Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
On peut se tutoyer !

Un grand merci à… toi. Je modifie « subtilement » les questions dès lors…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Je suis dessinateur et coloriste de bande dessinée (et occasionnellement illustrateur), depuis maintenant 30 ans (!!!), j'ai aussi fait quelques incursions dans le dessin animé.

Dans le dessin animé ? Sur quel(s) projet(s) as-tu travaillé ?

J'ai fait un peu de posing (attitude clef de personnages) sur la série Prince Vaillant au début des année 90, mais mon expérience la plus intéressante a été de participer à la préproduction de Kirikou et la Sorcière (de Michel Ocelot), où j'ai fait de la recherche de décor et de personnages.

Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
Il y a toujours eu des bd chez moi, et j'allais aussi souvent à la bibliothèque municipale. Je lisais beaucoup de BD et romans, j'allais aussi beaucoup au cinéma (le streaming n'existait pas et on n'avait pas de télévision à la maison).

J’étais très attiré par les récits en général, fiction ou non.

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Un auteur en particulier a-t-il fait naître ta vocation ?
J'ai toujours baigné dans une ambiance artistique, et j'ai aussi toujours dessiné mais je ne dirai pas que je me destinais très tôt à la BD : j'ai un bac scientifique et j'ai envisagé plusieurs trajectoires (architecture, guide de montagne) avant de finalement m'orienter après le lycée vers les Beaux-Arts, davantage par inconscience et insouciance de l'avenir qu'autre chose.

Quelles sont selon vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Être son propre patron, faire ce qu'on aime, ça n'a pas de prix : personne au-dessus, personne en dessous .

Mais être son propre patron est aussi très difficile.

C'est très violent car ultra-libéral. On est payé à la tâche, pas de chômage ni congés payés, le bonus vient du succès (donc rarement). Autant dire que c'est très ingrat en général.

Quel lecteur de BD êtes-vous depuis que tu es passé de l’autre côté de la barrière ?
J'essaye de me tenir au courant de ce qui sort, je passe au moins une fois par semaine à la librairie. Il y a une profusion est assez réjouissante, mais la contrepartie c'est que c'est devenu impossible de tout lire et même de tout voir. On se conseille entre copains !

Peux-tu nous parler de ton dernier coup de cœur BD ?
Toutes les morts de Laila Starr de Ram V et Filipe Andrade. (Urban comics)
Emouvant, inattendu et très intelligemment construit

Oh que oui, cet album est une petite merveille !

Quels souvenirs gardes-tu de votre premier album ?
Plutôt un bon souvenir, c’était le premier ! Je l'ai réalisé (et signé chez Delcourt) alors que j'étais encore étudiant aux beaux-arts. Je me souviens lors du passage du diplôme, les examinateurs me demandaient d'expliquer mon travail, je leur ai juste répondu « qu' il devait parler de lui même », et que « s'ils ne comprenaient pas sans que j'explique, c'est que c’était raté »
J'ai eu mon diplôme !

C’était osé mais fort juste

Comment est né le projet d’Ulysse & Cyrano, récit d’apprentissage (du bonheur) signé par Antoine Cristau et Xavier Dorison et qui nous entraîne dans la France des années 50 ? Qu’est qui t’a séduit dans ce scénario feel good particulièrement bouleversant ?
Ça a commencé très classiquement, je cherchais un projet pour l’après « Holly Ann ».

Plusieurs scenarii sont passés entre mes mains, la plupart des récits de genre (sf, polar, historique), et Ulysse et Cyrano s'est imposé à moi justement parce que c’était justement un type d'histoire totalement différent de ce que j'avais déjà eu l'occasion de dessiner. Les dialogues m'ont aussi immédiatement séduits, je voyais les scènes instantanément.

A partir de quels éléments as-tu composé les apparences d’Ulysse et Cyrano ? Se sont-elles rapidement imposées ou ces personnages sont-ils passés par différents stades avant de revêtir celle que l’on connaît ?
Cyrano est venu assez facilement. Au début, il était plus costaud, j'ai fini par lui donner cet aspect plus fatigué, plus bonne patte.

Ulysse est très difficile à faire. Il est moins typé, plus lisse, c'est quelqu'un qui cherche à cacher ses émotions, c'est une ligne de crête permanente.

Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Probablement Cyrano, car c'est un personnage truculent !

Mais j'aime dessiner les personnages en général. Travailler leur gestuelle et leur langage corporel à l’intérieur du découpage est un exercice passionnant. Les dialogues d'Ulysse et Cyrano étaient un vrai plaisir à mettre en scène.

Comment as-tu travaillé les décors de l’histoire pour restituer la France des années 50 ? Quelles furent vos principales sources documentaires sur l’époque ?
On avait prévu de faire une virée en Bourgogne, car beaucoup de lieux ressemblent encore à ce qu'ils étaient à l'époque. Mais c'était au démarrage du projet, en 2020, et tout s'est retrouvé bloqués à cause du Covid.

Donc je suis revenu à une documentation classique. Internet, photos etc.
J'ai aussi revu pas mal de films d’époque. Mais je n'ai pas cherché à être absolument fidèle historiquement, j'ai conçu les lieux pour qu'ils servent l'histoire et le propos.

Après, j'ai aussi vécu dans un petit village d'un milliers habitants durant mon enfance, même si c’était en montagne, il y règne dans ce genre d'endroit une ambiance particulière, j'ai pu m'appuyer sur ces souvenirs.

Concrètement, comment s’est organisé le travail à six mains sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album ?
Antoine et Xavier ont construit le scenario et les dialogues ensemble, Xavier a ensuite rédigé le découpage proprement dit.

J'ai reçu le scenario complet d'un coup. C'est à la fois très confortable et très intimidant car le volume est tel qu'on se demande si on va arriver au bout. C’était un découpage avec la densité typique d'un album de 46 pages mais sur 160...

Là-dessus j'ai proposé un storyboard d'abord de la partie 1, ce qui m'a permis de débroussailler les décor, et les personnages, d'affiner la narration, et même d'ajouter des pages... Et ainsi de suite. C’est très classique comme façon de faire. Comme on était au diapason, ca a été assez fluide.
Par contre, j'ai clairement sous estimé le temps que tout cela prendrait. On s'etait calé sur 2 ans et demi, ça m'en a pris 4, avec les couleurs, principalement du fait de la densité des pages.

Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Le story board. C'est l'essence de la BD. C'est là que la narration apparaît et que tout se passe.

Les couleurs de l’album sont tout juste somptueuse et contribuent à son indéniable charme ? Comment les as-tu abordées ?
Je voulais que chaque lieu ait sa propre identité, sa propre poésie. Je tenais aussi à ce qu'il y a une vraie diversité d'ambiances, en fonction des heures du jour, mais aussi de la dramaturgie de chaque scène.

C'est un challenge car il faut se renouveler sans cesse. Et, (c'est un truc auquel on ne pense pas) ce n'est pas évident à imprimer, car les cahiers se retrouvent chacun avec des gammes de couleur très variées.

Avec cette scène apaisante et ses chaleureuses couleurs automnales, la couverture s’avère des plus somptueuses, donnant d’emblée l’envie de se plonger dans l’album. S’est-elle rapidement imposée ou plusieurs versions ont-elles été envisagées ?
Au début, j'ai fait quelques tests d'images qui se passent dans une cuisine, mais ça donnait justement trop l'impression qu'il s'agissait d'un livre de cuisine, ce qui n'est pas le cas. Rien ne faisait tilt, c'était trop formel.

Un jour Xavier a proposé cette idée de personnages au bord de l'eau qui fait écho avec une scène de l'album, et c'est devenu évident. Si je me souviens bien, il pensait à un plan en plongée, mais je me suis orienté vers ce plan au niveau du personnages, pour être « avec eux », en quelque sorte.

Aurais-tu une anecdote à nous raconter sur l’élaboration de cet album ?
Alors là, je n'ai rien qui me vient. Vu le temps que l'album a pris... il s'est passé plein de chose mais ça a surtout été un long voyage immobile.

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
J'ai effectivement quelque chose en route, toujours au dessin et à la couleur, mais j'en parlerai quand ce sera plus avancé.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
J'ai re-regardé il y a peu la série Band Of Brothers (HBO) elle a plus de 20 ans mais je suis toujours autant estomaqué par la réalisation.

Plus récemment, j'ai beaucoup aimé le film Civil War de Alex Garland, c'est littéralement un tableau impressionniste. On perçoit le monde qui nous est présenté par petites touches d’ambiance et de ressentis, et tout finit petit à petit par s'assembler et prendre forme.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Est ce que tu as pu goûter tous les plats de Ulysse & Cyrano ?

Pas tous, mais lorsqu'on est allé dédicacer l'album au Mans, Samuel, le Libraire avait demandé à un cuisinier de préparer quelques une des recettes pour le repas du soir, c'était génial!

Ça doit être fascinant de se retrouver comme entraîné dans l’univers de l’album…

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

un personnage de BD : Melvin Woodworth (A la recherche de Peter pan)
un artiste : Houla, j'essaye d’être moi-même, c'est déjà beaucoup de boulot !
un personnage de roman : Raul Endymion
un animal : un Ours !
une chanson : The Hounds of Winter (Sting)
un instrument de musique : Un piano
un jeu de société : Le Catane
une découverte scientifique : Les Vaccins
une recette culinaire : La Tartiflette
une pâtisserie : Un Baba au rhum
une boisson : Un thé, du Yunnan noir
une ville : Trop grand une ville, ce serait plutot un village des alpes , Névache
une qualité : Je fais des bonnes crêpes
un défaut : Je ne sais pas me vendre
un monument : Stonehenge
un proverbe : Tout vient à point à qui sait attendre.

Un dernier mot pour la postérité ?
In voluptate veritas

Evidemment
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci pour l'invitation !