« Le Grand Pouvoir du Chninkel » commença son existence en noir et blanc, et a été réédité en 3 volumes et en couleurs en 2001. Certains restent fans du N&B ; d’autres, dont je fais partie, se satisfont tout à fait du coffret couleur. Elle n’enlève rien, à mon sens, à la force évocatrice de l’œuvre et permet peut-être de mieux respirer pendant la lecture. Elle est peut-être un peu pâle, mais cela confère une patine mélancolique au monde de DAAR. A vous de juger…
Le tout est le résultat de la collaboration de Jean Van Hamme (au scénario) et de Gregorz Rosinski (au dessin), que l’on apprécient déjà pour leur travail sur « Thorgal », une magistrale saga qui a pour seul défaut de ne pas sembler vouloir s’achever

. Ce couple est sans doute l’un de ceux qui marchent le mieux dans le pas-si-petit-que-ça monde de la BD, et le cycle dont nous parlons est sans doute à ranger parmi leurs meilleures oeuvres respectives.
« Le Grand Pouvoir du Chninkel » est, en quelque sorte, un exercice de style ayant pour propos le syndrome messianique ; à qui l’on doit, notamment, notre petite civilisation judéo-chrétienne

. Certains n’apprécieront pas, parce que c’est un peu facile parfois. D’autres jubileront devant les dilemmes de ce petit bonhomme qui ne demande rien de plus que de vivre une vie de « chninkel » mais qui est catapulté vers une destinée dont on finit par se demander avec lui si c’est bien la sienne…
Le héros, J’on, est plutôt à l’opposé de ce que l’on pourrait attendre d’un messie : chétif (même pour une souris humanoïde), couard, obsédé, parfois égoïste, c’est l’antithèse de l’envoyé divin qu’est en droit d’attendre un peuple opprimé et asservi.
Par un miraculeux concours de circonstances, il devient bien malgré lui Le Choisi, celui dont les prophéties disent qu’il apportera la délivrance à son peuple en s’opposant aux Immortels, des tyrans incontestables qui s’affrontent et se déchirent depuis l’aube des temps, sans que personne ne sache réellement quelle en est la raison.
Les aventures de J’on sont prenantes, à mesure qu’il parcoure bon gré mal gré le monde étrange qui se déploie sous nos yeux, afin de découvrir quelle est la clé de son destin. Héros malgré lui, moins convaincu de ses pouvoirs que quiconque, son périple l’amènera néanmoins à comprendre non pas ce qu’il est, mais qui il est.
Le découpage de l’histoire est sympathique, les dessins sont parmi les meilleurs de ce qui se fait et me plaît en BD : intenses et stylisés tout en restant proportionnés. Les personnages rencontrés et les lieux traversés, depuis le devineresse de l’ « arbre-monde » jusqu’aux Immortels curieusement « marqués » dans leurs forteresses respectives, sont originaux.
Le chninkel est cette parcelle de nous-même qui, malgré ses failles béantes et ses doutes, possède un fragment de beauté et d’utilité avec laquelle il est temps de renouer.
La fragilité et l’acceptation comme armes ; telle semble être la leçon au moment de la jonction entre le monde de DAAR et le nôtre.
La fin est un clin d’œil amusant, mais sérieusement fataliste, qui éclaire un bref instant d’un jour nouveau le cycle.
Au final, « Le Grand Pouvoir du Chninkel » est surtout de conter tout en n’oubliant pas de s’amuser ; bref, de divertir le lecteur de la plus fantastique manière: par le rire et le rêve…