La classification des phares (Paradis, Purgatoire ou Enfer, suivant qu'ils aient été érigés sur terre, sur une île ou en pleine mer) immerge d'emblée le lecteur dans cet univers inquiétant ou des forces incroyables peuvent se déchaîner.

Le Gardien des Enfers entraîne le lecteur dans un thriller haletant qui prendra place dans le phare de South Stack, un phare réputé hanté de nos jours. L'histoire se propose de remonter aux origines de la malédiction associée au phare, à cette sinistre nuit du 25 octobre 1859, lorsque la quasi totalité des passagers du Royal Charter trouvèrent la mort au cours d'un effroyable naufrage...
L'intrigue est centrée sur le personnage de Jack Jones, jeune et courageux assistant de gardien de phare qui, après a perdu un bras après avoir risqué sa vie pour sauver celles de marins sur un navire en perdition. Lorsqu'il arrive au phare de South Stack, il pense être arrivé au paradis, mais il ignore encore qu'il a mis un pied en enfer, car des forces terrifiantes œuvrent dans l'ombre...

Jouant habilement avec le temps et l'espace, Alcante, fidèle à lui même, nous a concocté un scénario rythmé, très ouvert au départ et qui se referme inexorablement, pour devenir étouffant.
En arcboutant l'histoire sur des faits réels, le jeune et talentueux scénariste a su tisser une intrigue solidement charpentée dont l'ambiance oppressante pourrait l'inscrire dans la veine des Cthulhu by gaslight, adaptation rôlistique de l'univers de HP Lovecraft à l'époque victorienne.. On y retrouve les poncifs du genre, l'histoire ancrée dans le quotidien qui glisse peu à peu vers l'horreur glaçante, entraînant inexorablement le héros à sa perte. Mais la facture classique de l'intrigue cache un scénario tragique et captivant.

Le trait dynamique et la colorisation nerveuse de Matteo servent admirablement bien l'histoire concoctée par Alcante. Si le nom du scénariste ne suffisait pas à donner l'envie de lire l'album, la couverture (des plus réussies!) donne furieuse envie de s'y plonger. Sa façon de traiter la mer, la pluie et le vent est particulièrement saisissante. On perçoit la terrifiante violence de la tempête qui lance un navire sur les rochers acérés au large de Scilly Island, la froideur de la lame du sanglant meurtre d'Holyhead ou la poussière de l'éboulement de la mine de Ballarat. A la façon des impressionnistes, il fait naître un panel d'émotion impressionnant à la pointe de ses pinceaux. La colorisation laisse apparaître la force brute des crayonnés et le résultat est particulièrement impressionnant...

Le cahier supplémentaire, apportant un éclairage sur le drame 25 octobre 1859 et la façon dont Alcante en a tiré matière à son histoire, est elle aussi particulièrement intéressante, de même que les gravures qui l'accompagne. Un petit plus fort appréciable!

Les gardiens des enfers confirme, si besoin été, le talent de conteur d'Alcante et l'incroyable potentiel de Matteo, auteur qui mériterait d'être plus connu... Sans doute l'un des meilleurs albums du moment... un coup de cœur, assurément!