
Difficile de présenter ce film de genre si particulier. En ces temps de boucherie universelle, un petit village à l’abri d’une guerre se déroulant de l’autre côté de la colline va être durement éprouvé par le sinistre assassinat de la petite Belle de jour, âgée de neuf ans à peine. Une intrigue et un contexte prétexte pour présenter des personnages à la fois troubles et denses, ambigus et fascinants.
L’atmosphère crépusculaire qui règne sur le film est particulièrement bien rendue, à travers l’évocation magistrale de la guerre de 14-18… Guerre qui n’est jamais montrée dans le film. Pas de batailles de tranchées, acharnée et sanglantes, pas de soldat foudroyés dans leur jeunesse d’un balle sifflante tirée du canon d’un fusil ennemi. Mais elle est néanmoins omniprésente et écrase les habitants du village sous une chape de plomb. Si le bruit des canons d’une bataille se déroulant de l’autre côté de la colline est bien présent au début du film, on fini par l’oublier bien que les artilleries prussiennes et françaises, ne cessent pilonner les lignes adverses. Des troupes de soldat montant ou revenant du front marquent le village de l’empreinte sanglante de la guerre qui n’est qu’un contexte dans lequel peut se développer cet étrange et troublante histoire…
Mais la folie de la guerre souffle bel et bien dans ce village proche du front. Folie dans laquelle le spectateur est immergé dès la première scène du film alors qu’on assiste à la crise d’un instituteur qui craque littéralement et s’effondre devant ses élèves atterrés. La guerre n’est pas montrée, mais suggérée, avec son lot de gueule cassées et d’âmes détruites par les horreurs des tranchées. Ces vies brisées, ces destins qui partent en lambeaux… Et le spectre de la mort qui rôde, inlassablement, fauchant des vies et en brisant d’autres, sans distinction… Du bel amant dont on apprend la mort tragique d’une rafale en pleine tête, aux suicides, meurtres et exécutions sommaires.
L’atmosphère étrange du film est renforcé par les personnages troublants qui sont au cœur de l’intrigue... Des âmes bien sombres en vérité, des portraits poignants, dérangeants d’hommes et de femmes qui sans faire la guerre en subissent les horreurs…
Les personnages, magnifiquement incarnés par des acteurs d’exception, ne sont que des ombres, des fantômes éthérés, hors du temps et du monde, qui traversent cette folle époque où l’on voit s’entretuer les hommes de deux pays, ou l’assassinat de l’ennemi devient admis par tous. Leur ambiguïté s’étoffe au fur et à mesure que se noue l’intrigue. Des pistes sont esquissées mais le spectateur navigue en eau trouble, comme ces personnages, errant dans une époque tragique, entre folie, déraison, espoirs brisés et fantômes ressurgissant du passé. Et le vent de folie qui souffle sur cette tragique période ne permettra pas de lever avec certitude le voile sur leur part d’ombre.
Jean-Pierre Marielle y est superbe d’effacement et de renoncement à la vie. Jacques Villeret, dans un rôle à contre emploi, y incarne un être abjecte et sans scrupule, avec une exactitude qui confirme pour qui l’ignorait encore, l’immense palette de cet acteur. Marina Hands, tout simplement bouleversante de justesse…
Les dialogues sont rares mais efficaces, tout autant que les silences lourds et pesants, qui donne à ce récit, d’une délicieuse lenteur, une profondeur, une émotion et un malaise presque palpable…
Une intrigue sombre et pesante, servie par une photo impeccable, une mise en scène classique mais efficace et des acteurs talentueux, criant de justesse.
Un film saisissant qui mérite le détour…