Versailles, 1686. Une royale fistule fait atrocement souffrir le Roi Soleil depuis de trop long mois. Sur les conseils de ses médecins, il se résout à tenter une opération qui pourrait lui être fatale. S’il trépasse, l’Europe ne manquera pas de s’embraser…

Loin de ce royal tracas, Geoffroy se rêve barbier mais on ne peut pas dire que les clients se bousculent dans son échoppe accolée à la boucherie de son paternel, étrangement nommée « Chez l'imbécile heureux qui a vendu sa promise en morceaux ».

Après avoir sauvé, presque par hasard, la vie d’un noyé agonisant. Or, cet homme se trouve être l’Intendant Général du Roi Soleil qui ne manque pas de faire venir ce sauveur en son royal palais. Faisant preuve d’un sens de la répartie et de l’à propos saisissant, Louis XIV le confie à Charles-François Félix, son chirurgien personnel, pour qu’il en fasse son disciple… Et voilà notre jeune et naïf Geoffroy qui embrasse une nouvelle carrière inopinée…

Voilà un titre inattendu et délicieusement jubilatoire dont la trame n’est pas sans évoquer les meilleures comédies de Monsieur Molière. Avec cette anecdote historique qui a pourtant révolutionné la pratique de la médecine en donnant aux chirurgien, métier jusqu’alors considéré comme annexe et affilié à la Corporation des Barbiers-Perruquiers, un rôle de première importance. Si un chirurgien est parvenu à sauver la vie d’un roi alors au fait de sa gloire là où les médecins ont échoué, à grands renforts de saignées et de lavements, n’est-ce pas la preuve irréfutable du bien-fondé de leur art ?

Certes, il n’y a pas là unité de lieu mais qu’importe en vérité ? Les personnages, qu’ils fussent historiques ou fictifs, n’en restent pas moins jubilatoires et joyeusement décalés, esquissant un portrait peu reluisant des courtisans qui gravitent à l’ombre du Soleil, portrait grinçant qui n’est pas sans évoquer le Ridicule de Patrice Leconte, avec des dialogues finement travaillés et des réparties aussi subtiles que cinglantes… A tout seigneur tout honneur, c’est Geoffroy, naïf et ambitieux barbier, qui endosse le premier rôle et qui a même l’outrecuidance d’éclipser le roi Louis et sa face cachée.… Propulsé par hasard dans l’orbite du monarque, cet homme de basse extraction va tour à tour découvrir l’amour, changer de statut, redécouvrir l’amour, être mêlé à complot visant à assassiner le roi, percer les mystères du nom de la boutique de son père et redescendre sur Terre après avoir côtoyé le soleil. Mais les autres personnages ne sont pas en reste, tel ce chirurgien qui va avoir la lourde tâche d’opérer le monarque et qui, pour se faire la main, n’hésitera pas à trucider quelques dizaines d’indigents… ou ce roi aux expressions évoquant celle d’un Louis de Funès de la grande époque alors que ses courtisans attendent frénétiquement sa réaction aux propos de Geoffroy pour savoir s’ils doivent s’en offusquer ou rire de bon cœur… Mais j’avoue avoir une tendresse particulière pour ce père un peu gauche qui s’avère au final être un sympathique bonhomme sage, lucide et plein de bon sens….

Porté par une solide documentation savamment exploitée pour tisser une irrésistible fiction historique, des dialogues drolatiques d’une redoutable efficacité, un sens du rythme et de l’ellipse narrative saisissant et une intrigue ciselée au bistouri, recourbé comme il se doit, l’album se dévore avec délectation et est complété par un intéressant dossier historique qui vient préciser certains éléments de l’histoire ainsi que son contexte… Et force est de reconnaître que l’auteur sait y faire pour mélanger personnages fictionnels et historiques, faits avérés et évènements inventés de toute pièce avec un talent confondant pour donner corps à un récit théâtrale rythmé, entraînant et tout simplement irrésistible…

L’association de Philippe Charlot et d’Eric Hubsch apparaît comme une évidence tant leur complicité semble palpable. Il y a une réelle complémentarité entre le scénariste et le dessinateur dont le trait semi-réaliste et follement expressif fait ici merveille. Le soin apporté par le dessinateur aux trognes, mimiques et attitudes de ses personnages accentuent avec art l’aspect délicieusement burlesque de chaque scénette, renforçant la dimension très théâtrale de l’ensemble… Ses décors, rehaussé par les subtiles couleurs de Orlane Chambert, sont tout aussi réussis, contribuant à immerger le lecteur dans ce Grand Siècle tout en contraste alors que ses cadrages ciselés rendent la lecture particulièrement fluide et entraînante…

S’inscrivant dans une veine très théâtrale que Molière n’aurait pas boudé, ce récit burlesque nous entraîne dans le Grand Siècle de Louis XIV, alors que le monarque souffrait d’une fistule anale particulièrement douloureuse qu’il fallut se résoudre à opérer…

Par un concours de circonstance, heureux ou malheureux, le jeune et naïf Geoffroy, fils de charcutier mais se rêvant barbier, allait être le témoin des coulisses de la royale opération et être mêlé, à son corps presque défendant, à un complot visant le Roi Soleil…

Le dessin expressif Eric Hubsch est au diapason du récit enlevé et solidement documenté de Philippe Charlot dont les dialogues ciselés font mouche et rendent la lecture de l’album particulièrement entraînante et jubilatoire…

- Ainsi, si j’en crois ma police, c’est vous qui avez ressuscité notre Intendant Général.
- J’ai eu cette honneur, Majesté… Et, en récompense, on m’a jeté dans votre cachot… euh… Si Votre Majesté connaissait ma vie… Il saurait quel beau cadeau ce fut de me retrouver enfin au calme… dans votre belle prison…dialogue entre Le Roi Soleil et le jeune Geoffroy