Avec Deux ch'tits indiens, Hugo et Flora démarrent une nouvelle enquête qui les entraînera plus loin encore aux confins du mystère et de l’étrange. Aspic, leur agence naissante, connaît de gros problèmes financiers et l’amour propre de Flora l’empêche d’accepter la proposition de son jeune associé de renflouer les caisses. Aussi accepte-t-ils une bien étrange enquête : retrouver la trace d’un spectre qui a mystérieusement disparu… Engagés par un vieil indien frère du spectre, artiste dans un cirque itinérant, ils devront frayer parmi de nombreux suspects potentiels que constitue cette troupe de phénomènes de foire, de la femme à barbe en passante par les voyants siamois, les géants, nains, faux garous et autre chaman indien… Trouver un ectoplasme qui fait le mort ne sera pas, on s’en doute, de tout repos…
On retrouve avec un réel plaisir nos deux enquêteurs de l’étrange en herbe qui ne dépareillent pas au milieu de ces monstres de foires, entre Hugo qui est déjà mort et Flora dont les dons extralucides se révèlent peu à peu… Dès le deuxième de couverture, le lecteur se retrouve plongé avec délice dans l’univers esquissé par Tod Browning dans son Freaks (1932), l’humour, le fantastique et la légèreté en plus…
Parallèlement à l’épineuse enquête de l’Agence Aspic, Auguste Dupin (nom emprunté au héros d’Edgard Allan Poe, précurseur du roman policier) enquête sur un mystérieux tueur en série perpétrés dans toutes la France suivant un étrange schéma triennal : de jeunes et jolies jeunes femmes sans liens apparents entre elles sont retrouvées exsangues… Comme on pouvait s’y attendre, en remontant la piste du tueur, Dupin va croiser la route de Flora et Hugo, surgissant inopinément à un moment clef de l’histoire.
L’humour et l’occultisme sont bien évidemment au rendez-vous de ce délicieux cocktail concocté par deux auteurs chevronnés. L’histoire est tordue à souhait et le duo constitué par les deux personnages phare que sont Flora et Hugo et que tout oppose fonctionne toujours à merveille. L’immaturité et la désinvolture d’Hugo contraste avec délice avec le sérieux et l’esprit cartésien de Flora, dans la plus pure tradition des duos comiques et pour le plus grand plaisir des lecteurs.
Et que dire du dessin de Jacques Lamontagne sinon qu’il est une fois encore tout juste sublime. Le dessinateur canadien met en scène avec un talent inimitable les personnages truculents sortis de l’imagination fertile de Thierry Gloris. Son Hugo, inspiré par Romain Duris est particulièrement convainquant, de même que son Dupin, fils contre nature de Jean-Pierre Marielle et de Philippe Noiret qui pose d’emblée le personnage. Graphiquement, comme toujours avec cet artiste, c’est un sans faute… Côté couleurs, Lorien Aureyre, dont on avait pu apprécier le talent sur l’édifiant diptyque la Mort de Staline, parvient avec brio à prendre la suite de Jacques Lamontagne aux pinceaux, assurant une transition en douceur.
Aspic est assurément une série jubilatoire et rafraîchissante. En la lisant, on ressent le plaisir que les auteurs semblent avoir pris à créer et mettre en scène ces personnages hauts en couleurs et de leur faire vivre des aventures inquiétantes et pleines de mystères, le tout ponctuées de scènes croquignolesques.
Cette alternance de légèreté et d’horreur grand guignolesque impulse un rythme entraînant à la série tout en lui conférant sa force et son charme. En lorgnant du côté des romans feuilletonesques de l’époque sans se prendre pour autant au sérieux, les deux auteurs ont créé une série drôle, prenante et envoûtante, comme pouvait l’être l’hélas avortée Ombre de l’Echafaud de Masbou et Cerquerira. Que dire sinon vivement la suite !