En 1664, Molière est âgé de quarante-deux ans et a acquis une belle notoriété, tout d’abord en province avec son « Théâtre Illustre », puis à Paris, dans la « Troupe de Monsieur », Philippe d’Orléans, frère unique de Louis XIV qui lui ouvrit les portes de la cour et permis de bénéficier du soutien et de la protection du Roi. Mais lorsqu’il présente Tartuffe, sa nouvelle pièce satyrique dans lequel le comédien dénonce les faux dévots, la protection du Roi, qui avait pourtant apprécié la pièce, ne suffit plus à lui éviter les foudres de l’Eglise qui le menace d’excommunication…

La pièce est en effet considérée comme un véritable pamphlet contre la religion par Hardouin de Péréfixe, alors archevêque de Paris et les religieux plus intransigeant vont jusqu’à réclamer qu’on brûle et l’œuvre et le poète. Ne pouvant se mettre l’Eglise à dos Louis XIV n’a d’autre choix que de faire interdire la pièce.

Mais le dramaturge ne s’en laisse pas conter et est fermement décidé à riposter pour défendre sa liberté d’exception. Tartuffe est interdit ? Qu’importe, Molière remaniera sa pièce pour la rendre moins offensante… Ce sera l'Imposteur… Son combat, envers et contre tous, durera cinq années. Cinq années de revers financiers et de trahisons qui menaceront la survie de la troupe…

A l’occasion des quatre cent ans de la naissance du tragédien, Vincent Delmas et Sergio Gerasi se proposent de nous raconter la vie tumultueuse et fascinante de l’un des plus grands auteurs français. Comme son titre l’indique, ce second opus est consacré au plus formidable scandale ayant ébranlé le monde du théâtre, celui entourant Tartufe, pièce satyrique dans laquelle Molière égratigne les dévots et dans laquelle les plus extrémistes des religieux virent une menace contre l’Eglise elle-même…

Une fois encore, la structure du récit s’avère captivante. Car le récit du combat de Molière pour sa liberté d’expression n’est qu’un long flashback au cœur d’un récit où se joue une tout autre histoire, pourtant inextricablement liée à la première : Molière est mort, après la quatrième représentation du Malade Imaginaire, non pas sur scène comme le dit la légende, mais au 40 rue de Richelieu, sans avoir reçu l’extrême onction. Un prêtre est cherché en catastrophe, non sans mal, mais arrive trop tard pour lui administrer les saints-sacrements. Désormais seul l’Archevêque de Paris pourrait autoriser un enterrement religieux, ce même archevêque auquel il s’opposa lors de la fameuse affaire Tartuffe… Cet artifice narratif confère au récit un impact saisissant, rendant les différentes péripéties plus captivantes encore.

A travers ce récit fascinant, Vincent Delmas esquisse le portrait saisissant d’un auteur qui utilisait la scène pour dénoncer avec finesse et lucidité les travers de ses contemporains. On y découvre un Molière audacieux et polémiste défendant son œuvre avec subtilité devant l’ambassadeur du Saint-Siège; son mariage, deux ans auparavant, avec Armande Béjart, fille ou sœur de Madeleine Béjart, ancienne amante de Molière; la mort de leur premier enfant et son combat acharné pour son Tartuffe qui l’entraîna au bord du gouffre et causa de vive tension au cœur même de sa troupe; la trahison de Racine, son protégé, au pire des moments, et sa riposte, audacieuse et dangereuse avec cette seconde pièce, alors que la Compagnie du Saint-Sacrement faisait pression sur le monarque…

La couverture est une fois encore particulièrement réussie : représentant une scène de théâtre, on y voit en arrière-plan des acteurs jouer la comédie, au second le Roi écoutant les revendications du parti du parti dévot alors qu’au premier plan, en position de prière, Molière semble s’amuser du scandale qu’il a déclenché. Rehaussée par les couleurs délicates du studio Arancia et portées par un découpage généreux, les planches de Sergio Gerasi s’avèrent lumineuses et élégantes. Ses décors soignés permettent à ses personnages de jouer pleinement leur rôle et d’incarner avec force et expressivité les acteurs de ce scandale mêlant théâtre, politique et religion…

Vincent Delmas et Sergio Gerasi poursuivent leur biographie romanesque de Molière dont nous fêtons cette année les quatre cent ans de la naissance.

En plus des coulisses de sa mort, après une quatrième représentation du Malade Imaginaire non pas sur scène mais rue de Richelieu, et tandis que ses proches s’escrimaient à trouver pouvoir lui donner une sépulture chrétienne, ce second acte revient sur le scandale entourant l’un de ses chefs d’œuvre : Tartuffe… A cause de cette pièce satyrique pointant les faux dévots, le dramaturge s’attira les foudres de l’Eglise qui, après avoir souhaité brûler l’œuvre et son auteur, manœuvra pour que le roi fasse interdire la pièce…

Joliment mis en image, ce second tome montre à quel point Molière est encore et toujours d’actualité, alors que nous célébrons en ces tristes jours d’octobre le second anniversaire de l’effroyable assassinat de Samuel Paty, mort d’avoir fait métier en incitant ses élèves à faire preuve d’esprit critique.

- Sire, les protestants, les jésuites, les jansénistes, les dévots, partis d’ordinaire si prompts à se quereller, sont ce soir unanimes : la pièce de Molière est une abomination !
- Ma surprise vient du fait que vous semblez prêt à partager leur opinion, Monsieur.
- Il m’est possible, au Parlement, de défendre les intérêts de la couronne face à des partis en discorde, mais la tâche sera plus ardue face à une union sacrée.
- Allez au fond de vos pensées monsieur le président.
- Molière doit faire pénitence publique, Sire. Quant à sa pièce, elle devra être brûlée pour ne jamais plus être rejouée.
- Je crois déceler dans ce « devra » l’ombre d’un ordre.
- Grand Dieu, non, Majesté !
- Vous m’en voyez rassuré. Monsieur, je ne vous retiens pas.dialogue entre Monsieur Guillaume Lamoignon, président du Parlement, et sa Majesté Louis XIV