Bonjour à tous et merci de te reprêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : lors de la première interview, nous avions opté pour le tutoiement… une objection pour qu’on poursuive sur ce mode ?
Salut, chez moi, le tutoiement est par défaut, donc avec plaisir.
Ouf, voilà qui m’enlève une dague d’orichalque du pied…
Quoi de neuf depuis 2020 ?
Je relisais notre échange pour me mettre en jambe, et mazette, c’est une petite capsule temporelle en son genre. J’y faisais la promotion de
Tiger King comme si c’était une pépite trop injustement méconnue alors que c’est rapidement devenu un phénomène planétaire. À l’inverse, j’étais dithyrambique sur
Terrace House en le décrivant comme la production télévisuelle japonaise la plus saine du monde... alors que juste après notre entrevue, l’émission a été annulée à la suite du suicide d’une participante qui a été victime d’une odieuse campagne de harcèlement en ligne.
Lors de notre précédent entretien, tu nous avais confié que Nephilim restait ton jeu de rôle préféré… Comment es-tu tombé dans l’athanor de ce jeu de l’occulte contemporain ?
Oh, comme bien des gens de ma génération, c’était le magazine Casus Belli qui est était le prescripteur de mes goûts ludiques. J’ai lu la critique et ai été intrigué par la proposition. Dans mon club de JdR, il y avait une règle tacite : quand un MJ possédait un jeu, les autres n’avaient pas le droit de toucher à cette gamme. J’étais donc à la recherche de MON jeu, celui qui deviendrait mon pré carré et qui définirait en quelque sorte mon image dans le groupe. J'ignorais que ça allait si durablement me coller à la peau.
Quel reste tes meilleurs et pires souvenirs d’une partie de Nephilim…
Avant de quitter la petite sous-préfecture où se situait ce fameux club de JdR pour rejoindre l’université la plus proche, j’ai maîtrisé la campagne Selenim de Tristan Lhomme. À bien des égards, ce fut une expérience initiatique car c’était un projet ambitieux, je l’ai vécu comme un examen final de mon apprentissage rôliste.
Le pire, c’était à 16 ans devoir gérer des joueurs immatures à qui je parlais d'œuvre alchimique, de kabbale, de mystères ésotériques, mais qui voulaient jouer des Nephilim de feu parce qu’ils ont un bonus en Force. Je me souviens d’un joueur m’expliquant par A+B qu’il était tout à fait logique que son simulacre soit un ninja japonais en vacances en France. Évidemment, j’étais aussi immature qu’eux, hein.
Au fil des nombreux suppléments, l’univers s’est densifié et considérablement enrichi… Quel est pour toi le meilleur supplément publié à ce jour et quelle version du jeu pratiques-tu usuellement ?
Le Souffle du Dragon reste mon supplément favori car la matière de Bretagne est extraordinaire et très bien mise en valeur. Je l’ai refaite jouer pendant la pandémie à ma table montréalaise, est la magie a opéré. C’est une campagne idéale pour initier de nouveaux joueurs car elle permet d’introduire plusieurs concepts centraux de Nephilim. Nous l’avons jouée avec la 5e édition, qui est à mes yeux la version la plus aboutie de la gamme.
(ndlr : dans mes bras ! Le Souffle du Dragon est pour moi encore aujourd’hui une référence en matière de campagne, tout Jeu de Rôle confondu… Que de souvenirs liés à chacun de ces scénarios !)
Comment est née l’envie d’écrire le Legs de Saint-Aymond qui s’annonce être une formidable porte d’entrée à ce jeu fascinant dont la richesse peut faire peur aux néophytes ?
Ça fait plus de 30 ans que j’aime Nephilim d’amour mais que je peine à le vendre à mes tables de jeu. Il y a tant de Concepts Avec Des Majuscules et de principes à digérer pour commencer à jouer. La création de perso est une épreuve en soi. Cela fait donc longtemps que je rêve d’une version d’initiation pour y aller à petits pas. Et comme souvent en JdR, quand tu constates un manque, tu peux soit t’en plaindre soit proposer une solution.
À l’occasion du premier confinement, je me suis retrouvé avec beaucoup de temps de clavier disponible. J’avais envie d’un projet lumineux pour lutter contre la psychose collective ambiante, alors je me suis à nouveau tourné vers ma madeleine de Proust. Et pour enfoncer le clou, j’ai décidé d’y raconter une histoire se déroulant pendant les vacances d’été à la campagne car je savais que ça ferait remonter à la surface des souvenirs agréables.
Est-ce une campagne que tu as menée ou a-t-elle été créée de toute pièce pour être éditée ?
J’ai un défaut de MJ : je n’aime pas faire jouer mes créations à ma table de jeu. Je trouve que je prends déjà bien assez de place en maîtrisant à chaque séance, alors je trouverais ça bien trop nombriliste d’en plus leur faire jouer les scénarios ou les jeux que j’écris. Je développe donc mes univers ou campagnes pour les autres. Et pas de panique, le Legs a été playtesté par deux tables différentes, juste pas par moi.
De quoi t’es-tu inspiré pour créer le village de Saint-Aymond qui va servir de cadre à cette prometteuse campagne ?
J’ai listé sur une feuille toutes les briques élémentaires de Nephilim que je voulais aborder progressivement. Et en guise de cadre de jeu, je me suis inspiré de mes souvenirs de vacances chez mon arrière-grand-mère dans un petit hameau appelé Crapéou, dans le Bugey, au cœur de l’Ain. J’ai aussi utilisé des souvenirs de mon épouse, qui a grandi dans un village savoyard voisin. J’ai rendu ça plus universel en créant St-Aymond histoire que le village puisse être facilement déplacé dans une autre région de France. Et à mesure que je me remémorais mes tribulations de vacances, je trouvais un moyen d’y raccorder un principe de Nephilim. Les PNJ et les activités proposées dans la campagne sont donc tous inspirés de vraies personnes et de choses que j’ai vécu.
Peux-tu nous présenter l’histoire dans les grandes lignes ?
En très gros, les vacances viennent de débuter. Un adolescent parisien et sa jeune sœur ont une mauvaise surprise : leur mère a décidé de partir s’installer dans la maison de son père (récemment décédé), qui est sise à St-Aymond. Sur place, il y a déjà un adulte et son fils, la situation est étrange. Les adultes ont l’air de cacher quelque chose. On ajoute à ça deux enfants du village, et on obtient le groupe de 5 PJ. En s’installant dans la masure du grand-père, ils vont découvrir la première piste d’une chasse au trésor qui devrait les occuper tout l’été et révéler progressivement le passé du village, qui n’est pas aussi tranquille qu’il y paraît. Et en plus, une bande rivale (les NAZE) va tenter de leur mettre des bâtons dans les roues.
Cinq Personnages joueurs… Jouer à moins nécessiterait-il un gros travail d’adaptation ?
On peut sans problème jouer à moins que cinq en transformant les autres personnages en PNJ, par exemple. Par contre, l'intrigue centrale est familiale, donc il y a un trio de base qui est quand même assez essentiel au drama qui traverse cette histoire. Ça ne demande aucune adaptation technique car il n'y a pas de confrontation musclée contre des adversaires, Donc pas besoin de réduire les points de vie des monstres de 20 % par PJ manquant : il n'y a de toutes façons pas de points de vie dans ce système de jeu.
Sans doute est-ce dû à mon grand âge mais en lisant le pitch, on songe au Club des Cinq d’Enid Blyton… Est-ce une référence revendiquée ?
Oh oui, c'est clairement une source d'inspiration. J'ai été biberonné au
Club des Cinq et au
Clan des Sept de la Bibliothèque Verte, ça a énormément nourri mon imaginaire. Par contre, je n'ai pas repris les tropes racistes et sexistes d'Enid Blyton.
En voilà une bonne idée…
Pour quel public as-tu écrit cette campagne ?
Je n’ai pas visé un public en particulier en l’écrivant, mais c’est vrai que le parfum de nostalgie qui se dégage de la boîte parlera sans doute plus à des joueurs qui ont connu les années 90. Mon but était d’initier à Nephilim, donc j’ai surtout travaillé la présentation du background de base du jeu. Et j’ai essayé de rendre le village le plus vivant possible en le peuplant de personnages attachants et d’intrigues variées. Car comme les PJ ne sont pas des Nephilim, les scénarios abordent des problématiques prosaïques, en apparence. Mais rapidement, ils vont comprendre qu’il se trame des choses pas très catholiques.
Vois-tu cette histoire comme un scénario s’adressant plus à des débutant ou à des joueurs confirmés désireux de découvrir par petites touches le fascinant univers de Nephilim ?
Je l'ai initialement écrit en m'adressant à ce que j'imaginais des rôlistes établis qui ont souvent tourné autour de Nephilim sans arriver à déterminer par quelle face entamer l'escalade de ce pic. Mais au final, la campagne tournerait aussi bien sinon mieux avec des joueurs néophytes qui pourraient s'amuser sans jamais jouer à la version classique de Nephilim par la suite.
Après avoir initié de nouveaux joueurs à Nephilim avec cette campagne, avec quel scénario ou campagne embraillerais-tu ?
Les Héritiers de Babel ont publié un kit de démarrage gratuit qui s’intitule Nephilim Quintessence qui permet de découvrir la 5e édition en y allant mollo. Il se trouve que j'ai écrit le scénario de ce kit. L'action se passe à Chambéry, où j'ai fait mes études. Ça permet de passer en revue les éléments plus avancés du background.
Si les joueurs sont toujours d'attaque après ça, le livre de base de la 5e édition est la porte d'entrée pour goûter à la gamme officielle. La marche pour y accéder est un peu plus haute qu'avec le Legs ou Quintesssence, mais le jeu vous tend les bras. Avec Guylène Le Mignot, nous avons co-écrit une petite campagne intitulée Le Réveil des éléments qui permet de visiter plusieurs lieux iconiques de la région Rhône-Alpes, le tout avec une intrigue mémorielle. C'est une mini-campagne qui aborde des thèmes simples de Nephilim, c'est la suite logique du parcours.
Comment as-tu travaillé avec Titouan Beaulin et Maxime Plasse qui signent respectivement les illustrations et les cartes de la campagne ?
C’est bien simple : je n’ai jamais communiqué avec eux. En fait, c’est Jérôme Barthas, l’excellent chef de projet du Legs, qui a donné les instructions. J’ai bien évidemment validé les illustrations et la carte, mais sans leur parler directement.
J’avoue que ton Wastburg m’avait particulièrement impressionné tant par l’univers bougrement original que par ses règles épurées que je trouvais bigrement ingénieuse et tout juste parfaite pour l’univers. Peux-tu nous parler dans les grandes lignes des règles qui régiront la campagne ? Quelles furent tes idées directrices lors de leur écriture ?
Quand j'ai décidé de raconter une histoire avec des adolescents pendant les grandes vacances, j'ai tout de suite pensé à un jeu que m'avait fait lire Côme Martin, son auteur : Deux étés. Le jeu met en scène une histoire avec un groupe de jeunes, mais sur deux temporalités, comme dans Ça de Stephen King. J'ai donc relu le jeu de Côme, et son système de jeu très épuré m'est apparu comme une solution évidente.
C'est une mécanique sans dé, chaque personnage est défini par quatre traits. Le MJ annonce une difficulté, si les joueurs arrivent à mobiliser assez de traits ou d'avantages (un PNJ qui les aide, un outil, une info pertinente...) pour égaliser ou dépasser ce score, alors ils réussissent. S'il leur manque un petit coup de pouce, il y a une monnaie narrative dans le jeu qui s'obtient en passant du temps sur des projets personnels. C'est vraiment rudimentaire mais solide. Comme il n'y a pas de combat (au pire, il y aura une bagarre) et que les personnages n'ont pas accès à la magie, on s'évite un paquet d'explications et de règles complexes pour rien.
Comment s’est déroulé le processus créatif sur Saint-Aymond ? As-tu commencé par écrire les PNJ ou le décor qui servira de cadre à leurs aventures ?
J'ai d'abord pensé au village archétypal en premier en repensant aux hameaux dans lesquels on allait autrefois quand il fallait accompagner mon arrière-grand-mère à la messe dans le village d'à-côté.
Une fois ce cadre à peu près fixé, je l'ai peuplé de PNJ en me basant sur des indidivus que j'ai croisés dans mon enfance. Des fois j'ai changé le genre ou un détail de la personne, mais pour la plupart ce sont de véritables personnes. Une cousine, un vacancier, un notable... J'ai dû m'arrêter à un moment car il est facile de se laisser emporter dans ce genre de création. Je me concentré sur les PNJ que les PJ avaient le plus de chance de croiser au cours de leurs aventures.
Quel conseil donnerais-tu à un meneur désireux de faire jouer cette campagne ? D’ailleurs, est-il nécessaire ou conseillé pour lui de connaître les grandes lignes de l’univers de Nephilim pour mener les parties ou la campagne se suffit-t-elle à elle-même ?
Le but est que la boite soit autosuffisante, il n'y a absolument aucune connaissance mininum à avoir de Nephilim. J'ai parsemé le texte d'encadrés qui expliquent certains concepts-clés quand ils apparaissent dans l'intrigue. La campagne ne vous transformera pas en expert de la chose nephilimienne, mais à son issue, vous connaîtrez les bases.
Mais si vous ne dites rien aux joueurs, il se pourrait très bien qu'ils ne sachent jamais qu'ils jouent dans l'univers de Nephilim, pour eux ça sera juste une histoire où des vacances d'été se sont transformées en une étrange découverte d'une réalité magique assoupie. Je pense même que le mieux est de ne rien dire aux joueurs, comme ça ils n'auront aucune attente qui viendra biaiser leur expérience. Parce que si tu me dis 'Ce soir, on joue à Alien', je vais chercher des motifs scénaristiques liés à la saga, donc je vais me méfier de l'androïde, je vais déjà me faire un film dans ma tête dès qu'un PNJ va manquer à l'appel et je vais savoir qu'il ne faut surtout pas faire confiance à Weyland-Yutani. Je ne vais pas profiter de la balade, je vais avoir les yeux rivés sur les conduites d'aération. Alors que si tu me dis 'Ce soir, on joue les membres d'un équipage d'un vaisseau spatial', je ne sais pas si tu vas partir sur du Alien, du Event Horizon ou du The Thing. En fait, je ne sais même pas s'il y aura du surnaturel, donc je vais plus facilement me laisser entraîner par le scénario.
La campagne est-elle déjà entièrement écrite ? Quand les contributions seront-elles livrées ?
Oui, tous les textes sont bouclés depuis des mois, ce n’est pas un projet qui prendra du retard pour des raisons créatives. Le plan est de livrer les PDF début 2025 et la version papier mi-2025. Notre but étant bien entendu que certaines tables jouent cette histoire durant l’été.
Peux-tu nous parler de tes projets présents et à venir ?
Niveau JdR, je suis sur un gros projet qui ne m’appartient pas de dévoiler. Mes romans sont également en cours de réédition au Québec, je suis très content de pouvoir les proposer aux lecteurs québécois car il était très compliqué et très dispendieux de se les procurer ici. Et si tout va bien,
Wastburg devrait connaître une double actualité en 2025, et ça ne sera ni du JdR, ni du roman. Mais je n’en dis pas plus, sinon je connais des responsables du marketing qui vont m’étrangler.
Ni du JdR ni du roman… damned, mais ça donne foutrement envie… Une série TV ? Une trilogie réalisée par Peter Jackson ? un jeu vidéo ? un livre de recettes de pâte façon wastburgienne ?... un jeu de société ?
Quel est ton dernier coup de cœur rôlistique ?
Ce n’est pas pour rien que je prenais
Alien en exemple un peu plus tôt : je suis en pleine relecture de Mothership, un jeu qui permet de raconter comment un équipage de vaisseau spatial va être confronté à quelque chose d’horrible. On peut raconter des histoires lovecraftiennes, mettre en scène des huis-clos plus proches du Solaris de Tarkovski, refaire le génial épisode de X-Files intitulé Ice, se laisser aller à la critique anti-militariste comme dans Starship Troopers, s’inspirer de vieux épisodes de la Quatrième dimension... Les règles sont simples, létales et mettent l’accent sur la gestion du stress. La communauté de ce jeu est très prolifique, il y a du matériel à gogo. Bref, c’est un outil épatant pour raconter des histoires variées mais horrifiques dans l’espace.
Tous médias confondus (bouquins, jeux, série, film, musique…) quels sont tes derniers coups de cœur ?
Nous sommes à la veille de la diffusion de la saison 4 de
Slow Horses avec Gary Oldman. Ce sont des histoires d’espions britanniques qui mélangent cynisme et personnages incompétents. Oldman incarne un odieux chef de station, c’est hilarant et bien emmené. Les saisons ne font que 6 épisodes, ça évite les épisodes filler. C’est chaque année un délice en bouche. Il m’est très difficile de ne pas citer des répliques de cette série quand je suis au bureau car elles provoqueraient une discussion acrimonieuse avec les RH.
Je passe bien trop d’heures à jouer à
Balatro, un jeu vidéo qui mélange la logique des roguelites et des jeux de deckbuilding, le tout basé sur les mains de poker. Je peux y jouer tout en écoutant des podcasts comme
Les Pires moments de l’Histoire où Charles Beauchesne (humoriste et fervent rôliste) raconte des anecdotes historiques en montrant l’horreur du passé et de certains soi-disant grands hommes.
Y-a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Je suis très étonné, aucune question sur le contexte géopolitique au Yémen. J’avais pourtant développé tout un argumentaire sur la menace houti dans un contexte post-gazaoui. Je prends ça comme un désaveu. Ah ça oui, quand c’est Damasio qui est en entrevue, là on prend de la hauteur, on pose de doctes questions. Je vais aller m’en insurger sur X, tiens...
Damned, je l’avais pourtant noté comme étant une question à ne pas oublier… Dommage… ce sera pour une autre fois 😉
Un dernier mot pour la postérité ?
À la fin du
Napoléon de Ridley Scott, le réalisateur dédie son film à Lulu. Un vieux chef op avec qui il a fait les 400 coups ? Une habilleuse qui lui a été fidèle toutes ces années ? Non, c’est son chien. Et ça en dit plus sur le film que bien des entrevues.
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !