Pour ceux qui n’auraient pas encore suivi les aventures de Guillaume de Baskerville dans ce siècle obscurantiste entre tous que fut le XIVème, « Le Nom de la Rose » est l’adaptation cinématographique du best-seller d’Umberto Eco. Le moine franciscain est ce Sherlock Holmes avant l’heure, ce précurseur des lumières qui porte l’habit, mais lutte pied à pied contre les superstitions et, finalement, contre ses pairs et son propre monde. Religieux « par contexte », mais cartésien et peut-être un peu rebelle dans l’âme, Guillaume de Baskerville est aussi imbu de sa propre sagacité. Un intellectuel moderne, en somme, plongé au cœur d’un monde pétri d’absurdités et d’ignorance.
L’intrigue est fidèle au roman (elle est excellente), mais à l’avantage d’être peut-être plus digeste côté caméra. En un peu plus de deux heures, vous vivrez intensément ce sombre polar historique qui dénonce les travers d’une religion décadente, dont l’Inquisition est le rejeton « naturel », la période de la Renaissance l’antidote et le siècle des lumières –peut-être ?- l’absolution.
A la distribution, on retrouve rien moins que Sean Connery dans la robe du héros, le tout jeune Christian Slater en apprenti appétissant et Valentina Vargas en souillon sensuelle à damner…un saint
. Elle est la Rose que cache la boue, une sorte d’incarnation de la vie par l’amour. Elle est le vrai salut de l’homme et de l’âme, comme le découvrira (à temps, lui) le naïf Adso de Melk (et le spectateur avec lui).
« Salvatore », interprété par un Ron Perlman transformé, au physique difforme, est quant à lui le visage d’une innocence gâchée, né condamné par des pairs ignorants.
Les second-rôles monacaux, enfin, forment une galerie de personnages qui portent sur eux leur décadence et leur aveuglement.
Le réalisateur filme ses sujets avec un réalisme extrême qui dérange, et qui dénonce.
La musique de James Horner, que l’on ne présente plus, est inquiétante et lugubre à souhait, et vous enferme littéralement au cœur de cette abbaye isolée qui est un peu la cristallisation de son siècle religieux et fanatique. Les décors sont au demeurant monumentaux pour l’époque et reconstituent ces lieux de perdition et d’égarement.
Car tout, ici, pue le confinement ; et J-J Annaud comme Eco avant lui dénonce par cette œuvre tout le mal qu’a pu engendrer le fanatisme religieux occidental, en un temps pas si éloigné de nous que l’on veut bien le penser. Mais « Le Nom de la Rose » porte aussi les germes de la délivrance, et reste un hymne à la vie
Au final, l’on peut dire que Jean-Jacques Annaud nous lègue une adaptation remarquable d’un livre qui n’avait plus rien à prouver, à la fois thriller gothique et leçon (de morale ?) historique. Le casting est véritablement exceptionnel, et justifie presque à lui seul que vous regardiez ou possédiez ce film. L’ambiance, quant à elle, vous entraînera au tréfonds de l’âme humaine, coupable surtout de se servir de Dieu et du Diable pour justifier sa cruauté et son ignorance.
Aujourd’hui, si nos excuses ont parfois changé de visage, il n’en demeure pas moins pour moi que cette œuvre reste un plaidoyer très actuel pour la compréhension du monde; et bien sûr pour l’amour, comme seuls remèdes à la vie…