Ce premier tome des Démons d'Armoise captive d'emblée par son graphisme de haute tenue. Le travail de reconstitution historique de Stéphane Collignon est saisissant. Des bâtiments aux costumes, ses planches fourmillent d'incroyables détails. Mais le dessinateur, qui n'en n'est pas à son galop d'essai, excelle aussi dans ses cadrages. La scène en contre plongée du bûcher est de toute beauté. Quand aux couleurs de Bruno Stambecco, elles sont impressionnantes de maîtrise. Son travail sur les ombres et la lumières a fait l'objet d'un soin tout particulier qui confèrent aux planches de l'album une luminosité saisissante. Graphiquement, Prelati est une incontestable réussite.

Côté scénario, :Jean-Charles Gaudin et Jean-Luc Clerjeaud (dont c'est à ma connaissance le premier album) s’arqueboutent sur la grande et la petite histoire pour tisser un scénario complexe particulièrement captivant. Le mythe de la substitution et de la survivance de Jehanne au bûcher (thèse romanesque défendue par une poignée d'historiens) y est exploité avec finesse et le glissement du récit vers le fantastique se fait par petites touches, orientant un récit purement médiéval (avec les croyances inhérentes à l'époque) vers un récit de medieval-fantasy particulièrement convainquant, mettant peu à peu la puce à l'oreille du lecteur pour le lui révéler l'étrange vérité que dans les dernières pages du récit.
Le personnage de Gilles de Retz qui inspira celui de Barbe Bleue n'a pour sa part rien perdu de sa noirceur supposée. Il est l'âme et le moteur de cette sombre histoire, en attendant que la pucelle ne reprenne les choses en main. L'atmosphère distillée par les auteurs se fait de plus en plus pesante alors que le récit se déroule, avec ses nombreuses ramifications. Les dialogues sont denses mais bien écrit et contribue grandement à poser cette ambiance si particulière.

Prelati est un excellent tome d'ouverture, fortement ancré dans la grande histoire mais subtilement teinté de dark fantasy. Que dire, sinon que nous attendons la suite avec une mordante impatience!

Ndlr : pour ceux que le tragique destin de Gilles de Rais intéresse, la rédaction des SdI recommandent chaudement la lecture de l'essai Gilles de Rais ou la gueule du loup (Gilbert Prouteau, 1992, Editions du Rocher). Il donne à relativiser la figure de monstre dont l'histoire l'a paré pour des raisons peut-être plus politiques qu'il n'y paraît. L'auteur prend clairement parti pour le connétable Gilles de Montmorency-Laval. Comme souvent, la vérité est sans doute à chercher entre les deux portraits, entre l'ange et le démon.