénarios en cours. Et je n’écoute pas trop de musique faute de temps.

Y-a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Certainement des tas, mais l’interview est déjà assez longue. On va donc en garder sous le pied pour la prochaine …

Un grand merci à vous pour le temps que vous nous avez accordé !
Anchorage, recherche de personnages © Pascal Regnauld
Le Korrigan