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Entretien avec Bertrand Galic
Interview accordée aux SdI en novembre 2023


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Bonjour. Et de rien, je le fais avec grand plaisir.

Question liminaire : lors de notre précédent entretien, nous avions opté pour le tu… Puis-je rester sur le mode du tutoiement ?
Bien sûr ! Ce sera beaucoup plus sympa et détendu.

Merci à toi, tu m’enlèves une sacrée hallebarde du pied…
Quoi de neuf depuis 2016 où tu nous avais accordé un premier entretien ?

Houlaaaaaa ! Plein de choses !

Si je m’en tiens strictement à l’aspect professionnel, je dirais qu’il y a eu beaucoup de travail, des collaborations et des parutions qui m’ont apporté énormément de satisfactions. L’année 2016 avait pour moi été très riche, avec la publication d’Un maillot pour l’Algérie (Dupuis/Aire Libre) et de Nuit noire sur Brest (Futuropolis). Depuis sont notamment parus les deux premiers tomes de Violette Morris (Futuropolis), Les Voyages de Gulliver-De Laputa au Japon (Soleil/Noctambule), Fukushima-Chronique d’un accident sans fin (Glénat), La petite fille et le postman (Vents d’Ouest). J’ai également coécrit un conte musical à l’intention du jeune public : Le chat dans un ogre (Didier Jeunesse).

Je travaille en ce moment sur plusieurs nouveaux albums, qui en sont à des stades plus ou moins avancés. L’idée est de maintenir un rythme d’un à deux livres par an, sur des sujets mûrement réfléchis.

La petite fille et le Postman, planche 47, crayonné © Vents d'Ouest / Vidal / Galic / Christina G.Quels sont en ce moment tes livres de chevet ?
Mes livres de chevet sont souvent en lien avec les projets en cours. En ce moment, on y trouve donc des ouvrages concernant l’histoire de la Bretagne, celle du Vietnam, ou encore Marcel Cerdan.

Pour le plaisir, il y a aussi quelques romans. Je viens de lire le dernier Caryl Ferrey, Okavango, pour un sacré safari en Afrique australe !

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier de scénariste ?
Ce qui me remplit de joie et d’admiration, c’est le travail de mes coauteurs. Je trouve qu’il n’y a rien de plus génial, de plus magique, que de découvrir leurs planches, leurs dessins. Ce qui est très chouette aussi, c’est de pouvoir échanger avec les lecteurs après la sortie d’un livre.

Pour ce qui est des difficultés du métier, je dirais sans hésiter que la principale réside dans le fait que l’on est régulièrement amené à douter, à avoir des incertitudes face à sa propre création. Cela peut littéralement bouffer le cerveau, comme on dit. D’où l’importance d’être bien entouré. Et c’est mon cas, heureusement.

La petite fille et le Postman, planche 47, encrage © Vents d'Ouest / Vidal / Galic / Christina G.Comment est née le scénario de la petite fille et le postman et comment es-tu tombé sur cette hallucinante histoire d’enfants envoyés par la poste ?
C’est la découverte d’une photo sur les réseaux sociaux qui a tout déclenché, il y a déjà quelques années. Sur le cliché en question, on voyait un facteur américain, sacoche en cuir portée en bandoulière. Et dans celle-ci, un enfant en bas âge… Fake ? Photomontage ? Tout semblait l’indiquer.

Sauf que… En remontant à la source, en la croisant avec d’autres, en fouillant plus loin, j’ai dû me rendre à l’évidence : à une certaine époque, aux Etats-Unis, on a bel et bien posté des enfants !!

Comment ta route a croisé celle de Roger Vidal avec qui tu avais déjà signé Fukushima - Chronique d'un accident sans fin et qui signe les somptueux dessins de cet album ?
Trouver le dessinateur idéal pour Fukushima a pris un peu de temps, les spécificités de cette histoire (huis-clos en milieu industriel, catastrophe technologique, personnages japonais) rendant la tache particulièrement difficile. Au final, la rencontre avec Roger s’est faite par l’entremise de l’éditeur, qui lui a d’abord proposé le projet, puis de faire des essais. Dans la mesure où ceux-ci se sont avérés très concluants, notre aventure commune pouvait dès lors commencer.

La petite fille et le Postman, planche 47, mise en couleur © Vents d'Ouest / Vidal / Galic / Christina G.Quelle est généralement ta façon de créer tes personnages ? Sont-ils clairement définis en amont de l’écriture de l’histoire ou sont-ils emmenés à évoluer au fil du processus créatif ? Les personnages constituant la base, le socle sur lequel repose toute l’histoire, ils doivent en effet être clairement définis et complètement « construits » au départ. Le scénariste, avant de procéder au découpage précis (case à case) de l’album, connaît la trame générale, le scène à scène, et donc l’évolution de ses personnages. C’est ce qu’il retranscrit au moment de la rédaction du scénario proprement dit.

Malgré cela, il peut arriver que de nouvelles idées surgissent en cours d’écriture et que les plans initiaux se voient modifier. Ce n’est pas arrivé sur La petite fille et le postman.

La petite fille et le postman sont-ils passés par différentes étapes avant de revêtir l’apparence que l’on connaît ?
Si l’on parle de leur apparence physique, je dirais que Roger a relativement peu tatonné et est assez vite parvenu à les fixer. Il faut dire que j’avais moi-même en tête des images précises de ces personnages et certaines de leurs caractéristiques me paraissaient peu négociables. Pour les besoins de l’histoire, Jenny ne pouvait qu’être cette petite fille aux longs cheveux blonds, aux grands yeux clairs… et à fort caractère. Le postman ne pouvait quant à lui être qu’un colosse amérindien, un peu bourru à première vue. Son nom, Enyeto, signifie en effet « Celui qui marche comme un ours », dans la langue des Miwoks...

Comment s’est organisé votre travail à quatre mains sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de votre travail ?
Tout s’est déroulé le plus classiquement du monde, suivant les étapes suivantes : écriture du scénario (livré en 3-4 blocs), storyboard, crayonné, encrage, colorisation. Chacune de ces étapes a donné lieu à des échanges par mails, puis de nécessaires corrections.
La petite fille et le Postman, recherche de personnage : Jenny © Vents d'Ouest / Vidal / Galic / Christina G. La petite fille et le Postman, recherche de personnage : Enyeto © Vents d'Ouest / Vidal / Galic / Christina G.
J’avoue avoir été impressionné par la somptueuse couverture de l’album qui donne d’emblée furieusement envie de s’y plonger… A-t-elle été « facile » à trouver ou de nombreuses versions existe-t-elle ?
Nous nous sommes penchés à plusieurs sur l’idée de couverture, sur le concept qui devait y être mis en avant. Cela s’est fait sans trop de difficultés.

Etant donné l’histoire et le titre, nos deux personnages principaux devaient se retrouver au centre. Logique et classique. Par contre, les attitudes et les regards ne sont pas du tout laissés au hasard. De même, les premier et arrière-plan devaient « raconter », être évocateurs. En l’occurrence, Enyeto et Jenny se retrouvent entre deux mondes, ballottés entre l’Ouest sauvage et une sorte d’enfer urbanisé. La teinte rouge dominante vient tout embraser.

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Il y a d’abord Marcel, un récit écrit pour les éditions Delcourt, dessiné par Jandro Gonzalez (L’Ombre rouge, Le Mystère du col Dyatlov), qui retracera à sa manière le parcours d’un certain Cerdan. Le livre s’inscrira dans la collection « Coup de tête », dirigée par mes compères Kris et Louis-Antoine Dujardin, avec lesquels j’ai autrefois collaboré sur Un maillot pour l’Algérie (Dupuis/Aire Libre), l’album fondateur, qui inspire ladite collection. Marcel devrait paraître à l’automne 2024, 75 ans après la disparition tragique de notre champion du monde dans un crash aérien, sur l’archipel des Açores.

Pour le compte des éditions Glénat et de la collection « Ils ont fait l’histoire », je m’intéresse à un autre personnage haut en couleur, mais féminin celui-là : Anne de Bretagne, duchesse d’une terre qui m’est chère et deux fois reine de France. Le dessinateur est en plus un voisin : Gwendal Lemercier. Parmi toutes ses parutions, Gwendal a notamment dessiné un Charlemagne dans la même collection.

Par ailleurs, même si je ne peux en dire trop pour le moment, je vais de nouveau collaborer (dans un futur proche) avec deux dessinateurs que j’apprécie grandement : Roger Vidal et Paul Echegoyen.
La petite fille et le Postman, sketch : Jenny © Vents d'Ouest / Vidal / Galic / Christina G. La petite fille et le Postman, sketch : Enyeto © Vents d'Ouest / Vidal / Galic / Christina G.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Je revois ces temps-ci les différentes saisons de Black Mirror et me dis que c’est quand même très très fort, en particulier du point de vue scénaristique.

Pour citer un album de bande dessinée (sinon tu vas être déçu, je le sais bien), je dirais Voleur de feu de Damien Cuvillier, dont le dessin est somptueux. (ndlr : oh que oui !)

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Bonne question. Je vais y réfléchir.
La petite fille et le Postman, work in progress © Vents d'Ouest / Vidal / Galic / Christina G.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

un personnage de BD : Corto Maltese (le mec qui se la pète...)
un personnage mythologique: Ulysse, pour le voyage.
un personnage de roman : Edmond Dantès
une chanson : Comic Strip
un instrument de musique : La clarinette
un jeu de société : Dixit
une découverte scientifique : La vaccination
une recette culinaire : Le bœuf bourguignon
une pâtisserie : Un Paris-Brest
une ville : Brest !
une qualité : La modestie (mais j’en ai plein d’autres)
un défaut : Franchement, je ne vois pas
un monument : L’Obélix (huhu)
une boisson : La cervoise
un proverbe : « Au début elle est froide, mais après ça va ! » (proverbe breton) (ndlr : smiley)

Un dernier mot pour la postérité ?
Bon courage. C’est pas gagné.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Tout le plaisir fut pour moi. Bonnes lectures et à bientôt !
Le Korrigan