Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Aucun problème pour le tutoiement !
Merci à toi…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Je m’appelle Nicolas Antona, je suis entré dans une magnifique cinquantaine et cela fait maintenant une dizaine d’année que je fais de la bande dessinée. J’ai toujours écrit et un jour je me suis décidé à présenter mes travaux. C’était à l’époque en 2015 et j’ai rencontré la dessinatrice, ultra talentueuse, Nina Jacqmin. Nous avons monté le projet de « La tristesse de l’éléphant » qui a été publié aux éditions « Les enfants rouges ». S’en sont suivis 14 albums en tant que scénariste, avec toujours de belles rencontres : Rakjah, Chiara Di Francia, Juliette Derenne, Julien Motteler, Michel Espinosa, Clémentine Pochon, Olivier Aranda, Mylenium… Clin d’œil du destin, nous nous retrouvons avec Nina Jacqmin pour un gros One Shot aux éditions Le Lombard qui sortira en avant-première pour le festival d’Angoulême 2025.
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
J’ai toujours été un gros lecteur, romans et bande dessinées. Mes livres de chevet étaient les Jules Verne avec une tendresse particulière pour « Le voyage au centre de la Terre » et bien sûr, René Barjavel dont « La nuit des temps » restera une lecture majeure dans ma vie. Je suis plus orienté polar actuellement, avec des auteurs que je suis particulièrement comme Jean Christophe Grangé, Olivier Norek, Jean Luc Bizien ou Michèle Pedinielli.
En BD, j’ai commencé comme beaucoup par la sainte trinité, Tintin, Astérix, Lucky Luke puis sont venus me titiller les Storm de Don Lawrence, Thorgal, XIII, le chant des Stryges…
Mais je suis un enfant de LUG… Strange, Nova, Titans, Spécial Strange ont rythmé mes mois. J’y ai apprécié des auteurs comme Chris Claremont, John Byrne, Barry Windsor Smith, les Kubert. Merci Stan Lee et Jack Kirby !
Mais la très grande claque en BD, celle qui m’a vraiment donné le goût des histoires, je la dois à Patrcik Cothias et le regretté André Juillard. « Les 7 vies de l’épervier » sont pour moi, une des œuvres majeures de la bande dessinée.
Devenir scénariste de BD, était-ce un rêve de gosse ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Un rêve de gosse non. Ma vie était rythmée par les études et le sport. La lecture était une passion, l’écriture aussi mais pas un rêve. Un parcours du combattant non plus même si les contrats sont de plus en plus difficiles à obtenir.
Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
La première des joies est la rencontre avec les coauteurs, les étapes de la création et bien sûr avoir l’objet fini entre les mains. C’est toujours une sensation particulière. Surtout que je ne relis jamais un album que j’ai écrit. La création est aussi une difficulté car elle peut s’avérer ardue et longue, moins longue que pour mes collègues aux pinceaux, mais tout de même éprouvante quand tout ne coule pas de source (ou presque). Remettre l’ouvrage sur le métier…
La rencontre avec le public est un aspect très sympathique et gratifiant. Les salons, festivals, dédicaces sont toujours des moments particuliers ou se nouent des relations avec des collègues auteurs qui peuvent déboucher sur de belles histoires d’amitié et parfois de travail !
Si je devais ressortir une difficulté majeure, je ne serais pas très original en parlant de la reconnaissance, à la fois morale et financière, du métier. Le système a changé mais les auteurs me paraissent toujours la partie congrue…
Comment as-tu rencontré Olivier Aranda, dessinateur autodidacte qui signe les dessins d’Un Tigre à la campagne ?
J’ai rencontré Olivier par internet, sur le site CaféSalé à l’époque (tiens, comme Nina Jacqmin et Juliette Derenne !!! ). Il m’a présenté ses travaux, son style original et singulier. Je n’avais rien à cette période qui pouvait lui convenir. Mais un jour est arrivé l’idée du Tigre à la campagne et j’ai tout de suite pensé à lui car je souhaitais un style qui sortait des sentiers battus et qui collait à l’époque du récit. De même nous avons souhaité une mise en couleur avec un parti pris tranché. Mylenium est arrivée … Je suis heureux de la sortie de l’album et de son bel accueil critique avec, notamment, le prix découverte au festival d’Illzach 2024. Une reconnaissance pour ces 2 auteurs en devenir !
Peux-tu nous dire quelques mots sur Kalopsia, la maison d’édition qui a publié un Tigre à la campagne ?
Kalopsia est une jeune maison d’édition belge qui travaille bien et avec passion. Son fondateur Nicolas Nayaert s’investit fortement dans tous les projets et le suivi à tous points est comparable à d’autres structures plus connues. Il accueille des auteurs comme Corbeyran, Pécau, Di Felice et sait aussi donner sa chance à de nouveaux talents. Pour paraphraser une chanson, « c’est une question de feeling ! »
Lorsque tu te lances dans l’écriture d’un récit, commences-tu généralement par réfléchir aux personnages ou à l’intrigue dans ses grandes lignes ?
Les deux mon Capitaine ! Cela dépend, l’idée de base peut être un personnage à partir duquel on va broder l’histoire, ou le contraire. « P.L.U.M.A » avec Michel Espinosa est une idée originale de ma fille, « Naïs » est née d’une rencontre et d’une discussion avec Clémentine Pochon, « Lady Whitechapel » d’une envie, réciproque, de travailler avec Julien Motteler sur un thème précis, le Londres Victorien… Chaque histoire à son point de départ. L’anecdote est que toutes mes histoires ont été développées par la suite… dans ma baignoire, dans un bon bain chaud…
Justement, quelle a été l’idée de départ d’un Tigre à la campagne ?
Pour le Tigre, l’idée de départ était l’histoire de ces deux familles qui par une forme de consanguinité sociale, dominent un village de Provence. Mais il y a toujours un grain de sable… C’est une histoire que j’avais écrite il y a longtemps, juste après « la tristesse de l’éléphant » mais que j’avais remisée car d’autres projets ont été signés. J’y suis revenu avec Olivier car son style se prêtait parfaitement à l’histoire.
Etais-tu un amateur des Brigades du Tigre, la série de Claude Desailly ?
Oh que oui !!! Valentin, Pujol et Terrasson ont rythmé pas mal de dimanches !!! C’est un générique culte qui trotte dans la tête ! Toute une époque qui même si elle n’est pas tout à fait la mienne, m’a influencé.
Comment as-tu créé le personnage de Michel Plessin, l’inspecteur chargé de l’enquête ?
Plessin n’existait pas dans l’histoire de base. Il s’est greffé par la suite car j’avais besoin d’un personnage qui pouvait incarner l’antithèse totale de la vie campagnarde. Donc un parisien… Les brigades du Tigre s’imposèrent naturellement…
Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Plessin ! C’est un personnage savoureux, plein de contradictions et d’humanité, un dur au cœur tendre, amateur de belles femmes… Ses interactions avec le bouseux sont aussi savoureuses et font ressortir un aspect de sa personnalité qui ne demande qu’à s’exprimer.
Je lui trouve un petit côté Arsène Lupin, dans son rapport parfois ambigu à la loi notamment… est-ce un hasard ?
Non je n’ai jamais pensé à Lupin. La loi selon Plessin sera expliquée plus en profondeur dans le tome 2.
L’écriture du scénario a-t-elle nécessité des recherches historiques ?
Oui sur les lieux parisiens de l’époque comme la maison close le Sphinx qui sert de point de départ de l’histoire. Il s’agit d’une des maisons closes les plus célèbres de l’époque. On la voit aussi dans le film « Le dernier métro » avec Catherine Deneuve et Gérard Depardieu. Les costumes de la gendarmerie et les véhicules ont fait aussi l’objet de recherches et d’une demande auprès du musée de la gendarmerie. Après le contexte historique de la France à cette époque, et le lieu, laissent de la place pour l’imagination. Olivier qui est originaire du coin a lui travaillé sur certains monuments pour donner de la véracité.
Comment s’est organisé le travail sur l’album avec Olivier Aranda et Mylenium ?
Cela a été très fluide, je donnais les séquences et les orientations et Olivier et Mylenium apportaient leurs idées. Beaucoup de planches ont été modifiées lors de la phase de storyboard avec leurs souhaits. Chacun a pu s’approprier le projet. Mon histoire est devenue notre aventure !
Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser ces différentes étapes ? (scénario, découpage, roughs etc…)
Voici le déroulé de la création d’une planche de notre album. Entre chaque étape, s’engage un ping-pong entre Olivier, Mylenium et moi pour trouver le bon équilibre et que chacun s’y retrouve dans sa tâche.
Quel effet cela fait-il de voir son histoire prendre corps sous les crayons d’Olivier Aranda ?
C’est toujours émouvant de voir vivre les personnages que l’on crée, parfois on les redécouvre car on ne les imaginait pas de cette manière mais c’est un plaisir toujours renouvelé.
Peut-on espérer retrouver l’inspecteur Plessin sur une autre enquête ?
Disons que c’est bien parti et que l’on aimerait beaucoup ! J’ai déjà proposé deux histoires à Olivier et Mylenium. Nous en avons choisi une et l’on va en discuter avec l’éditeur. Donc si vous comptez bien, nous avons déjà 2 histoires sous le coude… Plessin va rester à Paris dans un premier temps et peut-être qu’un antagoniste récurrent va apparaitre…
Après c’est aux lecteurs de décider.
On signe où ?
En bas à gauche du contrat !
A-t-il existé plusieurs versions de la couverture ou celle que l’on connaît s’est-elle rapidement imposée ?
Plusieurs idées ont été mises sur la table mais j’aime beaucoup la version officielle, sobre, élégante et mature graphiquement parlant. Voici deux versions antérieures :
Recherche de couverture
Aurais-tu une anecdote à nous raconter relative la création de cet album ?
Je n’ai jamais rencontré ni Olivier Aranda, ni Mylenium. Mais on va y remédier !
Avec quel dessinateur rêverais-tu de travailler ?
J’ai toujours été un très grand admirateur d’André Juillard, cela aurait pu se faire… Paix à son âme et merci pour tout ce qu’il a donné à la bande dessinée. Sinon, je fonctionne beaucoup à l’affectif, aux rencontres.
Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Les prochaines échéances sont donc un gros one-shot pour Angoulême aux éditions Le Lombard avec Nina Jacqmin et en Avril le tome 2 conclusif de « P.L.U.M.A » avec Michel Espinosa aux éditions Kalopsia. 3 projets sont en cours de finalisation pour présentation aux éditeurs…
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
En BD, « Je suis leur silence » de Jordi Lafevre, en roman « Les enquêtes de l’aliéniste » de Jean Luc Bizien et « les 7 châtiments » de Jordi Llobregat.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Et toi comment ça va ?
Plutôt bien, merci…
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD : Corto Maltese
un policier de roman : Pierre Niémans des « rivières pourpres »
un policier de cinéma : Le commissaire Letellier (Belmondo) de « Peur sur la ville »
une chanson : « The river » de Bruce Springsteen
un instrument de musique : Le saxophone
un jeu de société : Le Risk, tant de soirées…
une découverte scientifique : Un vaccin, espéré, contre le cancer
une recette culinaire : le Veau aux olives
une pâtisserie : la Forêt noire
une ville : Ajaccio
une qualité : la créativité
un défaut : la gourmandise
un monument : La Sagrada Familia à Barcelone
une boisson : Le Liptonic / Le Rhum de la Barbade
un proverbe : « L’imagination gouverne le monde »
Un dernier mot pour la postérité ?
Aimez !!!
Vaste mais beau programme !
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !