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Entretien avec Alfred
Accordé aux SdI en mars 2006


Enfant, quel lecteur étiez-vous? Quels étaient alors vos auteurs favoris?
Je suis fils de comédiens. Enfant, j’ai passé beaucoup, beaucoup de temps avec mes parents, dans des théâtres ou sur des tournages….
Et du coup, pour passer le temps, je lisais ou je dessinais…
Mes premières lectures vraiment marquantes viennent des albums de FRED ( philemon, le petit cirque…) ou de ceux de FRANQUIN.
Mais c’est d’un tas de choses que j’ai construit mes références.
A la maison, il y avait toujours plein de peintres, chanteurs, comédiens, danseurs etc… et c’est avec tous ces mélanges de genres que je me suis construit.

Devenir dessinateur de BD était-il pour vous un rêve de gosse? Quand avez-vous décidé d’en faire votre métier?
Je ne me suis jamais posé d’autre question, en fait.
C’est surtout comme ça que les choses se sont faites….
J’ai toujours dessiné, j’ai toujours aimé raconter des histoires… je ne me suis jamais posé la question de faire autre chose.
Quand on est tout petit, tout le monde dessine. Avant de savoir écrire, on dessine déjà . Et puis, en grandissant, ça se perd de plus en plus pour certains, et pas du tout pour d’autres.
Je suis de cette deuxième catégorie.

Je n’ai donc jamais eu le sentiment que je « décidais » de faire ce métier ; je n’avais simplement jamais envisagé d’en faire un autre. Ca ne m’étais jamais venu à l’esprit de faire autre chose que de raconter des histoires en dessinant.

En 1995, vous créez la maison d’édition Ciel Ether … Comment est né cette aventure?
J’avais 18 ans. Je venais de passer mon bac et il était hors de question pour moi de poursuivre mes études dans quoi que ce soit ;
Alors j’ai commencé à placer des petits dessins par ci par là…
Mais comme je ne me sentais pas encore suffisamment au point pour aller voir de « vrais » éditeurs, j’ai préféré me faire la main avant en montant ma propre petite structure qui me permettrait de progresser en touchant à tous les aspects du livre.
Du coup, pendant deux ans, j’ai écrit des histoires, je les ai dessiné, j’ai fait des maquettes, de l’impression, de la diffusion, de la promo, des rencontres… bref…
J’ai touché à tous, de manière modeste, les aspects de la chaîne du livre.
Et au fur et à mesure que je faisais ces petits livres, je les envoyais à certains éditeurs avec qui je souhaitais travailler un jour, histoire de leur montrer que je persévérai…
Certains m’ont encouragés à poursuivre, et m’ont aidé à avancer….

Et puis un jour, d’autres éditeurs se sont intéressé à mon travail, et tout doucement, Ciel Ether à cessé d’exister….

3.1 C’est pour le moins original comme parcours… Qu’est-ce que vous a apporté cette expérience éditoriale?
Ca m’a surtout apporté de faire plein de rencontres en festival, en librairie ou dans la presse. Et ça me permettait de chercher plein de pistes graphiques, de partir dans plusieurs directions… quand j’ai réalisé mon premier album chez delcourt ( la digue), j’avais déjà la main un peu rodée….

Quels sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier de dessinateur?
Il y en a plein des joies et des difficultés !!
Je ne sais pas trop quoi répondre avec précision…
Rêver une histoire, la faire mûrir dans sa tête, c’est génial et terriblement angoissant.
Commencer un livre, c’est à la fois super et très dur.
Le finir aussi…
Recevoir son livre imprimé, c’est fabuleux et en même temps frustrant…
Bref….

Quel moment préférez-vous dans l’élaboration d’une bande dessinée?
Quand je le termine, parce que le suivant m’excite toujours énormément…

Comment avez-vous rencontré Eric Corbeyran et comment sont nés vos nombreux projets (Horreur de jeunesse, Pet en gueule et L'ogreraie en 1996, La Digue en 1998, sans oublier Abraxas en 2000) ?
J’ai rencontré corbeyran parce que je lui envoyais, justement, mes petits albums ciel ether pour avoir son avis. Et qu’un jour il m’a proposé d’en faire ensemble, de ces petits livres…. Et nous avons pris du plaisir à en faire quelques uns avant de proposer des livres chez Delcourt.


L’univers d’Abraxas, série étrange et dérangeante tant de par l’intrigue qui s’y déroule que dans son traitement graphique se déroule dans un univers peu ordinaire. Est-il le fruit d’une écriture à quatre mains?
Non,pas à quatre main.
Mais corbeyran m’avait demandé ce que j’avais envie que nous racontions ensemble. Et je lui avais envoyé plein de croquis, de brouillons et de dessins en vrac comme j’ai l’habitude d’en faire… et là dedans, il y a pioché des images et des bribes d’ambiances qu’il a cousu ensemble…


En 2003 vous signez avec David Chauvel le premier tome d’Octave, série pour enfant pleine de justesse et de sensibilité… Comment est née cette nouvelle aventure?
David m’a proposé octave qu’il avait déjà écrit.
Ce qui m’excité beaucoup dans ce projet, c’est que c’était à l’opposé de ce que j’avais fait jusque là, et surtout que c’était destiné à un public auquel je n’avais pas pensé m’adresser….
Ce mini défi m’a donné envie de me plonger dedans.
Je déteste refaire deux fois la même chose..

Ajoutons à cela que j’adorais, avant de le rencontrer, le travail de David et que j’étais très heureux qu’il me propose une collaboration.
Depuis nous sommes devenus très amis, et le plaisir de faire des choses ensemble est toujours là.

Au début de l’année est paru « la nuit des lucioles », premier tome du Désespoir du singe, scénarisé par Jean-Philippe Peyraud avec qui vous aviez déjà travaillé sur « Un colt qu'on en finisse » et « Anatole – Roue Libre ». Comment est né ce nouveau projet?
Jean-philippe et moi nous connaissons depuis une douzaine d’années. Du temps où nous oeuvrions chacun pour un label indépendant ( Ciel Ether pour moi, et la Comédie Illustrée pour lui).
On se croisait donc en festival et nous avons très vite accroché l’un avec l’autre avant de devenir très amis. Et très vite, aussi, alors que nos univers graphiques (Jean-philippe dessine aussi) sont très différents, nous avons eu envie de faire des choses ensemble…
Ça a commencé par des petits livres avec ciel ether ou, plus tard, treize etrange, et puis, doucement, l’idée et l’envie de travailler ensemble sur quelque chose de plus ambitieux nous a trotté en tête.
C’est JP le premier qui m’a un jour dit « un de ces quatres je vis t’écrire une histoire ». et puis ça revenait de temps en temps dans nos conversations…
Et un jour, on s’y est vraiment mis… Ca a pris plein de chemins différents avant d’en arriver au « désespoir du singe ».
En tout, entre le moment où nous avons commencé à travailler sur ce scénario et l moment où le livre est sorti, il s’est écoulé trois ans !….


Le Désespoir du singe ne s’ancre pas dans un lieu ni dans une époque clairement définie. Ce choix délibéré a-t-il été dictée par une volonté de se libérer d’un carcan historique pour se centrer sur les personnages et sur l’histoire qui les unit?
Parfaitement.
Nous ne souhaitions pas être coincés par de faits historiques qui nous auraient obligés à être très rigoureux sur la documentation ou les événements.
Nous ne voulions pas être limités dans nos mouvements.
Ce sont les personnages et leurs rapports entre eux qui nous excitaient.
Du coup, on évoque et on suggère une époque plus qu’on ne la défini clairement.
C’est une histoire d’amour que nous voulons raconter…
On ne voulait pas clairement la placer dans l’Allemagne nazie ou durant la révolution russe… c’est plus flou que ça….

Est-ce aussi pour cela que vous avez introduits un élément quasi fantastique pour mettre en scène les forces de l’ordre (juste des ombres grimaçantes aux yeux rouges et aux dents acérées)?
Oui.
Là encore,on ne souhaitait pas marquer un uniforme précis avec des références précises.
On voulait que le lecteur comprennent bien que ces personnages représentent une menace, mais pas qu’il puisse historiquement y mettre le moindre repère.
Ces personnages représentent symboliquement une forme de répression brutale et dictatoriale.


© Delcourt / Alfred



Comment s’est organisé votre travail avec Jean-Philippe Peyraud sur cet album? Du synopsis à la planche finalisées, quelles furent les différentes étapes de son élaboration?
Nous avons élaborés toute la trame de la série ensemble. Puis JP a, de son côté, développé cette trame.
Pour chaque tome, il me donne une suite dialogué, contenant très peu d’autres indications. Comme pour une pièce de théâtre, j’ai les dialogues des personnages, et je me débrouille pour faire ma mise en scène.
JP étant également dessinateur, je ne souhaitais pas qu’il me propose un découpage trop précis. Il fallait que j’ai de la liberté de mouvement dans ma façon de raconter chaque séquences…

Qu’est ce qui vous passionne dans ton métier de dessinateur? Le fait d’être metteur en scène, un raconteur d’histoire?
Le fait de n’avoir besoin que d’un papier et d’un crayon pour raconter les histoires les plus folles… ou les plus intimes… c’est un tout, pour moi.

Certaines planche (celle de la rencontre entre Joseph et Vespérine par exemple, mais aussi celle où il lui déclare sa flamme) sont mises en scène de façon originale et diaboliquement efficace, faisant la part belle aux sentiments et produisant une sorte de musicalité… Comment Jean-Philippe Peyraud avait-il écrit ces scènes?
Par très peu de choses… il me donnait juste quelques intentions et ma laissait libre de les interpréter à ma manière. Pour la scène de la rencontre, il m’a juste dit : « c’est comme dans la femme d’à côté quand Depardieu croise Fanny ardant. Un regard, pas un mot, mais on comprend que quelque chose commence… »

Serait-il possible de voir quelques crayonnés, recherche de personnage ou rough pour mieux comprendre votre façon de travailler?
Il n’en existe presque pas…. De plus en plus, je travaille à l’instinct, directement sur la page…. Je n’ai donc que très peu de roughs/recherches … désolé !!
J’attaque mes pages avec une idée en tête de ce qu’elle va être. Puis, comme un sculpteur, je taille avec de l’encre directement sur le papier…. Et je vois ce que ça devient….

Parmi les personnages que vous mettez en scène dans cette série, il y en a-t-il un que vous prenez particulièrement plaisir à mettre en scène?
non, ils ont tous de l’importance dans l’histoire et donc à mes yeux…
J’ai placé un petit bout de ce que je suis dans chacun des personnages, du coup, je n’en préfère pas un à un autre….


© Delcourt / Alfred


Dans quel environnement travaillez-vous lorsque vous vous attelez à la table à dessin? Silence monacal ? musique d’ambiance collant à l’émotion que vous désirez faire passer?
Je partage un atelier avec d’autres illustrateurs. Les ambiances changent donc au jour le jour en fonction des humeurs de chacun. C’est ce qui me plait beaucoup dans cette façons de travailler….
Moi, au milieu de ça, je « m’isole » du reste de la pièce en fonction de ce que je raconte. J’ai plus ou moins besoin de me fermer.
J’aborde les scènes en rapport avec mon humeur du jour, toujours. Du coup, je ne réalise pas toujours les planches dans l’ordre chronologique. Et l’ambiance de l’atelier aide parfois à appuyer une émotion ou une envie….

En tant qu’auteur, comment percevez-vous les séances de dédicaces?
Comme un moyen de s’ouvrir un peu la tête sur comment est perçu ce que j’ai mis un an, seul, à pondre dans mon coin…
Ce sont des moments importants pour moi. J’ai envie et besoin d’avoir des retours.
Mais comme plein de choses, il ne faut pas en abuser, ne pas tout écouter ou prendre en compte, ne pas tout en attendre…


Sur quels projets travaillez-vous en ce moment?
Avec David Chauvel, nous avons une série jeunesse chez delcourt, « octave », dont trois tomes sont déjà parus… je suis en ce moment n train de dessiner le 4ième et dernier. Nous en avions prévu un par saison, la boucle se boucle donc…

Egalement un album en collection Mirage chez Delcourt encore, sur scénario d’olivier ka dans lequel il raconte une période, disons… trouble de sa vie….

Et pour finir , bien sûr, le tome 2 du « désespoir du singe » avec des personnages qui vont pas mal être bousculés….

Dans quel état d’esprit êtes-vous quand une série s’achève, quand il faut se résoudre à abandonner les personnages auxquels on a donné vie?
Toujours vide, un peu… et triste, et calme….
J’ai souvent quelques jours de flottement. Un peu de vague à l’âme…
Et puis la perspective de vivre autre chose avec d’autres personnages prend le dessus et le plaisir reviens…

Quels sont vos derniers coups de cœur ?
en BD, mon gros coup de cœur est « lucille » de ludovic debeurme dont j’ai adoré la construction, la narration, le dessin… bref… Tout…
J’ai adoré ce bouquin !!!

En cinéma, un ovni : « the saddest music of the world »…. Fabuleux !!!!

En roman, je viens de finir un Ellroy que je n’avais jamais lu « un tueur sur la route »… et là encore, j’ai pris une belle baffe !!

En musique, enfin, je me suis longé dans le dernier album de ZITA SWOON qui est un bonheur sans fin, dans celui de Philippe Katerine dont je ne me lasse pas, ou le dernier de Sufjan Steven que je passe en boucle tellement c’est un bijou…

Y a-t-il une question que je n’ai pas posé et à laquelle vous aimeriez néanmoins répondre?
Ce qui me prend le plus de temps quand je ne dessine pas : faire de la musique !!

Quel genre de musique? De quel instrument jouez-vous?
J’écoute de tout. Vraiment.
Je joues de plein de choses : guitare, basse, piano, batterie…
Avec un ami, olivier ka, nous avons un spectacle musical durant lequel il conte et raconte et chante, tandis que moi, je l’accompagne avec différents instruments et sons…

Comme le veut la tradition et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

un personnage de cinéma : celui de Buster Keaton
un personnage biblique : aucun
un personnage de roman : n’importe lequel de « l’écume des jours »
un personnage de BD : Philemon
un personnage de théâtre : kermit la grenouille
une œuvre humaine : les révoltes

Pourquoi l’écume des jours?
Parce que, comme souvent dans les livres de Boris Vian, tout y est….

Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé…

Le Korrigan



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